Le Clan Dolores : plume et aiguille

Chapitre 15 : Chapitre 15 : l'inabordée, la débordée, l'hybride

15969 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/04/2017 22:28

Je gémissais à mesure que mes paupières tentaient de se décoller avec difficulté.

Je roulai sur mon lit pour me mettre sur le ventre, et enfouis ma tête sous mon oreiller.


« Debout, chérie, murmura une voix grave en soulevant mon coussin.

- Laisse-moi, Ruben, marmonnai-je à moitié endormie. J'te déteste. Tout le monde te déteste.

- Qu'est-ce qu'ils ont tous avec Ruben ? fit la même voix. J'adore ce type, moi.


Je sentis ma couette s'échapper de mon lit. Mon agresseur matinal était en train de la tirer du matelas. 


- Rends-moi ça, grognai-je en essayant de l'attraper. C'est ma seule amie...

- Leigh, lança Rosa au loin, rends-lui sa couette sinon elle va choper une rhino-pharyngite pile poil pour le défilé.


Leigh ?

Je fis volte-face dans le lit et me redressai en plissant les yeux. Cheveux et iris noir d'ébène, blazer en cuir blanc cassé refermé sur un col roulé assorti. La véritable star du défilé nous avait finalement rejoints.


- T'es enfin là ? me réjouis-je en m'étirant. Rosa est insupportable quand elle doit tout faire seule, hier elle m'a étouffée avec mon corset...

- Chhhht, chhhhht, murmura Leigh en posant son index ganté et bagué sur mes lèvres pour m'interrompre. Tu as une haleine automne-hiver 1995.


... J'avais oublié la légendaire franchise du frère de Lysandre.


- Et à ta place je ne me réjouirais pas, lança Rosa avec entrain. Je vous a fait vivre une vraie promenade de santé comparé à ce qui vous attend tous jusqu'au défilé maintenant que Leigh est là.


Mais... Pourquoi Rosalya avait-elle l'air tellement en forme alors qu'on lui avait fait boire son poids en alcool la veille ? Elle était concentrée sur ce défilé au point que son corps avait rejeté tout symptôme d'une gueule de bois. Notre plan avait échoué, Rosa allait continuer à nous martyriser jusqu'au bout.

Je me laissai retomber sur le lit. On m'avait définitivement réduite en esclavage.


- Est-ce que je peux démissionner ? demandai-je en fixant le plafond avec dépit.

- Oh que non, s'amusa Leigh. Par contre je pourrais te virer si je te revois dormir avec une robe Valentino. La prochaine fois, c'est housse de protection, papier-bulle et coffre-fort, okay ?


S'il avait vu l'état de tous les chemisier Fendi, Prada ou Balenciaga que j'avais détruits avec du chocolat fondu en mangeant un donut...


Leigh s'éloigna de moi d'un pas vif pour accueillir Alex, qui sortait de la chambre qu’il partageait avec Rosa.

- Alexy, qu'est-ce que c'est que cet arc-en-ciel qui te sert de tenue ?

- Et toi on dirait un oeuf sous vide, répliqua-t-il. Fais gaffe en buvant ton vin rouge, môsieur l'œnophile.


Ils se claquèrent une bise et Alex le gratifia d'une tape amicale sur le torse. Il était vrai que la tenue entièrement blanche de Leigh avait l'air plutôt salissante.


- Vous aussi, debout, les apollons, ordonna Leigh en frappant dans ses mains.


Lysandre et Armin dormaient encore profondément dans leur lit respectif.


- Il est quelle heure ? m'enquis-je en me frottant les yeux.

- 7h33 précisément, répondit Rosa en rabattant sa tête sur ses jambes étendues au sol.


... ???! Je m'étais endormie à 5h et on me réveillait maintenant ?

Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'elle fichait avec son corps ?


- Tu t'es mise au yoga ? s'amusa Alexy en voyant Rosalya se contorsionner au milieu de la suite. Je doute que ça suffise à canaliser ton hystérie habituelle.

- OOOOOM, l'ignora-t-elle, les yeux fermés.

- Debout, j'ai dit ! répéta Leigh.


Il s'avança vers la chaîne Hi-Fi pour l'allumer avant de monter le son au max.


- Leigh ! couina Rosalya désormais en position du lotus. Comment tu veux que je me détende avec ça ?


Je m'emparai de mes deux coussins, que je pressai contre mes oreilles pour ne pas entendre Starships de Nicki Minaj. Leigh n’avait donc aucune pitié pour les victimes de ce fléau qu’était la gueule de bois.


Armin et Lysandre n'eurent pas d'autre choix que de se redresser brutalement.


- Mais qu'est-ce que...

- AAAAH ! hurla Leigh en voyant son frère. Mais qui a fait ça à ton oeil ?!


Il s'approcha de Lysandre et prit son visage dans ses mains pendant que celui-ci était encore à moitié endormi.

Rosa en profita pour éteindre la musique alors qu'Alexy était en train de danser.


- Rabat-joie, murmura-t-il.

- T'en as pour au moins dix jours ! s'exclama Leigh. Et le défilé est dans BIEN MOINS que dix jours !

- Alors va me fabriquer un bandeau de pirate pour camoufler ça et laisse-moi tranquille, fit Lysandre en s'étirant.


Rosa jeta à Armin un regard accusateur. L’ecchymose de Lysandre avait doublé.


- Ben désolé, mais quand on me provoque comme il l'a fait mon premier réflexe n'est pas de calculer si le coquard va se résorber avant le défilé de Leigh, bailla celui-ci en se levant.


Il me fit un signe de la main pour me saluer. Je lui répondis par un sourire timide. Je ne savais pas si c'était l'alcool qui lui avait donné le courage de me prendre la main la veille, mais ça représentait beaucoup pour nous deux. Il était enfin prêt à renoncer à son blocage.


Leigh n'entendit même pas ce qu'Armin venait de dire. Il observait minutieusement l'oeil de son frère pour évaluer l'ampleur des dégâts.


- Il pourrait chanter de dos comme Sia, railla Alexy en s'ouvrant un paquet de chips.


Le couturier lui lança un regard indigné. Je ne savais pas si c'était à cause de sa boutade ou des Pringles qu'il mangeait à cette heure-ci.


- On aura de très bons maquilleurs, Leigh. Ils vont réparer ça en un clin d'oeil.

- Ahah, « oeil », pouffa Alex la bouche pleine.

- Toi je vais te...


Je m'étirai tranquillement dans mon lit en laissant les autres se chamailler. Je me rendis dans l’immense salle de bain de la suite pour me débarrasser de ce goût d'alcool que j'avais dans la bouche. En voyant mon reflet dans le miroir, je sursautai. Je ressemblais au bassiste de Kiss.


- « Démaquille-toi toujours avant de dormir », citai-je ma mère en attrapant un coton et du démaquillant biphasé.


Le seul effort que j'avais fourni avant de me coucher avait été d'ouvrir la fermeture de ma robe pour laisser le haut retomber sur ma taille de façon à ce que ce tissus qui gratte laisse ma poitrine tranquille. Mon buste était donc complètement nu, à l'exception de mon soutien gorge Chantal Thomas. 

Je m'affairai à retirer le reste de ma robe par le bas, ce qui fit tomber de ma poche une feuille de papier roulée en boule.


- Qu'est-ce que...


Je dépliai le papier avec une appréhension inexpliquée. 

Je me souvenais vaguement l'avoir ramassé après avoir pris la parole sur scène... D'ailleurs, je ne savais pas ce qui m'avait pris de le garder. Depuis quand m'improvisais-je femme de ménage ?


À mesure que je lisais les vers écrits en lettres délicates, mes yeux s'écarquillaient un peu plus, et mes sourcils se contractaient en un froncement confus. « Absinthe », « Poète », « Proie », un champ lexical que je reconnaissais bien. 


Mais surtout, un mot revenait constamment : « aurore ».




***




Mon coeur battait à tout rompre depuis que j'avais lu ces quelques lignes. 

Je me rendais compte de l'intensité de tout ce que j'avais fait éprouver à Lysandre. 


Je déposai sur mon lit ma robe Valentino et me débarrassai de mes sous-vêtements, prudemment cachée derrière ma couverture. J'enfilai rapidement un bas et un haut de maillot, sans me soucier qu'ils fussent dépareillés, et repris la feuille de papier froissé que j'avais posée dans un coin.


« Tu mets trop de poudre, Rosa ! s'agaça Leigh.

- Oh, ça va hein ! Je suis pas maquilleuse professionnelle !


Lysandre était en train de se faire maquiller l'oeil pour camoufler son coquard. Il ne pouvait s'empêcher de grimacer à chaque coup de pinceau de Rosalya. 


Malgré moi, ce que je venais de lire me faisait le percevoir tout autrement. 

Pour me rassurer, je m'étais convaincue que c'était seulement Armin qui éprouvait de réels sentiments à mon égard, et que je n'étais qu'un sujet d'étude et un passe-temps pour Lysandre. Ça me permettait d'en privilégier un et d'en négliger un autre, d'alléger le poids qui pesait sur mes épaules.


Mais il m'avait révélé la vérité sans l'avoir prémédité, et pour une fois Ruben n’y était pour rien. Lysandre était vraiment amoureux de moi. Et je comprenais enfin que j'avais bel et bien un choix à faire au plus vite. Si je continuais à les faire languir, j'allais faire souffrir deux personnes que j'aimais en retour.


- Mais c'est pas du tout sa carnation, ça ! C'est beaucoup trop clair !

- Leigh, s'énerva Rosa, tu me laisses faire ou tu te débrouilles tout seul, sans mon maquillage et avec le peu de matériel que tu as à ta disposition : à savoir tes mètres de couture, tes aiguilles et ton vin rouge !

- Dites-moi qu'il y avait de l'exta dans mon verre d'hier soir et que tout ceci n'est qu'une hallucination, soupira Lysandre.


Il cligna frénétiquement des yeux pendant que le pinceau de maquillage lui chatouillait les cils.


- Diana va faire un scandale si elle voit ça ! fulmina Leigh. Et ma mère n'est pas du genre à se laisser berner par une tentative de camouflage aussi ridicule. Dévisager les gens, c'est son métier.

- Maman va venir ici ? s'étonna Lysandre pendant que Rosa rajoutait du fond de teint.

- Nos deux mamans sont déjà en train de déjeuner avec les mannequins dans le restaurant de l'hôtel à l'heure où l'on parle.


Lysandre leva les yeux au ciel tout en continuant de se laisser docilement faire, trop fatigué pour lutter.

Armin et Alexy observaient la scène depuis le bas de l'estrade de la suite. Ce dernier avait l'air amusé de voir Lysandre se faire badigeonner du fond de teint de Rosalya, l'autre était bien entendu focalisé sur moi. 


Armin avait été mon ami avant tout. Et avant que j'apprenne ses sentiments à mon égard, je le voyais comme un optimiste, un Alexy modéré. Il avait beau afficher des instincts assez protecteurs à mon égard, il passait son temps à tout tourner en dérision et était sans cesse souriant. 

Et puis est arrivée cette histoire de triangle amoureux. Et Armin s'était métamorphosé. 

Il me scrutait depuis que j'étais revenue de la salle de bain. Et ce n'était pas seulement parce que j'étais en bikini. Depuis que j'avais regagné la salle principale, depuis que j'avais lu ces poèmes que Lysandre avait écrits à mon propos, je fixais le garçon séraphique sans m'en rendre compte. 


Et Armin l'avait remarqué.


Je lui jetai un regard. Seulement un regard. Je ne savais pas quoi lui dire à travers mes yeux. Je voulais seulement qu'il sache que ce que j'allais faire n'était en rien pour le pénaliser dans cette stupide course qu'il menait contre Lysandre. Lui montrer que j'avais au moins noté sa présence était en quelques sortes pour contrebalancer. Les yeux azurin d'Armin comprirent que j'allais faire quelque chose.


Je m'approchai du garçon séraphique. Il posa son regard bicolore sur moi, ce qui fit se retourner les deux maquilleurs improvisés. Leigh et Rosa s'écartèrent à mesure que j'avançais vers lui.

Je tendis à Lysandre le papier froissé, et quand nos mains entrèrent en contact je sentis la chaleur brûlante qui émanait de lui. La même que j'avais ressentie en lisant ces vers. 


Les yeux vairons clignèrent frénétiquement, éberlués que je sois tombée sur cette feuille.

Les yeux azur se durcirent comme de l'eau qui se condensait en glace. 




***




« Tu as abandonné le naturisme ? s'enquit Alexy.

- Laisse-moi décuver.


L'eau de la baignoire était bien plus efficace que toute l'aspirine du monde pour ma gueule de bois. Mais il me fallait reconnaître que la sensation de prendre un bain en bikini m'était très étrange.


 C'était Ruben qui m'avait conseillé d'emporter un maillot. Je comprenais désormais pourquoi : il savait que viendrait le moment où je déciderais d'arrêter de m'exhiber totalement nue devant mes deux prétendants. Ruben n'était pas de ceux qui subissaient les aléas. Il les prévoyait tous, sans exception, il calculait en une fraction de secondes toutes les éventualités, tous les cas de figure qui pouvaient se présenter. Même s'il y avait peu de chance pour que quelque chose arrive, il prenait cette faible probabilité en considération. Un barème précis lui permettait de classer chaque prévision en fonction de leur plausibilité.


Mais cette demi-pudeur qui m'était apparue comme une évidence n'était pas suffisante pour que Lysandre et Armin cessent de me contempler avec une pareille insistance. Mon court trajet jusqu'à la baignoire leur avait suffi pour qu'ils dévorent mon flanc droit des yeux. J'aurais peut-être dû prendre un maillot une pièce...


- Et la pudique compatissante remplacera la cruelle enjôleuse, pensa Armin à voix-haute au bout de la pièce.


Alors qu'il n'avait pas parlé très fort, je tournai subitement ma tête vers lui, comme frappée par une décharge électrique. Armin me fixait d'un air incrédule, bouche entr'ouverte. Il détacha ses yeux de moi et les planta dans le sol avant de secouer la tête, comme pour se ressaisir. 


C'était de sa bouche que venaient de sortir ces mots, mais ce n'était pas de lui qu'ils émanaient. 

C'était du Ruben, du Ruben tout craché. 


- C'est cette à cette même Aurore que j'ai dû créer un body ultra fin couleur chair pour que son flanc droit ne soit pas exposé pour les shooting ? s'interrogea Leigh. Il y a quelques semaines, tu aurais préféré qu'on te coupe une main plutôt que de montrer cette partie de ton corps.

- Il faut croire que certaines personnes ont des méthodes plus efficaces que d'autres pour débrider les pudiques, répondit Lysandre.


Chaque fois qu'il parlait de Ruben, on sentait dans sa voix un étrange mélange de rancoeur et de reconnaissance. Mais à ce moment précis, son ton trahissait aussi une certaine déconcertation.

Je n'étais pas censée tomber sur ces poèmes qu'il avait écrits sur moi.


- Ne cherche pas à comprendre, répondit Rosa au regard interrogateur de son petit-ami.


Le couturier finit par hausser les épaules.


- Oh et puis j'ai pas le temps, fit Leigh. Tout ce qui me préoccupe, c'est que mon mannequin tatoué préféré reste aussi svelte et gracieux jusqu'à mon défilé.

- Ça va être facile : elle ne mange plus.


Tout ça parce que j'avais sauté le dîner la veille à cause de la coke...

Je n'eus même pas envie d'adresser une grimace à Alexy en guise de réponse. J'étais plongée dans l'eau de mon bain moussant comme dans mes pensées torturées.


« Ma hantise, c'est de te voir avec lui. », m'avait dit Armin. J'avais inconsciemment fait une croix sur Lysandre depuis que j'avais appris qu'il était le complice de Ruben. Son comportement à mon égard depuis lors m'avait conduite à penser qu'il n'éprouvait rien pour moi, et j'avais décidé qu'Armin serait mon choix n°1, à condition qu'il se décide ne plus me fuir.

Mais Lysandre m'aimait, et ça m'avait bouleversée. Je revenais à la case départ : je n'avais aucune idée de qui choisir. Il souffrait autant, voire plus qu'Armin. Ces vers étaient trop crus, trop violents pour être issus de sa simple imagination. Ma spécialité étant de lire entre les lignes, je l’avais compris mieux que quiconque.


- Ah ! Une baignoire, j'en étais sûre ! s'exclama une voix rauque depuis l'entrée de la suite.


Nos six paires d'yeux se posèrent sur la nouvelle venue. Dawn portait l'un de ses célèbres peignoirs de satin noir et avait remonté comme moi ses cheveux blond cendré en chignon flou.


- Eh ben, Ruben a pas déconné niveau intimité, railla-t-elle. Cette suite est gigantesque mais la promiscuité est maximale.


Elle tira sur les extrémités du ruban qui serrait sa taille pour laisser son peignoir tomber sur le sol. Tous les autres, y compris Alexy et Rosalya, laissèrent échapper un petit cri de surprise tandis que je poussai un long soupir. Ses tatouages étaient son seul vêtement : Dawn était bien sûr complètement nue. 


... Et son épilation était plus que parfaite.


- Tu pourrais me donner l'adresse de ton esthéticienne ? s'enquit Leigh.

- Pourquoi ? Tu veux une épilation intégrale ? railla-t-elle.

- C'est pas pour moi, fit-il dans un rire sardonique. C'est pour Rosa.

- ESPÈCE DE... !


Il courut s'enfermer dans la salle de bain pour ne pas se faire arracher les yeux tout de suite.


- Ah non, attends ton tour ! lançai-je en voyant Dawn entrer dans la baignoire avec moi.

- On pèse environ 40 kilos réunies, fit-elle en s'installant tranquillement. C'est pas la place qui va manquer.

- Tes énormes machins en pèsent au moins 20 chacun, maugréai-je.


Elle se mit à chantonner en rajoutant du bain moussant à l'eau. La mousse couvrait à peine la moitié de ses seins bonnet D. 

Dawn pouvait difficilement passer une journée sans prendre de bain, et sa suite avec Ruben ne contenait qu'une misérable douche de luxe à l'italienne avec sol en marbre, alors...


Je jetai un oeil à Armin, puis à Lysandre. Ils détournèrent chacun le regard en croisant le mien, mais ils ne purent s'empêcher de le reposer sur nous au bout de deux secondes. 


Génial, moi qui avais fait l'effort de cacher un minimum mon corps pour ne pas ajouter à leur supplice, j'étais rejointe par ma bombasse de soeur à poil et mon bain se transformait en scène de fantasme saphique. Rien de tel que deux filles en tenue légère, voire inexistante dans le cas de Dawn, pour exciter l'imagination des mâles hétéros. Mais en l'occurrence, les deux filles étaient des soeurs. C'était donc carrément dégueulasse.


Dawn semblait trouver cette exhibition tout à fait normale. Ses yeux furent interpellés par les bretelles de mon haut de maillot. Elle éclata de rire.


- Tu te baignes en bikini, maintenant ? T'as pas encore compris que ce machin ne couvre que 3% de ton corps ? Ça sert à... euh : rien. Et puis t'es entourée de trois beaux gosses célibataires, alors laisse-les profiter du spectacle au lieu de feindre le camouf...


Je lui assénai un coup de pied dans la cuisse, ce qui lui fit automatiquement comprendre que ce n'était pas le moment d'allumer Armin et Lysandre.


Mais depuis quand Dawn m'obéissait-elle ?


- Vous voulez pas nous rejoindre, vous trois ? renchérit-elle à l'attention des jumeaux et Lysandre. Cette baignoire est plutôt spacieuse...

- Nous trois ? lança Alexy. Je croyais que tu avais compris que j'étais carrément gay, chérie. Tu as beau être gaulée comme une vraie déesse, tu m'attires autant qu'un plat d'endives au lard...

- Qu'est-ce que c'est que ces conclusions hâtives ?... À quel moment ai-je évoqué un quelconque comportement sexuel ?


Dawn, tout le monde sait que tu ne penses qu'à ça.


- On se contentera de regarder, lança Leigh depuis la salle de bain fermée à double tour.

- C'est ce que tu crois, riposta Rosa. Toi, tu es hétéro et en couple, et t'en as déjà bien assez vu ! Reste dans la salle de bain jusqu'à ce qu'elle parte et que je t'égorge de mes mains !

- Roh...


Lysandre et Armin n'avaient pas prononcé un mot. Mais je sentais que le manège de ma soeur ne les laissait pas indifférents. 


Dawn plaça ses mains au milieu de la mousse et l'écarta pour découvrir mon corps à travers l'eau claire.


- Ta culotte est vraiment mi-nu-scule, Aurore, lança-t-elle. Tu vois, je t'avais dit que ton maillot ne servait à rien. 


Je me mordis la langue et replaçai la mousse au centre de la baignoire. 


Dawn trouvait banal le libertinage. Elle ne comprenait pas pourquoi je m'évertuais à respecter la règle de bienséance selon laquelle une fille ne doit pas jouer avec les sentiments d'un garçon, et n'en choisir qu'un seul à la fois. À ma place, elle aurait écouté ses instincts sans hésiter, elle aurait sauté sur Lysandre le lundi, sur Armin le mardi, et aurait alterné jusqu'à la semaine suivante. 

Et quelques mois plus tôt, dans mon ancienne ville, j'aurais certainement fait la même chose.


Mais j'étais tombée ridiculement amoureuse. Ce sentiment nouveau que je n'avais jamais connu auparavant m'avait transformée. J'étais scrupuleuse, j'éprouvais de la compassion envers Armin et Lysandre. Même si j'en crevais d'envie, il m'était impossible d'officialiser quoi que ce soit avec l'un ou l'autre : ce n'était pas dans ma nature. J'étais coincée. L'amour était mon billot.


Ce comportement ennuyait Dawn. Elle avait seulement envie de me balancer à l'eau, de faire émerger l'ancienne Aurore, qui était plus marrante parce qu'elle choisissait la solution de facilité, la solution immorale.


- Alex, tu peux me passer mon paquet ? lui demandai-je.


Il attrapa mes Marlboro Red et me les lança depuis le comptoir du bar sur lequel il était assis, me piquant une cigarette au passage.

J'attendis qu'il allume sa clope et me donne le briquet pour faire de même. Je tendis une cigarette à ma soeur. Dawn l'attrapa avec un sourire en coin, prête à continuer son petit manège.


- Tu te souviens de Mona ? m'interrogea-t-elle. La barmaid châtain super mignonne. Cette nuit, elle n'était pas en service. Tu dois t'en douter puisqu'à la fin de la soirée elle est montée sur le comptoir et a dansé avec la moitié des call-girls qui squattaient l'hôtel.


Bien sûr que je m'en souvenais... Mona la barmaid avait été engagée non pas pour ses talents pour faire les cocktails, mais pour son sex appeal. En dansant sur le bar, elle nous avait tous exhibé ses bas et ses porte-jarretelles. Viktor avait décrété que ces éléments feraient partie de son uniforme, non seulement pour inciter les résidents de l'hôtel Talba à la consommation au bar, mais aussi et surtout pour lui-même se rincer l'oeil. Cet homme était décidément un vrai emblème du féminisme...


Dawn immergea ses interminables jambes de l'eau pour croiser ses chevilles sur le rebord de la baignoire, à quelques centimètres de ma tête. Elle tira une latte de sa cigarette.


- Après que j'ai couché avec Nathaniel, je l'ai croisée dans le hall, on est parties picoler ensemble et elle m'a avoué qu'elle fantasmait carrément sur toi depuis des années.

- T'as couché avec Nathaniel ?! s'exclama Alexy.


Dawn jouait la carte de la lesbienne, mais sciemment, cette fois. Armin et Lysandre n'avaient pas pu louper Mona. Lysandre avait quitté le bar bien avant qu'elle décide de jouer les effeuilleuses sur le comptoir, mais il avait à tout les coups été servi par elle au moins une fois dans le début de la soirée. Et même derrière un comptoir, cette fille réussissait à vous allumer avec son décolleté plongeant. Les autres employées du bar-restaurant de l'hôtel étaient loin d'être des laiderons, Viktor avait veillé à cela, mais Mona sortait indéniablement du lot. 


De quoi leur faire imaginer des trucs encore plus libidineux. Même si Lysandre et Armin étaient accoutumés à l'homosexualité, le premier par ses deux mamans, le second par son jumeau, ce fantasme restait ancré en eux. Un homme hétérosexuel qui n'était pas excité par deux filles ensemble, c'était plus rare qu'une gemme de painite.


Ma soeur était un monstre.


- Tu sais très bien que c'est pas mon truc, les filles : je te les laisse volontiers. Et puis j'ai mes règles, mentis-je.


Détail glamour à souhait, mais parfait pour refroidir mes deux prétendants. Bien joué, Aurore !


- Tu ne prends jamais de bain quand tu as tes règles.


Et merde...


- ... T'as couché avec Nathaniel ?!!!! répéta Alexy encore incrédule.

- Moui, fit-elle. Il est plutôt doué au lit, mais je reste difficile à combler. Comme Aurore, d'ailleurs...


Ma soeur n'était visiblement pas prête à arrêter son petit jeu. 

Je poussai un long soupir.


Aux grands maux les grands remèdes.


- Lysandre ? l'interpellai-je en renversant légèrement ma tête en arrière pour le voir. Tu pourrais appeler Castiel et lui dire de venir ? J'ai besoin de lui.


Il resta immobile quelques secondes, le temps de comprendre ce que j'avais en tête, puis attrapa son téléphone pour s'exécuter. 


- Je sais ce que t'essaies de faire, soeurette, lança Dawn en jouant avec les bagues de ses doigts. Mais il ne répondra même pas, il dort sûrement à poings fermés comme une grosse larve. Il est loin d'être aussi insomniaque que moi.

- Allô, Castiel ? fit Lysandre au téléphone.

- Bon, d'accord, concéda ma soeur. Mais il va sûrement pas daigner bouger de son lit à cette heure-ci.

- Oui, je sais, Cast'... poursuivit le garçon séraphique au téléphone. C'est juste qu'Aurore a besoin de toi ici.

- Comme si ça allait suffire, jubila Dawn.

- Et je précise que Dawn est nue dans notre baignoire.

- Là, t'as pas le droit ! protesta ma soeur.


Lysandre raccrocha et eut un petit sourire en coin.


- Il arrive dans à peu près... dix secondes, je pense.

- Okay, vous avez gagné, fit Dawn en sortant de la baignoire. J'ai aucune envie de me le coltiner de bon matin.


Elle enfila rapidement son peignoir.


- Aucun sens de l'hospitalité, lança-t-elle.


Elle finit par quitter la suite comme elle y était entrée.


- C'est bon, je peux sortir ? s'enquit Leigh après avoir entendu la porte claquer.

- Ouais, grogna Rosa. Viens là, que je t'étripe à mains nues.


Je poussai un soupir. Castiel l'ex-copain tenace était devenu le meilleur moyen de rendre Dawn plus docile que jamais.


- Pourquoi la baignoire de votre salle de bain est condamnée ? fit le styliste en nous rejoignant.

- Parce que Ruben a trouvé ça plus marrant de nous obliger à nous laver au milieu de la suite. Ça donne des scènes épiques dans le genre de ce qui vient d'arriver, s'amusa Alexy en bouffant toujours des chips.


Mais Ruben n'avait en rien forcé Dawn à venir. Elle avait décidé d'elle-même de tirer avantage de la situation entre Armin, Lysandre et moi pour s'amuser.

J'en avais assez.


- Mais elle a vraiment couché avec Nathaniel ?!!! fit Alexy. Nathaniel Ottaviani ? Notre délégué principal ?

- Faut croire que oui, répondis-je.


Je tirai sur le bouchon de la baignoire pour laisser l'eau s'écouler, puis me redressai afin de rincer mon corps.


- C'est vrai que ta culotte est minuscule, Aurore, railla Leigh en évitant le coussin que Rosalya venait de lui jeter.


Il n'avait pas du tout compris qu'il rajoutait au supplice de son propre frère en renchérissant comme ça.

La prochaine fois, je me baignerai en combinaison de plongée.


Pendant que l'eau coulait sur ma peau, je fis l'erreur de croiser le regard d'Armin, qui m'observait du coin de l'oeil. Je n'osai même pas sonder celui de Lysandre. 

Ruben avait réussi son coup. Cette baignoire était impossible à louper à moins de lui tourner le dos. Je sentais, comme des mitraillettes me perçant le coeur, chaque battement de ceux d'Armin et Lysandre. Même s'ils essayaient de ne pas me regarder, ils savaient que j'étais à moitié nue et ruisselant d'eau à quelques mètres d'eux. Et quand ils décideraient à leur tour d'entrer dans cette baignoire, j'allais être aussi hypnotisée par eux qu'eux l'étaient par moi.


Je fis au plus vite pour quitter ce bain surexposée et m'enrouler dans une serviette. 


- Bon, lança quelqu'un en refermant la porte derrière lui. Elle est où, Dawn ?


Castiel était déjà arrivé ?! Lysandre avait à peine exagéré...

Je haussai les épaules et laissai Alexy lui expliquer qu'on s'était servi de lui.


- Et merde ! pesta-t-il. Bon, puisque je suis là je vais en profiter. C'est carrément injuste que vous ayez votre propre bar dans cette suite.


Il prit l'une des bouteilles de Coca qui étaient au frais et s'installa à côté d'Alexy pour la boire tranquillement.


Je tirai une dernière bouffée de ma cigarette, que j'avais laissée sur le cendrier à côté de la baignoire, avant de l'écraser.


- Lysandre, faut qu'on parle. Salle de bain, indiquai-je en lançant une musique au hasard sur la chaîne Hi-Fi. »


Je jetai à nouveau un regard à Armin pour lui assurer qu'il n'avait pas d'idées à se faire. Mon doigt glissa autour du bouton des enceintes pour monter au maximum le volume de Limo Wreck de Soundgarden. Je n'avais certainement pas envie que les autres entendent.




***



« « Abhorrer et adorer l'inabordée, la débordée, l'hybride » ?

- Tu l'as appris par coeur ? s'enquit Lysandre en s'adossant contre le mur carrelé de marbre.

- Je l'ai seulement lu une trentaine de fois.


Je resserrai la serviette dans laquelle j'étais enroulée pour m'assurer qu'elle resterait en place. 

J'avais pris Lysandre à part pour lui dire que j'avais compris ce que ces vers voulaient dire, et que j'allais prendre mes distances avec lui comme avec Armin jusqu'à ce que mes parents repartent. Mais il me fallait d'abord lui expliquer qu'il allait souvent me voir avec Aaron dans les jours qui venaient, comme je l’avais expliqué à Armin. Je ne voulais plus le faire souffrir ou le rendre jaloux. Je voulais lui dire banco qu'Aaron ne signifiait rien pour moi.


- Mes parents m'ont surprise avec Aaron, hier. J'ai couché avec lui.


Il ne réagit pas. Visiblement, il avait été mis au courant par Rosa et/ou Alexy.


- Et ils ont directement pensé que lui et moi étions en couple, alors que je n'éprouve strictement rien pour ce garçon. Ils n'ont aucune idée que je change de partenaire sexuel comme de chemise. Ça va te paraître stupide, mais Aaron va donc se faire passer pour mon copain le temps que...

- Pourquoi tu fais tant d'efforts pour te camoufler, soudainement ? me coupa-t-il.


Son ton était impassible, impénétrable, indéchiffrable. Lysandre ne me laissait deviner ni ce qu'il pensait, ni ce que cet aparté lui faisait éprouver.


- Tu vois, c'est ça le truc. Cette poker face. Ça fait quelques temps que tu arbores cet air tiède : tu n'as l'air ni indifférent à moi, ni intéressé. Et ce que j'ai immédiatement conclu de ce stoïcisme c'est que j'étais pas si importante que ça à tes yeux. 

- Puis tu as lu ces vers que tu as inspirés, et tu as compris que je suis plus que dépendant de toi.


Il fit un pas vers moi, j'en fis un en arrière.


- Et maintenant, c'est toi qui es distante. 

- J'ai compris que ce dilemme entre Armin et toi ne fait pas souffrir que lui, et j'ai décidé de prendre des gants, expliquai-je.


Je n'osais pas soutenir son regard pénétrant. Il était comme à nos débuts, il respirait l'attraction.


- Tu penses vraiment que prendre ton bain en maillot et t'enrouler dans une serviette dès que tu sors de la baignoire va m'empêcher d'admirer le reste ?


Il passa ses mains sur mes épaules et remonta le long de mes clavicules.


- Je pourrai toujours regarder ton port de tête impérieux si tu décides de ne pas couvrir cette partie de ton corps.


Ses doigts caressèrent lentement mon échine. Je mordis ma lèvre inférieure et détournai la tête. Il recommençait ce jeu, ce jeu où il gagnait et où je perdais. 


- Et si tu enfiles l'un de tes pulls Carven ou Isabel Marant, je pourrai toujours contempler la prestance de ta nuque, la finesse de ton cou.


Il prit mon menton pour rediriger mon visage vers lui. 


- Et même si tu te cachais intégralement sous une couette, Aurore, tu m'inspirerais toujours des pensées aussi peu châtiées, mes vers à ton propos respireraient toujours autant le désir. Je bous pour toi depuis que mes iris ont croisé ce halo rutilant qui te sert d'aura.


Je secouai imperceptiblement la tête, yeux fermés pour ne pas le voir. Je ne voulais plus sentir cette impuissance devant la tentation qu'était Lysandre, plus maintenant qu'il y avait Armin. 


- Ta simple existence bouleversera ma vie pour toujours, elle a déjà renversé tous mes sens pour qu'ils ne se résument plus qu'à trois des péchés capitaux : la gourmandise, l'envie et la luxure. Et malgré tous tes efforts...


Il releva encore un peu mon menton, et je rouvris les yeux. Ces iris passionnées, cette conviction en ce qui sortait de cette bouche éloquente, cette bouffée d'émotions et de désir, cette sincérité qui émanait de ce visage mirifique, me firent me détester de l'avoir coincé dans mes filets indécis.


- ... malgré tous tes efforts, je continuerai à te dévisager et t'envisager.


Lysandre glissa doucement ses mains vers le haut de ma serviette.


- Tes résolutions de pudeur auront pour seul effet de m'ôter le privilège de voir dénudée l'intégralité de cette oeuvre d'art qu'est ton corps.


Il détacha les pans de la serviette de bain pour la laisser tomber à terre. Mes yeux ne pouvaient pas quitter les siens. Je le suppliais du regard d'arrêter, sans que mes mains parviennent à le stopper. Les mots que j'avais lus sur cette feuille froissée n'étaient que miettes comparés à ce que Lysandre était en train de me déclamer. 

Je sentais dans ma poitrine une insupportable sensation de brûlure, comme si je saignais de l'intérieur. Mon coeur ne répondait plus de rien, il ne m'obéissait plus. 


- Mes instincts artistiques sont plus que comblés par cet inaccessible que tu incarnes, par ton indécision si fertile aux vers torturés. Mais mon âme toute entière rêve de t'embrasser sans s'arrêter et de te faire lentement l'amour avec les fenêtres ouvertes.


Il s'approcha un peu plus et glissa ses mains derrière ma nuque. Ses doigts défirent mon chignon approximatif pour laisser mes cheveux retomber sur mes épaules. J'étais encore paralysée, comme lors de nos tête-à-tête vertigineux dans sa chambre à Sweet Amoris. Mon corps était hypnotisé, Lysandre m'ensorcelait encore plus qu'auparavant. Et j'avais beau faire tout ce que je pouvais pour me ressaisir, j'étais contrainte à rester passive.

Il passa ses mains dans les longueur de mes cheveux pour les aérer.


- Mais puisque je dépends de toi, ce sera toi qui décideras de l'allure et de la fréquence de nos ébats.


Lysandre utilisait le futur, comme s'il était convaincu que je finirais pas craquer. Il n'avait pas l'espoir mais la certitude que nous finirions ensemble.


- Ma seule condition, murmura-t-il dans mon oreille, est que je pourrai embrasser chaque recoin de ta peau sans modération.


Faisais-je un rêve similaire à celui avec Armin ? Ce souffle ardent contre ma peau était-il le fruit de mon subconscient ? 

Cette fois-ci, j'aurais tout donné pour que ce moment n'existât que dans mon imagination.


- Tu vois Aurore, tu as voulu cacher ton corps pour me délivrer de mes désirs, mais le seul moyen d'y parvenir serait au contraire de t'offrir à moi.

- Lysandre...

- Et t'entendre prononcer mon nom me fait l'effet d'une plume caressant mon échine comme d'une aiguille la transperçant cruellement.


Il enfouit sa tête dans mon cou et déposa des baisers aériens juste au-dessus de mes clavicules. Il connaissait chacun de mes point faible, il avait cet avantage sur Armin. Il m'avait connue sensuellement avant tout.


- Ose me dire que tu ne meurs pas d'envie de craquer, frémit-il contre ma peau.


Sa main gauche parcourait mes cheveux, la droite caressait mon bras paralysé par mon désir inassouvi.


- Pourquoi renier cette attraction entre nous, Aurore ? Tu me fais me consumer à chaque fois que tu expires. Tu respires le chaste comme le bestial. Et même si tu sais à quel point tu es sublime, je suis convaincu que tu n'as aucune idée de l'érotisme indécent que dégagent à eux seuls tes lèvres et ton regard.

- La suite c'est que « sans mentir, mon ramage se rapporte à mon plumage » ? parvins-je à murmurer en guise de parade.


Lysandre fendit son visage de l'un de ses sourires séraphiques. 


- Tu mimes la froideur et la distance d'une reine des glaces... Mais je sens à travers ta peau maculée d'encre une chaleur brûlante. Ce sarcasme que tu viens de lancer m'est apparu comme un gémissement.


Il approcha son visage du mien et posa ses yeux sur mes lèvres. Ses mains encerclant ma taille étaient comme le soutien qui m'empêchait de tomber de fatigue. La lutte que je menais contre moi-même était un vrai supplice. 


- Tu émets parfois des appels à l'aide déguisés comme celui-ci. Tu crèves d'envie de craquer, mais tu en es incapable. 


Il frôla furtivement mes lèvres avec les siennes.


- Alors tu nous supplies de craquer pour toi. »


La tête de Lysandre esquissa un mouvement vers la mienne, comme s'il allait m'embrasser. Mais il la retira au dernier moment. Je retins mon souffle. Il mordit sa lèvre inférieure et me jeta un regard qui respirait le danger.

Ses mains agrippèrent ma taille. Je l'implorais du regard de stopper cette torture dont je me voulais de me délecter. Mon intuition savait ce qu'il s'apprêtait à faire.


Lysandre s'abaissa doucement devant moi, embrassant au fil de sa descente lancinante le creux de ma poitrine encore couverte par mon maillot de bain, caressant de ses lèvres mes côtes, puis mon ventre, jusqu'à se retrouver accroupi devant moi. Il embrassa le bas de mon ventre tatoué et leva son visage pour me sonder du regard sans vraiment me demander la permission. Mon silence et mon inaction répondaient pour moi. 


Qui ne dit mot consent.


Au son délicieusement assourdissant de Limo Wreck de Soundgarden, j'oubliais totalement la présence du rival de Lysandre Mogarra dans la pièce d'à côté, et plongeai mes doigts dans les cheveux de mon quasi-amant pendant qu'il enfouissait son visage entre mes cuisses.



***




Il n'avait pas le droit de faire ça. 


« Pourquoi elle est à moitié à poil, la tatouée ? s'enquit Castiel en me voyant sortir de la salle de bain. Ah ouais, j'oubliais que c'est la soeur de cette nudiste de Dawn...


Je n'osais même pas croiser le regard d'Armin. Après ce que Lysandre venait de me faire vivre, le frisson que je ressentais semblait greffé à ma peau ad vitae aeternam. Ce bourreau m'avait donné un avant-goût de ce que seraient des ébats avec lui, et c'était cruellement divin.


Le trouble m'avait fait m'abandonner à lui avec docilité. Et quand j'avais atteint le paroxysme du plaisir sous ces baisers lubriques, tout ce qui m'importait avait été de quitter cette salle de bain au plus vite, parce que je suffoquais.

Sans même penser à rattacher mes cheveux ou remettre ma serviette de bain pour limiter les soupçons, j'avais regagné la salle principale de la suite. Remettre le bas de mon maillot avait été ma seule précaution, mais elle était insuffisante. Armin était certainement en train de s'imaginer un tas de choses en me voyant revenir dans cet état. Et il avait en partie raison. Les baisers de Lysandre avaient été tout sauf chastes.


Rosa éteignit la chaîne Hi-Fi, comprenant qu'il n'y avait plus rien à couvrir avec de la musique. Elle me regardait fixement, avec un sourire d'une indiscrétion flagrante. Alexy scrutait quant à lui son frère, dont je n'avais toujours pas vu l'expression.

Castiel s'empara du paquet de Pringles du jumeau aux cheveux azur en observant ma poker face bancale, ainsi que Lysandre qui sortait à son tour de la salle de bain. Il enfourna une poignée de chips dans sa bouche avec un air fasciné, comme si c'était du pop-corn et qu'il regardait un film.


- Ah oui Aurore, je t'ai prévu une interview avec Marius Heizmann en début d'après-midi.

- Ah. D'accord...


Encore sous le choc de mes propres actes, j'enfilai rapidement un pull bleu pervenche Emilia Wickstead et un jean noir.


- ... Hein ?! fis-je en réalisant ce que Leigh venait de m'annoncer.

- Tu passes te faire habiller à 9h00 par mes stylistes dans ma suite, puis au maquillage dans la suite d'à côté.

- Pourquoi JE dois donner une interview au journaliste le plus influent de toute la sphère de la mode ? m'enquis-je. T-tu veux que je lui dise quoi ? Que Peggy Shapiro a écrit des dizaines d'articles bidons sur ma vie sexuelle ?

- Et comment ça « ta suite », Leigh ?! s'indigna Rosa. Pourquoi t'as eu droit à une suite personnelle alors qu'on doit partager une baignoire à cinq ???


Leigh esquissa un sourire et se servit un verre de rouge.

Boire du vin à 8h du matin... Je n'étais officiellement plus la pire des alcooliques de cette ville.


- Dawn donnera son interview juste après toi, et Rosa suivra. Une poignée d'autres mannequins vous imitera demain.

- ... Mais pourquoi ?! persistai-je.

- Si je veux pouvoir humilier cette horreur marketing, cette honte de l'industrie de la mode et de la lingerie qu'est Victoria's Secret, je dois jouer leur jeu et présenter au grand public les visages qu'il va voir défiler dans trois jours. Il faut que les gens vous connaissent pour qu'en vous voyant sur le podium ils n'aient pas l'impression d'être devant des complètes inconnues.


Je clignai frénétiquement des yeux. « Humilier Victoria's Secret » ? Ce défilé se transformait en déclaration de guerre ?


- Pourquoi tu ne te contentes pas de faire un show comme les autres avec des mannequins blasés et des vêtements farfelus ? lança Castiel.

- Parce que ça fait trois ans que je prépare cette collection pour que tout soit parfait. J'ai à peu près trois fois plus de tenues qu'en a proposé le dernier défilé de Maria Grazia Chiuri, j'ai trimé pour arriver à me faire parrainer si jeune par Franck Sorbier pour avoir une chance d'obtenir un jour l'appellation officielle de « haute-couture », j'ai tous les plus grands influenceurs qui vont occuper le premier rang, et j'en ai MARRE de voir les story Snapchat de ces cruches de Victoria's Secret qui se pavanent toute la journée du défilé dans leurs peignoirs roses ignobles.


Il but une nouvelle gorgée de vin. 

Leigh avait beau avoir pour mères Vicky et Diana Mogarra, deux célébrités du domaine, s'il en était arrivé là c'était par passion. Il avait un amour quasi charnel pour chaque tissu dans lequel il plantait une aiguille. Il voulait remettre les pendules à l'heure et rappeler au public que la mode était de l'art, et pas une machine à sous.


- J'adore cette idée, déclara Alexy en se servant lui aussi un verre de rouge.

- Eh ben, y’en a pas un qui soit normal, ici, lança Armin. Je vais me doucher chez Pierre. Au moins sa baignoire n’est pas plantée au milieu de sa suite…

- Profites-en pour dire à Pierre, ainsi qu'à Nathaniel si tu le croises, de me rejoindre dans la suite 515 dans une demie heure. Et tu viendras aussi. Séance de retouches.

- Oh, des retouches, enfin un peu de nouveauté ! railla le geek. 


Il attrapa une serviette à côté de la baignoire et nous faussa compagnie, m'ignorant complètement au passage.

Mais ses yeux avaient viré au pétrole. Ils le trahissaient à nouveau : Armin avait plus au moins compris ce qui s'était passé entre Lysandre et moi. La veille, l'alcool nous avait fait nous comporter comme si rien ne s'était envenimé entre nous. Il avait enfin oublié son rival, grâce au whisky. Cette complicité lui avait fait croire qu'il avait gagné. Et, par ce simple geste qu'était celui de me prendre la main, il me montrait qu'il avait décidé de ne plus se défiler, contrairement à ce qu'il m'avait fait comprendre après que je lui ai plus ou moins posé un ultimatum en lui apprenant que j'avais couché avec Aaron.


Mais ma faiblesse face à Lysandre m'avait fait lui donner une douche froide. Armin s'était réveillé, il avait dessoûlé, et il devait se confronter au scénario qu'il redoutait depuis des semaines. Il avait la nette impression que je me jouais de lui.


- Quand il saura que lui aussi doit donner une interview tout à l'heure... s'amusa Leigh une fois Armin parti.


Le créateur frappa dans ses mains et se para de son air le plus affairé.


- Allez, tout le monde évacue cette suite étrangement propice au ménage à plusieurs. Aurore : habillage dans la suite 515 puis maquillage dans la 514 et photos dans la 516. Rosa et Lysandre : retouches dans la 515. Alexy : tu viens aider mes couturiers à transporter les tenues là-bas. Et toi, Castiel : coiffure dans la 514 aussi. 

- Il y a combien de suites dans cet hôtel ? fit Alexy en écarquillant les yeux.

- 140, répondis-je en même temps que Castiel.


Je lui jetai un regard étonné. Comment savait-il ça ? L'hôtel Talba était un 5 étoiles, et il n'avait aucune chambre mais seulement des suites hors de prix, pour que seuls les plus riches puissent y séjourner. Viktor avait voulu s'assurer que les classes moyennes ne puissent pas se permettre de venir ici. Cet hôtel devait être un QG pour millionnaires. Et, à moins qu'il m'eut encore mieux caché son jeu que prévu, Castiel n'était pas millionaire. 

Il était certainement déjà venu quand il était avec Dawn. Leur histoire avait l'air bien plus sérieuse que je me l'étais figuré.


- Allez, on s'active ! insista Leigh. Et ne cherchez pas à m'apitoyer avec ces mines de chiens battus : j'ai atteint le paroxysme de la non-empathie. »




***




Si on m'avait dit que je passerais un jour au maquillage avec Castiel et des mannequins anorexiques...


J'avais au moins 10 kilos de fard à paupière cuivre sur les yeux, mes cheveux étaient piégés dans de gros bigoudis, et surtout, on m'avait mis une espèce bavoir beige autour du cou pour que la peinture que le maquilleur me mettait sur la figure ne vienne pas maculer la robe en vinyle qu'on m'avait fait enfiler.


« Attention, Aurore, il ne te manque plus que des bas de contention et un pacemaker pour ressembler à ma grand-tante Hermine.

- Castiel, tu es en train de te faire faire un balayage, lui rappelai-je. Alors évite de la ramener, à moins que tu aies envie que je t'étouffe avec la crème décolorante badigeonnée sur les deux tiers de ta tête.

- Pourquoi les Kruger sont-elles si agressives ? Pierre Barma n'aurait pas des Xanax pour toi, au milieu de son attirail de pharmacie ? Je dis ça parce qu'une fille normale serait bien plus sympathique avec moi si on lui offrait la chance d'être assise à mes côtés pendant plus d'une heure.


Je levai les yeux au ciel. Quelqu'un sonna à la porte de la loge maquillage improvisée.


- Room service, annonça une femme de chambre en poussant devant elle un chariot recouvert par une nappe blanche et des plats sous cloche.

- Enfin ! m'exclamai-je. Je meurs de faim, venez garer ce merveilleux truc juste... ici.


L'employée avança son chariot à l'endroit que je lui indiquai, c'est-à-dire face à moi. Je fis signe au maquilleur de me lâcher cinq minutes et m'emparai de l'une des trois grosses assiettes de viennoiseries et de pâtisseries que j'avais commandées.


- Attention au blush ! grogna le maquilleur en me voyant croquer dans un énorme pain au chocolat.

- Ben désolée, mais j'ai rien mangé depuis 24h et il faut bien que ce bavoir serve à quelque chose. Touche pas à ça, toi !


Je mis une tape sur la main de Castiel, qui tentait de me piquer un donut au chocolat.


Ma mère fit son entrée dans la pièce, faisant claquer à chaque pas le talon de ses escarpins sur le parquet à chevrons.


- Ma fille compte devenir obèse juste avant le défilé, railla-t-elle en me piquant un croissant. J'ai toujours su que tu étais réfractaire aux normes.


Castiel détailla Hannah de bas en haut, assez étonné. C'était donc elle, la mère de sa bien-aimée Dawn, un sosie d'Aurore Kruger en plus vieux avec des boucles d'oreilles Dolce & Gabanna et du rouge à lèvres carmin ?


- Tu chais très bien que che grossis pas, répondis-je la bouche pleine.


Trois mannequins maigrichonnes qui se faisaient coiffer au bout de la pièce me lancèrent un regard à la fois envieux et noir de haine.

Je culpabilisai à peu près trois secondes, puis décidai que ce n'était pas ma faute si j'avais un métabolisme aussi rapide. Je me remis alors à déjeuner sans remord.


- J'ai jamais vu quelqu'un manger avec autant d'amour, fit une voix depuis l'entrée. Je vais finir par être jaloux.


Oh non…

J’avalai précipitamment la bouchée de pain au chocolat que je venais de prendre.


- Aaron ! m'écriai-je en tentant d'avoir l'air le plus joyeux possible.


Mon faux petit-ami s'avança et m'embrassa sur les lèvres pour me saluer. Hannah s'approcha de lui et glissa son bras au creux de son coude. Ma mère et son faux gendre étaient bras-dessus, bras-dessous devant moi qui me goinfrais à côté d'un Castiel qui se faisait faire des mèches. C'était surréaliste.


- On comptait t'inviter à bruncher avec nous et ton père tout à l'heure, m'expliqua ma mère.


« Nous et ton père » ? Il avait suffi d'une seule soirée à Aaron pour sympathiser avec mes deux parents qui étaient drastiquement différents dans leurs interactions sociales ?

Je lui jetai un regard interrogateur auquel il me répondit par un clin d'oeil malicieux. Il allait beaucoup plus vite que prévu... À cette allure-là, Hannah et Willem allaient organiser un mariage dans une semaine. Dans quoi m'étais-je embarquée...


- Alors là, j'ai dû en louper une belle, s'amusa mon voisin de fauteuil. Le triangle amoureux s'est transformé en joli petit carré...

- Toi tu la fermes, murmurai-je entre mes dents dans un sourire forcé.


Aaron détailla Castiel du regard quelques secondes, avant d'être pris par un rire moqueur. Mon voisin de fauteuil avait des feuilles de balayages maintenues par des barrettes un peu partout sur sa tête, et portait une sorte de poncho de coiffure noir en nylon.


Cast' grimaça à l'attention de mon copain factice, mais retrouva une expression normale dès qu'il entendit Hannah s'adresser à lui.


- Tu es bien Castiel ? s'enquit ma mère. Tu te joindrais aussi à nous ce midi ? Rien n'est mieux qu'un brunch à l'hôtel Talba sans Viktor Talba.


Pitié, pas les brunch de l'hôtel... C'était toujours un assommant repas de trois heures avec cinquante couverts pour chaque personne.


- C'est Dawn qui vous a parlé de moi ? demanda le guitariste en peinant à cacher l'once d'espoir qui venait de fleurir en lui.

- Hum... Non, pas que je sache. Dawn viendra, mais c'est Ruben qui m'a demandé de t'inviter. Il a mis un point d'honneur à ce que tu sois présent, alors je m'exécute. Après tout, c'est le patron : il possède la moitié de cet hôtel... et la moitié de tout ce qui existe, en fait.

- Dont l'âme de Castiel, lançai-je sans qu'il n'entende.


Ce dernier se renfrogna légèrement en apprenant que ma soeur n'en avait toujours rien à faire de lui, mais il restait satisfait. Il avait la preuve que Ruben paierait sa dette. S'il avait su que Dawn avait couché avec Nathaniel...


Aaron se pencha vers mon oreille.


- Moi, c'est ton père qui a insisté pour que je vienne, me murmura-t-il. Et je préfère te prévenir, mais ta mère a invité Arm...

- J'ai aussi croisé ton ami Armin dans le couloir, fit Hannah. Il a eu la gentillesse de me tenir compagnie hier soir, et pour le remercier je l'ai aussi convié au brunch.


Alors que je m'apprêtais à croquer dans un croissant, je m'arrêtai net. Entendre ce nom me faisait me sentir bien trop coupable, ça me coupait l'appétit. Et le pire, c'est que je ne savais pas pourquoi je m'en voulais.


Et puis comment ça, Armin avait « tenu compagnie » à ma mère ? Qu'est-ce qu'il avait bien pu lui raconter ?!


L'ex de ma soeur décida de renchérir.


- Je vois que tout le monde a choisi son invité, lança Castiel. Et puisque le restaurant de cet hôtel est très spacieux, j'imagine qu'il y aura assez de place pour que j'amène Lysandre ?


Je lui assenai un coup de coude discret mais efficace dans la côte.


- Tu veux ma mort ? lançai-je pendant qu'il étouffait un petit cri.

- Après ce que vous avez l'air d'avoir fait tout à l'heure dans la salle de bain, ce serait impoli de ta part de le mettre à l'écart : il faut quand même que tu fasses face à tes responsabilités, fillette. Et puis ça t'apprendra à ne pas partager avec moi ton petit déjeuner de boulimique.


Heureusement que les maquilleurs et les coiffeurs qui s'affairaient autour des autres mannequins étaient assez bruyants pour couvrir sa voix.

Je reposai mes viennoiseries sur le chariot, peinant à masquer mon désarroi. Tout le monde était décidé à me faire vivre un enfer.


- J'ai plus faim, déclarai-je. Régale-toi. »




***




C'était donc ça, la suite de Leigh ? L'immense pièce était totalement vide de meubles, seul un grand tapis blanc habillait le parquet en chêne. Des mannequins y défilaient pendant que le grand frère de Lysandre les observait attentivement.


« Allez, allez mes belles, fit le couturier en tapant dans ses mains. Vous aurez tout le temps de dormir quand vous serez mortes. La pause café de Vicky ne vous autorise pas à vous relâcher.


Vicky Mogarra supervisait donc l'entraînement de ces dizaines de mannequins...

De part et d'autre de ce tapis improvisé en podium, des couturières étaient accroupies autour de tabourets sur lesquels se tenaient Armin, Lysandre, Nathaniel, Dawn, Pierre, Rosa et au moins trente autres mannequins que je n'avais jamais vus. Les tenues, tout bonnement sublimes, recevaient leurs dernières retouches. Mais mes camarades de classe, sauf bien sûr Rosa qui avait décidé de ne plus avoir besoin de dormir jusqu'au défilé, affichaient tous une mine rabougrie et dormaient à moitié debout.


- On dirait un peloton d'exécution, commentai-je en les saluant de la main.

- Aurore, t'es beaucoup trop canon, fit Alexy en poussant un portique de vêtements jusqu'au bout de la pièce. Je vais virer de bord, c'est imminent.


Je le remerciai par un sourire crispé, étonnée qu'il ne m'ait pas attrapée par le bras pour me sermonner vis-à-vis de mon craquage avec Lysandre au lieu de me complimenter sur la mise en beauté qu'avaient opérée sur moi les maquilleurs et coiffeurs de Leigh.


L'intervention d'Alexy avait fait se tourner vers moi la moitié des personnes présentes. 

Je sentais le regard pénétrant de Lysandre me détailler sans discrétion. Quant à Armin, il fixait le mur à 50m face à lui, imperturbable, pendant que deux couturières s'affairaient au pied du tabouret sur lequel il se dressait. Je vis distinctement sa mâchoire se contracter alors qu'on me faisait d'autres compliments que je n'écoutais même plus, à propos de ma coiffure, de ma ligne, de mon fard à paupière ou encore de mon teint.


- Non, non, non cariño, s'agaça subitement une voix dans mon dos. Elles font n'importe quoi.


Tasse de café Lavazza à la main, l'intervenante fit claquer sa langue et avança rapidement jusqu'au tapis sur lequel les mannequins défilaient. Ses jambes moulées dans un jean skinny brut étaient tellement interminables qu'en comparaison les filles qui défilaient ressemblaient plus à Tyrion Lannister qu'à des mannequins.


- Leigh, dis à ces godiches que si elles continuent d'imiter l'étrange démarche de Gigi Hadid, je les vire et elles resteront bloquées aux portes du défilé avec les militants de la SPA.

- Adresse-toi à elles directement, Vicky, s'agaça Leigh. Il me semble qu'elles sont censées être employées par TON agence.


Je n'avais rencontrée qu'une seule fois Vicky Mogarra, la mère n°1 de Leigh et Lysandre, mais ça me faisait tout drôle de la voir porter autre chose qu'un peignoir. Elle m’était apparue comme une sorte de Dawn bis.


- Et puis j'ai autre chose à faire que leur apprendre leur itinéraire sur le podium... ou plutôt le tapis, ajouta Leigh en s'éloignant. Ah ! Aurore !


Je sursautai en l'entendant m'appeler. Il lissa avec ses mains le bas de la robe fourreau en vinyle mauve que les habilleuses m'avaient fait enfiler avant que je passe au maquillage. Cette robe était tellement serrée que j'avais du mal à marcher sans faire de tout petits pas comme Zahia.


- Je meurs de chaud, déclarai-je dans un sourire volontairement forcé.

- Mais tu es divine et c’est tout ce qui m’importe, commenta-t-il. Il te faut une ceinture.


Il partit fouiller dans un bac entre deux portants garnis de vêtements.


- Mario est arrivé ? demanda Vicky en continuant d'inspecter la démarche des mannequins.

- Il est dans la suite d'à côté avec Diana qui servira de traductrice, répondit Leigh. Aurore, tu les rejoins dans cinq minutes. Dawn dans une heure, et Rosa dans deux heures.


Je haussai un sourcil. « Mario » ? Une traductrice ?


- Mario Testino ! s'exclama Leigh devant ma mine perplexe. 

- HEIN ?! fis-je à l'unisson avec Rosalya, Dawn et Alexy.


Rosa manqua de tomber du tabouret sur lequel elle se tenait debout. Visiblement, je n'étais pas la seule à tout juste apprendre que Mario Testino était ici. J'allais me faire photographier par l'un des plus grand photographe de mode du 21e siècle ? Moi ?


- Raaah les filles ! explosa Vicky à l'attention de ses mannequins. Qu'est-ce que c'est que cette démarche de vierges effarouchées ? Je m'ennuie presque autant qu'à l'époque où je croyais en Dieu. 

- Hors de question que je me fasse photographier par Testino alors qu'on dirait que mon visage s'est battu avec mon mascara et qu'ils ont tous les deux perdu, déclara Dawn.


Elle écarta les couturières à ses pieds et descendit du tabouret. 


- On n'a pas fini les retouches ! protesta l'une d'entre elles.


Dawn, alors qu'elle portait seulement une guêpière en satin bleu roi et des porte jarretelles, quitta majestueusement la suite pour se diriger vers la loge coiffure-maquillage.


Si elle avait su qu'elle allait s'y retrouver nez-à-nez, et dans cette tenue, avec Castiel qui était encore en train de se faire faire son balayage...


- Est-ce que ce serait possible de passer en position allongée ? bailla Pierre Barma.

- Non. Ça vous apprendra à vous coucher quasiment à l'heure où vous êtes censés vous lever, fit Leigh. À partir de maintenant et jusqu'au défilé, c'est couvre-feu à 23h pour vous tous et réveil à 7h.

- Okay mais sur quel fuseau horaire ? lança Armin.


Leigh trouva finalement la ceinture parfaite dans le bac à accessoires. Il vint me nouer autour de la taille la bande de cuir écaillé vert sapin.


- Mario va t'adorer. 


Vicky brailla quelque chose sur les pauvres mannequins qu'elle maltraitait depuis qu'elle était arrivée. Après deux autres minutes de dictature, elle leva les yeux au ciel et se dirigea vers son fils ainé et moi d'un air dépité.


- À croire que ces filles ont appris à défiler avec une troupe de transformistes, soupira-t-elle. Vous êtes beaucoup trop expressives, hein. Vivement le botox.

- Là, j'en ai ma claque, déclara l'une des filles qui défilait.


Maman Mogarra fit volte-face pour voir laquelle des employées de son agence osait se rebeller. Le mannequin à la peau cannelle et aux yeux turquoise libéra ses longues ondulations brunes de l'élastique qui les maintenait en une queue de cheval serrée. Elle enleva rapidement ses escarpins et les prit dans sa main tatouée de henné.


- Vous êtes au courant que l'esclavage a été aboli ? ajouta-t-elle. Tenez, je vous rends ces machines de torture médiévales.


La réfractaire au physique oriental lança ses chaussures à talons à Vicky et se dirigea vers la porte de la suite.


- Trina, tu retournes tout de suite sur ce tapis et tu mets de côté ta crise d'ado jusqu'à ce qu'on ait fini, se lassa Vicky.

- Moi c'est Priya, corrigea le mannequin au bindi rouge. Et je vais plutôt aller me commander un cocktail au bar et utiliser mon contrat Romy Agency comme sous-verre.

- Je viens avec toi, l'imita une autre fille.

- Moi aussi, fit une autre. Y'en a marre de se faire traiter comme du bétail.


Vicky ne vit même pas que tous les autres mannequins qui s'entraînaient à défiler étaient en train d'enlever leurs chaussures inhumainement hautes pour partir. Elle suivait du regard l'inquisitrice de la mini-révolution, sans pour autant s'énerver. 


À croire que cette femme était aussi je-m'enfoutiste que mon père...


- Qu'est-ce que t'as fait ?! lui lança un Leigh désemparé. T'as déjà réussi à faire fuir tous les mannequins ? Ils ont mis quoi dans ton café ?! Du crack ?!!!

- Mais elles peuvent toutes sauter par la fenêtre pieds joints si elles ont envie, rétorqua Vicky dans un rire, Romy Agency en a au moins 150 comme elles. C'est l'indienne qui doit rester.

- « L'indienne » ? répéta Priya dans un sourire en coin. Sérieusement ?


Elle ouvrit grand les portes de la suite et se décala pour faire sortir les autres mannequins.


- Está insoportable niña es la hermanita de Imran Salman, soupira Vicky à l'oreille de Leigh.

- C'est la petite soeur d'Imran Salman ?! s'exclama ce dernier.


Euh... qui ?!


- Ne vous étonnez pas, majesté, si mon frère et tous les photographes qu'il est censé rameuter sèchent le défilé en apprenant que j'ai démissionné parce que je me fais maltraiter.


Sur ces mots, Priya Salman fit une révérence à Vicky Mogarra et ferma le cortège de mannequins pieds nus, claquant derrière elles les portes de la suite.


- Y cómo podía saber que se rebelaría ? Elle avait l'air aussi cruche que les autres, il aurait fallu être devin pour s'attendre à ce qu'elle se transforme en Charles de Gaulle.

- Pourquoi tu ne m'as pas dit que la petite soeur du Ruben indien était planquée parmi tes mannequins ?! explosa Leigh. 

- Je peux aller lui parler, intervint Lysandre en descendant de son tabouret. Mes retouches sont terminées.


Vicky haussa les épaules et s'alluma une cigarette. Elle inspira une bouffée et leva les yeux vers son fils aux cheveux ivoire.


- Qui a fait ça à ton oeil ? s'étonna la génitrice en expirant de la fumée dans ma figure.

- Eh ! protestai-je. Je suis pas une cheminée !


Leigh fulmina et leva les bras au ciel. Il prit sa mère par les épaules et la dirigea vers la sortie.


- Toi, Gainsbarre, tu vas fumer dehors, fit-il.

- Explique bien à cette enfant gâtée qu'elle n'aura pas de traitement de faveur parce que son frère est riche comme Crésus. … Cazada por la carne de mi carne...

- Ouais, c’est ça, lança Leigh, piñata et cucaracha.


Il referma les portes derrière elle et se tourna vers Rosalya.


- Je t'avais dit que t'étais nulle en camouflage ! lâcha Leigh. Lysandre, hors de question que tu ailles jouer les diplomates à ma place. Tu passes au maquillage pour réparer ce nuage couleur aubergine autour de ton oeil. Aurore, tu...


Leigh s'interrompit pour me détailler de bas en haut.


- Qu'est-ce que tu fiches encore ici ?! reprit-il. Tu veux que Mario Testino nous lâche pour cet abominable Martin Margiela ?

- Mais tu...

- Allez, allez ! me coupa-t-il. Suite 516, tu peux pas te louper, c'est littéralement à deux pas.


Il me donna une petite tape sur les fesses. J'ouvris une bouche indignée et me dirigeai vers la sortie.


- Et moi, je vais récupérer Ganesh, déclara-t-il en partant à la recherche de Priya. »




***




« Mes filles viennent de se faire photographier par Mario Testino, fit ma mère dans un soupir de satisfaction. Prends-ça, Yolanda Foster !

- Et je n'ai aucune idée de qui elle veut parler, lança calmement mon père.


Il engouffra dans sa bouche un morceau de pain de campagne avec du fromage aux truffes.


- Très réussi, ton balayage, Castiel, railla Aaron.

- Très réussi, ton jeu d'acteur, répliqua ce dernier.

- Oh, des fraises au chocolat ! m'exclamai-je.


Je donnai un coup de pied au tibia du guitariste, sous la table, avant de m'emparer de la petite assiette qui trônait au milieu des profiteroles. Nous étions arrivés au brunch moins de dix minutes plus tôt, mais cela avait suffi à Castiel pour balancer l'air de rien une bonne quinzaine d'allusions à mon faux couple avec Aaron Alami.


- Est-ce qu'il y a un seul aliment qui ne vaille pas plus cher que mon âme, ici ? pensa Armin à voix-haute en observant le contenu de la table.

- Non, railla Dawn. Et ce merveilleux champagne prouve bien que l'argent fait le bonheur.


Elle but alors une gorgée de Krug 1928.


- Si des billets suffisaient à acheter le bonheur, Adolf Merckle ne se serait pas jeté sous un train, fit sagement Lysandre.

- Peut-être que l'une de ses escort girls lui avait refilé la syphilis, lança Armin.


J'étouffai un rire. Lysandre jouait les parfaits petits gendres modèles depuis qu'il avait serré la main de Willem. Il ne devait pas se douter que ma mère, contrairement à ce dernier, avait une sainte horreur des lèche-bottes.


- Pourquoi les gens cherchent toujours à nier que l'argent ne fait pas le bonheur ? fit Lysandre.

- Parce que celui qui a dit ça ne savait pas où faire du shopping, répliqua ma soeur dans un rictus.

- Je me désolidarise de ces propos cupides, déclara Willem.


Mon père semblait oublier que son poignet était habillé d'une Rolex dont la brillance des diamants l'empêchaient quasiment de lire l'heure.

Et qui avait eu l'idée de placer Lysandre juste à côté de moi, et Armin pile en face ? Il m'était impossible d'éviter le regard du frère d'Alexy, qui semblait se demander à chaque seconde ce qu'il fichait à cette table de bourgeois.


Pourquoi Dawn avait-elle lancé ce sujet sur l'argent ? C'était super gênant.


- Leigh compte vraiment nous imposer un couvre-feu ? changeai-je de sujet.

- C'est pas plus mal, répondit ma mère. Comme ça, le foie étrangement étanche de mes filles connaîtra un peu de répit.


Comme si Dawn et moi ne buvions jamais le jour... 

Si elle avait su que je m'étais enfilé l'équivalent de trois très grosses bouteilles tout au long de l'après-midi...


- Je suis insomniaque, Hannah, lui rappela Dawn.

- Je suis certaine que le vieux couple Sherman de la chambre 107 sera ravi de nous prêter un Monopoly pour nous aider à t'occuper jusqu'à ce que tu tombes de sommeil, répliqua ma mère.

- Alors comme ça, vous jouez à des jeux capitalistes ?


Hannah, Willem, Lysandre et Castiel ne se privèrent pas pour rire allègrement à la blague d'Aaron. Wow, quel boute-en-train... 

Le garçon séraphique et l'ex de ma soeur avaient visiblement choisi une stratégie toute trouvée pour entrer dans les bonnes grâces de ceux qu'ils voulaient voir être leurs beaux-parents. Les imiter. 

En tout cas, ça fonctionnait avec mon père.


- J'avoue que c'est plutôt agréable de squatter l'hôtel Talba sans son horrible patron, déclara Castiel. D'ailleurs où est-il ? 

- Certainement en train de boire du Gin sur une île où la polygamie est autorisée, répondit ma mère. Mais... Je ne savais pas que tu étais déjà venu ici. Et comment tu connais Viktor ?


Castiel avait rencontré l'ignoble cousin de Ruben pendant sa relation avec Dawn ?!


- Oh, Dawn ne vous a pas dit que j'étais sorti av...

- Faites pas attention, l'interrompit ma soeur, il est déshydraté.


Elle se mordit la langue et lui tendit une bouteille d'eau avant de lui assener un coup sous la table. Armin et Aaron réprimèrent un sourire. Lysandre, qui ne m'avait pas quittée des yeux, glissa sa main sous la nappe et caressa doucement la mienne. 


Armin nous observa quelques secondes, et lorsqu'il comprit ce qui se tramait, il retrouva cette dureté dans son regard. J'extirpai ma main de l'étreinte de Lysandre et la replaçai au-dessus de la table.

Comment mes parents faisaient-ils pour ne se rendre compte de rien ?!


- D'ailleurs, fit mon père, grâce à ce défilé il y a enfin de nouvelles têtes ici. J'ai cru voir Diana Mogarra sortir de l'ascenseur tout à l'heure.

- C'est probable puisque ma mère est en ce moment même avec Mario Testino et Rosalya dans la suite 516. Cette dernière doit d’ailleurs être surexcitée par cette entrevue.


Willem adressa à Lysandre un sourire intrigué.


- Tu es le fils de Diana et Vicky ?


Armin leva les yeux au ciel. Il se mit à observer les neuf couverts autour de son assiette en se mordant la langue, comme s'il cherchait quel couteau servait à se suicider.


- Et le frère de Leigh, compléta Lysandre. 

- Tu ne connais pas Yolanda Foster mais tu connais Romy Agency, Willem ? s'amusa Dawn. C'est déjà ça...

- Je pique parfois les magazines d'Hannah, avoua mon père. Oh mais ne riez pas, voyons... C'est plutôt pratique d'en avoir toujours un sur soi dans le taxi en cas de bouchons.


Et j'avais cru comprendre que Vicky et Diana Mogarra étaient régulièrement en première page.


- Vicky a l'air bien plus calme sur papier glacé, avoua le garçon séraphique.

- Peut-être parce qu'un magazine ne peut pas brailler en espagnol sur des mannequins.


Lysandre fit mine de prendre cette pique d'Armin comme une gentille boutade et esquissa un sourire fair-play. Mais en réalité, il comptait lui rappeler qu'il avait bien plus de matière que lui pour impressionner son interlocuteur.


- Diana est encore pire que Vicky quand elle s'énerve dans sa langue maternelle, renchérit Lysandre. Il faut dire que le russe n'est pas la langue la plus engageante.

- Ravie de voir que Willem et moi ne sommes pas le couple multiculturel le plus improbable de cet immeuble.

- Un descendant de nazi avec une héritière de rescapés de la Shoah reste toujours plus insolite que deux lesbiennes bien habillées, répondis-je à ma mère.


Aaron ouvrit grand ses yeux noisette. Il était le seul à ne pas être au courant de l'étrange arbre généalogique des Kruger, puisqu'il n'avait pas été présent à la soirée de Nathaniel où j'avais tout raconté.


- Donc tu es trilingue ? demanda mon père à Lysandre, qui acquiesça humblement.

- Quel menteur, le dénonça Castiel. Ce faux modeste parle quatre langues, voire cinq. Diana est mi-italienne, mi-russe, et Lysandre est un surdoué en anglais.


Cinq langues ?! Comme quoi, Lysandre avait passé bien plus de temps à me faire parler de moi qu'à me parler de lui.


Mon père eut une moue impressionnée à laquelle le garçon séraphique répondit par sourire qui aurait pu faire fondre le plus viril des boxeurs. Génial, Willem était en train de tomber amoureux de lui...


- Ça a ses inconvénients, fit Lysandre en se servant du vin. Parfois, je rêve en russe. Et dans cette langue, même les scènes les plus candides peuvent avoir l'air de sortir tout droit d'un film d'Eisenstein.


Willem éclata de rire. Ce n'était pas compliqué de se faire apprécier par mon père, mais Lysandre se l'était mis dans la poche en un clin d'oeil.


- Armin, l'interpella ma mère alors qu'il fixait Lysandre avec une grimace de dédain. Du caviar ?


Il examina cette main baguée d'un immense saphir, qui lui tendait un support en cristal sur lequel, au milieu d'un lit de glaçons, trônait un petit écrin rond rempli de minuscules oeufs noir. 


Armin, hésitant, saisit l'étrange met et le plaça devant lui.


- Est-ce que je vais me transformer en Ivanka Trump si j'accepte de manger ça ?


Hannah esquissa un sourire bienveillant et finit son verre de Krug. 


Je la toisai avec surprise. Ma mère avait passé les 17 années de ma vie à parler procès, plaidoiries, baux immobiliers et communauté réduite aux acquêts, oreille greffée à son téléphone et trop occupée pour se rappeler que j'existais. 

Mais cette fois, elle avait remarqué le manège de Lysandre et Castiel, la crédulité de mon père et le malaise d'Armin. Et puisque Hannah Kruger détestait les inégalités, elle n'avait pas pu s'empêcher de compenser le traitement de faveur du garçon séraphique : elle ne riait pas aux anecdotes de Lysandre, et elle s'adressait régulièrement à Armin pour lui rappeler qu'on avait remarqué sa présence.


Bon, elle n'avait toujours pas compris que je n'étais pas vraiment en couple avec Aaron, mais il ne fallait pas trop lui en demander.


- Attention à ton pull quand tu manges, Aurore, me rappela ma mère. Tu veux quand même pas que je fasse une syncope en te voyant bousiller un Wickstead avec du jus de mangue australienne.


Et puis Hannah restait fidèle à ses réflexes maniaques.


- T'inquiète maman.

- « Mais oui maman », m'imita Armin avec une sorte d'accent bourgeois. « Pense à ta nécro, tu peux pas mourir dans l'hôtel de Viktor »...


Le frère d'Alexy sembla ne pas saisir pourquoi cela fit rire tout le monde. Les convives ne comprenaient pas qu'il se moquait ouvertement du milieu étriqué de mes parents. Il haussa un sourcil et avala une bouchée de caviar.


- Sinon, ça y'est vous deux ? lança Aaron à l'attention de Castiel et Dawn. Vous avez fini par vous remettre ensem...

- Armin vient de recracher son caviar dans sa serviette ! dénonça ma soeur.


La diversion ne rata pas. Tout le monde se tourna vers un Armin pris sur le fait, pendant que ma soeur faisait une grimace de désapprobation à Aaron pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas l'intention que nos parents apprennent que Castiel et elle avaient un passif.


- Ce truc a exactement le goût de l'eau de mer, maugréa Armin.


Je lui tendis des gaufres aux mûres qu'il accepta sans broncher. Puis il observa quelques temps l'assiette en ardoise, sur laquelle deux gaufres rondes parfaitement symétriques étaient soigneusement déposées, et à côté desquelles le chef cuisinier avait méticuleusement dessiné une ridicule petite bouclette de sirop d'érable. Entre les mûres, des feuilles d'or formaient des pétales délicates, plantées dans un petit losange de beurre demi-sel. Une ligne nette de sucre glace traversait les deux gaufres en leur milieu, sans dépasser d'un millimètre.


Pour Armin comme pour moi, les gaufres étaient censées être simplement noyées sous du Nutella de grande surface, et être bien plus grosses que cet échantillon gastronomique à plusieurs dizaines d'euros qu'on servait à l'hôtel Talba. 


Il réalisait enfin que nous étions dans un hôtel 5 étoiles rempli de millionnaires, que le rouge à lèvres de ma mère était un Guerlain, son parfum un Chanel et sa tenue une Marchesa. Que mon père allait chez le coiffeur au moins deux fois par semaine et qu'il m'avait offert comme s'il s'agissait d'une baguette de pain le bout de tissu à 500€ qui me servait de pull. Que Ruben avait créé une carte de crédit de luxe spécialement pour Dawn, Rich et moi. Que le légendaire Richard Talba était mon parrain. Que le prix de mon whisky préféré était plus élevé que le salaire annuel d'un cadre supérieur. Que l'argent n'était pour moi qu'une formalité. Que j'étais née avec une bonne dizaine de cuillères en argent dans la bouche. Que Diana et Vicky étaient du même monde que Willem et Hannah. Que Lysandre Mogarra était exactement du même monde qu'Aurore Kruger.


- Oh, une petite réunion d'actionnaires minoritaires, railla une voix qu'on n'avait pas encore entendue de la journée.


Ma mère posa sur la table sa coupe de champagne vide, elle se leva et serra Ruben dans ses bras comme si c'était un ours en peluche.

J'avais tendance à oublier que mes parents et Dawn possédaient des actions dans la société Talba. 

J'allais moi-même en obtenir dès ma majorité. Le cadeau le plus fun du monde...


- Enfin quelqu'un qui sait accueillir l'homme providentiel, lança Ruben à Hannah en jetant un regard accusateur à Willem.

- Voyons Ruben, s'amusa mon père, ne fais pas comme si on ne s'était pas déjà vus aujourd'hui alors qu'on a passé notre matinée à parler de cette pathologie appelée la puberté qui a fait passer mes chères filles de poupées de cire à poupée gonflables...

- Papa ! m'exclamai-je.


« De poupées de cire à poupées gonflables » ?!

Dawn, Castiel et même Aaron éclatèrent de rire. Je jetai un regard désapprobateur à ce dernier. Comment pensait-il être crédible dans le rôle de mon faux petit-ami s'il prenait à la rigolade ce genre de railleries sur ma vie sexuelle ? Surtout venant de mon père !


- Qu'est-ce que t'y connais en pathologies, Willem ? lança ma mère. Tout ce que tu sais sur la médecine, tu le tiens du générique de Doctor House. 

- J'en sais toujours plus que toi qui ne connais même pas ta table de 3, riposta mon père.


Moi non plus je ne connaissais pas ma table de 3...


- Excuse-moi, Pythagore, rétorqua Hannah, mais je n'en ai pas eu besoin pour avoir un bac+5 en stylisme et un bac+8 en droit !

- Houlà, Leigh et Rosa, on va se calmer tout de suite, lança Armin en se massant les tempes.


Quand mes géniteurs commençaient à se chamailler, il fallait les stopper prématurément sous peine d'en perdre ses tympans. Évidemment, mes parents ne comprirent pas la référence d'Armin, qui nous fit d'ailleurs tous sourire sauf eux. Il était vrai que Willem et Hannah rappelaient étrangement Rosalya et Leigh...

Ma mère tira la langue à mon père, qui lui fit alors une grimace ridicule.


Mais quel âge avaient-ils ?


- Vous m'aviez tellement manqué, soupira Ruben en inclinant la tête d'une façon faussement candide. Bon, les enfants, je vous ai préparé des muffins.

- C'est vrai qu'on n'avait pas assez de bouffe comme ça, railla Aaron.


Il désigna d'un geste du bras l'étendue de nourriture qui emplissait notre table de brunch. Le seul à se montrer intéressé par l'attention de Ruben fut Armin, qui se redressa pour observer lesdits muffins.

 

- Dis-moi que tes gâteaux ne sont pas recouverts de feuilles d'or, de caviar ou d'un autre ingrédient qui coûte l'équivalent d'un prêt étudiant pour une école de commerce, implora-t-il.

- Les ingrédients sont tout ce qu'il y a de plus simple, assura Ruben en posant ses pâtisseries sur la table.


Aaron et moi examinâmes l'assiette avant de nous toiser mutuellement et d'étouffer un rire.


- T'as vraiment écrit nos noms dessus ? pouffa Aaron en se servant.

- Et pourquoi t'as mis des étoiles en sucre sur le mien ? grimaça Castiel après s'être penché sur les gâteaux.


Ruben adressa un baiser à distance au rouquin en guise de réponse, avant de retrouver son éternel sourire en coin. 


- On échange, si tu as peur pour ta virilité, proposa ma mère.


En temps normal, Dawn aurait certainement eut un rire volontairement exagéré pour que Castiel se sente encore plus bête. Mais elle fut seulement interpellée par l'idée étrange de Ruben de nous amener des gâteaux qu'il avait faits lui-même. Depuis quand se prenait-il pour Christophe Michalak ?


Je levai les yeux vers lui. Bras croisés sur son torse musculeux et menton légèrement levé, toute sa physionomie respirait la supériorité. 

Même quand Ruben faisait des muffins pour vous, vous n'aviez pas l'impression qu'il vous était servile. 

Curieusement, c'était même l'inverse.


- Mauvaise idée Hannah, tu es allergique à la muscade et le joli muffin de Castiel en contient un paquet, la prévint Ruben. N'essayez pas de jouer les originaux et contentez-vous d'engloutir le gâteau qui porte votre nom : je les ai personnalisés en fonction de vos petites particularités. Régalez-vous. Moi, je vais passer un coup de fil à Viktor et lui faire du chantage. Vous savez à quel point j'adore ça. »




***




« J'ai aucune idée de c'que j'fous là, déclara Dawn affalée dans la baignoire de notre suite.

- Moi, je sens une vague de chaleur dans mon utérus.


Ahaha, Armin n'avait pas d'utérus.


- T'as pas d'utérus, pouffai-je.


Castiel et Lysandre se tenaient côte-à-côte, ce dernier enlaçant son ami avec son bras. Ils étaient assis par terre, en tailleur, devant un petit clavier portable pour les 3-10 ans. Ils se mirent à jouer une mélodie calamiteuse, en tapant chacun leur tour sur n'importe quelle touche colorée.


- One day baby we'll be old, oh baby we'll be old and think of all these stories that we could have told, entonna Lysandre en balançant lentement sa tête.

- Wôôône day baby we'll be old... Non, en fait chante tout seul, ce sera mieux.

- Ahahaha tu chantes trop mal Castiel, me moquai-je en le pointant du doigt.


Lysandre continuait de chanter d'une voix bourrue. Plus ça allait, plus il chantait n'importe quoi et inversait les mots. Lorsqu'il s'en rendit compte, il se stoppa net et se mit à rire. J'inclinai ma tête lourde et me mis à l'observer. Pourquoi était-il aussi sexy ? Il avait des muscles partout, partout, partout…


- Où est-ce que t'as trouvé ce mini piano, Castiel ? demanda Aaron avec une voix qui ressemblait étrangement à celle de Nicolas Sarkozy.

- Je sais pas. Ahah.


J'étais comme attirée vers l'arrière par une force inconnue. Ma tête était calée entre les pectoraux d'Armin, qui jouait avec mes cheveux comme si c'était des petits soldats. Lui aussi, il avait des muscles partout, partout, partout.


- Prends ça, le Général de Gaulle ! s'exclama-t-il. Non toi, prends ça, le maréchal Pétain ! Piou piou piou piou piou !

- Mes ch'veux sont pas des petits soldats, grommelai-je en récupérant mes mèches d'entre ses mains.

- C'est pas des soldats déjà c'est des vaisseaux spatiaux...


Dawn eut un rire tout sauf sexy.


- Oh le con, réalisa-t-elle encore hilare. Il nous a fait bouffer des space cakes.


C'était donc pour ça que Ruben avait écrit nos noms sur les muffins. Pour que mes parents ne finissent pas eux aussi défoncés.


- Pourquoooi il a fait çaaa ? chanta Lysandre en jouant un air de piano.

- J'ai... aucune idée de c'que j'fous là, fit à nouveau Dawn.


Ses longues jambes étaient étendues et ses coudes reposaient sur les rebords de la baignoire vide. Je crois qu'elle aimait bien notre baignoire. 

Ahah...


- C'est marrant le mot « baignoire », pensai-je à voix-haute. Baignoire. Baie noire. De quelle couleur est Barack Obama ? Beh, noir.

- Ahahahahaha, s'amusa Aaron. Mais pourquoi ça me fait tellement rire alors qu'en fait eh ben c'est nul ?


Castiel tenta de se lever, mais une fois debout il tituba et cligna frénétiquement des yeux.


- J'ai l'impression d'enfin comprendre ce qu'est la compote, fit-il.

- La compote ?

- C'était à un autre mot que j'pensais mais je l'ai oublié.


Il se dirigea vers Dawn et la rejoint dans la baignoire vide.


- Qu'estu fous ? grimaça-t-elle à moitié dans les vapes. Baaah, lâche-moi !


Dawn gigota dans tous les sens sans parvenir à se débarrasser de Castiel, qui avait posé sa tête sur la poitrine de ma soeur. Mais elle était tellement défoncée que ses gestes de lutte étaient quasiment au ralenti.


- Coussin, miaula-t-il en enfonçant un peu plus son crâne.

- Mais va-t'eeeeen !

- Ja-mais. Ces nichons sont à moi. 

- Castiel, t'as qu'à pisser sur moi si tu veux marquer ton territoire, lança Dawn.

- J'aimerais bien, mais j'ai oublié comment ouvrir ma braguette.


Eheh... « braguette ». C'est marrant comme mot, « braguette ».


- J'ai mis une cravate, déclara Armin en fixant la TV éteinte à notre droite.


Je tournai ma tête lourde vers son torse pour voir ladite cravate. Ahah. Elle était super moche, sa cravate.


- Elle est moche, ta cravate.

- Elle appartenait à mon grand-père, fit-il.

- Ben il aurait dû s'faire enterrer avec, lançai-je.


Nous rîmes à l’unisson, complètement stone, avant de retrouver une expression normale au bout d'une seconde. 

J'étais confortablement installée entre ses jambes, dos et crâne contre son torse. Son menton frôlait le haut de ma tête, et c'était plutôt agréable.

Comment avais-je atterri dans ses bras ?


...Ahah. « Bras ». C'est marrant comme...


- Euh, qu'est-ce que vous foutez tous ici ? s'étonna Rosa en entrant dans la suite. Aurore, t'as une interview à donner dans, genre… 20 minutes.

- Tssss, tais-toi, s'agaça Aaron. Quand tu parles, j'entends plus la chanson de Bob Marley qui joue dans ma tête.


Elle examina nos mines de demeurés et poussa un long soupir.


- Vous êtes stone, comprit-elle en passant sa main sur son front.

- Moi, je veux, devenir une star, chanta Lysandre en jouant toujours du piano. Je veux tourner des publicités pour les opticiens.

- Oh, seigneur...


Rosa plongea son visage dans ses mains et fit volte-face pour quitter la suite, mais elle se cogna à Leigh, qui nous fixait bouche béante.


- On va se faire gronder, hihi ! s'exclama Lysandre avant de taper très fort sur une touche du clavier.

- Oh non, Aurore est défoncée, fit Leigh en me scrutant.

- Non, c'est pas vrai ! répliquai-je.


J'attrapai l'un des coussins du canapé et le lançai sur Leigh. Sauf que Leigh était tout au bout de la suite, soit à plus de 50 mètres de moi, et que j'avais autant de force qu'un nourrisson. Mon projectile tomba donc juste aux pieds d'Aaron qui était à moins de deux mètres de moi, allongé par terre.


- Ah si, c'est vrai... gloussai-je.

- Elle peut pas donner l'interview à Marius Heitzmann si elle est défoncée, reprit Leigh. Et Marius Heitzmann est en train de l'attendre dans ma suite pour lui donner ladite interview.


Il fixait le sol d'un air concentré. Pourquoi il parlait de moi à la troisième personne ? C'était bizarre...


- Pourquoi tu t'énerves pas, Leigh ? fit Castiel toujours contre les seins de Dawn. D'habitude, tu t'énerves tout le temps. Tu dis genre : « raaah je vais t'enfoncer une aiguille dans le coeur ! ». Ou bien : « je vais t'étouffer avec mon mètre de couturier ! ». Ou mieux : « je vais prendre ma machine à coudre et te la...

- Ils sont tous défoncés, le coupa le styliste. Personne ici ne peut donner son interview. C'est foutu.


Sur ce, Leigh secoua la tête et prit une grande inspiration pour garder son calme. 

Aaaah, d'accord ! Il était tellement choqué qu'il ne pouvait pas nous tuer un par un comme il en rêvait. Il était planté devant la porte à résumer la situation à voix-haute pour réaliser l'ampleur de ce qui se passait.


- Il faut trouver un mannequin pour donner l'interview à la place d’Aurore, déclara-t-il. Et pareil pour les autres.

- Moi, aux présidentielles, j'vais voter Yannick Jadot, déclara Armin avec un air sérieux. Tout l'monde oublie Yannick Jadot. Le pauvre Yannick Jadot...

- Mais Castieeeel, laisse mes seins tranquilles.


Dawn patienta cinq secondes et inclina sa tête. Elle attrapa le pommeau de douche et aspergea allègrement le crâne de son ex, et donc sa poitrine aussi puisqu'elle était juste en-dessous.


Mais Castiel n'esquissa même pas un mouvement de surprise.


- À moins que ce pommeau puisse cracher du feu, je resterai ici jusqu'à ma mort.


Ma soeur grogna et laissa tomber le pommeau de douche.

Ahaha. Elle s'était mouillée aussi. Son t-shirt était tout mouillé. Tout mouillé. 


- C'est bizarre qu'on soit enfermé dans notre corps comme ça, pensa Aaron à voix-haute. Toi t'es dans ton corps, moi dans mon corps. J'suis pas dans ton corps. Et t'es pas dans mon corps. J'disais quoi déjà ? Ah oui... C'est bizarre qu'on soit enfermé dans notre corps comme ça. Toi t'es dans mon corps, moi dans ton...


Leigh fulmina et quitta la suite, faisant de très amples gestes de colère avec ses bras sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche. Il referma bruyamment la porte derrière lui. Rosa s'accouda au bar pour nous observer, comme hypnotisée par cette scène surréaliste.


- C'est lourd, des dents, remarqua Dawn en tapotant ses incisives parfaites avec son index. Vous trouvez pas qu'elles sont lourdes, vos dents ? Aïe ! Castiel ! Pourquoi tu m'as mordu le sein ?!

- J'ai une blague, j'ai une blague ! déclara Armin. 


Nous nous tournâmes tous vers lui pour écouter sa blague. 


- Bon alors, fit-il, c'est un fermier, ben il a des vaches tout ça tout ça... Pis un jour, y'a une vache qui disparaît. Du coup ben le fermier il est deg et tout et il va voir son voisin. Il lui d'mande : « eh, le voisin, c'est toi qui as volé ma vache ? ». Le voisin il dit « non fermier, c'est pas moi qui ai volé ta vache ». Et en fait ben c'était lui.


Dawn, Castiel, Armin lui même, Lysandre et moi nous miment à rire très fort comme des attardés mentaux. Rosa décida de finalement quitter la suite, complètement dépassée. 


- On est tous, tous, tous des tas de viande inutileuh ! chanta Lysandre à plein poumons en tapant sur cet insupportable piano pour enfant.

- L-la.. la porte est bloquée, paniqua Rosalya en passant à plusieurs reprises sa carte sur le lecteur magnétique.


Armin prit à nouveaux deux mèches de mes cheveux et se remit à jouer avec.


- Piou, piou, piou ! Et bam, t'es mort maréchal Pétain !

- Ruben nous a enfermés !

- Roooh, calme-toi, Rosa, fit Castiel à moitié étouffé par les seins de Dawn. Ruben a peut-être l’air très méchant, mais au fond il est un tout petit peu moins méchant. 


Elle tenta encore et encore d'ouvrir la porte, sans succès.


- Mais c'est lui qui m'a dit de monter ici ! s'exclama-t-elle. Il disait… qu'Alexy m'attendait dans la suite pour me montrer quelque chose ! Il a tout manigancé pour qu'on soit enfermés ici ! Je suis sûre qu'il était planqué dans le couloir à attendre que Leigh sorte d'ici pour pouvoir...

- Rosa ? fit une voix endormie dans la seule chambre séparée de la suite.


Rosalya exorbita ses yeux et se rua dans la chambre. Elle en sortit rapidement avec Alexy, qui se frottait les yeux et se mit à bailler.


- Ruben a fait un truc bizarre avec sa main, expliqua-t-il. Il a agité ses doigts de gauche à droite et il m'a dit de dormir jusqu'à ce que je t'entende dire mon nom, Rosa.


Ahahahah. Ruben l'avait hypnotisé. Quel enfoiré, ahah.


- En attendant, fit Armin, je m'amuserai un peu avec vous tous. Les psychotropes sont les meilleurs outils pour réveiller les personnalités... ou les endormir.


… C’était encore du Ruben. Ahah. Hum...

Ma tête reposant toujours contre le torse d’Armin, je la levai vers lui pour le sonder du regard. Il baissa ses yeux vers moi et les fit frénétiquement cligner, comme pour se réveiller.


- ...Pourquoi tout le monde est là ? s'interrogea Alexy.


Armin prit ma tête pour la remettre droite et s’empara à nouveau de mes cheveux pour jouer avec. Je haussai les épaules et continuai d’observer ce qu’il y avait autour de moi avec émerveillement.


- Piou, piou, piou ! s’exclama-t-il. Et non De Gaulle, j'suis pas mort ! Piou, piou, piou, piou, piou, piou, piou ! »

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