L'homme choisit, l'esclave obéit
Rapture, neuf mois plus tôt
Ryan observait son propre reflet dans le métal du casque de scaphandrier qui était posé devant lui. Un casque classique, avec plusieurs hublots protégés par une grille. Rien qu'à le voir, le casque semblait terriblement lourd. Il fallait sans doute un entrainement draconien pour supporter son poids.
Ryan se trouvait dans les la laboratoires du docteur Suchong. Ce dernier venait de lui présenter l'arme qui, selon lui, renverserait le cours de la guerre. Il comptait transformer les vieux scaphandres de Rapture en combinaisons de combat qui seraient greffées à même la peau. La personne qui porterait la combinaison serait éternellement piégée dans cet amas de métal et ne pourrait jamais en sortir. Mais ce n'était pas comme si les futurs Protecteurs -le nom avait été choisi par Suchong lui-même- avaient le choix.
Clic, clac, clic, clac.
Ryan fit quelques pas. A chaque pas, la férule de sa canne heurtait le sol avec force, la faisant tinter tout entière. C'était une canne métallique faite principalement de laiton, qu'il avait adopté peu de temps après sa tentative d'assassinat.
Comme il l'avait promis à Steinmann, il avait refusé d'utiliser de l'ADAM pour soigner sa jambe et était allé jusqu'à rejeter tout repos. En conséquence, la blessure avait mal cicatrisé, condamnant le maître de la ville à une éternelle claudication.
Mais Ryan se moquait bien de l'état de son mollet. Peu lui importait de devoir se déplacer avec un appui quelconque. Il était même prêt à donner son autre jambe et tous ses membres si cela pouvait sauver Rapture.
Clic, clac, clic, clac.
Ryan pivota sur lui-même. Il caressa du bout du doigt le pommeau tronconique de sa canne, gravé d'un R stylisé, logo de Ryan Industries.
Sullivan avait insisté pour qu'il se munisse d'une canne épée mais Ryan avait refusé tout net. Il était déjà sous la garde quasi permanente de ses hommes, il n'allait pas en plus, se munir d'une arme !
Ryan porta son regard sur l'ensemble de la pièce. Un laboratoire aux murs blancs, sans décoration. Un groupe de scientifiques, travaillant d'arrache-pied sur les éléments de l'armure du Protecteur sous la houlette du docteur Yi Suchong.
Le chinois se tenait juste à la droite de son maître et Ryan ne put s'empêcher de penser que cela arrivait bien souvent ces derniers temps.
Sullivan avait eu à la fois tort et raison. La milice d'Atlas fut bien écrasée en quelques heures, au prix d'importants dégâts humains ou matériels. Et un des moindres n'était pas, selon Ryan, la défiguration de Diane.
Mais Atlas avait réussi à disperser son armée dans la population de Rapture, où il corrompait lentement le peuple en lui servant son brouet idéologique. Le pouvoir au peuple, l'égalité pour tous, plus de pauvreté,...ce genre de fadaises.
Ce système avait été essayé à la surface. Son bilan ? Des millions de morts au nom du sacro saint idéal communiste.
Si ça n'avait été que des mots et des idées, Ryan pouvait s'en accommoder. Après tout, plusieurs rapturiens ne cachaient pas leurs sympathies pour des idéaux de gauche. Mais ce que Ryan ne pouvait pas supporter, c'était que les mensonges d'Atlas gagnaient du terrain.
Jour après jour, comme une tumeur grandissait, le nombre des supporters d'Atlas allait croissant. Et les plus hardis n'hésitaient pas à terroriser Rapture par des attentats ou des actions violentes. Chaque semaine, des habitants des quartiers riches de Rapture mourraient de façon horrible. Et en conséquence, chaque semaine, les représailles de Sullivan retombaient sur la population pauvre de la ville.
Et entre les deux, restait l'essentiel de Rapture, la population médiane. Ni assez riche pour embrasser les quartiers huppés de la cité, ni assez pauvre pour se retrouver reléguée dans les bidonvilles, c'était l'épine dorsale de la population, que chacun des deux camps tentait de rallier à sa cause.
Ryan comme Atlas savaient que la guerre serait gagnée par le camp qui aurait cette population avec lui.
_Le projet vous plaît ? demanda Suchong, la voix fiévreuse d'excitation.
Ryan toucha du bout des doigts l'épaisse armure de Protecteur. Elle était glacée. Andrew se demanda un court instant si les personnes qui porteraient cet équipement sentiraient pour le reste de leur vie cette morsure froide.
_C'est intéressant, avoua Ryan.
Il ne pouvait honnêtement pas cacher son admiration devant le potentiel de destruction et de puissance que représentait le Protecteur. Dopé par des plasmides adaptés, il serait aussi rapide qu'un guépard, aussi fort qu'un taureau et aussi résistant qu'un éléphant.
_Et vous comptez lier ces...
_Protecteurs, dit Suchong en terminant la phrase à la place de son maître.
_...choses, reprit Ryan, aux Petites Soeurs ?
Les "protégées" de Tenenbaum étaient rapidement devenues la cible principale des supporters d'Atlas. L'ADAM qu'elles avaient dans le corps était un enjeu stratégique. Désormais, les plasmides étaient devenus des armes et les Petites Soeurs en étaient l'armurerie. Et les Protecteurs représentaient l'armurier.
_Absolument, déclara le docteur en souriant de plus belle. Ils seront les accompagnateurs des petites et consacreront chaque seconde de leur vie à leur protection. Je puis vous assurer qu'aucun homme d'Atlas n'osera se frotter à eux.
_Mais ils ne sont pas invincibles, pas vrai ?
Suchong concéda le point :
_Certes. Mais à moins que leurs adversaires ne les attaquent avec des roquettes ou je ne sais quel matériel de guerre, les Protecteurs seront en mesure d'en découdre avec n'importe qui.
_Et pour ce qui est des gens dans l'armure ? N'y a t-il pas un autre moyen que de les y greffer ?
Suchong secoua la tête :
_Non, monsieur Ryan, c'est impossible. Ils doivent devenir l'armure. C'est la condition sine qua non de notre réussite. Mais par chance, nous arrivons à les persuader.
Ryan soupira longuement. En temps normal, il aurait refusé pareil projet. Mais depuis le premier Janvier, ils n'étaient plus dans une situation normale. C'était la guerre après tout.
Il y avait et il y aurait des excès bien sûr. Mais tout redeviendrait normal une fois la vague franchie. Oui, tout.
Rapture pourrait repartir du bon pied, foulant les parasites et allant encore plus loin dans sa doctrine, celle de l'homme.
_Et comment...
Ryan hésita sur les termes à employer :
_...persuadez vous les cobayes ?
Suchong ne répondit pas et fit signe à Andrew de le suivre.
Clic, clac, clic, clac.
Suchong guidait le petit groupe -soit lui-même, Ryan, quelques scientifiques et des membres de la garde d'honneur- dans les méandres de ses laboratoires. Andrew avait l'impression de voir pour la centième fois ce couloir blanc et stérile, de la même couleur que ceux des hôpitaux.
Finalement, le chinois stoppa devant une petite porte, un peu en retrait. Il composa un code complexe pour la déverrouiller puis, poussa la porte.
Quand il entra, Ryan fut d'abord surpris par la noirceur des lieux. C'était inhabituel dans les locaux de Suchong où tout était éclairé de la même lumière blanche immaculée.
Une odeur de sang, de fluides corporels et de graisse se fraya un chemin jusqu'aux narines du maître de la ville. D'instinct, il plaqua un mouchoir contre son nez et sa bouche.
Les scientifiques et les gardes du corps avaient aussi cette expression de dégoût sur le visage. Suchong au contraire, arborait un visage serein.
Le docteur abaissa un levier et une lumière blafarde illumina le centre de la pièce. Une table d'opération y trônait et sur celle-ci, un homme, solidement ligoté par des lanières de cuir.
Ryan fit quelques pas en avant, à l'invitation de Suchong.
En y regardant de plus près, ce n'était pas un homme. Ou plutôt, ça n'en n'était plus un : sa peau était tendue sur les os, pareille à de la cire étirée. Elle était aussi grise que la pierre et ses yeux semblaient briller comme des feux follets. Il n'avait plus sur le crâne que quelques mèches éparses, de couleur fauve. Sa poitrine se soulevait doucement, au rythme de ses inspirations irrégulières.
Sa bouche était entrouverte, laissant apparaître des dents cariées, tachées de rouge.
Une salive noire, visqueuse et gluante, tombait goutte à goutte le long de ses lèvres, dégageant une odeur de pourriture.
Mais ce n'était pas le plus étrange : l'homme semblait présenter d'étranges grosseurs sur le corps et le visage, comme de gigantesques kystes.
Andrew n'avait jamais rien vu de tel. D'un réflexe machinal, dû à son éducation religieuse, Ryan se signa à la manière orthodoxe : l'épaule droite en premier et en joignant le pouce, l'index et le majeur.
Il regretta ce geste qu'il regretta à l'instant même où il l'effectuait.
_Qu'est-ce que c'est que ça ? demanda t-il après avoir écarté le mouchoir un court instant de sa bouche.
_Un Chrosôme.
_Un quoi ?
Suchong répéta le terme que Ryan n'arrivait toujours pas à saisir.
_Ce que vous voyez-là, expliqua Suchong d'un ton didactique, c'est ce qu'il résulte d'une surconsommation d'ADAM. Cet homme à multiplié les injections jusqu'à ce que son corps ne le supporte plus. Il a fini par évoluer de façon totalement anarchique, sans aucun contrôle. Un peu comme si un arbre sans tuteur poussait soudainement et grandissait tordu.
Ryan approcha sa main du Chrosôme mais Suchong lui attrapa le poignet avec force :
_Ne le touchez pas monsieur ! Il est sous sédatif mais il reste extrêmement dangereux. Son cerveau à littéralement fondu. Tout ce qu'il veut, c'est une prochaine injection d'ADAM. Et croyez moi quand je vous dis qu'il serait prêt à tout pour en trouver la plus petite goutte.
_C'est horrible, murmura Ryan en ramenant le mouchoir contre sa bouche.
_C'est surtout pratique pour nous, dit Suchong, pragmatique. Nous le capturons, le lobotomisons et nous l'enfermons dans l'armure du Protecteur. Ce ne sont plus des êtres humains, monsieur. Il n'y a pas de scrupules à avoir. Et puis, il a choisi d'être ainsi, non ?
Oui...sans doute, le docteur avait raison. Ce qu'allait subir cet homme était monstrueux bien sûr, mais il avait fait son choix. Il avait choisi d'augmenter les doses d'ADAM sans même y penser. Personne ne lui avait injecté la substance miracle de force dans les veines.
Ryan se félicita de n'avoir jamais cédé à la tentation de l'ADAM.
_Et comment comptez-vous effectuer le lien ?
_Je cherche encore un plasmide adapté, avoua Suchong en guidant doucement son maître vers la sortie. Les recherches sont longues et coûteuses mais nous devrions bientôt disposer de nos premiers Protecteurs fonctionnels.
Suchong abaissa la manette et la pièce replongea dans le noir. Seule l'horrible odeur signalait encore la présence du pauvre diable attaché à la table d'opération.
Le groupe sortit de la pièce que le chinois referma avec soin. Il expliqua ensuite à Ryan qu'il y avait pour l'instant qu'un petit nombre de Chrosômes dans Rapture, sous solide surveillance et qu'ils ne représentaient nullement un danger pour la cité.
Mais Ryan ne l'écoutait qu'à moitié. Il n'arrivait pas à détacher son esprit de la vision du Chrosôme, retenu prisonnier dans les abysses des laboratoires de Suchong.
Il signa tous les papiers que les aides de Suchong lui tendirent, les lisant à peine. Il n'avait qu'une envie, sortir du bâtiment.
Lorsque les portes se refermèrent derrière lui, Ryan tomba à genoux et aspira à grande goulées, comme s'il avait oublié de respirer depuis qu'il avait découvert le Chrosôme. Deux membres de sa garde se précipitèrent pour le soutenir et l'aider à se reprendre.
Par chance, la crise fut brève. Il se releva et s'essuya le visage dégoulinant de sueur avec son mouchoir.
Ryan avait originellement prévu de se rendre à Héphaïstos pour travailler mais il lui serait impossible d'entreprendre quoi que ce soit avant que cette vision d'horreur ne quitte sa tête. Et il ne connaissait qu'une seule personne susceptible de le guérir.
¤¤¤
Le Jardin d'Eve était le club de gentlemen le plus huppé de tout Rapture. Rares étaient les hommes à ne jamais y avoir mis les pieds. On y trouvait les plus belles des rapturiennes. Certes à un prix exorbitant mais enfin nul n'avait le meilleur sans avoir à y mettre le prix.
A cette heure-ci, les locaux étaient encore fermés. Il était encore trop tôt, le Jardin d'Eve n'ouvrait pas à sa clientèle avant huit ou neuf heures du soir. Mais Andrew Ryan n'était pas une clientèle comme les autres.
Au delà d'être l'homme le plus puissant de la ville, Ryan avait une réputation atypique dans la maison close. Il avait beau s'y rendre assez régulièrement, il avait toujours dédaigné les filles qu'on lui avait proposé. Les gérants s'étaient pliés en quatre pourtant, lui offrant quelquefois de véritables déesses. Mais il n'y en avait qu'une qui trouvait grâce au cœur d'Andrew.
Jasmine l'attendait dans sa chambre, la plus luxueuse du bâtiment. Elle était assise sur son lit et portait une robe cramoisie avec une broche en rubis, cadeau qu'il lui avait offert. En fait, en y réfléchissant bien, il ne l'avait que rarement vue porter une couleur autre que le rouge.
A peine avait-il franchi l'huis qu'un franc sourire illumina le visage de la jeune femme et qu'elle se jeta dans ses bras en l'embrassa avec passion.
Ryan l'enlaça avec délices. Elle portait un nouveau parfum. A l'odeur sans doute un peu trop capiteuse mais malgré tout très agréable.
C'était quand il était avec elle qu'il savait pourquoi il l'aimait. Auprès d'elle, plus rien n'avait d'importance : ni son âge, ni ses blessures, ni ses doutes, plus rien n'existait. Il l'aimait et c'était tout ce qui importait.
Il se sentit glisser avec elle sur le lit et sentir partir loin, très loin, le souvenir du Chrosôme et de la saleté du monde...
¤¤¤
_Qu'est-ce que tu penses des enfants ? lui demanda t-il en se tournant vers elle.
Jasmine était encore lovée dans les draps tandis qu'Andrew s'était habillé et finissait de remettre ses chaussures. Assis au pied du lit, il la regarda amoureusement. Il avait passé quelques heures très agréables avec elle mais il était temps de retourner au travail.
_De quoi ? demanda t-elle, le voix lourde de fatigue.
_Les enfants, répéta t-il avec un ton enjoué. Tu sais, comme les adultes mais en plus petit.
Elle se redressa sur les oreillers et le fixa. Il lui sembla la voir pâlir sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi.
_Andrew, hésita t-elle...je...
Il la coupa gentiment en levant la main :
_Ça va. Pas de problème. Tu n'es pas obligée de me répondre tout de suite.
_C'est pas que je veux pas Andrew. C'est juste que ça...
Il la coupa une nouvelle fois en s'approchant d'elle et en l'embrassant :
_Encore une fois, ça va. Je sais que c'est une grosse décision. Je voulais juste que tu y penses, d'accord ?
_D'accord, dit-elle sans cesser de pâlir.
Il l'abandonna à regret en lui promettant qu'il reviendrait bientôt la voir. Il n'avait pas plutôt franchi la porte de sa chambre qu'elle lui manquait déjà.
Il avait peut-être fait une erreur en parlant des enfants. Ils n'avaient jamais vraiment abordé le problème, Jasmine déviant la conversation dès qu'elle s'engageait sur ce terrain. Pourtant, c'était une préoccupation de plus en plus obsédante pour Ryan. Il avait besoin d'un enfant.
Il avait déjà Rapture elle-même, bien sûr. Mais il aurait quand même préféré un héritier humain. Il voulait pouvoir transmettre son nom et son legs. Et il aurait aimé s'assurer de la continuité de sa lignée avant sa mort.
Il n'était pas encore dans sa tombe mais s'en rapprochait chaque jour. Il vivait avec un cancer dont il guérissait à grand-peine et une balle dans la jambe. Pour parachever le tout, il avait quand même presque soixante ans. Plus d'un demi-siècle.
Ryan battit un moment le pavé devant le Jardin d'Eve. Puisque il se trouvait à la Forteresse Folâtre, autant en profiter pour voir Cohen.
Il trouva l'artiste dans le Hall de la Marine, en train de faire passer des auditions. Son ami était enfoncé dans un fauteuil de velours rouge et semblait juger un jeune homme qui se tenait sur la scène. Un petit orchestre, placé dans la fosse, accompagnait les prestations.
Trois hommes étaient assis aux côtés du maître artiste. Ryan pensa qu'il devait s'agir de ceux que Cohen trouvait d'un niveau acceptable pour faire office de faire-valoir. Cohen était drastique dans le choix de ses partenaires. Nul autre que lui-même ne trouvait grâce à ses yeux. Mais Sander ne pouvait pas assurer tous les spectacles de Rapture seul. A son grand désespoir, d'ailleurs.
Ryan s'avança jusqu'à Cohen qui se leva pour l'accueillir. Les deux hommes se donnèrent une franche accolade.
_Andrew ! s'exclama le virtuose. Comment allez-vous ?
_Je vais bien mon ami, répondit Ryan en souriant. Avez-vous eu le temps de vous occuper du travail que je vous avais demandé ?
_Absolument, répliqua Cohen en claquant des doigts.
Immédiatement, un des trois hommes assis aux côtés de Sander se jeta littéralement sur un tas de feuillets et en tira un exemplaire qui semblait maintes fois raturé.
_Merci Hector, dit Cohen en se saisissant de la feuille avant de la tendre à Ryan. Comme vous pouvez le voir, le titre est simple et évocateur : Dresse-toi Rapture, élève toi !
Ryan se borna à un hochement de tête. Il avait commandé un hymne à Cohen. Un hymne pour Rapture. Il ne voyait personne d'autre que le maître artiste pour créer cette œuvre. Il fallait qu'elle soit parfaite. Et Sander était la perfection.
Cela pouvait sembler étrange que Rapture ait besoin d'un hymne. Après tout, Ryan avait maintes fois répété que ce n'était pas un drapeau qui faisait la grandeur de l'homme mais celui qui le portait.
Mais un hymne était indispensable dans des temps troublés comme maintenant. Ils avaient besoin d'un symbole de plus pour rallier le peuple à leur cause.
Ryan commença à lire silencieusement les premières lignes de la chanson :
Oh dresse-toi Rapture, élève toi !
Nous tournons nos espoirs vers les cieux.
Oh dresse-toi Rapture, élève toi !
Sur tes ailes, nos rêves voleront. *
Les premières lignes lui plaisaient bien. Il s'apprêtait à continuer lorsque Cohen sembla s'agiter brusquement :
_Non, ça ne vaut rien sans la musique voyons ! Il nous faut la musique...et un chanteur..
.Sander regarda autour de lui et cria d'une voix forte :
_Musique !
Immédiatement, l'orchestre se mit à jouer. Cohen ferma les yeux et fit un brusque mouvement de main à l'intention de l'homme sur scène qui se mit à chanter.
Ryan dut admettre que c'était bien meilleur en musique.
Mais alors qu'il des s'attaquait au refrain, Sander ouvrit soudainement les yeux et ordonna d'un ton sec à l'orchestre de stopper. Ryan ne comprenait pas ce qui se passait. Tout allait très bien. Pourquoi s'énervait-il subitement ?
_VOUS AVEZ CHANTE FAUX ! rugit Cohen au pauvre jeune homme.
Ryan n'avait absolument rien remarqué. Mais il était vrai qu'il était loin d'être aussi pointilleux que Cohen d'un point de vue musical.
Le jeune chanteur bredouilla une pauvre défense que Cohen ne tarda pas à faire valser dans tous les sens du terme. L'artiste se précipita sur scène et attrapa son vis à vis au collet :
_Êtes vous en train de me dire que je me suis trompé ? Moi, Sander Cohen faire une erreur ? On voit que vous ne me connaissez pas jeune homme ! J'étais déjà applaudi quand vous n'étiez qu'un bébé ! Est-ce que vous vous rendez compte que vous venez de saccager une œuvre parfaite par votre médiocrité ?
Ryan tenta de calmer son ami :
_Sander, s'il vous plaît. Ça n'était pas si grave.
_Pas si grave ? répéta Cohen. Pas si grave ? En venant de commettre une erreur sur cette ode, il souille mon nom et le vôtre ! Il souille Rapture toute entière ! Il n'est qu'un sale parasite ! Il ne vaut pas mieux que Culpepper et sa bande de braillards !
Un court sourire fendit le visage de Ryan. Voilà donc le problème. Cohen était encore obsédé par sa rivale. Les deux artistes se livraient une joute acharnée. Ce n'était rien de plus que la même guerre civile qui déchirait Rapture mais d'un point de vue purement musical.
Un des hommes assis se leva et tenta de calmer Cohen en lui posant la main sur l'épaule :
_Maître, s'il vous plaît. Vous vous donnez en spectacle.
Cohen se dégagea d'un coup sec :
_Mais quand je me donne en spectacle, Silas, c'est infiniment supérieur à ce que fait ce minable qui se tient devant vous !
Le dénommé Silas fit un signe de tête à celui qui avait apporté la chanson à Cohen -Hector- et à son compagnon pour qu'ils viennent lui prêter main forte. Ces derniers s'exécutèrent et, à force de flatteries, parvinrent à convaincre Cohen de se calmer. Ils le persuadèrent d'aller se reposer quelques minutes dans sa loge. Les trois hommes soupirèrent de soulagement d'un même mouvement quand le maître artiste déclara qu'ils faisaient une pause et s'éloigna.
Ils entourèrent la victime de Cohen et lui donnèrent une tape amicale sur l'épaule :
_Tu as vraiment le don pour mettre le maître en rogne toi ! déclara Hector en riant à gorge déployée.
Le jeune homme n'osait pas lever les yeux. Ryan le regarda avec attention. Il était jeune : un peu plus d'une vingtaine d'années, tout au plus. Il avait les cheveux d'un brun clair et le visage criblé de taches de rousseurs. Il semblait très affecté par ce qu'il venait de se passer.
Ryan marcha jusqu'à lui et lui déclara qu'il avait trouvé sa prestation très bonne.
_Sauf votre respect monsieur Ryan, rétorqua Silas qui se tenait un peu en retrait, une prestation "très bonne" ne suffit pas à notre maître. Il en exige une parfaite.
Ryan tiqua quand Silas prononça le mot "maître".
_Pourquoi qualifiez-vous Cohen de ce titre ?
_Parce que c'est ce qu'il est monsieur Ryan. Nous sommes ses disciples. Ou du moins, tentons de le devenir.
Silas se pointa lui-même du doigt :
_Je me nomme Silas Cobb. Celui qui a apporté la feuille au maître, c'est Hector Rodriguez. Celui qui ne dit rien depuis tout à l'heure, c'est Martin Finnegan et le petit qui vient de se faire crucifier par maître Cohen, c'est Kyle Fitzpatrick.
Fitzpatrick hocha timidement la tête. Ryan discuta encore quelques minutes avec les disciples de Cohen. C'était agréable d'avoir un autre point de vue que le sien sur le maître artiste.
Leur discussion dura jusqu'à ce que Cohen refasse son apparition. il semblait plus calme et plus posé. Il invita Ryan à rester pour écouter la fin de la chanson mais Andrew préféra décliner.
_Je pense qu'il vaut mieux que vous m'apportiez la version finale dans quelques jours. J'ai été ravi de vous rencontrer messieurs, dit-il aux disciples de Cohen en les saluant.
Ces derniers se confondirent en remerciements envers Ryan. Surtout le jeune Fitzpatrick.
Ryan sifflota en s'éloignant du Hall de la Marine. La vie ne devait pas être simple pour les disciples de Cohen. Leur maître était aussi pétri d'égo que de talent. Mais comme Ryan leur avait dit, il était persuadé qu'eux aussi un jour seraient de grands artistes.
Andrew eut un soupir de regret en quittant la Forteresse Folâtre. Ces quelques heures l'avaient replongé dans l'insouciance de l'avant guerre quand tout allait bien à Rapture.
Mais il n'y avait pas à s'inquiéter. Le mouvement d'Atlas allait bien finir par s'arrêter d'une manière ou d'une autre. Ryan et son clan triompheraient. Le maître de la ville donnerait une grande célébration pour fêter la fin de la guerre. Et Andrew serait aux premières loges pour voir Cohen et les artistes de la Forteresse Folâtre briller dans toute leur gloire.
* Note de l'auteur : il n'existe pas de traduction française officielle pour l'hymne de la cité Rise, Rapture, Rise. La traduction qui se trouve dans ce chapitre est donc entièrement de mon cru et ne correspondra donc pas avec une autre traduction que vous pourriez trouver sur Internet, par exemple.