L'homme choisit, l'esclave obéit

Chapitre 18 : Chapitre 17

Catégorie: T

Dernière mise à jour 10/11/2016 00:02

Rapture, quatre mois plus tôt

D'un geste mal assuré, Andrew Ryan tira un mouchoir de lin blanc de la poche de poitrine de son costume et s'essuya les mains à plusieurs reprises. Ces dernières étaient moites et tremblantes.

Ryan pesta en s'apercevant qu'il ne faisait qu'inonder le tissu de sueur et qu'en conséquence, ses efforts étaient vains. Il roula le mouchoir en boule et le fourra sans ménagement dans une de ses poches de pantalon.

Il se laissa aller en arrière sur son siège et embrassa la pièce du regard. Son bureau semblait bien plus sombre qu'à l'accoutumée. La tension était palpable et il avait l'impression que l'air lui-même se raréfiait. Ce n'était pourtant rien qu'une illusion, Andrew le savait. L'air arrivait directement d'Arcadia, un air aussi pur que celui qu'on pouvait respirer à la surface, peut-être encore plus pur.

Mais le fait était là, il avait du mal à respirer. Conséquence de son cancer, sans doute.

Autour de lui, réunis en un demi-cercle, se trouvaient les membres de son cercle rapproché. De Suchong à Sullivan, de MacDonagh à Cohen, tous étaient aussi anxieux que leur maître.

La situation était critique. Terriblement critique.

Ryan avait l'impression d'être un vieux monarque préparant les dernières lignes de défense pour protéger une ultime fois son royaume des hordes barbares.

Andrew se demandait si ce qu'il ressentait était le même sentiment qui avait glacé le cœur de Romulus Augustule alors que les barbares mettaient Rome en pièces et qu'il voyait son Empire sombrer.

Andrew se remit droit sur sa chaise avant de se pencher sur son bureau. Là, un texte de loi attendait sa signature. Un stylo plume avait déjà été préparé et Ryan sentait déjà les effluves de l'encre lui monter aux narines.

Pour la millième fois aujourd'hui, le maître de Rapture relit le texte qu'il avait sous les yeux :

 

Lois extraordinaires, relatives à la sécurité de Rapture.

Vu, les atteintes quotidiennes portées par les parasites envers les habitants de Rapture, le Conseil a décidé d'appliquer les lois suivantes et ce, jusqu'au retour du calme dans la Cité.

1 : Le Conseil de Rapture est officiellement dissous. Son autorité revient entièrement à l'ancien président du Conseil, Andrew Ryan.

2 : Les lois relatives à la liberté d'expression, de réunion et de mouvement, sont suspendues.

3 : Les Forces de Sécurité de Rapture disposent de toute autorité pour arrêter et interroger et détenir n'importe quel habitant de la cité, quelle que soit sa position.

4 : Un couvre-feu est mis en place. Tout habitant surpris en dehors de chez lui au delà de 20h, sans autorisation, sera arrêté sur le champ et conduit en prison.

S'en suivaient une foule d'autres lois semblables, jusqu'à celle qui faisait hérisser les cheveux de Ryan :

 

25 : Tout Rapturien pris en délit de parasitisme sera condamné à mort.

La peine de mort.

A Rapture. C'était quelque chose contre laquelle Ryan s'était toujours dressé. Les lois qui figuraient sur ce papier, allaient transformer sa Cité de l'Impossible en Cité de l'Horrible.

S'il signait, il abolissait tout ce que représentait Rapture. Il détruisait la liberté, le phare qui guidait la ville hors du brouillard. S'il posait son paraphe, il ne vaudrait pas mieux que tous les dictateurs du monde.

_Il faut signer monsieur ! l'encouragea Suchong. Si ces lois ne sont pas appliquées au plus vite, c'est l'existence même de Rapture qui est menacée.

_Ne signez pas, le supplia MacDonagh, la voix tremblante. Rapture est un idéal, un merveilleux idéal. Si vous violez la valeur rapturienne par excellence, la liberté, alors oui, Rapture disparaîtra.

Suchong et MacDonagh. MacDonagh et Suchong. De véritables opposés dans leur mode de pensée : Suchong était un pragmatique, prêt à violer toutes les limites pour atteindre son but. Pour lui, la fin justifiait toujours les moyens.

Au contraire, Bill était un puissant idéaliste. Il croyait en Rapture peut-être encore plus fort que Ryan lui-même.

Il ne franchirait jamais les limites. Et il serait prêt à tout pour empêcher que quelqu'un ne le fasse.

Au cours de la guerre, MacDonagh et Suchong n'avaient cessé de s'affronter. L'un représentait les modérés du camp de Ryan, l'autre, les extrémistes. Andrew lui-même n'avait pas arrêté d'hésiter entre les deux conduites à prendre, partagé entre l'utopisme de Bill et le radicalisme de Yi.

Même si ces derniers mois, Ryan avait lentement durci ses positions, rejoignant doucement le camp de Suchong. Il aurait aimé penser comme MacDonagh mais la situation était devenue parfaitement incontrôlable.

Un an.

Cela allait faire un an que la révolte d'Atlas avait éclaté. Un an à subir jour après jour, des attentats, un an à vivre dans une peur perpétuelle.

Si elles étaient radicales, les positions de Suchong permettaient de répondre à cette menace. Elles étaient efficaces. Elles permettaient de se protéger d'Atlas et de ses parasites.

Ryan se saisit du stylo plume et le soupesa. Il lui semblait incroyablement lourd, bien plus que d'habitude. C'était son porte-plume favori : d'un noir d'ébène, décoré d'argent ciselé. Il l'avait depuis des années, bien avant Rapture.

A l'époque, il avait dû économiser pendant des mois avant de pouvoir se l'offrir. Et c'était avec lui qu'il avait signé les contrats qui l'avaient rendu milliardaire.

Andrew reposa le stylo sur son bureau d'un geste las et fixa avec attention les membres de son cercle.

Les plus fidèles de ses hommes, de véritables extensions de sa volonté. Ryan se reposait sur eux, ils étaient ses conseillers, ses amis.

Mais aucun ne pouvait lui être d'un quelconque secours. La décision qu'il allait prendre, il devait la prendre seul.

Il savait que s'il signait, tous le suivraient, mis à part Bill. Sullivan aurait du mal à accepter cette décision, étant rigoureusement contre la peine de mort. Mais c'était un soldat. Il obéirait aux ordres de son maître.

Ryan ferma les yeux un court instant, comme pour se persuader que tout n'était qu'un cauchemar et que tout allait s'arranger. Mais évidemment, c'était peut-être un cauchemar, mais il ne rêvait pas.

S'il ne faisait rien, comme lui conseillait MacDonagh, il condamnait tout Rapture à mort. Il donnait le champ libre aux assassins et aux dévoyés d'Atlas.

Il n'avait pas le choix.

La décision qu'il allait prendre était terrible mais il préférait encore cette dernière que de livre sa ville au chaos d'Atlas et de ses partisans.

Avec un long, très long soupir, Ryan s'empara du stylo et signa sans attendre, dans un silence de mort.

Voilà c'était fait. Il venait de transformer Rapture en dictature.

MacDonagh ne cachait pas sa déception. Ses yeux étaient embués mais il était trop fier pour pleurer devant le maître de la ville et son cercle.

_Monsieur Ryan...murmura Bill d'une voix blême. Vous venez d'activer vous-même l'autodestruction de la cité. J'espère que vous vous en rendrez compte et serez capable d'inverser la vapeur avant qu'il ne soit trop tard. Ne comptez plus sur moi pour vous suivre. Adieu, Andrew.

MacDonagh partit sans se retourner une fois. Andrew se leva, prêt à courir à la suite de son ancien bras droit mais Suchong l'arrêta en posant sa main sur sa poitrine.

_C'est inutile de le suivre, monsieur. Bill a fait son choix, il doit maintenant l'assumer.

_Est-ce que vous êtes en train de me dire que je dois laisser partir un ami de plus de cinq ans ?

_Qui n'est pas avec nous est contre nous, monsieur, déclara simplement Yi. Les seuls qui vous resteront fidèles jusqu'au bout, ce sont les hommes présents dans cette pièce.

Ryan observa avec attention les hommes que désignait Suchong.

Sullivan, Cohen, Steinmann, Suchong. Ces quatre hommes avaient juré de suivre leur maître jusqu'au bout du monde. Si Ryan représentait la tête de Rapture, ses bras droits étaient indubitablement les membres de la cité, au sens physique du terme.

Encore une fois, Suchong avait raison. Même si Rapture s'effondrait, ils lui resteraient fidèles. Ils ne rejoindraient jamais les rangs d'Atlas. Et ils ferraient n'importe quoi pour protéger la Cité de l'Impossible des parasites.

Ryan sentit qu'il avait besoin de les élever en grade. D'après les nouvelles lois, Ryan avait tout pouvoir désormais.

Le Conseil n'était plus. Mais Andrew ne pouvait régner seul sur l'ensemble de Rapture. Il avait besoin de ces hommes. Ils représentaient l'élite de leur profession et seraient de formidables administrateurs de Rapture.

_Messieurs, dit Ryan d'une voix presque éteinte, je viens de prendre une décision. Chacun d'entre vous sera nommé administrateur d'un secteur de Rapture où il aura tout pouvoir pour y conserver l'ordre. Les administrateurs seront directement sous mes ordres et n'auront à répondre que devant moi.

Il eut l'impression de sentit la vague de joie qui frappa ses fidèles -à l'exception notable de Sullivan- alors qu'il prononçait ces paroles. Il les adoubait, il n'y avait pas de mot plus juste.

_Joseph, commença Ryan, vous vous chargerez du Pavillon Médical. Sander, la Forteresse Folâtre est à vous. Yi, je vous confie la Pointe Prométhée et le Terrain d'Entrainement des Protecteurs. Sullivan, vous dirigerez le Trésor de Neptune.

Sullivan ne tarda pas à faire connaître son désappointement :

_Sauf votre respect monsieur, je n'ai rien d'un administrateur. Je suis un policier, un soldat. Mon travail est de maintenir l'ordre.

_Et c'est exactement ce que vous ferez. Sullivan, le secteur que je vous confie est dangereux. C'était l'ancien repaire de Fontaine. Je ne veux pas que les hommes d'Atlas se servent du réseau de contrebande contre nous.

_Mais je...

_Il suffit, dit sèchement Ryan. J'ai besoin de votre concours à tous -il insista particulièrement sur le mot- pour nous sortir de ce bourbier.

Sullivan baissa les yeux et ne dit rien. Ryan était satisfait. L'irlandais serait un parfait chef de secteur bien qu'il l'ignorait encore. Ryan laissa flotter un court silence puis, s'adressa à nouveau à ses fidèles :

_Messieurs, je compte sur vous pour être inflexibles. Ne vous laissez pas arrêter par une quelconque morale religieuse ou autre. La Grande Chaîne est tout ce qui compte et nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la sauvegarder.

Tous approuvèrent, même Sullivan.

_Alors c'est décidé, déclara Andrew. Ces lois sont applicables dès maintenant.

_Dans ce cas, lança Steinmann, peut-être faudrait-il se charger des détenus de la Place Apollon.

Ryan se rembrunit :

_Oui sans doute docteur, vous avez raison.

La Place Apollon était la plus grande de tout Rapture. Elle se situait au croisement de toutes les lignes de métro de la ville et non loin des résidences chics de la cité. Depuis quelques semaines, les hommes de Ryan y détenaient les parasites qui souillaient la Cité : supporters d'Atlas, contrebandiers, criminels,...

La place était devenue un véritable camp de détention, surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Ryan avait donné une instruction simple : nul ne devait s'échapper. Mais il fallait admettre que ces parasites étaient gênants. Même derrière des grilles, ils restaient un danger. Steinmann avait peut-être raison, il fallait sans doute se défaire d'eux définitivement. Si ces parasites disparaissaient, c'était l'essentiel du camp d'Atlas qui s'en allait aussi. Et Andrew était sûr de tenir la ville si les opposants détenus sur la Place Apollon subissaient la loi vingt-cinq.

Ryan se leva avec lenteur de son fauteuil, enfila son manteau et son chapeau et se saisit de sa canne. Il expliqua qu'il voulait s'adresser une dernière fois aux détenus et leur proposer une ultime chance de rachat. Il n'était pas un monstre. A la surface, quand un de ses employés le trahissait -ce qui était rarissime-, Andrew lui laissait toujours une porte de sortie. Une possibilité de racheter ses erreurs et de repartir du bon pied. Il laissait l'employé choisir et selon sa décision, le couperet pouvait tomber ou non.

Ryan ne voyait pas pourquoi pareille méthode ne pouvait pas être appliquée sous l'océan.

Les nouveaux administrateurs de Rapture décidèrent d'accompagner leur maître. Ryan avait de plus en plus l'impression d'avoir une cour autour de lui. Les soldats de sa garde personnelle les encadrèrent et le petit groupe chemina jusqu'à la Place Apollon.

En chemin, Cohen semblait nerveux et encore plus lunatique que d'habitude. Andrew lui demanda ce qui se passait et la réponse de l'artiste fut directe :

_C'est Anna Culpepper monsieur. Cette femme me rend fou. Non seulement, elle n'a aucun talent mais elle se permet de railler des artistes de mon niveau ! Vous savez comment elle m'a surnommé ? "Le rossignol de Ryan". Même dans ses insultes, elle est médiocre !

Ryan ne dit rien, préférant penser à cela en silence. Malgré le fait que l'animosité de Cohen envers Culpepper était avant tout de la peur, peur de la voir un jour égaler ou même dépasser son niveau, Ryan devait bien reconnaître que la musicienne devenait un problème politique. Ses chansons étaient de plus en plus critiques, attaquant Ryan, Rapture et la Grande Chaîne. Andrew ne savait pas si Culpepper était pro-Atlas et honnêtement, il en doutait. Mais elle était une gène, une terrible gène. Qui plus est, Sander devenait d'autant moins productif lorsque son esprit était obnubilé par sa rivale et Ryan avait besoin de lui pour soutenir les crédos rapturiens. C'était le chef de file de la propagande -car soyons honnêtes, c'était le mot juste- de Ryan et les mots étaient tout aussi importants que les actes. Cohen construisait lentement l'édifice de la victoire par ses chansons, comme Suchong par ses exprériences scientifiques ou Steinmann par sa chirurgie de pointe.   

Il était une des clés de voute du système et Culpepper en la menaçant, faisait planer un danger sur tout l'édifice.

Encore une fois, Ryan en revenait à cette métaphore de la main qui mettait le corps en danger.

Alors que le groupe arrivait en vue des Hauteurs d'Olympie, l'ensemble d'appartements le plus chic de toute la ville où logeaient par ailleurs, l'essentiel de sa cour, Ryan marqua un temps d'arrêt et par habitude, lissa sa moustache.

_Je pense que vous avez raison Sander, finit-il par lâcher. Culpepper devient une gène pour tout Rapture. Le simple fait qu'elle habite dans un logement voisin aux vôtres mes amis, m'est insupportable.

Il claqua des doigts comme pour appeler un chien :

_Sullivan. Vous allez vous charger d'elle.

_Est-ce que vous me demandez de commettre un meurtre, monsieur ? demanda l'irlandais, le visage grave.

_N'est-ce pas vous qui m'aviez assuré que du temps de Capone, vous et vos hommes aviez recours à certaines solutions radicales pour vous défaire de ceux qui menaçaient l'ordre établi ?

_Nous nous chargions des violeurs, des mafieux et des assassins. Cette femme est une chanteuse et n'en déplaise à Sander, une artiste !

Cohen grimaça comme s'il venait de mordre dans un fruit avarié. Ryan planta son regard dans celui du chef de la sécurité :

_Et en quoi est-ce différent ? Allez vous me dire que les statues de Breker ou les bâtiments de Speer n'étaient pas largement aussi dangereux et dévoyés que toute la politique de Hitler ? Le cas de Culpepper est tout à fait semblable. Par ses chansons, elle dissout notre unité au moment où elle devrait être plus forte que jamais. Cette femme est un parasite !

_Tant qu'elle ne tombe pas sous le coup de l'article vingt-cinq, je...

_JE ME MOQUE BIEN DE LA LOI ! rugit Andrew en se précipitant sur son subordonné et en l'empoignant au collet. Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, nous sommes en guerre et ce, depuis l'ascension de Fontaine ! Je tiens à mourir en laissant derrière moi un monde en paix et pour ce faire, j'irais jusqu'à faire n'importe quoi ! Est-ce que vous comprenez ?

Sullivan, bien plus fort que son maître, aurait pu se défaire de son empoigne sans le moindre mal. Pourtant, il courba la tête et dit d'une voix basse :

_Non. Mais j'obéirais.

Satisfait, Ryan relâcha son étreinte et repartit, suivi par sa cour, laissant Sullivan qui ne bougeait pas.

_Je veux que ce problème soit réglé avant ce soir officier, lui cria Ryan de loin. Je compte sur vous mon ami. Ne m'abandonnez pas.

Enfin, le groupe arrivait en vue de la place Apollon. Des hommes appartenant à la sécurité, à la garde personnelle ou tout simplement à la milice de Ryan surveillaient soigneusement les allées et venues. De hauts grillages bloquaient les goulots d'étranglements qui conduisaient à la Place Apollon.

Dès qu'ils virent leur maître, les soldats se mirent à applaudir et à pousser des cris de joie. Ryan sentit son cœur brûler de fierté. Ainsi, la flamme de la Grande Chaîne n'était pas morte. Il existait encore des hommes et des femmes pour croire en lui. C'était merveilleux.

Le chef du groupe, un jeune homme d'à peine vingt ans, s'avança jusqu'à Andrew, tomba à genoux et courbant la tête, lui baisant la main.

_Mon seigneur ! Que nous vaut le plaisir de votre auguste présence ?

La première réaction de Ryan aurait été de retirer sa main violemment. Le jeune homme le vénérait assurément. Il le voyait comme son maître, au sens propre. Mais Ryan ne voulait pas de cette étoffe. Il n'en était pas digne. Il retira doucement sa main et, s'aidant de sa canne, s'agenouilla pour être à la même hauteur que lui. Immédiatement, le jeune baissa le regard mais Ryan l'obligea à le fixer dans les yeux, saisissant son visage entre ses mains.

_Je ne suis pas Dieu ou votre seigneur mon enfant. Je ne suis qu'Andrew Ryan. Je ne suis qu'un homme.

Plus il parlait, plus il trouvait son discours faux. Ses mots auraient étés vrais il y a encore peu de temps mais désormais, c'était de l'hypocrisie pure. Il n'était plus un homme. Un homme n'avait pas sa cour, une garde ou un pouvoir sans limites. Ce qu'avait pourtant Andrew. En en réfléchissant bien, "seigneur" était peut-être le terme qui convenait.

_Un homme qui vous remercie de votre fidélité. De votre fidélité à tous. Je sais que grâce à vous, nous triompherons.

_Oui monsieur Ryan, balbutia le jeune homme, la voix entrecoupée de sanglots de joie. Oui, nous gagnerons la guerre.

Ryan sourit et se remit debout, aidé par ses gardes. Puis, il s'adressa à nouveau au jeune homme :

_Je dois parler aux détenus.

_Monsieur Ryan, objecta un des soldats, c'est trop dangereux. Nous ne pouvons pas vous laisser faire ça.

_Nous sommes en guerre. Toute Rapture est dangereuse. Mais de grands évènements viennent de se produire et je comptais les annoncer à mes ennemis moi-même.

_Ne pouvez-vous pas envoyer un émissaire ? demanda Suchong. Je connais quantité de rapturiens qui seraient ravis de..

_Non, le coupa sèchement Ryan. Il suffit maintenant. Faites moi un passage.

Les soldats ouvrirent lentement les grilles tandis que les membres de la garde personnelle renforçaient d'autant plus la protection autour du maître de la ville.

Quand il posa le pied sur la place, Ryan eut l'impression d'avoir plongé la tête la première dans la fange : si loin que portait son regard, on ne voyait qu'une masse grouillante et informe, vêtue de haillons et dégageant une épouvantable odeur. Ryan peinait à y voir des êtres humains. Pour lui, ce n'était que de la vermine.

_Ecoutez-moi ! clama t-il d'une voix forte. Je suis ici en personne pour vous proposer un marché.

Les prisonniers s'entreregardèrent, éberlués. ils n'arrivaient apparemment pas à réaliser qu'Andrew Ryan en personne se tenait devant eux.

_Une série de lois extraordinaires vient d'être votée. Je suis désormais la seule autorité légitime à Rapture.

Cette déclaration provoqua un tollé dans la masse des détenus, vite calmée cependant, par quelques tirs de semonce de la part des soldats.

_Rapture est en état de guerre. Et vous, cria t-il en pointant les prisonniers du doigt, vous êtes mes ennemis. J'ai légitimement le droit de tous vous faire exécuter ! Mais Andrew Ryan peut se montrer magnanime. Lorsque je sortirais de la place, je laisserais la porte ouverte cinq minutes. Toute personne qui franchira ces portes dans ce délai sera considérée comme amnistiée. En revanche, la toute nouvelle peine de mort attendra ceux qui essayeront de passer hors de ce laps de temps.

Un vent de panique traversa la foule. Ryan passa outre, parlant de plus en plus fort :

_Vous avez succombé aux mensonges d'Atlas ! Je vous offre une ultime chance de rachat.

_Atlas se soucie du peuple ! cria quelqu'un dans la foule.

_Non c'est faux, objecta Andrew. C'est ce qu'il veut vous faire croire. Moi, j'aime Rapture.

_En devenant un dictateur ! hurla une femme à la voix éraillée.

_Vous ne comprenez même pas le sens des mots qui sortent de votre bouche, cracha Ryan avec mépris. Si la République Romaine était menacée, on accordait des pouvoirs exceptionnels à un magistrat pour une durée maximale de six mois. A la fin de cette date ou après avoir stabilisé la situation, le dictateur rendait ses pouvoirs aux autres magistrats.

A en juger par les cris et les huées, l'histoire romaine n'intéressait que peu les adversaires de Ryan.

_Quand le calme reviendra dans Rapture, je rendrais ses pouvoirs au Conseil. Et nous vivrons en paix.

Nouveau mouvement de foule, contenu à grand peine par ses partisans. Ryan jugea inutile de continuer à parler à cette vermine. Il tourna les talons et repassa les portes.

Il décida d'attendre les cinq minutes pour voir si certains supporters d'Atlas étaient assez intelligents pour savoir quel camp rallier. Mais personne ne quitta la place.

Une lassitude profonde frappa Andrew alors qu'il ordonnait la fermeture des portes. Immédiatement, comme si ce n'était qu'à ce moment précis qu'ils s'étaient aperçus qu'ils laissaient passer leur seule chance de survie, les prisonniers se précipitèrent sur les grilles.

Les gardes n'hésitèrent pas à les repousser parfois avec une extrême violence.

Un homme parvint pourtant à franchir les portes, profitant du débordement des forces de sécurité. Il ne put faire que quelques pas avant que la garde personnelle de Ryan ne se charge de lui : un de ses gardes du corps tendit la main vers sa victime et un arc électrique en fusa. Le plasmide frappa l'homme en pleine poitrine qui se figea sur place, le corps tétanisé par la puissance des ampères. Le prisonnier roula à terre et dans un ultime effort, parvint à agripper Ryan par sa jambe de pantalon.

_Monsieur Ryan...gémit-il. Je vous en prie...nous...sommes des êtres...humains.

_Humains ?

Ryan répéta le mot comme s'il lui semblait avoir été prononcé en une langue étrangère.

_Vous n'êtes pas "humain", dit Ryan d'une voix calme en posant la férule de sa canne sur le front du mourant. Tout juste une blatte. Un parasite, en somme.

Ryan finit sa phrase par un coup puissant qui fit lâcher prise à sa victime. Immédiatement, des soldats l'entourèrent et l'achevèrent.

Andrew quitta les lieux sans accorder un regard derrière lui alors que le mouvement de foule des prisonniers tournait à l'émeute. Juste avant de s'en aller, Andrew donna ses instructions au jeune homme qui l'avait accueilli :

_Matez cette émeute par tous les moyens possible. Tuez s'il le faut. Et dès que la situation sera stable, appliquez l'article vingt-cinq.

_Oui monsieur. Des instructions particulières concernant cette loi ?

_Je veux que les hommes d'Atlas voient ce à quoi ils s'exposent en nous défiant. Construisez des potences et faites votre devoir mon enfant.

Le jeune homme approuva avec une joie non dissimulée.

Ryan quitta la Place Apollon sans perdre plus de temps, toujours suivi de sa cour. Suchong ne tarissait pas d'éloges sur sa maîtrise de la situation et sur sa fermeté. Ryan ne savait honnêtement que penser. La peine de mort pour tous ces gens, c'était horrible mais nécessaire. Ryan protégerait sa cité par tous les moyens possibles. Suchong avait raison finalement, il ne s'agissait plus de demi-mesure.

Sullivan attendait le groupe en bas des Hauteurs d'Olympie. Il avait le visage encore plus sombre qu'auparavant et serrait contre lui une couverture tricotée, à demi-achevée, de couleur rouge et noire. Ryan n'eut pas besoin de lui demander si le travail avait été fait, il savait que Sullivan s'était exécuté. Andrew préféra éviter de parler de la couverture. Sullivan devait avoir ses raisons pour avoir pris ce trophée.

L'irlandais vint rejoindre la cour de son maître en silence. Ryan ne dit rien de tout le voyage de retour.

L'heure n'était plus aux apitoiements philosophiques sur le bien et le mal. Andrew avait laissé des parasites comme Fontaine et Atlas gangrener sa ville trop longtemps. Il fallait nettoyer Rapture, la purifier.

Les remords seraient pour plus tard.

Maintenant, seuls les actes comptaient.

Laisser un commentaire ?