Histoires colorées de l'île Panorama
Conflit de saison
Qui était le (la ?) mystérieux (mystérieuse ?) expéditeur (expéditrice ?) de tous ces ballons au bout desquels étaient suspendus des cadeaux divers et variés, et qui venaient flotter dans le ciel de l’île Panorama ? Nul ne le savait.
Mais tous s’arrachaient les présents qu’ils renfermaient au bout de cette maigre ficelle à l’allure de fil de pêche, si bien qu’on assistait parfois à de véritables querelles de voisinage car l’un avait soi-disant « volé » la prise de l’autre. S’il y avait eu un tribunal sur l’île Panorama – dès lors, il y aurait nécessairement eu également une autruche enflammée pour devenir avocate –, les procès mettant en cause un vol de propriété de baudruche se dérouleraient presque quotidiennement.
Mais là n’était pas le sujet du jour. Ou plutôt, il l’était à moitié.
Voyez-vous, l’expéditeur (ou expéditrice) anonyme de ces ballons s’amusait, parfois, à y glisser des plans de bricolage, parfois saisonniers. En automne, il y avait donc bon nombre de suggestions de do it yourself (ou DIY) à base de glands, pommes de pins et autres branchages, donnant une présence plus importante à cette saison adorée par certains et haïe par d’autres.
Et comme ces plans étaient particulièrement rares, ponctuellement envoyés par cet étrange mécène, il y avait souvent des conflits entre les possibles destructeurs du ballon porteur de ce plan. Puisqu’ils étaient moyennement partageurs entre eux lorsqu’il s’agissait de projets de bricolage les habitants de l’île gardaient leurs trouvailles avec avarice.
C’est ainsi que Kitty et Cachou se criaient dessus, chacune haussant un peu plus le ton, changeant une simple discussion en un concert de cris suraigus ayant pour thématique principale la question suivante : à qui revenait de droit ce plan ?
La déléguée insulaire passait par là par pur hasard, au détour d’une énième tâche quotidienne, et fut si surprise par ces éclats de voix impromptus qu’elle en lâcha sa hache sur une souche. Incapable de la déloger – on nomma a posteriori cette sculpture fortuite « Durandache » – elle la délaissa et s’approcha des deux animaux qui en seraient presque venus aux griffes sans son intervention.
« Ah, tu tombes bien, soupira Kitty avec agacement. Dis à Cachou que ce plan m’appartient. C’est moi qui ai percé le ballon.
– Peut-être, mais c’est moi qui l’ai vu en premier, rétorqua l’écureuil au poil brun brillant. Tu n’as fait que me voler ma prise !
– Tu n’avais qu’à être plus rapide ! lâcha la chatte en haussant les épaules, désabusée.
– Je l’aurais été, si tu ne m’avais pas barré le chemin ! s’égosilla Cachou en plaçant ses pattes avant sur ses hanches.
– Mais qu’est-ce que tu racontes !? – La voix de Kitty commençait à dérailler tant elle était aiguë. – J’ai toujours été réglo là-dessus !
– Si tu es vraiment réglo comme tu dis, alors tu vas me rendre ce plan qui est à moi ! »
Les yeux de la déléguée allaient et venaient d’un visage à l’autre, à chaque échange de piques semblables aux échanges de balles de tennismen.
Puis une idée sembla lui venir. Elle attrapa le plan de bricolage, le parcourut des yeux, et sortit de ses poches le petit calepin et le stylo qu’elle gardait toujours sur elle, avant de recopier en deux exemplaires les instructions du plan. Elle tendit les trois feuilles, chacune comprenant toutes les étapes de fabrication de l’objet dans les moindres détails. Kitty en prit une, Cachou un autre, et il resta à la déléguée le plan originel, chacune des deux belligérantes ayant pris sa version recopiée. Elle tourna les talons, satisfaite d’avoir réglé ce conflit de saison.
« Je te l’avais dit qu’elle pouvait régler tous les problèmes, » sourit Kitty à Cachou.