Froid polaire

Le bruit des trois coups donnés contre la porte de bois indiqua à Aurore qu’elle avait de la visite. Le manchot empereur avança aussi vite que ses petites pattes le lui permirent, puis elle tendit l’aile afin d’en enrouler le bout autour de la poignée pour ouvrir à son visiteur.

La figure ravie d’Apollon, le « doyen » de l’île si l’on pût l’appeler ainsi, apparut sous ses yeux. Le grand aigle gardait sous son aile un petit paquet joliment emballé et enrubanné.

« Salut ! fit-il d’un air tout enjoué qui contrastait avec sa voix rauque plus habituée à grommeler ou maugréer. Je suis passé chez le tailleur et j’ai trouvé un petit quelque chose pour toi. »

Elle lui répondit sur le même ton enthousiaste, et l’invita à entrer chez elle.

La réaction de l’aigle lorsque ses serres touchèrent le sol de glace fut assez équivoque, bien qu’il tentât de tout son possible de cacher son mal-être. Il avait certes l’habitude de déambuler pieds-nus – bien qu’il n’eût pas de « pieds » à proprement parler – dans la nature sauvage de l’île, la transition soudaine entre ce début de mois d’octobre et le sol glacial de la demeure du manchot était assez radicale. D’ordinaire, le changement progressif des saisons habituait son corps aux températures basses de l’hiver. Mais là, le temps doux ne l’aidait en rien.

Il connaissait pourtant bien l’amour que portait Aurore au froid, c’était après tout son environnement « naturel » ; mais lorsqu’elle l’invita à s’asseoir sur un canapé de glace, il ne put réprimer un tremblement.

« Je voulais juste passer te donner ça, se justifia-t-il péniblement en tendant à bout d’ailes le paquet. J’ai d’autres choses à faire aujourd’hui.

– Vraiment ? interrogea-t-elle en penchant légèrement la tête sur le côté. Je viens de tester une nouvelle recette de thé, ça ne te dirait pas d’y goûter ? »

Le pauvre grincheux ne sut plus trop où se mettre. Il raffolait du thé qu’elle lui offrait à chacune de leurs rencontres, mais l’idée de passer une minute de plus dans cet endroit qui était tout sauf habitable pour lui le repoussait durement.

« Viens t’asseoir, renchérit-elle en lui désignant le canapé. Je vais chercher ce qu’il faut. »

Elle disparut entre deux colonnes de glace, partie fouiner dans un coin de la pièce.

Il s’avança à contrecœur, et s’assit sur le bloc de glace taillée avec l’envie pressante de quitter la demeure.

S’il avait su que s’inscrire à ce programme de voyage d’exception sur une île déserte le mènerait à quitter sa zone de confort à ce point, pas sûr qu’il y fût tout de même inscrit. Il sentait déjà le froid gagner son postérieur, presque anesthésié par la température proche de zéro.

« Et voilà pour toi, » chantonna Aurore en enroulant autour de lui un plaid épais et incroyablement doux, avant de gentiment déposer un coussin à côté de lui pour qu’il s’y assît.

Il la regarda avec étonnement, et presque incompréhension.

« Tu n’as pas besoin de faire le dur à cuire juste parce que tu es toujours grincheux, lui dit-elle en affichant un immense sourire. Je sais très bien que tu n’aimes pas le froid, et pourtant tu t’assois sans rechigner, juste pour me faire plaisir.

– C’est rien, grommela-t-il, reprenant son air froid qu’elle lui connaissait bien. Je suis pas un oisillon fragile.

– Mais je sais très bien qu’un aigle comme toi ne supporterait pas ce froid polaire, rit-elle en lui tendant une tasse de thé. Réchauffe-toi maintenant, ça va te faire du bien. »