L'Oracle de Gotham

Chapitre 9 : Ecart et faux pas

5801 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour il y a 21 jours

Julia Thorne passa la nuit à fouiller dans ses données. Toutefois, elle se dit qu’elle aurait plus de chance le lendemain lorsque Falcone apprendrait la mauvaise tournure qu’avait pris son trafic et l’arrestation du commissaire Loeb. Elle avait néanmoins listé plusieurs noms qu’elle suspectait déjà de tremper dans les affaires de Monsieur Falcone.

Le lendemain, la jeune femme avait pris avec elle son ordinateur portable pour continuer ses recherches à distance. Assise à son bureau, elle parcourait fébrilement les données de la pègre, à l’affut du moindre signe de réaction aux événements de la veille. Tout à coup, elle put intercepter une série de messages codés envoyés à différents employés du palais de justice. Elle les sauvegarda sur son ordinateur portable : tous étaient des ordres provenant du « Romain » de faire acquitter ses hommes de main. Toutefois, il ne fut rien mentionné en ce qui concernait le commissaire. L’abandonnerait-il à son sort parce que ce dernier l’avait déçu ? Cela n’aurait pas été la première fois, c’était une pratique bien connue dans les mafias afin d’instaurer la peur et l’obéissance chez les autres membres. Elle vit également qu’il essayait déjà de placer l’une de ses connaissances au poste de commissaire devenu vacant. Julia ferma d’un coup sec son ordinateur : il y avait urgence.

Elle se leva d’un bond, prit ses affaires qu’elle glissa dans sa sacoche et se rendit derechef au quartier de la G.C.P.D. L’atmosphère de tension y était palpable. Il restait encore plusieurs officiers de police corrompus dans les rangs, mais ceux-ci sentaient que leur place vacillait. Julia chercha du regard Jim Gordon, qu’elle vit sortir d’une salle de détention.

—    Jim ! s’écria-t-elle en lui faisant un signe de la main.

—    Julia, quel plaisir de vous voir ! dit-il en lui faisant la bise. Vous ne devinerez jamais ce qu’on a réussi à faire hier soir !

—    Tous les journaux en parlent, ne me dites pas que… fit Julia en feignant la surprise.

—    Nous avons arrêté le commissaire Loeb, la main dans le sac d’un trafic de drogue ! annonça fièrement Jim.

—    C’est incroyable ! s’exclama Julia. Comment avez-vous réussi ce tour de force ?

—    J’avoue que j’ai reçu de l’aide d’une personne anonyme, et que les commissaires et plusieurs hommes de main de Falcone avaient déjà tous été neutralisés quand nous sommes arrivés sur place, raconta Jim avec honnêteté. Je n’ai guère de doute sur le fait que ce soit cet inconnu qui vous avait sauvée ici même.

—    Il serait donc de notre côté ? demanda innocemment la jeune femme.

—    Ça m’en a tout l’air, haussa des épaules le lieutenant Gordon.

—    Mais cela veut dire que la police n’a plus de commissaire, s’inquiéta Julia à dessein.

—    En effet, et plusieurs candidats se sont déjà rendus auprès du maire, quels rapaces… maugréa-t-il.

—    Y en a-t-il un en qui vous avez entièrement confiance ? demanda-t-elle alors.

—    Qui ne soit pas un ripou ? Johansson me paraît être tout désigné.

Julia intégra le nom dans sa mémoire.

—    Je voulais vous inviter à boire un café, mais je vois que vous êtes bien occupé ! abrégea la jeune femme avec un air réjoui. Je vous laisse !

Sans que le lieutenant Gordon ait eu le temps de lui dire au revoir, Julia était déjà ressortie de la G.C.P.D. et se dirigeait vers les bureaux de la mairie. Elle se rendit dans la salle des serveurs et se connecta à une section spécifique. Là, elle eut accès aux différentes informations tels que les noms des candidats qui s’inscrivaient au poste de commissaire. Elle fit rapidement des recherches sur les candidats et valida le choix de Jim Gordon. Pour donner un coup de pouce à son élection par le maire, elle balança sur les candidats corrompus toutes les informations compromettantes qu’elle possédait sur eux. Elle se déconnecta rapidement, sortit de la salle des serveurs, se rendit à nouveau dans son bureau et termina sa journée de travail le plus innocemment possible.

Le lendemain, la Gazette titra : « Une élection houleuse : des candidats ripoux ! » Toutes les informations qu’elle avait lâchées firent l’effet d’une bombe au travers des médias et au sein de la mairie et de la police. Un nouveau commissaire fut nommé dans l’après-midi : le capitaine Romuald Johansson. Julia esquissa un sourire tandis qu’elle lisait la Une en déjeunant avec Stéphanie.

—    C’est vraiment surréaliste ce qu’il s’est passé, disait son ancienne assistante qui lisait le même article. Vous vous rendez compte ? Notre cher commissaire Loeb, un trafiquant de drogue !

—    Vraiment incroyable, murmura Julia d’un ton ironique.

Les deux femmes feuilletèrent leurs éditions du journal, comme à leur habitude maintenant.

—    Oh ! s’exclama Stéphanie, Monsieur Wayne organise un gala de charité dans son penthouse du centre-ville.

—    Quand cela ? demanda Julia en écoutant que d’une oreille.

—    Samedi soir, répondit-elle. Il veut reverser les fonds récoltés à différentes associations à but non lucratif.

—    C’est louable de sa part, releva Julia d’un air distrait.

Elle était en train de lire un article sur la hausse des internements de patients à l’asile d’Arkham, l’ancien hôpital qui se situait sur la petite île bordant l’Uptown et où se trouvaient les taudis les plus pauvres, surnommée les Narrows.

—    Cela fait un moment que Monsieur Wayne ne s’est plus affiché avec une nouvelle femme au bras, remarqua Stéphanie Morrow.

—    Il a peut-être retrouvé la raison, ironisa Julia.

—    Il serait temps ! s’exclama l’archiviste avec sérieux.

Julia poussa un soupir et se cacha derrière son journal, le sourire aux lèvres, lorsqu’elle reçut un message sur son téléphone portable. Elle le consulta : « Un café ? » lui proposait justement Bruce. Elle écrivit sur le clavier tactile : « Pourquoi pas. ». Elle regarda l’heure, puis ajouta : « Disons 14h ? ». Elle valida et le message fut envoyé sur la messagerie instantanée. Elle vit qu’il écrivait la réponse, qui s’afficha : « Parfait ! ». Julia eut un nouveau sourire.

—    Un amoureux ? gloussa Stéphanie qui l’observait depuis tout à l’heure.

—    Pas du tout ! se défendit la jeune femme, surprise.

Madame Morrow poussa un nouveau petit gloussement, puis retourna à la lecture de son journal.

A 14 heures, Julia entrait dans la tour Wayne ; elle monta à l’étage des bureaux de Messieurs Wayne et Fox. Bruce l’attendait sur le pas de la porte de son bureau et la fit entrer, tout souriant. Il l’invita à s’asseoir dans les confortables fauteuils du petit salon avec vue sur Gotham City, puis lui proposa un café noir dans une petite tasse. Elle prit la tasse entre ses mains, huma la bonne odeur d’arabica et trempa ses lèvres dans la légère mousse de café. Son goût était parfait, rien à voir avec le café dilué qu’ils avaient l’habitude de boire en Amérique du Nord.

—    Ça, c’est un vrai café ! s’exclama-t-elle bluffée.

Bruce afficha un large sourire triomphant. Il lui montra alors une machine à café européenne qu’il avait acquise après s’être renseigné sur les cafés francophones.

—    Vous verrez, vous ne pourrez plus revenir en arrière, l’avertit la jeune femme en dégustant son café, enfoncée dans le petit fauteuil rouge, ses longues jambes élégamment croisées.

—    Lucius ne s’en passe déjà plus, renchérit-il.

Tous deux se mirent à rire. Julia finit son café avec lenteur, tandis que son regard allait et venait entre la grande baie vitrée et Monsieur Wayne. Elle se laissa aller à plusieurs réflexions qu’un Américain ne pouvait pas comprendre. Jusqu’à maintenant, elle s’était toujours adressée à Monsieur Wayne avec l’esprit du vouvoiement. La langue anglaise, par contre, ne faisait pas la différence entre le vouvoiement et le tutoiement. Mais malgré cela, chez Julia, tout était dans sa manière de s’exprimer. Dorénavant, elle se sentait suffisamment proche de Bruce pour le tutoyer et s’entendre être tutoyée de sa part, même s’il n’allait se rendre compte de rien, puisque rien n’allait changer en soi. Elle se mit à sourire.

—    Pourquoi souris-tu ?

—    Ce serait trop compliqué à expliquer, répondit-elle simplement.

Le trentenaire respecta son silence.

—    J’ai une demande à te faire, reprit Bruce après un instant de silence.

—    Je t’écoute, dit-elle attentive.

—    J’organise un gala de charité samedi soir, une idée de Lucius d’ailleurs, et je serais infiniment honoré si tu acceptais de m’y accompagner.

—    Nous en avons déjà parlé… commença-t-elle avec embarras.

—    S’il te plaît, l’interrompit-il d’un ton suppliant. Il n’y a que toi avec qui je veux y être. Sans toi, ce serait morne, ennuyeux à en mourir.

—    Tu exagères un peu, marmonna-t-elle en essayant de dissimuler son sourire dans sa tasse à café.

—    Même pas, répondit-il le plus sérieusement du monde.

Julia reposa enfin sa tasse et le regarda droit dans les yeux.

—    Je ne peux pas accepter, et tu sais parfaitement pourquoi, répéta-t-elle en se voulant catégorique.

—    Je le sais, et je comprends tes réticences, mais j’aimerais te montrer que tu peux très bien vivre dans la lumière sans que cela te nuise, insista-t-il encore.

Julia baissa les yeux et secoua la tête.

—    Tu seras sous ma lumière le temps d’une soirée, puis tu pourras retourner dans l’ombre après, poursuivit-il.

—    Non ! le contredit-elle avec une pointe d’exaspération dans la voix. Une fois que je serais sous la lumière, ils ne me lâcheront pas, je ne pourrai plus en sortir.

—    Les journalistes passent très vite à autre chose, argumenta Bruce. Il me suffit de faire une bêtise le lendemain et ils t’auront oubliée.

Julia resta indécise, mais Bruce sentit qu’elle était sur le point de céder :

—    J’ai une idée, dit-il alors. Une chose imparable pour garder les journalistes focalisés sur moi : à la fin de notre soirée, je te laisse m’humilier de la manière de ton choix.

—    Pardon ? s’étonna Julia.

—    Ce que tu veux qui puisse faire de moi le centre d’intérêt, tu n’auras été que le déclencheur.

—    Ce que je veux ? s’assura la jeune femme, presque séduite par la proposition.

Julia réfléchit un instant, l’air rêveur.

—    Si tu essaies de m’embrasser, je te gifle, dit-elle alors, comme si ce fut un contrat.

—    Cela me va, répondit-il.

—    Dans ce cas, j’accepte.

Bruce attrapa ses mains dans les siennes et la remercia si vivement que cela en fit rire la jeune femme. Néanmoins, elle restait inquiète quant à cette soirée ensemble à la vue de tous et surtout des conséquences qu’elle pourrait avoir.

Julia retourna travailler, c’était sa dernière journée avant le week-end. Elle reçut très peu de demandes d’intervention, ce qui lui permit de travailler sur l’affaire Falcone une grande partie de l’après-midi. Elle vit par exemple que la pègre avait tenté d’effacer des données concernant leurs hommes de main arrêtés par le biais du programme qu’elle leur avait installé. Elle put ainsi identifier toutes les informations compromettantes qu’elle avait sauvegardées et qui disparaissaient des serveurs généraux. Elle n’aurait plus qu’à les envoyer de manière confidentielle à Jim Gordon afin qu’il puisse aider à instruire les dossiers.

L’élection de Johansson au poste de commissaire fut un coup dur pour Monsieur Falcone. C’était tout un bras du monstre mafieux qui était tombé avec Loeb, et cela faisait sortir de nombreuses têtes des taupinières. Fort heureusement, le procureur général n’avait pas l’air d’être corrompu, toutefois la majorité de ses assistants, certains avocats et plusieurs juges l’étaient. Il fallait maintenant que Julia trouve une manière de les faire tomber eux aussi, mais cela pourrait s’avérer plus difficile.

Le soir, la jeune femme rentra chez elle et déposa sur un disque dur externe l’ensemble des données qu’elle avait pu collecter ce jour-là. Elle prit ensuite un bain afin de se détendre, se lava les cheveux, puis sortit de la salle de bain vêtue seulement de son peignoir noué autour de sa taille. Quelque chose la turlupinait, mais elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Elle prit le temps de se préparer un repas de qualité avec une salade de tomates et d’avocats au basilic, puis un morceau de dos de cabillaud qu’elle fit revenir à la poêle avec des petits oignons et un beurre persillé. Elle se prépara une petite casserole de riz complet en accompagnement, le tout servi chaud qu’elle dégusta seule sur sa table basse du salon, assise sur son canapé. Tandis qu’elle mangeait avec plaisir son repas, elle ne pouvait s’empêcher de froncer les sourcils à ce sentiment qu’elle passait à côté de quelque chose.

Son assiette terminée, elle la déposa dans l’évier de la cuisine, puis s’attela à la vaisselle qu’elle n’avait pas faite depuis quelques jours. Elle remplit son évier d’eau et se mit à frotter les assiettes et ustensiles sales les uns après les autres, l’air rêveur. Une fois qu’elle eut fini, elle s’essuya les mains à la serviette de cuisine qu’elle déposa sur le plan de travail, puis retourna au salon. Elle hésita quelques instants devant la porte de sa chambre, puis bifurqua pour monter dans la mezzanine. Julia récupéra dans sa sacoche le journal du jour et le feuilleta à nouveau rapidement, pour s’arrêter sur l’article qu’elle avait lu pendant le déjeuner avec Stéphanie, et qui portait sur l’augmentation des admissions dans l’asile d’Arkham. Julia relut l’article avec précaution, puis alluma à nouveau ses écrans et lança Oracle. Elle vérifia si elle avait accès aux données de l’asile, mais c’était justement le seul établissement qui n’avait pas participé à la campagne de numérisation des dossiers et au programme Thorne. Elle chercha alors des informations sur l’asile par le biais d’autres dossiers qui en feraient mention, et remarqua qu’un certain nombre de détenus arrêtés par la police, au lieu d’être envoyés dans le centre pénitentiaire de la ville, étaient envoyés dans cet asile, et ce depuis de nombreux mois. Pour une bonne partie de ces détenus, une fois entrés à l’asile, ils en ressortaient après un séjour plus ou moins court, échappant de ce fait à la peine de prison exigée par la justice. Pour d’autres, ils étaient internés pour une longue durée, mais disparaissaient parfois littéralement des radars.

Julia avait trouvé une piste à creuser, sans savoir si cela pouvait avoir un lien direct avec la pègre ou non. Selon ses premières déductions, Falcone avait très bien pu corrompre le directeur de l’asile afin qu’il fasse interner ses hommes de main pris sur le fait et menacés de prison afin qu’ils échappent à leur peine. Toutefois, cela faisait également beaucoup d’admissions en un laps de temps plutôt court, ce qui parut étrange à la jeune femme. Il fallait qu’elle mène l’enquête plus avant et décida que le lundi suivant, elle organiserait une rencontre avec le responsable des évaluations psychologiques nommés dans les différents dossiers, soit le directeur de l’asile : le docteur Jonathan Krane.

Julia éteignit ses écrans, soulagée d’avoir trouvé ce qui la dérangeait depuis le milieu de la journée. Elle alla enfin se coucher, avec dorénavant une autre préoccupation : la soirée du samedi soir qui se profilait.

Durant toute la journée du samedi, Julia n’eut de cesse de penser à la soirée. Rien ne pouvait la lui faire oublier. Une voiture devait venir la chercher aux alentours de 19 heures pour l’amener devant un immeuble que possédait Bruce Wayne dans le Downtown et au sommet duquel il avait fait aménager un penthouse luxueux. Il n’y résidait pas souvent, mais cela restait pratique lorsqu’il devait assister à des réunions jusque tard le soir où pour l’organisation d’événements comme le gala de charité. On allait y voir toutes les figures importantes de la ville, de riches donateurs, mais aussi plusieurs journalistes qui avaient obtenu l’exclusivité de l’événement.

Julia avait décidé de mettre à nouveau la robe Versace que lui avait offerte Bruce, car c’était ce qu’elle avait de plus chic et élégant dans sa garde-robe, et finalement son unique moyen de ne pas paraître en-dessous du standing exigé par cette réception de haut vol. Il lui avait pris tous les accessoires qu’elle avait sélectionné avec soin, rien ne manquait.

Pour se détendre un peu, elle décida de prendre un bon bain chaud parfumé à la fleur de cerisier, mais cela ne l’empêcha pas de cogiter sous la mousse et les bulles qu’elle soufflait avec énergie entre ses doigts. Tout à coup, elle sursauta dans son bain en entendant la sonnette de sa porte retentir. Elle se dépêcha de sortir de l’eau, enfila son peignoir et alla ouvrir. C’était un livreur en costume deux pièces qui lui apportait une haute et large boîte blanche. Elle signa le reçu et lui donna le pourboire avant de refermer la porte derrière elle et de déposer le mystérieux colis sur la table basse de son salon. La jeune femme descella la boîte et en retira le couvercle pour découvrir à l’intérieur, largement protégé par des papiers de soie, une magnifique robe noire en velours à manches courtes et au décolleté carré. Elle retira immédiatement ses mains encore un peu humides du bain, et surtout ses cheveux qui dégoulinaient sur son peignoir, lorsqu’elle aperçut inscrit sur l’étiquette le nom de « Dior ».

—    Il n’a pas fait ça, murmura-t-elle abasourdie.

Julia trouva un mot glissé dans les plis de la robe : « Pour ce soir ». Elle n’avait même pas besoin de signature pour savoir que cela provenait de Bruce Wayne. Elle alla rapidement se sécher et revêtir un autre peignoir afin d’examiner la robe sans l’abîmer. Le tissu était d’une finesse et d’une douceur incroyable, la forme était celle qu’elle pouvait apprécier et quoiqu’elle fût longue jusqu’à toucher terre, elle était d’une certaine légèreté tout en tombant en un élégant drapé. Julia hésita à la mettre : une robe de la maison de haute couture Dior était pour elle hors de prix… mais pas pour son ami multimilliardaire. A quoi bon tergiverser, après tout ? se dit-elle. Ce n’est que pour une soirée, autant briller, puis elle la rendrait.

La jeune femme arrangea ses cheveux qu’elle laissa relâchés sur ses épaules et dans son dos en belles boucles naturelles aux reflets cuivrés. Puis elle se maquilla dans les tons rose et bordeaux avec un rehaut ivoire irisé, un trait d’eyeliner qui allongeait ses yeux et du mascara noir. Elle choisit un rouge à lèvres couleur rose d’hiver que son teint clair faisait ressortir. Elle finit par revêtir la somptueuse robe de chez Dior. On aurait dit que la coupe avait été faite sur mesure, les manches reposaient parfaitement sur ses épaules en d’élégants triangles, le décolleté carré mettait subtilement en valeur sa poitrine ferme et bombée, et les plis de velours faisaient scintiller le tissu d’un noir profond. Elle enfila les escarpins noirs à attaches en fines chaînettes dorées qui se croisaient sur le cou-de-pied, ajouta à la tenue les bijoux qu’elle possédait, bracelet et boucles d’oreilles, puis se tourna vers son miroir en pied derrière la porte de la salle de bain. Elle eut peine à se reconnaître, mais ne put s’empêcher d’admirer la splendeur de sa tenue. Toutefois, cela augmenta un peu plus l’inquiétude qu’elle avait déjà pour cette soirée sous le feu des projecteurs. Il était certain qu’elle ne passerait pas inaperçu. Elle s’en mordit la lèvre inférieure, mais elle ne pouvait plus reculer, elle avait donné sa parole à un ami, et elle n’était pas du genre à se rétracter.

Elle inspira profondément, saisit son petit sac à main de drapés noirs, y glissa son téléphone portable sous silencieux, ses clefs et son portefeuille, ainsi que l’émetteur-transmetteur, ne savait-on jamais. L’heure approchait, elle descendit en bas de son immeuble où une voiture de luxe avec son chauffeur l’attendait. Le trajet dura une petite dizaine de minutes jusqu’à ce que la voiture s’arrête devant la porte principale d’un haut immeuble moderne non loin du building de la Wayne Enterprise. Au travers des vitres teintées, Julia aperçut des journalistes et photographes qui immortalisaient l’entrée de chaque invité dans la tour, elle voyait les flashs claquer des deux côtés du large tapis rouge sécurisé d’un cordon. La jeune femme prit une profonde inspiration lorsque le chauffeur ouvrit la portière ; puis elle vit une main qu’on lui tendait pour l’aider à sortir et qu’elle saisit, tremblante. Julia n’eut pas le temps d’apercevoir le propriétaire de la main réconfortante qui la serrait qu’une nuée de flash l’aveugla soudain. La main qui la tenait toujours déposa la sienne dans le creux d’un bras solide. Julia tourna la tête pour identifier cette présence rassurante : ce n’était autre que Bruce Wayne qui lui souriait avec bienveillance et admiration. Il arborait un costume trois pièce « Armani » anthracite dont la chemise couleur ivoire avait été pour une fois boutonnée jusqu’au col et fermée par un nœud papillon assorti à son costume. Une chaînette en argent dépassait élégamment de la poche gauche de son gilet, faisant penser à ces anciennes montres à gousset glissées dans une poche. Le multimilliardaire l’emmena à l’intérieur du bâtiment de verre, quittant les flashs et les interpellations des journalistes qui restèrent sur le seuil.

Le cœur de la jeune femme battait fort dans sa poitrine, cette première immersion dans la lumière l’avait tétanisée. Bruce la tenait toujours étroitement contre lui, la réconfortant de sa présence silencieuse. Ils accédèrent à l’ascenseur où ils se retrouvèrent enfin seuls.

—    N’oublie pas de respirer, lui dit alors Bruce en souriant doucement.

Julia inspira soudain, comme si elle avait en effet retenu sa respiration depuis qu’elle était sortie de la voiture.

—    Mais comment fais-tu ? lui demanda-t-elle d’une petite voix. C’est angoissant, tous ces gens qui te regardent, te mitraillent…

—    On s’y habitue, jusqu’à ne plus s’en préoccuper, répondit-il en haussant les épaules.

La jeune femme prit plusieurs longues inspirations afin d’apaiser les battements de son cœur.

—    Ce sera plus calme dans mon appartement, la rassura-t-il alors.

Elle hocha de la tête, restant cependant sceptique.

—    Je suis content qu’elle t’aille bien, remarqua Bruce en souriant à nouveau.

—    On dirait qu’elle a été faite sur mesure, marmonna Julia entre reconnaissance et reproche.

Puis, tout d’un coup, son naturel revint, surmontant l’angoisse ressentie plus tôt :

—    Et je ne veux pas savoir combien tu l’as payée ! le sermonna-t-elle vivement. Dior… non mais franchement ! Je t’ai dit qu’on ne m’achetait pas.

—    Je veux juste le meilleur pour toi, répondit-il à la fois d’un air espiègle et avec une sincérité déroutante.

Julia poussa un soupir d’agacement, elle ne pouvait pas lutter contre ce regard qu’il posait sur elle.

L’ascenseur arriva au sommet de la tour, les portes s’ouvrirent. La jeune femme découvrit alors un immense appartement qui reposait sur le toit de l’immeuble, et dont le salon qui faisait un angle était entièrement vitré. Il y avait un espace terrasse d’une vingtaine de mètres carrés illuminés par des dalles lumineuses. De nombreux invités étaient déjà présents qui discutaient autour de longues tables couvertes de victuailles, petits fours et coupes de champagne. Des serveurs déambulaient discrètement parmi les invités pour les resservir en vin ou en petits canapés. Les hommes étaient tous en costume deux ou trois pièces noir, bleu marine ou gris, tandis que les femmes arboraient toutes de somptueuses robes qui rivalisaient d’élégance, de brillance et de paillettes. Julia se détendit alors un peu, sentant qu’elle se fondait dans ce paysage d’opulence.

Toutefois, le fait d’être au bras du multimilliardaire la distinguait de l’ensemble des invités. On commença à murmurer, se demandant qui pouvait bien être cette nouvelle femme au bras de Monsieur Wayne. La jeune femme sentit son angoisse remonter avec les nombreux regards qu’on lui jetait de manière tout à fait indiscrète. Bruce la sentit se crisper sur son bras, il déposa alors sa main réconfortante sur la sienne et lui sourit avec douceur. Elle lui sourit à son tour avec la sensation que ses joues brûlaient. Enfin, elle aperçut le visage familier et rassurant de Lucius Fox accompagné de sa femme. Ils firent les présentations, Julia fut soulagée de rencontrer des amis dans cette fosse aux lions. Elle sympathisa très vite avec Madame Fox qui était d’une gentillesse extrême.

—    Mon mari m’a plusieurs fois parlé de vous et de vos talents, lui dit-elle avec bienveillance. Il serait vraiment heureux de pouvoir collaborer avec vous sur certains projets.

—    C’est très gentil, répondit Julia touchée.

—    Même si je n’y comprends pas grand-chose à toutes ces technologies, ajouta Madame Fox avec un rire taquin envers son mari.

Le couple Fox était attendrissant, simple dans sa manière d’être et bienveillant envers la jeune femme. Ils connaissaient ce sentiment d’être perdu dans ce monde car ils avaient eux-mêmes effectué leur ascension sociale, il y avait de cela une vingtaine d’années. Julia essaya de rester le plus souvent possible auprès d’eux, et Madame Fox l’introduisit alors dans son cercle. Elle la présenta aux femmes d’hommes d’affaires, mais aussi à des entrepreneuses qui l’accueillirent avec distinction voyant que le couple Fox la considérait contrairement aux autres femmes avec lesquelles Monsieur Wayne avait pu s’afficher depuis son grand retour. Certaines la reconnurent, se souvenant des événements de la mairie qui avaient fait la Une des journaux, et d’autres s’intéressèrent à son travail qui lui avait valu cet attentat. Julia répondit volontiers, quoique de manière évasive, aux questions qu’on lui posait, puis rechercha du regard Bruce qui l’avait lâchée une fois présentée à Madame Fox afin d’accueillir de nouveaux invités. Elle croisa rapidement son regard, comme s’il ne la quittait pas des yeux, tel un ange gardien. Elle lui sourit brièvement, rassurée.

La jeune femme retourna auprès de Monsieur Fox qui réitéra une fois encore son offre d’emploi, mais avec une nouveauté :

—    J’espère vraiment vous convaincre cette fois-ci, dit-il en riant doucement. Et pour cela, je vous propose une visite complète des industries technologiques de la Wayne Enterprise. Qu’en dites-vous ?

—    J’en suis vraiment flattée, répondit Julia. Je serai ravie de visiter vos locaux. Cela me permettra effectivement de me faire une idée plus précise de l’emploi que vous m’offrez.

Monsieur Fox parut satisfait de sa proposition, que Monsieur Wayne lui avait d’ailleurs soufflée quelques instants plus tôt. Ils organisèrent donc un rendez-vous la semaine suivante au sein des Industries Wayne. Lorsque Bruce revint auprès de la jeune femme, elle ne put s’empêcher de commenter la proposition de Monsieur Fox :

—    J’imagine que tu n’y es pas pour rien, le taquina-t-elle.

—    Je t’avais prévenue que je ne te laisserai pas filer aussi facilement, lui rappela-t-il alors avec un sourire espiègle.

—    C’est vrai, se souvint-elle alors. Tu tiens parole, c’est bien.

Bruce prit sa main dans la sienne et y déposa un baiser délicat. Les joues de Julia prirent à nouveau feu, elle détourna le regard en retirant rapidement sa main et fit mine de s’intéresser au buffet. La soirée se déroula dans le calme et la complicité entre eux ne fit qu’augmenter à mesure que les heures passaient. Bruce s’assurait de la mettre la plus à l’aise possible et n’avait eu aucun geste déplacé où trop insistant : il se comportait comme un parfait gentleman, ce que les quelques journalistes privilégiés qui avaient pu assister au gala ne manquèrent pas de relever. Certains griffonnaient déjà le titre de leur article : « Une jeune femme dompte Monsieur Wayne », ou encore « Une inconnue séduit le multimilliardaire ».

Bruce ouvrit les enchères des donations pour les associations, puis laissa les commissaires-priseurs engagés faire leur travail. Les dons furent conséquents, répartis entre plusieurs associations. Le gala parut être une réussite. La soirée touchait bientôt à sa fin, Julia s’était retirée un instant sur la terrasse pour prendre un peu l’air frais. Bruce l’y rejoignit :

—    Je te remercie infiniment pour cette soirée.

Julia ne put que lui sourire, ne voulant pas avouer qu’elle l’avait également appréciée.

—    J’aurais voulu qu’elle ne se termine jamais, mais toute bonne chose doit avoir une fin, il paraît, poursuivit-il avec regret.

Julia se tourna pour lui faire face. Son corps effleurait le sien, elle sentait sa chaleur l’irradier. Son cœur se mit à battre plus vite, elle savait parfaitement ce qu’il allait faire. Cela faisait partie de leur accord. Il avait glissé une main sur sa taille et l’autre lui caressait la joue. Son visage se rapprocha du sien, elle sentit ses lèvres toucher les siennes. Elle ferma les yeux, envahie par une sensation étrange, comme des papillons dans son ventre, et sa raison resta figée, incapable d’agir. Ils s’embrassèrent. Son baiser était doux, envoûtant. Elle sentit sa main sur sa hanche glisser dans son dos, plaquant son corps contre le sien. Elle se laissa faire, emportée par la douceur et la fermeté du geste. Tout s’était évaporé l’instant de ce baiser. Enfin, ses lèvres quittèrent les siennes et restèrent près de son oreille.

—    Ce n’était pas censé arriver, je crois, lui murmura-t-il, la chaleur de son haleine lui procurant un frisson tout le long de l’échine.

Julia rouvrit les yeux, mais son regard était perdu, paniqué. Elle ne s’était pas attendue à cela. Soudainement, son angoisse prit le dessus, sa main partit d’un coup. Elle le gifla violemment. Elle balaya rapidement du regard la terrasse et le salon vitré, comme si elle revenait brutalement à la réalité. Elle s’éloigna alors d’un pas vif vers l’intérieur du penthouse, puis s’engouffra dans l’ascenseur, laissant le trentenaire seul et décontenancé, qui se frottait la joue rougie par sa main. 

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