Avant qu'Henry ne revienne
1960-1963
Même plusieurs heures après et malgré le fait qu'il ne restait plus de sang sur sa peau, il se sentait encore mal.
Elle n'aurait jamais dû venir avec son mari. Quand Joey avait demandé à Connors de passer le voir, elle lui avait écrit qu'elle devait garder leurs filles et ne pourrait pas se libérer pour lui rendre visite. Mais quand il avait ouvert la porte, elle était là, souriant côté de Thomas, visiblement très heureuse de lui faire une surprise.
Il avait su à la seconde où il l'avait vue qu'il allait devoir la tuer aussi et sa poitrine s'était serrée. Il avait rarement autant regretté d'avoir accepté la dernière condition de Caym. Le démon lui avait promis qu'il pouvait continuer à faire des tests sur l'âme, et donc à trouver des cobayes sans jamais à être soupçonné à cause des disparitions, mais uniquement s'il ne tuait de ses mains que des employés du Studio.
Évidement. Il avait remarqué qu'à chaque fois qu'il demandait quelque chose au démon, celui-ci s'arrangeait pour que son souhait se retourne contre lui d'une façon ou d'une autre. Mais il avait été obligé de se résigner. Il lui fallait toujours plus de donneurs, ses recherches piétinaient et il ne pouvait pas prendre le risque d'être ralenti par une enquête ou une condamnation. La prison signerait la fin de ses ambitions. Il s'était donc mit à attirer jusqu'à chez lui puis assassiner des gens qu'il avait connus, avec lesquels il avait travaillé, parlé, rit peut-être. Il ne pouvait pas s'arrêter à ça, et il avait à chaque fois assez bien réussi à ignorer la sensation de familiarité en retrouvant ses anciens collègues, pour ne voir en eux que des corps sans passé dont il avait besoin.
Concernant Allison, il l'aurait rendue veuve sans remords. Il en voulait encore beaucoup à Thomas d'avoir essayé de récupérer la machine. Mais elle, il aurait voulut l'épargner. Il l'aimait bien et curieusement, elle s'était attachée à lui également alors qu'ils n'avaient rien en commun. Mais il aurait mieux fallu pour elle qu'il ne l'apprécie pas. Il n'aurait pas été aussi distrait et nerveux, et n'aurait pas fait d'erreurs dans une routine pourtant bien rodée. Car une fois chez lui, les pouvoirs de Caym tenaient les gens sous influence, et Joey pouvait les faire entrer facilement dans le Faux Studio. Ils se « réveillaient » généralement un peu avant que Joey ne les sacrifie, comme si le démon avait tenu à ce qu'ils sachent ce qui allait leur arriver.
C'est ce qui s'était passé, au début. Joey avait dû les inviter à entrer tous les deux et voir à regret la lumière s'éteindre dans ses yeux. Il les avaient guidé à travers la maison jusqu'à sa cuisine, puis les avaient fait passer la porte. Ils n'avaient pas eu un mouvement de surprise en trouvant une version jaune et noire de leur ancien lieu de travail accolée à chez lui, et il avait pu les attacher chacun au centre d'un pentacle sans problèmes. Ils étaient aussi dociles que des moutons à l'abattoir. Il avait saisi la hache dont il se servait habituellement, pressé d'en finir...
Et elle avait relevé la tête vers lui, un sourire joyeux naissant sur ses lèvres quand elle croisa son regard.
- Joey, quel plaisir de vous revoir!
Elle baissa les yeux et fronça les sourcils, découvrant en même temps qu'elle était entravée et l'arme qu'il tenait.
- Qu'est-ce que... Qu'est-ce que vous faites ?
Joey ne répondit pas. Mais son mari grogna et elle tressaillit en l'entendant, tournant la tête dans tous les sens pour essayer de le voir. Il était assis à quelques mètres d'elle, dans un autre cercle. Joey pu voir la détresse dans ses yeux quand elle remarqua qu'il était aussi attaché. C'était une femme intelligente, elle comprit tout de suite ce qu'il comptait faire avec une hache à la main et deux personnes attachées dans un endroit désert.
Au lieu de paniquer, elle balaya rapidement la pièce du regard, cherchant n'importe qui pourrait la sauver. Mais il n'y avait rien. La pièce était aveugle et personne ne bougerait un doigt pour les aider. Ils avaient bien trop peur de lui. Thomas se mit à se contorsionner pour essayer de se détacher, et Joey décida d'en finir. Mais il n'eut pas le courage de commencer par Allison, ce qui aurait pourtant été plus clément. Il se força à détacher les yeux de son visage ravagé par la peur pour se diriger vers son mari. Il fallait qu'il se concentre sur ce qu'il devait faire parce qu'il savait ce qu'elle dirait. Ils essayaient tous. Ne comprenaient-ils pas qu'il avait déjà pris sa décision, sinon jamais il ne les auraient amenés ici ?
- Joey.... Je vous en prie, pas ça. Nous avons des petites, vous vous souvenez ? Des jumelles qui adorent leur père, ne... Je vous en supplie. Je vous en supplie Joey, pas ça ! Pas Thomas. Laissez-nous partir, s'il vous plaît... S'il vous plaît... JOEY, PAR PITIÉ, JO...
Il avait l'habitude. Il savait faire abstraction des cris, des pleurs pour garder une main sûre et l'esprit tourné vers son but. Il avait des choses à accomplir et s'il n'était jamais cruel à dessein, il avait fait des expériences qui pourraient paraître inhumaines à des esprits frileux. Il n'aurait pas dû hésiter. Mais une seconde suffit, un seul instant pendant lequel son regard se tourna vers elle, et qu'il essaya de trouver un moyen de faire autrement alors même qu'il abattait la hache sur son mari. Qui bougea. Et au lieu de lui fendre le crâne pour provoquer une mort rapide, il ne parvint qu'à lui couper le bras gauche à partir du coude. Son hurlement de douleur emplit la pièce, couvrant les demandes désespérées d'Allison.
Joey était éclaboussé de sang, il en avait sur le torse, mais surtout sur les mains. Il se pencha aussitôt pour l'achever, le ventre tordu, pensant autant à l'horreur de ce qu'il lui faisait subir qu'à tout ce sang qui risquait de brouiller le pentagramme. Thomas ne criait plus, mais suppliait lui aussi pour qu'il les épargnent, recroquevillé autour de son moignon, entravé par la souffrance autant que par les cordes. Joey l'ignora. Il arma son bras, remontant sa hache en arrière au-dessus de son épaule, et frappa de toutes ses forces. Malheureusement, le sang sur ses doigts fit glisser le manche et le coup porté à sa tête ne fut pas suffisant pour le tuer tout de suite. Il dut s'y reprendre à trois fois pour faire définitivement taire ses gémissements. Quand il eut fini, le visage de Thomas n'était qu'une bouillie sanglante, il avait envie de vomir et Allison ne pleurait même plus.
Il évita de la regarder dans les yeux en marchant vers elle, rouge du sang de Thomas. Il fallait terminer. Il leva la hache une nouvelle fois et elle, qui était si courageuse, ne trouva pas la force d'essayer d'esquiver pour survivre. Le coup lui fendit le crâne entre les deux yeux, et quand son corps s'effondra par terre, le bruit lui sembla assourdissant.
Maintenant, il se tenait devant la petite machine à encre dans son salon. Il savait que celle du Faux Studio devait digérer les deux sacrifices qu'il venait de lui donner, mais il n'arrivait pas à être satisfait ou à espérer que les résultats soient probants.
Parce que ce soir, avec ses cris qui résonnaient encore dans son esprit, il était incapable de continuer à faire abstraction de ce que lui coûtait réellement son rêve.