Histoires colorées de l'île Panorama

Chapitre 10 : Sang d'encre

760 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 10/10/2020 16:21

Sang d'encre


Rodrigue adorait son travail de pilote. Quoi de plus agréable pour un dodo que de voler – relativement – librement dans les cieux ? À bord de son hydravion, il s’amusait à sillonner le paysage qui s’étendait infiniment vers l’horizon, menant à droite à gauche ses passagers. Il n’était d’ailleurs pas peu fier d’avoir été le pilote attitré de l’excursion à Panorama.

Alors à chaque fois qu’il était appelé par son collègue de l’accueil des passagers afin de mobiliser l’hydravion, il sentait une bouffée de fierté l’envahir et lui réchauffer le cœur. Quoi de plus gratifiant que d’être reconnu pour son dur travail, et à juste prix ? Il ne connaissait pas de meilleure récompense que le sourire ravi de ses passagers lorsqu’ils arrivaient à destination.

Et ce soir, c’était la déléguée insulaire qui avait fait appel à ses services. Elle voulait, apparemment, aller chasser le scorpion sur une île déserte. Elle avait tout ce qu’il fallait : cage à insectes, filet pliables bien rangé dans son sac à dos, et même une pelle et une hache aux manches rétractiles. Il connaissait difficilement des individus aussi bien équipés.

Ils atterrirent sur une île sauvage après une demi-heure de vol ; après un rappel des règles de sécurité, Rodrigue avait regardé l’humaine disparaître entre les buissons et arbres, bien trop pressée de trouver des proies à attraper. Apparemment, elle les revendait à un caméléon féru d’insectes pour un très bon prix. Le dodo se mit à penser que peut-être lui aussi devrait s’affairer ainsi ; avec l’argent ainsi gagné, peut-être pourrait-il partir en vacances à son tour ?

Comprenant qu’il allait encore attendre longtemps – ce n’était pas la première fois que l’humaine avait fait une telle requête dans le but de s’en mettre plein les poches –, il s’assit sur le bord du rocher sur lequel il se tenait, laissant ses pattes tremper dans l’eau froide et salée de la mer, qui venait frapper et façonner un peu plus la roche à chaque remous des vagues. Si au début la température basse lui avait hérissé les plumes, il s’était finalement habitué en quelques instants.

Et à présent, il profitait du calme et de la sérénité d’une île vide de tout habitant. Si la saison s’y était prêtée, il aurait bien aimé pouvoir observer quelques étoiles filantes. Manque de chance, il n’y avait pas eu de pluie de météores d’annoncée pour ce soir-là. Peut-être une autre fois.

Les minutes passant, et presque les heures, il commença à s’inquiéter. La petite allait-elle bien ? Il n’avait pas entendu le moindre bruit depuis leur arrivée, et d’ordinaire il l’apercevait toujours qui courrait à droite à gauche, ou bien qui le saluait. Et là, rien du tout.

C’était étrange, et même parfaitement inquiétant.

Sans prendre de temps pour se sécher les pattes, il se rua à toute vitesse à travers l’entrée qu’avait empruntée l’humaine. Il eut beau l’appeler de tous les noms – de ses nombreux surnoms à son véritable nom – il n’eut pour seul résultat qu’une voix brisée et un souffle coupé. Gardant son calme du mieux qu’il pût, il s’engouffra dans un semblant de clairière, où il trouva le corps étendu de l’humaine, inerte.

Son filet lui avait échappé, et avait roulé sur une courte distance avant d’être stoppé par un rocher. Une de ses cages à insectes gisait là, ouverte et vide. Quant à elle, elle ne bougeait plus, et ce n’est qu’en s’approchant d’elle que Rodrigue constata que, par chance, elle respirait encore.

Cela ressemblait à un simple petit malaise, mais il n’en fallut pas plus pour qu’il vidât le contenu d’une des bouteilles d’eau de la gamine sur sa figure, dans l’espoir que cela la réveillât, tout en l’appelant.

« Eh ! Petite ! Réveille-toi ! »

L’humaine ouvrit doucement les yeux, visiblement sonnée, mais consciente. Elle lui adressa un large sourire ravi, comme si rien ne s’était passé. Rodrigue soupira.

« Nom d’un oisillon, ne recommence plus jamais ça ! Je me suis fait un sang d’encre ! »

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