Version d'attente de Laocoon
Lacejambe marcha longtemps sans penser. Le drapé de velours lui tenait chaud, il voulait conserver l’illusion que le tissu était vivant. Ample, il lui caressait doucement les mollets. Quand il arriva au bord de la mer, il s’arrêta, le soleil était au zénith de son ellipse. Il voyait au nord, perdu dans le lointain le viaduc de l’Estaque, il y fixa son regard. Tout était minéral, plus rien n’était vivant que lui. L’humanité tout entière s’était fossilisée cette nuit. Sa culpabilité même se cristallisa. Il ne restait que des vestiges. Plus rien n’avait d’importance. Il était seul.
Josh, il devait retrouver Josh, il n’y a que lui qui pourrait le pardonner. Tant d’année à essayer d’oublier l’inoubliable. Il avait évacué toutes les molécules d’alcool de son corps, il était sobre, la première fois depuis des temps immémoriaux. Il ne prêtait aucune attention aux tremblements qui agitaient ses doigts, il n’avait rien de précis à faire. Il entendit d’abord leurs cris, ils se moquaient de lui. Il escalada quelques rochers et les vit enfin qui se disputait une carcasse de chat crevé. Un de ces beaux chats angoras qu’on pose sur le canapé de son salon pour faire joli et qui tient chaud l’hiver s’il est d’humeur. Il avait été blanc, il n’était plus que vieux chiffon comme ses espoirs roulés en boule et foulé au pied depuis des années, comme cette fleur qu’il avait légèrement laissé tomber par la fenêtre huit ans auparavant. Ses yeux s’épanchèrent alors que son esprit se réfugiait encore plus profondément au fond, tout au fond. Il s’écroula. Comme un pantin, il se désarticula et tomba dans l’eau. Les gabians abandonnèrent leur charogne pour venir danser au- dessus de l’homme qui flottait maintenant comme un petit tonneau, inerte. Ils le piquèrent de leur bec, ouvrant sa peau de multiples petites ouïes par lesquelles la mer tenta de le ranimer. Il eut quelques soubresauts réflexes de défenses qui éloignèrent les vautours marins. Ils continuèrent leur tumulte un peu plus haut et l’esprit de Bertrand se mit à tourner en lui-même comme dans un siphon, il était attiré par les cris des oiseaux, il s’éleva pour les regarder et c’est lui qu’il vit livide à la surface de l’eau, son visage tourné vers lui, les yeux révulsés. Ses cheveux formant une corole autour de son tête de marbre étaient aussi bleus que le ciel, le ciel était aussi pur et léger que son âme. Il se joint un instant à la valse aviaire, il avait envie de caresser leur plume virginale, d’être l’un d’entre eux et puis il remarqua le soleil plus brillant, plus intense qu’un soleil d’été mais il pouvait le regarder, sans détourner la face. Une chaleur intense l’irradia depuis le creux de son estomac jusqu’à lui faire dresser toute la pilosité à la surface de son corps, l’inondant de bonheur liquide et engourdissant ses zygomatiques comme sous l’effet d’un profond bâillement. Il tendit ses doigts vers la lumière bienveillante.