Avant qu'Henry ne revienne
1940 - 1959
- Vous êtes encore là, miss Pendle? Je pensais que les enregistrements étaient terminés.
La jeune femme, qui s'était retournée en entendant son nom, lui sourit.
- Bonsoir M.Drew. Oui, j'ai terminé ma journée de travail, mais j'attends M. Connors. Il m'a invité à sortir, rajouta-t-elle après un instant, une lumière ravie éclairant ses yeux bruns.
Joey trouvait cette jeune femme réellement charmante, bien qu'il soit beaucoup trop occupé pour avoir le temps de badiner. Mais même s'il n'avait rien tenté, il n'aimait pas la voir avec d'autres.
- Comme c'est dommage ! dit-il en prenant une expression navrée alors qu'il pensait le contraire. M. Connors est de service ce soir, il ne sera pas disponible.
La déception qui passa sur le visage d'Allison faisait peine à voir.
- Il travaille de nuit ? Il ne me l'a jamais dit...
- Non, c'est exceptionnel. Une panne soudaine.
- C'est... C'est vraiment...
- M. Drew! Je vous cherchais. Tout le monde vous attend pour commencer, et...
Thomas s'arrêta net en apercevant Allison par-dessus l'épaule de Joey et un éclair d'inquiétude traversa brièvement son visage d'habitude fermé.
- Tiens, quand on parle du loup... Il semblerait que vous soyez un rustre, M. Connors. Oublier que vous aviez des impératifs et inviter Miss Pendle à sortir, dit-il avec un grand sourire en entourant paternellement les épaules de la jeune femme avec son bras, uniquement pour le plaisir de voir le mécanicien se crisper.
Probablement que s'il n'avait pas eu lui-même un faible pour Allison, il aurait fait davantage d'efforts pour se le mettre dans la poche. Après tout, Thomas Connors était plus que vital à la réalisation de son rêve. Mais on n'est pas toujours aussi rationnel qu'on le devrait, et gratter là où ça faisait mal était une façon discrète qu'avait Joey de se venger de l'affection que la jeune femme portait à Thomas.
Connors le contournant rapidement sans lui jeter un regard, et saisit Allison par la main pour la lui arracher. Il ne la retient pas et les regarda échanger quelques mots sans changer d'expression. La jeune femme finit par le quitter sans s'autoriser plus qu'un sourire, et n'oublia pas de saluer Joey poliment. Ils la regardèrent en silence s'éloigner vers la sortie, et dès qu'elle eut refermé la porte des escaliers, le mécanicien se tourna brutalement vers Joey.
- Vous lui avez parlé de l'équipe qui travaille de nuit sur la machine ?
- Bien sûr que non. Je ne suis pas idiot, Connors. Je sais très bien que c'est Cohen qui l'a introduit, et qu'une femme amoureuse est extrêmement curieuse. Ce serait ennuyeux qu'elle parle à son oncle de l'étonnant roulement des équipes sur la machine, et que celui-ci lui révèle que l'équipe de nuit n'a pas d'existence « officielle ».
Thomas parut se détendre un peu. Il se dirigea vers l'ascenseur pour monter au premier, et Joey lui emboîta le pas.
- Qui est présent ce soir ?
- Mr Arch et sa femme. Les deux frères Macron, et un autre homme qui n'est jamais venu. Mais il accompagnait Mr et Mme Arch, et avec tout le respect que je leur dois, il a l'air d'être déjà à moitié fou. Je ne sais pas si c'est prudent de le faire assister aux essais.
Joey haussa les épaules, alors que les lumières des étages traversés par l'ascenseur jetait des rectangles jaunes sur le visage à nouveau neutre de Connors.
- Il n'y a aucune raison de s'inquiéter, quel que soit son état mental. La machine en elle-même ne peut pas être abîmée par une main humaine et ceux qui viennent la nuit ne gardent pas de souvenirs clairs de ce qui s'y passe. Comme ceux qui y travaillent le jour, d'ailleurs. Caym...
Le mécanicien le coupa sans le regarder dans les yeux, toute sa position criant son malaise.
- Je n'ai pas besoin de savoir comment ça fonctionne, M. Drew. Je fais juste mon travail.
- Oui, bien sûr, répondit doucement Joey, alors le souvenir de Connors se contentant de détourner les yeux à chaque fois qu'il égorgeait un donneur lui traversa l'esprit.
L'ascenseur s'arrêta, et ils parcourent le couloir désert jusqu'au hangar de la machine. Joey le dépassa, et, une main sur la porte, lui adressa un sourire qui se voulait encourageant.
- Ce sont des heures exigeantes qui nous attendent. Prêt à passer de l'entretien de jour aux travaux de nuit ?
Connors le regarda, et pendant un instant, Joey pu voir dans ses yeux l'abîme de honte et de remords que ce qu'ils faisaient avait creusé dans son âme.
- Je n'ai pas le choix, n'est-ce pas?
- Non. Plus depuis que vous avez accepté de signer ce contrat avec moi, M. Connors.