L'Oracle de Gotham
Lorsqu’elle se réveilla, le jour se levait aux portes-fenêtres, inondant le salon de lumière. Julia cligna plusieurs fois des yeux, persuadée d’abord que tout ce qu’elle avait vécu n’était qu’un cauchemar. Puis elle se vit dans la tenue qu’elle portait depuis trois jours et tout lui revint clair comme de l’eau de roche. Elle se laissa retomber sur le canapé en poussant un long soupir.
— Dans quoi je me suis fourrée, marmonna-t-elle en se frottant les yeux encore bouffis de sommeil.
Puis Julia se leva, prit une bonne douche revigorante et s’habilla d’un ensemble de jogging ample et confortable. Elle monta rapidement dans sa mezzanine et reconnecta ses écrans à l’ordinateur central. Le programme qu’elle avait installé à Falcone avait parfaitement rempli sa fonction première : elle avait désormais accès à toutes les informations de la pègre. Voilà une chose qu’elle aura bien fait, se dit-elle alors. Toutefois, la mise à jour qu’elle avait effectuée sur l’Oracle avait considérablement ralenti le système d’exploitation qui manquait de place pour faire tourner le programme. Il lui fallait impérativement agrandir son serveur et changer de disque dur central. Elle téléphona à Lucius Fox qui répondit tout de suite. Julia lui demanda un rendez-vous, ce qu’il put lui offrir pour le lendemain début d’après-midi. Elle téléphona également à son travail pour se faire porter pâle et s’excuser de son absence des derniers jours. On lui dit que cela serait décompté de son salaire, ce qui ne l’étonna guère.
Même si elle avait perdu plusieurs jours de salaire, Julia voulut profiter de cette journée pour se reposer et réfléchir à la situation. Elle redescendit de la mezzanine et s’allongea à nouveau dans son canapé. La jeune femme était maintenant enchaînée au service du baron de la pègre, qui avait le commissaire de police comme sous-fifre et elle se demandait si d’autres personnes dans la mairie, voire le maire lui-même n’étaient pas aussi sous la coupe du « Romain ». Ce que Monsieur Falcone lui avait demandé et qu’elle avait été obligée de faire était un grand pas en avant pour la pègre puisque désormais il pouvait blanchir tout son argent provenant de ses activités illicites. Sa position au sein des services municipaux était devenue dangereuse au vu du degré de corruption des institutions. La proposition d’embauche des Messieurs Fox et Wayne en devenait intéressante car elle lui procurait une porte de sortie sécurisée. Toutefois, son poste actuel restait une position centrale qui lui permettait d’agir de l’intérieur. Elle devait y rester pour le moment.
Julia ressortit le transmetteur noir qu’elle n’avait quitté que pour prendre sa douche. Elle le fit tourner entre ses doigts tout en l’observant, perdue dans ses pensées et ses souvenirs de ces derniers jours. Ce Batman restait une énigme, elle avait tant de questions à son sujet que, rien que pour les lui poser, elle était prête à appuyer sur le bouton de déclenchement du signal. D’un autre côté, elle ne savait toujours par si elle pouvait lui faire confiance, surtout après ce qu’il s’était passé. La jeune femme gardait une certaine rancune alors même qu’elle concevait le fait qu’il ne pouvait en aucun cas connaître ses intentions. Ce qui l’agaçait aussi, c’est qu’il en savait plus sur elle qu’elle sur lui. Julia prit plusieurs inspirations pour essayer de faire le vide de ses émotions : elle avait besoin de sa pensée rationnelle. Depuis le début, elle agissait seule sur cette mission, et savait pertinemment que s’il devait lui arriver quoi que ce soit, comme ce fut le cas à la mairie, ou encore ces trois derniers jours, elle n’aurait pas droit à une équipe d’extraction pour la sortir de là. Elle était véritablement seule. Enfin, jusqu’à l’autre soir. Devait-elle se risquer à faire confiance à un inconnu qui porte un masque ?
La jeune femme poussa un nouveau soupir. Elle ne savait pas quoi faire en l’état et la fatigue la reprenait, l’obligeant à dormir à nouveau quelques heures. Lorsqu’elle s’éveilla à nouveau, la nuit venait de tomber. Elle avait gardé au creux de sa main le transmetteur, toujours inactif. Elle s’assit sur le rebord du canapé, le regarda encore une fois, puis le glissa dans son soutien-gorge avant de se lever et d’aller se changer : Julia avait décidé de sortir pour prendre l’air. Elle revêtit une tenue des plus sobres, un jeans noir surmonté d’une tunique ample et courte en dentelles noire qui laissait entre voir son soutien-gorge, noir lui aussi. Elle prit un blazer parce que les nuits restaient encore fraîches, son sac à main, ses vieux escarpins, puis sortit.
La ville était animée le soir, surtout dans le Midtown et le Downtown. Julia décida de se rendre dans les hauts-quartiers et se dirigea vers une bouche de métro. Elle s’étonna de voir autant de monde sur la ligne, jusqu’à ce qu’elle se souvienne qu’ils étaient vendredi : les gens sortaient pour la soirée. Elle s’arrêta près du district de la mode, là où les grands hôtels et les restaurants étaient les plus chics et branchés. La jeune femme erra quelques temps dans les rues jusqu’à s’arrêter devant le Parkside Lounge, il était presque 23 heures. Lorsqu’elle avança sur le tapis rouge de l’hôtel restaurant, elle croisa un visage qui lui parut familier qui était entouré de deux jeunes femmes un peu ivres. Julia s’arrêta, se retourna et vit Monsieur Wayne qui sortait de l’hôtel avec une femme à chaque bras, exactement comme dans les photographies des journaux.
Bruce Wayne s’était subitement arrêté lorsqu’il reconnut la jeune femme. Il se retourna lui aussi, laissant aller les deux jeunes femmes auprès de sa voiture de sport qui l’attendait devant l’entrée, amenée par un voiturier.
— Mademoiselle Thorne, bégaya-t-il avec surprise. Je ne m’attendais pas à vous voir ici…
— Je sais que je ne sors pas souvent, mais cela m’arrive de temps en temps, répondit Julia un peu piquée.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire, reprit Monsieur Wayne dont la réserve étonna l’informaticienne.
Julia jeta un regard sur les deux femmes qui l’attendaient dans la voiture décapotable.
— Vous êtes occupé, je ne vais pas vous retenir plus longtemps, dit-elle alors pour prendre congé.
— Elles ? Ce n’est pas…
— C’est pour votre image, l’interrompit-elle avec une pointe d’amertume qui la surprit autant que lui. Vous me l’avez déjà dit. Amusez-vous bien.
Julia se retourna et entra d’un pas vif dans le Parkside Lounge avec une étrange sensation de pincement suite à cette rencontre inopinée ; elle demanda une table au bistrot de l’hôtel, le seul endroit que son salaire lui permettait de fréquenter. Elle se fit malgré tout plaisir avec un bon repas, car elle n’avait pas beaucoup mangé non plus ces trois derniers jours et son ventre avait grondé pendant tout le trajet. Toutefois, lorsqu’elle appela le serveur pour régler sa note, on lui dit que tout avait été payé d’avance. La jeune femme ne put se retenir de soupirer, le sourire aux lèvres : elle se dit avec humour qu’elle aurait pu manger bien plus, finalement.
Il était deux heures du matin, les rues commençaient à se vider. Julia se dirigea vers le quartier de son appartement. Une fois dans l’immeuble, elle ne se rendit pas au septième étage, mais appuya sur le dernier bouton de l’ascenseur. Elle trouva ensuite une cage d’escaliers qui donnait accès au toit de l’immeuble. Celui-ci était large et plat, de grands caissons reliés par des tuyaux de ventilation cernaient chaque coin et un large rebord haut d’un mètre évitait les chutes accidentelles. Julia s’approcha du rebord côté avenue et observa la toile d’araignée des rues éclairées qui s’étendaient et se perdaient derrière des immeubles plus hauts, plus larges. Puis elle recula et s’adossa à l’un des caissons, dans l’ombre. Elle sortit le transmetteur de sa cachette, hésita encore un instant, puis appuya sur le bouton de signal. Le transmetteur était parfaitement silencieux, seul un voyant rouge s’illumina sur le sommet gauche de l’appareil. Julia attendit.
Même si le temps qu’elle patienta correspondait à bien moins qu’une heure, Julia trépignait sur place, peut-être parce qu’elle n’était toujours pas sûre de vouloir le rencontrer à nouveau. Mais lorsqu’elle quitta son abri pour retourner vers la cage d’escalier, cette même voix rauque et profonde dont elle avait le souvenir retentit derrière elle :
— Vous êtes en vie.
Julia se retourna vivement. La silhouette massive de l’homme chauve-souris sortit de l’ombre où elle s’était glissée.
— Oui, mais à quel prix, murmura-t-elle d’un air désolé.
Elle prit la décision de lui raconter ce qu’il s’était passé avec Carmine Falcone et ce qu’elle dut effectuer comme travail pour qu’il épargne sa vie. Elle lui signifia également qu’elle était maintenant à son service malgré elle, mais que cela pouvait être à leur avantage.
— A notre avantage, dites-vous ? releva-t-il.
Julia acquiesça d’un lent signe de tête.
— Si votre offre tient toujours, ajouta-t-elle. J’en suis arrivée à la conclusion que nous pourrions être complémentaires : je contrôle l’information, manipule les réseaux électriques, signalétiques, je peux tout savoir en temps réel de ce qui se passe dans cette ville. Vous, vous êtes sur le terrain, vous agissez, vous en avez les moyens et la force.
Le Batman garda le silence. Il sortit d’un étui de sa ceinture un nouvel appareil qu’il tendit à la jeune femme :
— Pour que nous puissions communiquer, dit-il simplement. Il faut faire tomber Falcone pour commencer à assainir cette ville.
— Votre cible est trop puissante à ce stade, le contredit la jeune femme. Il faut d’abord affaiblir le monstre avant de le tuer.
— Vous avez une idée, on dirait, répliqua-t-il.
— Nous avons besoin de faire refonctionner les services publics de cette ville, à commencer par la police, expliqua alors Julia.
— Nous devons donc faire tomber le commissaire Loeb, continua Batman.
— Exactement, cela affaiblirait Falcone. Il a l’air de beaucoup se reposer sur lui. Sans le contrôle de la police, il devient plus fragile, et nous, nous nous créons de nouveau alliés.
— Que faudrait-il pour faire tomber Loeb ? demanda-t-il.
— Le prendre la main dans le sac : soit on attend un faux pas de sa part, soit on lui tend un piège. Vous le mettez hors d’état de nuire, je récupère les preuves vidéo et on envoie tout à un officier de police dont on peut être sûr de l’intégrité.
— James Gordon, il est l’un des rares officiers de police de cette ville à être resté droit, proposa Batman.
Julia ne put s’empêcher de sourire :
— Nous avons le même nom en tête à ce que je vois.
— On se recontacte dès qu’on a une ouverture pour le coincer, conclut-il alors.
— Vous avez déjà un pseudonyme, lança-t-elle alors. Le mien sera « Oracle ».
Batman acquiesça d’un signe de tête, puis se détourna de la jeune femme et allait grimper sur le rebord du toit quand elle l’interpella :
— Au fait, pourquoi le masque ?
Des centaines de questions lui avaient brûlé les lèvres, mais ce fut la seule qu’elle osa poser.
— Parce qu’on a toujours des proches qu’il faut protéger, répondit-il de sa voix rauque et profonde, avant de sauter dans le vide.
Julia courut jusqu’au rebord et l’aperçut qui déploya sa cape qui se rigidifia soudainement, créant une large surface ressemblant aux ailes d’une chauve-souris pour planer jusqu’à l’arrière de l’immeuble d’en face. Personne d’autre ne l’avait remarqué, car personne ne levait les yeux au ciel.
Le lendemain, Julia se prépara pour son rendez-vous avec Monsieur Fox dans la Wayne Enterprise. Elle s’était douchée, vêtue d’un ensemble tailleur avec une jupe noire, un chemisier bordeaux et un blazer asymétrique. Elle était en train de finir de se maquiller à la salle de bain lorsqu’on sonna à la porte. Elle posa son mascara sur le rebord du lavabo et alla ouvrir, se demandant qui cela pouvait être puisqu’elle ne recevait jamais de visites. Elle ouvrit la porte d’entrée de son appartement et ce fut un livreur qui se présenta à elle de manière distinguée. Il lui confia une large housse cintrée ainsi qu’un sac au nom de la boutique dans laquelle elle avait emprunté sa robe de soirée pour le cocktail au manoir Wayne. Julia remercia le livreur en lui donnant un pourboire et referma la porte derrière elle les bras chargés. Elle déposa la housse contre la porte de sa salle de bain, et défit la fermeture éclair, intriguée : elle eut un sursaut de surprise, ébahie. C’était la robe de la marque « Versace » qu’elle avait portée lors de la fameuse soirée chez Monsieur Wayne. Il y avait également les escarpins, le sac à main et les bijoux qu’elle avait portés, tout y était.
— Mais… balbutia-t-elle dans l’incompréhension la plus totale.
La jeune femme n’en revint pas. On venait de lui offrir une robe à 3'000 dollars sans compter les accessoires. Elle chercha un mot, une étiquette quelconque qui puisse lui indiquer la provenance d’un tel présent. Elle trouva enfin sur l’étiquette même de la robe un mot manuscrit : « Il n’y a que vous qui puissiez la porter aussi bien » signé Bruce Wayne. Elle secoua la tête en soupirant devant un tel acte, néanmoins elle ne put réprimer un léger sourire au coin de ses lèvres.
Le moment de surprise passé, elle rangea la robe dans sa garde-robe à l’abri dans sa housse ainsi que les accessoires, puis enfila ses escarpins, termina d’appliquer son mascara et prépara son sac à main. L’heure de son rendez-vous approchait.
Julia entra dans la tour Wayne quelques minutes avant l’heure de son rendez-vous. Elle se dirigea vers l’accueil et on la conduisit au dernier étage de la tour, dans les nouveaux bureaux de Monsieur Fox. Là, on la fit attendre dans un luxueux salon. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que Monsieur Fox ne vienne la chercher lui-même, accompagné de Monsieur Wayne, toujours aussi décontracté dans ses habits impeccables et sur mesure. Ce dernier parut ravi de la revoir.
— Monsieur Wayne, je ne m’attendais pas à vous voir, le salua Julia.
— Je savais que vous deviez avoir rendez-vous avec Lucius, répondit-il avec enjouement. Dites-moi, avez-vous reçu mon cadeau ?
— Oui, fit-elle, à nouveau sans réussir à cacher son sourire. Mais je ne peux pas l’accepter, c’est beaucoup trop…
— Je vous en prie, j’avais à cœur de vous faire un présent, et je sais qu’elle vous va à ravir, l’interrompit-il avec sincérité.
Julia hocha de la tête, ne pouvant refuser son présent sans être impolie et ne put que l’en remercier.
— Toutefois, se permit Julia avant de suivre Monsieur Fox, je veux que vous sachiez qu’on ne m’achète pas, moi...
Bruce Wayne baissa la tête avec regret : il avait parfaitement compris l’allusion à leur rencontre de la veille alors qu’il s’était montré avec deux femmes aux bras. Il ne put qu’acquiescer en silence. Lucius invita la jeune femme à entrer dans son bureau, mais le multimilliardaire parut ne pas vouloir partir. Monsieur Fox lui demanda alors s’il voulait autre chose.
— Mademoiselle Thorne, puis-je vous demander quelque chose ? lança Bruce Wayne en s’approchant de la porte.
La jeune femme se tourna vers lui pour l’écouter.
— Voudriez-vous boire un café ? demanda-t-il avec quelque maladresse.
— Oh, c’est gentil de votre part, répondit-elle enjouée. Pour moi ce sera un cappuccino avec supplément crème, mais qu’un seul sucre.
Bruce Wayne resta bouche-bée sur le palier de la porte. Quant à Monsieur Fox, il ne put réprimer un ricanement avant de fermer la porte de son bureau.
Lucius s’était assis derrière son immense bureau d’ébène recouvert d’un large cuir blanc où étaient disposés de manière très ordonnée des piles de documents et de dossiers. Il avait offert un agréable siège à mademoiselle Thorne qui admirait la vue au travers de la large baie vitrée ; elle donnait sur l’ensemble de la ville de Gotham City.
— Je tiens à vous dire que vous avez fait sensation à la réception de Monsieur Wayne, déclara Monsieur Fox en souriant.
— Je vous remercie, répondit-elle humblement.
— Et avant toute chose, je me dois encore une fois de renouveler mon offre pour un poste chez nous : le département des nouvelles technologies aurait bien besoin d’une ingénieure informatique de votre trempe.
— Je suis vraiment flattée, et je vous promets que je prendrai le temps de réfléchir à votre offre.
— Alors, dites-moi ce qui vous amène, poursuivit Lucius de sa voix grave et posée.
— Eh bien, je suis un peu gênée de venir vous demander cela, répondit Julia avec embarras. Vous souvenez vous du matériel dont vous m’avez fait don ?
— Bien sûr, j’espère qu’il vous sied, s’exclama Lucius.
— Oui, il était parfait pour ce que je voulais faire, mais… j’ai apporté quelques améliorations à mon installation personnelle, et le système d’exploitation a peine à soutenir la cadence.
— Je vois, dit Lucius Fox. Il vous faudrait un disque dur SSD plus performant, et davantage de stockage, c’est cela ?
— Oui, répondit Julia d’une petite voix.
— Et qu’avez-vous l’intention de faire avec ? demanda le nouveau PDG de la Wayne Enterprise.
A ce moment, on frappa deux coups à la porte du bureau. Lucius fronça les sourcils, il avait donné pour ordre à sa secrétaire de ne pas être dérangé quand il était en rendez-vous. La porte s’ouvrit malgré tout et Monsieur Wayne entra avec deux gobelets de café encore chaud :
— Votre cappuccino, dit-il fièrement à la jeune femme en tendant le gobelet vers elle.
Elle éclata de rire.
— S’il vous plaît, accordez-moi juste un café, en tout bien tout honneur, la supplia-t-il, ce qui redoubla le rire de la jeune femme.
— D’accord, j’accepte.
— Dois-je vous laisser mon bureau ou utiliserez-vous le vôtre, Monsieur Wayne ? demanda Lucius entre humour et sarcasme.
— Venez, l’invita Bruce Wayne d’un signe de la tête, ses mains occupées par les deux gobelets. Je vous la rends tout de suite, ajouta-t-il à l’adresse de Lucius.
Monsieur Fox maugréa quelques mots inaudibles, tandis que les deux jeunes gens sortaient de son bureau. Celui de Monsieur Wayne se trouvait au même étage, et était deux fois plus grand que celui de Monsieur Fox. La vue sur Gotham City était imprenable car son bureau faisait l’angle du bâtiment. Bruce invita Julia à s’asseoir dans un coin salon avec de confortables fauteuils et un canapé autour d’une table basse.
— Alors, c’est ici que vous emmenez vos conquêtes ? ironisa la jeune femme en s’asseyant élégamment.
— Vous êtes la première femme qui ne soit pas un membre du conseil d’administration à entrer dans ce bureau, mis à part ma mère en son temps, bien sûr.
Julia hocha de la tête en signe de respect pour la mémoire de ses parents. Elle prit le gobelet de café entre ses mains, il était bien chaud, puis le goûta : il était conforme à sa demande, ce qui la fit sourire à nouveau.
— Je ne pensais pas que vous le prendriez au pied de la lettre, dit-elle enfin en l’observant.
— Vous n’allez peut-être pas me croire, mais vous m’avez lancé un véritable défi ! s’exclama-t-il enjoué.
— Oh si, j’ose vous croire ! répondit-elle en levant les yeux au ciel.
Julia posa son gobelet sur la table basse vitrée avec un léger soupir avant de prendre la parole plus sérieusement :
— Je ne veux pas vous laisser penser que vous pourrez me mettre dans votre lit, déclara-t-elle de but en blanc. Je ne recherche absolument pas de relation en ce moment, et encore moins avec une personne telle que vous.
— Une personne telle que moi ? releva Bruce Wayne avec le même ton sérieux que la jeune femme.
— Avec votre notoriété, s’expliqua-t-elle. Je préfère rester dans l’ombre, et si l’on devait me voir avec vous, tout de suite la lumière se braquerait sur moi, et cela, je ne le veux pas.
— C’est mon nom qui vous pose problème alors, résuma-t-il avec simplicité.
— En partie oui, confirma la jeune femme, mais aussi le fait que je ne sais pas grand-chose de vous, finalement.
— Apprenons à nous connaître, répondit-il du tac au tac.
Julia poussa un nouveau soupir.
— Et il y a une chose que je dois rectifier dans ce que vous avez dit, continua-t-il avec sérieux. Je ne cherche pas à vous mettre dans mon lit. J’ai trop de respect envers vous pour cela.
— Cela voudrait-il dire que vous ne respectez pas les femmes qui étaient à votre bras hier ? enchaîna Julia abruptement.
— Je les ai raccompagnées directement chez elle, révéla-t-il alors. Il ne s’est rien passé. Mais pour les journaux, oui, je passe pour un débauché qui dilapide la fortune de ses parents et qui change de partenaire tous les deux soirs.
— Pourquoi vouloir donner cette image ? lui demanda-t-elle intriguée.
— Parce que c’est celle que les médias attendent de moi, répondit-il avec franchise. Je passe pour le multimilliardaire un peu nœud-nœud, qui n’y connait rien en affaires et qui passe son temps à se divertir. D’un autre côté, cela me permet d’en surprendre plus d’un…
— Oui, j’imagine que votre conseil d’administration ne s’attendait pas à ce que vous récupériez toutes vos parts par le biais de l’entrée en bourse qu’ils avaient organisée, reconnut Julia. Mais est-il vraiment nécessaire de passer pour… un débauché ? Pourquoi ne pas vous montrer tel que vous êtes ?
— Et comment suis-je selon vous ? demanda-t-il en plongeant son regard dans le sien.
— Intelligent, avec une certaine humilité, répondit-elle. Après, je ne vous connais pas encore assez pour le déterminer.
Julia continua de l’observer, et maintint son regard dans le sien. Elle y voyait toujours cette forme de dureté qui provenait certainement de sa blessure, enfant. Mais elle y voyait également une détermination qui la séduisait malgré elle. Elle poussa un nouveau soupir.
— Je ne veux pas vous promettre qu’une relation sera possible entre nous, dit-elle lentement en baissant un instant ses yeux. Par contre, je serais ravie de pouvoir vous compter comme un ami. En tout cas, vous pouvez me considérer comme une amie si vous le souhaitez.
Julia replongea dans son regard. La douceur et la profondeur de ses yeux verts déstabilisèrent le multimilliardaire.
— Je serai plus qu’honoré d’être votre ami, lui répondit-il avec une voix profonde et sincère, et je chérirai votre amitié comme le plus précieux de mes biens.
Elle lui tendit sa main pour saisir la sienne en signe d’amitié ; Bruce la retourna paume vers le bas et appliqua ses lèvres sur le dos de sa main. Julia poussa un nouveau soupir :
— Vous continuerez toujours d’essayer, n’est-ce pas ?
— Oui, avoua-t-il enjoué. Mais votre limite sera toujours la mienne, ajouta-t-il avec le plus grand sérieux.
— Bien, cela me va, conclut-elle en souriant.
— Au fait, dites-moi ce que vous vouliez demander à Lucius, peut-être que je peux vous aider ? lança-t-il avec entrain.
— Oh, eh bien, je voulais savoir s’il pouvait me donner un disque dur SSD dernière génération et d’autres disques durs externes que vous auriez à donner, répondit-elle simplement.
— Nous avons cela ? s’interrogea Bruce Wayne sur le ton de l’humour. Evidemment que je vous les donne.
— Vous ne me demandez pas ce que je vais en faire ? se risqua à demander Julia.
— Cela vous regarde, répondit Bruce en haussant les épaules. C’était tout ?
— Oui, c’était tout.
Les deux jeunes gens sortirent du bureau tout sourire, paraissant être devenus bons amis. Julia remercia encore Monsieur Wayne pour sa générosité. Ce dernier transmit la demande de la jeune femme à Fox et le somma d’y accéder sans poser de questions. Julia fut heureuse de repartir avec ses disques durs et une nouvelle amitié des plus incongrues mais divertissantes.
Julia passa son dimanche à installer son nouveau matériel et à perfectionner l’Oracle. Elle n’avait pas oublié la mission que le Batman et elle s’étaient donnés, et se mit à rechercher un moyen de coincer le commissaire Loeb. Pour se faire, elle se mit à le suivre numériquement : le moindre de ses faits et gestes, toutes ses transactions, tous les lieux où il se rendait, Julia les observa, les inspecta, les sauvegarda dans son serveur. Puis, elle remarqua une récurrence dans les déplacements du commissaire. Elle analysa les données récoltées, puis les vidéos surveillances du lieu repéré. Là, elle vit le commissaire, accompagné de plusieurs officiers de police et d’inspecteurs ripoux, valider des caisses de marchandises suspectes dans les docks. Elle vérifia les dates des transactions : cela tombait toutes les semaines depuis deux mois, le mercredi à minuit.
Julia prit l’émetteur-récepteur que lui avait donné le Batman et l’actionna :
— Ici Oracle : j’ai trouvé de quoi faire tomber Loeb.