When in Rome
Chapitre 57 Shanshu blanc
Le quartier général des Puissances avait déménagé vers un coin nettement plus ensoleillé du monde céleste, maintenant qu'ils n'avaient plus besoin de se trouver un Purgatoire pour consulter Buffy. Le kiosque à gloriette blanc au bois imputrescible s'élevait désormais sur la petite colline d'un jardin plein de charme et un peu désordonné, qui avait sans doute beaucoup à voir avec la personnalité d'une de ses occupants. Ses piliers s'ornementaient du même lierre qui embrassait le pied de la Fontaine de Vie qui glougloutait toujours en son centre.
Ce qui était sûr, c'était que même relocalisé, ce lieu était toujours pourvu de la connexion visuelle qui reliait les mondes comme un cordon ombilical.
Et justement, à quelques mètres de là, deux silhouettes en toge blanche conversaient avec animation. Une petite moue aux lèvres, Cordelia était penchée sur la lucarne du puits du monde terrestre. Sans s'en rendre compte, elle tapotait nerveusement sur la margelle pendant que Doyle, appuyé contre le rebord et les bras croisés, refusait de regarder ce qui se passait en bas. Il traduisait son impatience et son inquiétude par un vent léger agitant les branches d'arbres millénaires et quasi conscients. Ces créatures patientes se laissaient faire, il ne s'agissait que du jeu d'enfants turbulents.
— Ne fais pas ton bébé. Il faut que tu regardes... Jusqu'ici tout va bien. Elle a suivi Spike, il l'a amenée où elle devait être, et elle vient de rencontrer Angel…
— Oui, tout va bien. Et Dawn qui est à moitié hors du monde sait parfaitement qui elle est, et puis Tara qui vient de voir sa monumentale aura, est en train d'en parler à sa mère juste en ce moment.
Il fit un geste de la main, comme s'il tournait une page, et la surface de l'eau se troubla avant de laisser apparaître la grande suite d'un hôtel dans des tons de jungle – luxuriance de verts, chatoiement des bruns – où se trouvaient une femme rousse et une adolescente aux cheveux d'un ton plus clair, tirant vers le blond, les deux en pleine discussion.
— Là, tu vois les rouages qui tournent dans la tête de Willow ? pointa-t-il. Elle est en train d'analyser ce que signifie la lecture d'aura. Elle n'a rien réalisé pour sa propre fille parce qu'elle l'a vue grandir, mais pour Buffy, elle va additionner deux et deux en un rien de temps ! Bravo l'identité secrète qu'on a eu tant de mal mettre en place ! Tu n'as pas l'air de te rendre compte que si ça foire, on en perdra trois, Angel déjà, Spike en dommage collatéral, et elle par-dessus le marché !
Cordelia émit une bonne grosse vibration de reproche mais vint lui prendre la main avant de poser un baiser sur sa joue, à la fois patiente et maternelle.
— Allez, reste positif. Ça me fait mal de le dire mais… tu as déjà vu Buffy rater quelque chose qu'elle décide d'entreprendre ?
Les yeux écarquillés et incrédules, Doyle s'écarta avec humeur mais elle ne s'y trompa pas. Il exhalait une profonde anxiété.
— S.P.I.K.E, ces cinq lettres t'évoquent-elles quelque chose ? Tu as déjà oublié ? Elle est en train de tomber amoureuse de lui, même Faith s'en est rendu compte. Ce n'est pas ça qu'elle doit faire. Tu ne vois pas les problèmes arriver ?
— Si tu avais daigné suivre, tu saurais que Spike a perdu le contrôle et qu'il a vampé devant elle. Oups, je ne sais pas du tout comment ça a bien pu arriver… Relax, elle est petite et impressionnable, Giles en a rajouté une couche, il n'y a pas de souci à se faire de ce côté.
— Petite et trop impressionnable, Cordy ! Tu fais quoi des réminiscences qui ont suivi ? Il ne s'est pas passé vingt-quatre heures et la moitié du groupe a déjà conscience qu'il y a un truc qui ne va pas. L'autre moitié ne sait pas comment c'est possible mais a déjà deviné. Mais il y a pire. Faith lui a confirmé involontairement ses « rêves » en lui montrant un pieu. Si ça continue comme ça, le voile de l'oubli se déchirera complètement pour elle. Et qu'est-ce qui va se passer si la pleine conscience de sa vie antérieure lui tombe dessus ? Moi je le sais très bien ! Je n'aime pas ça, je n'aime pas ça.
— Calme-toi enfin, tu me décoiffes, râla-t-elle pour la forme en essayant de remettre derrière ses oreilles les cheveux bruns qui lui barraient la figure… Pourquoi tu n'as pas confiance ? L'amour, l'amour… ça va, ça vient. Tu as été amoureux de moi, j'ai été amoureuse d'Angel, mais c'est bon maintenant, on a dépassé tous ces besoins égoïstes ! Ni toi ni moi ne sommes là pour des raisons personnelles. On travaille, littéralement, main dans la dans un but plus noble : aider une âme qui en a cruellement besoin et en laquelle nous croyons…
N'offrant que son profil, le jeune homme acquiesça silencieusement. Désarçonnée face à l'émotion qui s'échappait de lui, elle chercha à attraper son regard bleu qui fut soudain extraordinairement fasciné par la Fontaine de Vie qui venait d'augmenter légèrement son débit.
— Doyle ?
— Oh. Le poinsettia de Buffy vient de perdre une fe…
— Doyle, insista-t-elle un poing sur la hanche, incertaine de ce qu'elle venait de capter. Ne change pas de sujet et regarde-moi. On est bien là parce que tu voulais aider Angel, n'est-ce pas ?...
Il tourna son visage mince à l'expression résolue pour la fixer bien en face – et sans ciller – pendant quelques secondes. Et parce que c'était également vrai, il affirma avec conviction :
— Comment peux-tu en douter un seul instant ?
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La sorcière rousse se posa sur une chaise, plus fatiguée qu'elle ne l'aurait cru, laissant sa fille jouer les hôtesses. Après leur retour de Hongrie, Willow leur avait réservé une chambre pour une nuitée dans les faubourgs de Rome. Il y avait déjà beaucoup de monde chez Pietro et la maison n'était pas extensible.
Des flots d'amour semblaient se déverser de son cœur de mère à chaque fois qu'elles se retrouvaient. Elles se voyaient moins car celle qu'on appelait encore « Petite Tara » ne l'était plus autant. L'adolescente était en internat près de Rio la plupart du temps. Elle y étudiait sérieusement sans chercher à fréquenter le monde de sa sœur aînée Alexandra.
Cette dernière était devenue une Tueuse et une sorcière au sommet de sa puissance, redoutable par certains aspects. Comme elle prenait le code des Tueuses très au sérieux, il n'y aurait eu aucun risque qu'elle soit venue prêter main forte pour le Shanshu : aider des vampires n'y figurait pas. Les deux demoiselles Dole-Rosenberg étaient aussi différentes que le jour et la nuit. A ce détail près que le jour était impitoyable et la nuit, accueillante.
Alors que Kennedy avait donné naissance à Alexandra, Willow avait porté elle-même sa cadette avec bien de l'inquiétude pour sa grossesse. A dire vrai, elle était presque sûre que la Bouche de l'Enfer de Sunnydale avait prélevé son dû sur elle, lorsqu'elle s'était perdue très loin dans l'exercice de la magie noire. Trop loin ? Même en s'éloignant du lieu, elle avait continué à vieillir à un rythme ralenti. En dépit d'un usage modéré de la magie blanche, Willow sentait que la Nature, plus sage qu'elle-même, consciente de la valeur des cycles de vie et de mort, ne voyait pas l'intérêt de la garder fertile alors qu'elle avait été une si mauvaise élève. Ou bien la Nature n'y était pour rien et elle s'était punie elle-même par culpabilité. Elle savait faire ça très bien.
L'adolescente blonde entourait l'enfant de prévenances, ressentant d'instinct combien elle était perdue dans un univers différent, gênée d'être une charge, très embarrassée de ses vêtements sales, qui étaient pourtant des uniques possessions. Ce problème fut réglé en un tournemain. Tara lui remit l'un des peignoirs de bain prêté par l'hôtel pour qu'elle le mette avant d'appeler le room service, en demandant le nettoyage d'une « tenue de voyage ayant souffert ». Typique, songeait Willow, avec fierté. Sa cadette témoignait d'une élégance du cœur certaine. Empathique et très sensible elle-même, elle faisait son possible pour préserver également la sensibilité des autres. Souvent la sorcière s'était demandé si elle avait vraiment mérité d'avoir une enfant qui lui mettait parfois les larmes aux yeux. La question de ce qu'elle méritait ou pas, demeurait suspendue comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Avec une sourde angoisse irrationnelle qu'elle pourrait la perdre bien trop tôt.
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Pendant que l'aînée des jeunes établissait un petit lit de fortune sur le canapé brun clair de la suite, Willow gagna leur chambre attenante pour y déposer ses effets, lorgnant avec envie les lits jumeaux et leur foison de coussins mordorés. Le voyage et toute l'opération en eux-mêmes avaient été réellement harassants. Sur les cinq jours qu'il avait duré, elle avait à peine dormi plus d'une petite poignée d'heures par nuit – ce qui était entièrement de son fait. Incapable de lâcher prise par orgueil, elle s'était entêtée à tout faire pour qu'Angel ne reparte pas bredouille.
Quant à la présence de sa fille, bien que sa position officielle de maman à propos de magie fût plutôt « Non, petite demoiselle, tu es trop jeune » ou « Un rituel de cette envergure peut très mal tourner » ou encore « Je préférerais vraiment que tu ne fasses pas de magie du tout », au bout du compte, elle était reconnaissante d'avoir bénéficié d'une assistante. Elle savait aussi que l'argument de la trop grande jeunesse était de mauvaise foi, car elle-même avait commencé au même âge.
Sous une apparence réservée, Tara était persévérante. Sans faire de bruit, elle pouvait se battre pour les idées en lesquelles elle croyait et, le plus souvent, elle soutenait son point de vue avec des arguments raisonnables et pertinents. Devant le refus de sa mère de l'emmener avec elle, la jeune fille avait répondu posément que les moines la reconnaîtraient comme la personne qui était entrée en contact avec eux la première fois. Elle avait ajouté que son énergie plus douce les rassurerait davantage et fait valoir qu'au fond, on demandait à une congrégation religieuse exclusivement masculine d'ouvrir ses portes rustiques pour laisser entrer un démon et deux femmes… Avec un brin de malice, elle avait ajouté que le démon serait peut-être mieux accueilli qu'elles-mêmes, dans la mesure où sa nature était cachée, et la leur, bien apparente.
Toutes deux s'étaient donc envolées avec un Angel qui s'était montré serein et détendu pendant tout le voyage en avion. Willow s'était sentie impressionnée, imaginant qu'il avait fait un grand travail d'acceptation face à ce bouleversement majeur de toute son existence. Vieillir, mourir, laisser des êtres aimés derrière soi, avoir une chance de tout recommencer mais sans certitude de ne pas faire tout aussi mal, une fois de nouveau aux commandes de son libre arbitre…
En entendant sa mère féliciter le vampire pour son calme, Tara avait eu un sourire de connivence furtif près de son hublot. Il avait étouffé un petit rire.
— Oh Will, je ne suis pas « calme ». Je suis suffisamment bourré pour me tenir tranquille, ce n'est pas tout à fait la même chose.
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Et après des heures en bus, à cahoter sur les nids de poule dont le nombre allait croissant au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient de toute civilisation…
Après s'être arrêtés au moindre village et ce jusqu'au tout dernier de la ligne…
Après y avoir retrouvé un guide qui devait les conduire au plus près du monastère dans un 4x4 étonnamment rutilant… (En entendant son accent très roumain, chacun avait calculé en silence leurs chances de finir trucidés sur le bord du chemin, s'il était un des descendants du clan Kalderash).
Après avoir réussi à convaincre les moines, une fois sur place, qu'une puissante sorcière et une créature de la nuit ne présentaient aucun danger. À les assurer qu'ils pouvaient tout à fait leur laisser consulter un rouleau friable parlant d'une vieille prophétie que personne n'avait jamais comprise…
Après avoir convaincu un Angel qui avait jeûné depuis plusieurs jours, de s'allonger sous le regard d'un grand Christ en croix, sur un autel au milieu d'un cercle protecteur… (Tara avait cru bon de dessiner des petits angelots inoffensifs, pour rassurer les moines sur l'innocuité de ce « baptême », nécessitant tant de plantes pilonnées et des prières récitées dans des dialectes étrangers).
Après avoir attendu l'heure exacte où une nouvelle lune de solstice produisait son éclipse face à Saturne sous les auspices bénéfiques de Jupiter…
Bref, des heures de préparation pour qu'il ne se passe… strictement rien.
Abasourdie, Willow avait recompulsé frénétiquement tous les documents, en se tuant les yeux à la seule lueur des cierges en suif. Elle s'était entêtée en se rappelant les métamorphoses d'Oz, arguant qu'une nouvelle lune durait trois jours et qu'il fallait recommencer le lendemain soir, pour être sûrs.
Angel s'y était prêté de bonne grâce. Toujours aussi calme quoique moins saoul, il s'était soumis à une nouvelle tournée de prières dans des cercles à la craie bénie par tous – même les moines ; s'était laissé couper une mèche de cheveux qui avait fini cramée dans un bol avec une mixture qui lui évoquait plutôt le bouquet garni qu'une préparation magique…
Et à la fin de l'incantation : aucun changement. Il était toujours vampire.
Et au troisième soir infructueux, et somme toute inutile car la nouvelle lune était donc finie, il avait déclaré qu'il était assez resté torse nu sous les yeux de ces dames et de ces moines. Il avait rangé tout leur attirail, remercié les hommes d'église pour leur patience, laissé deux gros billets pour leurs bonnes œuvres et avait déclaré qu'il ne fallait pas s'en faire, que c'était une vieille prophétie et qu'elle avait toujours été obscure.
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L'ambiance avait été morose durant le trajet de retour. Leur humeur ne s'était améliorée qu'au moment où ils avaient retrouvé l'homme au 4x4. Au bout d'une demi-heure de route, ce dernier avait eu la surprise de sa vie en découvrant que deux sorcières et un vampire (qui avait très faim) étaient difficiles à effrayer et ne se laissaient ni détrousser, ni tuer bien sagement. Les voyageurs l'avaient saucissonné sur le bord de la route – où, peut-être, un véhicule passerait un jour – et avaient continué seuls dans son tout-terrain. Le chemin n'avait pas été trop difficile à retrouver dans la mesure où Tara, trouvant les GPS peu fiables, avait semé des petits cailloux qui brillaient à chaque intersection importante. Lisez des contes à vos enfants, avait songé Willow, ils vous le rendront bien.
Et ce fut dans le bus qui les ramenait à l'aéroport international de Budapest, alors qu'il leur restait une ville encore à desservir, que Willow manqua de craquer en s'excusant de cet échec. Angel avait secoué la tête en lui disant que ce n'était pas de sa faute et qu'il pouvait témoigner qu'ils avaient tout essayé, minutieusement.
Elle l'avait regardé avec une certaine incompréhension.
— Mais tu t'étais préparé, tu nous avais tous prévenus, tu avais mis tes affaires en ordre, on avait tout ce qu'il fallait pour une nouvelle identité et une nouvelle vie... Tu n'es pas déçu ?
— Non, reconnut-il. Sans faire forcément partir défaitiste, je n'avais pas un grand espoir que ça fonctionne pour de bon. Spike avait raison, au fond. Je me suis focalisé sur ça dans l'espoir idiot que je serais choisi, que je serais élu parce que j'en aurais été digne… Mais rien de tout ça n'était mentionné explicitement dans aucun des rouleaux. Il m'a fallu tout ce temps pour comprendre que ça ne servait à rien.
— Quand même…
— Et parce que je n'étais pas trop sûr du résultat, j'ai pris aussi rendez-vous avec un marchand qui vit à Budapest. On va faire un crochet par sa boutique avant de prendre l'avion suivant.
— Pour quoi faire ?
— Passer au plan B. Et celui-là… je peux te garantir qu'il marchera.
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Tara s'était assise près de la gamine qui touchait le peignoir éponge d'un blanc éclatant avec circonspection, et s'était livrée à une observation discrète de son aura. Elle ne voulait que l'aider et ne pouvait pas le faire si la petite restait fermée. Ce qu'elle y vit la désarçonna beaucoup. Sous couvert d'aller lui chercher une couverture dans le vestiaire, elle vint discrètement en informer sa mère. Puis elle retourna aussitôt près de l'enfant qu'elle continua à entourer de prévenances mais en cherchant à comprendre.
Cette dernière n'était cependant pas très coopérative face aux questions qui semblaient la placer automatiquement sur la défensive. Au bout d'un moment, lassée de cette insistance pourtant gentille, elle bredouilla quelque chose d'où émergeait le mot « moche ».
— Mais il faut que tu nous dises. On ne va pas t'appeler « petite fille » tout le temps. Comment t'appelait ta mère ? Un petit nom ?
— Elafina, répondit-elle avec réticence.
— Petite biche ? traduisit automatiquement Willow, un peu troublée.*
La petite biche soupira en déclarant que sa désignation officielle était 7H1583 mais qu'on l'appelait plutôt Dystychis.
Tara sentit monter une vague de pitié face à une culture qui faisait usage d'une composition alphanumérique pour l'état civil des gens et puis se souvint qu'elle avait elle-même un numéro de sécurité sociale ; mais pour ce qui était de la sécurité et de la socialité, le monde d'où venait Dystychis ne lui laissait pas la meilleure impression.
— Tu n'es pas obligée d'utiliser ton vrai nom si tu ne veux pas. Prends-en un autre. N'importe lequel, pour nous ça ne change rien.
Tara fit ses grands yeux innocents et pleins d'attente. La petite s'en rendit compte et commença à bouder parce qu'elle en ressentait déjà les effets irrépressibles…
— Bon, ça va, je vais le dire. Mon vrai nom, il est ridicule ! C'est « Thisbé ». Chez moi, c'est un nom pour les mamies !
Après quoi, pour pouvoir en trouver un autre, elle demanda la liste de tous les prénoms possibles.
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Willow haussa les sourcils face à l'ampleur de la tâche et se mit en retrait, en laissant à sa fille enthousiaste la gestion de cette épineuse question. A chaque proposition, l'enfant secouait la tête avec des mimiques dégoûtées.
Attrapant son sac, elle fouilla bien une minute entière avant de remettre la main sur son communicateur dernier cri. Elle fit sauter l'objet dans sa paume en attendant qu'il se recharge avec sa chaleur corporelle et l'énergie cinétique.
Dans son esprit, le vide se créa. L'ancienne crack en informatique, habituée à hacker différents systèmes dont les mots de passe étaient trop simples lorsqu'elle était jeune, commença à manipuler les chiffres presque sans s'en rendre compte. 7H1583. 7H1583. Impossible de savoir dans quel référentiel il fonctionnait. Après avoir fini d'additionner les chiffres, de les diviser ou les multiplier, de voir si leur réduction correspondait à n'importe quel nombre premier, où au nombre π, elle décida d'abandonner, bien trop épuisée pour réfléchir correctement. Elle jeta un coup d'œil sur l'horloge numérique et se dit qu'elle avait une petite heure avant de pouvoir aller dîner. Sans façons, elle s'allongea à même le lit et ferma les yeux.
Une minute plus tard, elle les rouvrit grand et attrapa le réveil en regardant les chiffres. 7T. H. 1I. 5S. 8B. 3E. THISBE. Elle sourit parce que c'était une chose surprenante et qu'il était plus que plausible que ça ne pouvait pas fonctionner avec tous les prénoms… Pensive, elle reposa l'objet sur la minuscule table de nuit commune.
Elle ferma les yeux mais son esprit continua à turbiner. Thisbé. Thisbé. Que venait faire là ce prénom qu'elle ne connaissait que par une vieille légende grecque ?** Et puis d'ailleurs, pourquoi le grec ? Comment était-il possible que des gens parlent cette langue sur une autre planète à des années-lumière ?
Le H n'avait pas d'équivalent. Était-il muet ?
'Tis B. ? ***
Le communicateur était prêt et se déploya comme une fleur en révélant son écran.
RedWitch888
Giles, appelez-moi dès que possible. Trouvé petite grecque devant chez Pietro. Assez perturbée. Elle voulait aller au « spatioport pour Orion »
RupertGiles
Oh bonté divine, elle s'est enfuie. Coup de chance que tu l'aies vue
RedWitch888
Petite fugueuse désespérée… Je n'allais pas la laisser comme ça
RupertGiles
Peux-tu la garder cette nuit ? Je viendrai la reprendre demain
RedWitch888
No problemo. On décolle à 15h. Qui c'est ? Une petite Potentielle perdue ?
RupertGiles
Qu'avez-vous fait de Willow Rosenberg ?
RedWitch888
Haha. Votre sens de l'humour me manque. Tara a lu son aura. 3x supérieure à la normale. Combinaison colorée assez spéciale
RupertGiles
Spéciale comment ?
RedWitch888
Vous ne me croiriez pas
RupertGiles
Accorde-moi le bénéfice du doute
RedWitch888
On s'en parle demain. J'ai besoin d'être sûre. Elle me fait de la peine, il faut l'aider
RupertGiles
Bien sûr. A demain alors
RedWitch888
Giles ?
RupertGiles
Oui ?
RedWitch888
Vous n'avez pas l'impression de l'avoir déjà vue ?
RupertGiles
Je sais que je ne l'ai jamais vue
RedWitch888
OK. A demain
RupertGiles
Mais je comprends ce que tu veux dire
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.°.
La respiration de Dawn se fit moins ample et les battements de son cœur changèrent de régime. En ce qui le concernait, un rien pouvait le réveiller – ce qui lui avait souvent sauvé la vie – mais en l'occurrence, il restait un animal nocturne. S'il se pelotonnait contre elle, c'était par pure affection et, il voulait bien le reconnaître, plaisir des sens. Il n'était pas censé dormir la nuit mais il aurait été fou de refuser l'opportunité de rester à son contact, plus ou moins habillé, les narines envahies par son parfum de fleurs, effleurant sa peau à chaque mouvement pendant des heures...
À plat ventre et tournée de l'autre côté, elle poussa dans l'oreiller un petit son de gorge plaintif, déglutit en claquant la langue avant un long soupir.
— Qu'est-ce qu'il y a, chaton ? chuchota-t-il. Je t'emmène à la salle de bains ?
Un nouveau gémissement qui ressemblait à un « non » inarticulé se fit entendre, suivi d'un marmonnement qui ressemblait à « mmlprtouh ».
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire suffisant. Elle pouvait en avoir des courbatures, la coquine ! Ils avaient fait l'amour avec tant de passion ! Ce n'était pas arrivé depuis un bout de temps ces dernières années, en tous cas avec une telle intensité. Loin de lui l'idée de s'en plaindre, une telle fièvre, ça ne se refusait pas… Des années plus tôt, elle lui avait dit que le fondement du désir était le manque. Triomphante démonstration, s'il en était, qu'il lui avait cruellement manqué !
Elle avait tout donné et tout pris.
Presque comme si…
Leur situation spéciale incitait en général à la prudence. Mais hier soir, elle était enfin elle-même, et il n'avait pu s'empêcher de reprendre espoir en la voyant aussi impatiente que lui de parler, de l'embrasser, l'étreindre intimement. Il comprenait l'urgence qu'elle y avait mise, craignant sans doute de perdre trop rapidement la conscience d'où elle était, de qui elle était, de qui il était lui…
Un peu plus tard lors d'une pause plus tendre au milieu de leurs ébats, elle lui avait arraché la plus étrange des promesses. Elle lui avait demandé de ne plus jamais l'abandonner comme il le faisait. De s'accrocher, de refuser, si elle lui demandait de partir. A ce moment de grande intimité, elle le tenait à sa merci de toutes les façons qui soient. « Jure-le » avait-elle dit en accentuant sa pression douce ses doigts sur un point très sensible, avant promener ses lèvres sur son cou – là où aurait dû battre sa veine, là où il avait mordu tant de victimes. Oh, elle savait ce qu'elle faisait ! Il avait frissonné sous la puissante radiation de chaleur qui émanait d'elle et accepté en se rendant l'onde de plaisir qui le traversait.
Quelqu'un avait dû parler. Quelqu'un avait dû le lui dire. Ce n'était pas possible autrement. Qui avait cafté ? N'importe qui dans cette maison pouvait l'avoir fait, mais hormis ses têtes de Turc attitrées, il soupçonnait plutôt… Maya. Elle seule pouvait aimer sa mère assez pour refuser de prendre plus longtemps encore sa solitude et ses larmes à bout portant.
« Ce n'est pas lui qui t'abandonne, Maman. C'est toi qui le chasses… ».
Lorsqu'elle perdait l'esprit, lorsqu'elle ne le reconnaissait plus, lorsqu'il lui faisait peur, lorsqu'elle se réveillait avec un inconnu à ses côtés, lorsqu'elle le faisait en pensant avoir dix ans… Dawn lui ordonnait de partir, de la laisser tranquille et, selon son degré de frayeur, parfois de ne jamais revenir du tout. Que pouvait-il faire d'autre ?
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Assez disposé à reprendre les choses où ils en étaient restés, il roula sur le côté pour venir tout contre elle déposer sur son épaule une séquelle de petits baisers, tandis qu'il l'enlaçait de son bras libre pour qu'elle se replace face à lui. Mais alors qu'il amorçait le mouvement d'une caresse sur un sein doux, il entendit ses pulsations cardiaques s'affoler tout d'un coup. Il étouffa un petit rire orgueilleux.
— Après toutes ces années, j'adore réaliser combien je te fais toujours autant d'effet… Viens là, mon bébé…
Au lieu d'obtempérer pour venir se nicher comme d'habitude contre son torse pâle, elle s'était raidie soudainement.
— Dawn ? appela-t-il tout doucement. Tout va bien ? Mauvais rêve ?
Comme piquée, elle se redressa assise d'un coup, ses longs cheveux lisses balayèrent ses épaules tandis qu'elle frissonnait. Avec un coup d'œil sur ses bras, elle sembla se troubler en face à son déshabillé trop grand aux fines bretelles dont le décolleté baillait un peu sur ses seins. On lui avait dit qu'elle mangeait comme un oiseau mais autant il n'y avait pas vraiment prêté attention la veille, autant là c'était très évident... Stupéfaite, elle attrapa instinctivement les draps d'un geste vif pour se couvrir. Dans son geste pudique, elle avait embarqué une bonne partie du drap et de la couverture, ce qui le découvrit assez pour laisser deviner qu'il ne portait ni caleçon ni bas de pyjama. Choquée, elle chercha son visage et poussa un cri étranglé en se cachant aussitôt les yeux.
— Mon cœur, pas de panique, ce n'est que moi...
Interdite, tête basse, elle l'observait à travers un rideau de cheveux.
— Mais... SPIKE !
Il expira lentement. Au moins, elle le reconnaissait cette fois, c'était déjà ça... Quand, il voulut poser la main sur son bras pour la rassurer par son contact, elle leva la tête et ce fut à son tour de rester bouche bée pendant deux secondes en apercevant son visage de face.
Il retira prestement sa main comme s'il s'était brûlé, attrapant son oreiller pour planquer l'essentiel derrière.
— Oh, bordel de Dieu ! Dawn !
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Notes
* Dans le nanar tourné avec un scénario de Joss Whedon, Buffy avait été traduit « Bichette ».
** Pyrame et Thisbé.
*** « B » est le surnom que Faith donne à Buffy (en VO). 'Tis en anglais est une version courte pour it is. L'ensemble est donc un code qui signifie « c'est B–uffy ».