Arthur: La Vraie Malédiction
Un mois plus tôt, à Paris…
_ Mec, t'es vraiment obligé de filmer? demanda Sacha en regardant d'un air blasé en direction de l'objectif.
Tenant sa caméra qu'il venait d'acheter, Valentin émit un petit rire amusé en taquinant son pote et faisant des gros plans exprès sur son visage.
_ Faut bien que je teste ma toute nouvelle caméra et voir si l'argent que j'ai mis dedans en valait la peine, répondit le jeune vidéaste en herbe jovial. En tout cas l'image et le son ont l'air nickel. Allez, un petit sourire, Sacha la superstar.
Sacha soupira en secouant la tête. Valentin comprit toutefois que les blagues les plus courtes étaient les meilleures et arrêta de faire de le chercher et posa la caméra sur la table de la cuisine pour venir discuter calmement avec son ami qui lui avait envoyé un SMS deux heures avant de venir.
_ Ok, alors, de quoi tu voulais me parler? demanda Valentin.
Sacha lui parut un peu nerveux, ce qui accentua sa perplexité. Mais finalement, il se décida à dévoiler un petit objet qu'il tira de la poche de son jean et le montra à Valentin, qui découvrit alors une belle bague en argent. D'abord confus, Valentin devina très vite ce que ça sous-entendait en voyant le petit sourire en coin gêné de son pote.
_ Arrête, dit Valentin d'abord septique mais un début de sourire se dessinant sur ses lèvres. C'est vraiment ce que je crois?
Sacha ne put cacher davantage sa timidité, ses joues devenant légèrement rouges et acquiesça dans un sourire gêné mais sincère. Valentin laissa parler sa joie, riant de bon coeur et venant serrer son pote de lycée dans ses bras pour le féliciter d'avance.
_ Mec, c'est ouf! Mais et Lucie... Tu lui as dit ou pas? demanda Valentin pour plus de détails.
_ Pas encore, expliqua Sacha en recachant la bague dans sa poche. Elle est au courant de rien, et je compte sur toi et Caleb pour pas vendre la mèche. J'attends vraiment le bon moment pour lui faire ma demande.
_ C'est vraiment super pour toi, vieux, lui dit Valentin en lui donnant une tape sur l'épaule. Mais faut que tu sois sûr de toi à cent pour cent. C'est pas une décision qu'il faut prendre à la légère.
_ Je sais, je sais, souffla Sacha. Mais on s'aime vraiment avec Lucie, et... je sais que c'est avec elle que je veux passer ma vie. C'est... c'est pas quelque chose que je peux expliquer avec juste des mots... Je le sens, c'est tout.
Valentin sourit, sincèrement content pour son pote, et était près à le soutenir, tout en lui faisant la promesse de ne rien raconter là dessus à Lucie.
**********
La boue humide sous son corps. Le son léger du vent. Cette douleur lancinante à la tête. Valentin le ressentit alors qu'il ouvrait difficilement ses yeux, sortant enfin de cette inconscience. Il était étendu là, dans la boue, en bas de cette pente glissante et au bord d'une petite rivière endormie laissant entendre le faible clapotement du courant de l'eau. Il faisait encore nuit noire, et il pouvait à peine distinguer les formes des arbres autour de lui. Encore sonné par ce choc à la tête et ignorant combien de temps il était resté inconscient, Valentin ramassa sa lampe torche, pour constater que celle-ci avait été cassé lors de la chute. Il ramassa ensuite sa caméra, encore heureusement fonctionnelle, et dut changer la batterie par une autre. Il fit quelques tests, se filmant avec la vision nocturne, pour constater avec soulagement que ça marchait. Il regarda la bosse rouge qu'il avait à la tête et grimaça, n'osant pas toucher, cette dernière lui faisant encore très mal. Il espérait que ça ne s'aggrave pas.
Les vêtements couverts de boue, il se redressa sur ses pieds, son sac sur le dos, s'aidant de la vision nocturne de sa caméra pour voir autour de lui. La forêt était silencieuse et menaçante comme dans un vieux conte. C'est cette absence de son qui lui faisait le plus peur. Pas un seul bruit d'animaux nocturne, pas le moindre bourdonnement d'insecte. Un silence de mort régnait et aucun signe de vie en vue dans la caméra. Il était seul, du moins, pour l’instant.
Tout lui revenait en mémoire. L'exploration qui virait à l'horreur, la course jusqu'à la voiture, puis, la fuite dans les bois, et cette... chose qui le poursuivait depuis les arbres... Et Sacha... et Lucie... ou pouvaient-ils être maintenant? Valentin se sentit vraiment mal. Il avait été incapable d’aider Sacha et avait littéralement abandonné Lucie à son sort, la peur de mourir l'ayant dominé. Cadrant la caméra sur son visage, Valentin décida d'enregistrer un petit message pour le cas où, parlant tout bas de sa voix nerveuse et tremblante et vérifiant souvent autour et derrière lui pour s'assurer que rien n'allait le surprendre.
_ Je sais pas combien de temps j'ai été dans les vapes, mais ce qui me suivait ne m'a pas trouver. J'ai aucune putain d'idée de ce que ça pouvait être, mais ce qui est sûr, c'est que c'était pas humain… Sacha… Lucie… j’suis vraiment désolé, j’voulais pas vous laisser tomber comme ça… Faut que je trouve un moyen de me barrer de cet enfer, mais je sais même pas ou je suis … Je vais continuer de filmer et essayer d’enregistrer un maximum… Il faut que les gens voient ça, qu’ils sachent ce qui se passe ici.
Sur ces mots emplis de nervosité et de peur, le jeune vidéaste amateur se remit en route, ne s’aidant que de la vision nocturne de sa caméra pour se guider, la lampe de poche étant la meilleure façon de se faire repérer de loin. Mille pensées traversaient l’esprit agité de Valentin et chaque petit bruit dans la forêt lui provoquait des sueurs froides et des bonds de coeur. De plus, le sol était jonché de vieilles branches ou de feuilles mortes, faisant entendre quelques légers craquements sonores sous ses chaussures. Il décida donc de faire très attention ou mettre les pieds, ne voulant pas risquer de se faire repérer pour avoir malencontreusement marcher sur une branche.
Encore une fois, l’absence de sons naturels comme des animaux nocturnes ou même d’insecte ne le rassurait pas. C’était comme si tous les animaux avaient désertés la forêt, et après ce qu’il avait pu voir, Valentin commençait à comprendre pourquoi. Mais tandis qu’il marchait, cacher dans l’obscurité grâce à ses vêtements sombres, il entendit plusieurs sons s’élever et se rapprochant de plus en plus. Des voix d’hommes, qu’il ne reconnaissait pas. Pas loin de sa position, il put discerner les lueurs apparentes de flammes, comme des torches.
Craignant pour sa vie, Valentin choisit de se planquer et en faisant le moins de bruit possible, se dissimula en entier au milieu de buissons touffues et asséchés par la chaleur à proximité d’un tronc d’arbre, et se figea comme une statue, respirant le moins fort possible, au point d’entendre son coeur marteler dans sa poitrine. Les voix se rapprochèrent, comme la lueur orangée et dansante des flambeaux chassant l’obscurité. Valentin jeta un coup d’oeil très discret à sa caméra pour voir ce que sa vision nocturne lui montrait.
À seulement cinq mètres de lui, arriva un groupe d’inconnus, chacun tenant une torche enflammée dans la main, et aussi des armes pour certains comme des couteaux, des lances, des boucliers, et même des arcs et des flèches. Mais ce qui frappa le plus Valentin fut leur accoutrement des plus déroutants, surtout dans une forêt de Normandie. Ils ressemblaient à des indigènes, avec ces peintures et ces tatouages tribaux sur le corps et la tête, ces pagnes de couleurs colorés et aux motifs africains, mais aussi des ornements en os, ivoire et autres matériaux, comme des bracelets, des colliers ou des anneaux autour de la tête. L’un d’entre eux portait même une sorte de coiffe faites de plumes rouges, lui donnant une allure de chef. En plus d’être effrayé, Valentin était déconcerté. Avec ces tenues, ces gars ressemblaient presque à cette tribu africaine qui apparaissait dans les films des Minimoys. Les… Mata… Bogo Matassalai, c’est ça. Mais ils n’avaient absolument rien à voir avec le film, certains de ces hommes composant le groupe étant de couleur blanche.
_ Vous avez trouver le dernier ? demanda alors celui à la coiffe de plumes d’une voix grave et menaçante envers deux autres qui arrivaient d’un autre côté.
_ Non chef. Il s’est complètement volatilisé, avoua l’un des hommes, ce à quoi, il reçut un violent revers dans la joue de la part de son chef.
_ Il ne peut pas avoir quitté le domaine, c’est impossible, grogna le chef en fureur. Poursuivez les recherches ! Quand à ces deux amis, où se trouvent-ils ?
_ En sécurité chef, ne vous inquiétez pas, ils ne pourront pas fuir. En plus la fille est blessée à la jambe, elle ira nulle part, affirma l’un des hommes, confiant.
Valentin frémit d’angoisse, son coeur palpitant de stress. Cet enfoiré parlait de Sacha et Lucie ! Ils étaient donc toujours vivants ! Mais qu’est-ce qu’ils avaient bien pu leur faire ?
_ Très bien, ajouta le chef du groupe en retrouvant son calme. Dans ce cas, commencez à les préparer pour la cérémonie. La lune sera bientôt pleine, et il ne faut pas faire attendre les maîtres. Allons !
Des maîtres ? De quoi parlait-il ? Valentin était encore plus perdu qu’avant. Obéissant à leur chef, les hommes se divisèrent en plusieurs petits groupes de recherche et partirent dans des directions différentes pour couvrir le plus de terrain. Deux d’entre eux passèrent juste à côté des buissons ou étaient planqué Valentin, et dieu soit loué, ils ne le remarquèrent pas et s’éloignèrent, disparaissant progressivement dans les méandres de la forêt nocturne. Valentin attendit de longues et pénibles minutes, voulant s’assurer qu’ils soient partis assez loin, et une fois sûr qu’il était seul, il sortit de sa cachette touffue et se mit à accélérer le pas dans une direction ou il était certain de n’avoir vu aucun de ces tarés partir.
Sachant dorénavant qu’il n’était pas seul dans le secteur, Valentin faisait encore plus attention ou il mettait les pieds et surveillait encore plus autour de lui avec la caméra, prêt à détaler si nécessaire. Mais son empressement à vouloir sortir au plus vite de là commençait à lui faire commettre l’erreur d’accélérer trop le pas, et donc, de faire du bruit avec ses chaussures.
En arrivant au détour d’un grand arbre, une force importante le saisit et le tira violemment contre le tronc et une forme grande vint se plaquer contre lui. Haletant de surprise et de terreur, Valentin ne put même pas crier qu’une main se plaqua fermement contre sa bouche pour l’empêcher d’émettre le moindre son. Les yeux exorbités de trouille, il vit dans la vision nocturne de la caméra le visage d’un homme, lui aussi habillé tout en noir, une capuche recouvrant sa tête et le visage couvert de boue, presque comme un militaire camouflé et le rendant impossible à identifier. Dans son dos, l’homme portait ce qui ressemblait à une lance, et à sa ceinture, un flingue. L’inconnu, au regard dur, fit clairement signe à Valentin de ne pas faire de bruit, de ne pas bouger le moindre muscle, et très doucement, indiqua du doigt vers le haut, dans une direction précise. Très délicatement, Valentin cadra vers l’endroit indiqué et comprit aussitôt pourquoi.
Dans un arbre à proximité, perchée sur une épaisse branche à cinq mètres du sol, se dessinait à nouveau cette forme svelte, féminine et humanoïde, aux oreilles pointues et aux yeux inhumains. Valentin déglutit doucement, terrorisé, reconnaissant la chose qui l’avait pris en chasse avant. Assise à la manière d’un prédateur à l’affût, reniflant l’air, la créature semblait écouter très attentivement le moindre son qu’elle serait susceptible d’entendre, indiquant qu’elle ne pouvait pas voir dans le noir total. Elle tenait fermement dans une de ses mains une lame, comme une sorte d’épée courte. Au loin dans la forêt, un cri inhumain résonna comme un écho, et à cela, la créature féminine répondit par un appel tout aussi bestial et strident, vrillant les tympans de Valentin qui serra les dents et pria dans sa tête qu’elle parte au plus vite.
Tout à coup, le craquement d’une branche morte attira l’attention de la créature, et dans la caméra, Valentin vit un petit lapin sortir des fourrés à seulement une dizaine de mètres d’eux, et paraissant chercher de quoi manger. Mais à peine eut-il dressé les oreilles et flairer le danger que la créature bondit de l’arbre à une vitesse fulgurante, clouant le lapin au sol avec sa lame, puis le saisit à pleine mains pour commencer à le déchirer à pleines dents, lui arrachant la gorge, faisant gicler le sang partout et déversant ses organes sur le sol. Valentin dut détourner le regard, horrifié et crut qu’il allait vomir. L’inconnu collé à lui, se montra beaucoup moins atteint, mais très prudent. Voyant que la créature était maintenant dos à eux, recroquevillée et occupée à dévorer avidement la chair de sa petite proie, il fit signe à Valentin de ne pas bouger d’un cil et surtout de la boucler, ce à quoi Valentin comprit et confirma par un léger hochement de tête.
L’inconnu s’avança avec des pas très lents et légers, se déplaçant aussi furtivement qu’un chat, se trouvant maintenant à seulement quelques mètres de la créature, qui trop obnubilée par son festin sanguinolant, ne le remarqua pas, laissant entendre le déchirement de la chair entre chaque coups de dents et le craquement infâme des os. Cependant, les longues oreilles pointues de la chose frémirent tout à coup et celle-ci cessa sa ripaille pour redresser la tête, émettant un sifflement menaçant entre ses dents et écoutant avec attention. L’inconnu se figea comme une statue, ne quittant pas la créature des yeux et cessa presque de respirer. Valentin l’imita presque, continuant de filmer tout ça. Si ce truc n’était pas capable de voir dans le noir, elle semblait toutefois posséder une ouïe assez fine. L’instant parut durer une éternité, mais finalement, le son sourd du cor se fit entendre au loin, et à cela, la créature réagit, émettant un rugissement et laissa tomber les restes lacérées et sanglants du lapin en grande partie dévoré, et bondit d’arbres en arbres, s’éloignant des deux hommes sans heureusement avoir perçu leur présence.
Une fois le danger écarté, pour le moment, Valentin vit l’homme qui lui avait dans un sens sauvé la vie, lui faire signe de le suivre, ce qu’il fit sans se faire prier étant donné la situation. Ils marchèrent pendant quelques minutes entre les arbres, pour finalement arriver aux ruines de ce qui fut une vieille maison en bois, rongée en grande partie par le temps. L’inconnu se faufila par l’énorme brèche d’un des murs qui s’était effondré, et Valentin le vit ensuite écarter un vieux tapis humide et usé sur le côté, révélant dans le plancher en dessous… une trappe !
Valentin, un peu hésitant, le regarda descendre le petit escalier en bois menant dans ce sous-sol. Devait-il le suivre ? Valentin ne put s’empêcher, par méfiance, de penser à la possibilité d’un piège tendu, mais d’un autre côté, il ne souhaitait pas être à nouveau seul et perdu dans ces bois hostiles. Se faire attraper par ces fous armés ou se faire bouffer vivant par cette espèce de gremlin géant, il préféra ne pas tenter le diable. La peur au ventre car commençant à entendre comme des bruits, il se dépêcha de descendre lui aussi dans la cave et referma la trappe. Il découvrit donc un sous-sol de taille moyenne, froid mais sec, et éclairé par une seule source de lumière, celle d’une chandelle que l’inconnu était occupé à allumer. Valentin filma un peu autour de lui, découvrant une sorte de squat, un vieux matelas troué dans un coin avec une couverture, et un sac de bouffe à moitié vide. Une odeur de moisi empestait l’endroit, faisant grimacer Valentin.
_ Je… euh… merci pour m’avoir aidé, dit finalement Valentin pour briser ce silence gênant.
L’inconnu ne répondit pas tout de suite, occupé à se laver la figure dans une vieille bassine en fer remplie d’eau et enlever la boue qui maculait son visage. Une fois fait, il se tourna vers Valentin, et ce dernier crut halluciné en voyant enfin à quoi il ressemblait.
_ Mais de rien, mon pote.
_C… Caleb ?!