Alien : La dérive du Fortune
L’intercom grésillait en un bruit de fond suspendu dans le temps mais la panique de Foster lui fit l'effet d'un coup de taser. Corday se mit à courir à toute vitesse, ses bottes fracassant les caillebotis métalliques tandis qu’elle traversait des nuages de vapeurs produits par des entrelacs de tuyaux. Derrière elle, de sinistres martèlements se répandaient dans le vaisseau. Leur onde de choc vibra jusque dans ses doigts lorsqu'elle en effleura un instant la paroi. Elle ralentit un peu le pas et fit un tour sur elle-même pour essayer d’estimer la vitesse et progression des deux monstres. Un coup puissant résonna. Proche. Trop proche. Foster intervint :
— Capitaine, j'ai les aliens sur la caméra en T-25. Je ne sais pas ce qu’ils cherchent à faire, mais… ils détruisent toutes les cloisons autour de la porte et réduisent en charpie tout ce qui se trouve dedans.
— Tu penses pas qu’ils veulent se frayer un chemin derrière ces cloisons ?
— Ils sont trop grands. Aucune chance.
La voix imperturbable de MAMAN résonna, brisant net leur assurance :
— Système hydraulique endommagé sur l’ensemble des portes à tribord, niveau intermédiaire.
Le cœur de Corday loupa un battement. Ils étaient parvenus à démolir la seule chose qui pouvait ralentir leur avancée vers le cockpit.
— Corday, dépêche-toi ! Ils peuvent forcer l’ouverture des portes dans ta section et moi, je ne peux plus les fermer ! cria Foster dans l’intercom.
À travers les bottes de Corday, les vibrations gagnèrent en intensité. Ces monstres rattrapaient leur retard sur leur cible. Corday reprit sa fuite et entra dans un large vestibule. Droit devant, à une vingtaine de mètres à peine, l’échelle qui la mènerait au pont supérieur. Les grincements métalliques s’étaient soudain intensifiés et un cri strident lui glaça l’échine. Elle tourna la tête une interminable seconde. Elle ne quittait pas la scène des yeux et fit prudemment quelques pas à reculons.
Une porte à sa gauche trembla dans un grincement sinistre. Les vérins hydrauliques hors service, la masse d’acier coulissa par à-coups, arrachée de force à ses rails. Une main noire aux doigts démesurés passa dans l’interstice naissant, cherchant une prise avant de s’y agripper avec une force inhumaine. Le métal geignit sous la pression. L’ouverture était à peine suffisante pour y passer un bras, mais déjà, la créature s’y faufilait, son exosquelette luisant crissant contre le battant. Puis vint sa tête, immense, démesurée, s’inclinant pour s’engager de biais dans la brèche. Et derrière lui son compère attendait son tour. L’alien ne prenait même pas la peine d’attendre que la voie lui soit ouverte dans sa totalité. Il s’y glissait comme un parasite forçant son passage dans une plaie.
Corday savait très bien que les monstres avaient repéré sa présence, alors sans plus perdre un instant, elle reprit sa course avant que l’alien n’ait eu le temps d’extirper son corps en entier. Plus que quelques foulées et d’un bond, Corday agrippa les premières barres de l’échelle. Derrière elle, les premiers pas des monstres résonnaient déjà à l’intérieur du local. L'ascension de Corday fut une prouesse de rapidité. Plus bas, des pas furieux fondirent sur elle. Ils étaient très rapides. Dans sa précipitation, Corday manqua de lâcher prise à cause de la moiteur de ses paumes, mais elle atteignit enfin le pont supérieur en se hissant sur le sol à la force de ses bras. Ses jambes à peine dégagées de l’ouverture, elle se laissa rouler sur le sol et entreprit de verrouiller l’accès. Sur l’encadrement se trouvait le bouton de fermeture d’urgence de la trappe. Elle entreprit de briser son cache de protection en verre. Déjà, elle entendait des pattes se mettre à griffer quatre à quatre les barreaux de l’échelle. De son poing serré, Corday frappa trois fois la petite vitrine avant de la faire éclater. Une simple pression du bouton et en un instant, la trappe isola le passage, étouffant un rugissement de colère des aliens enragés.
Corday, étalée par terre, avait du mal à reprendre son souffle et à supporter le flux d’adrénaline qui parcourait son organisme. Hésitante, elle jeta cependant un regard en bas, à travers le vitrage polycarbonate de la trappe. Tout était obscur, là-dessous. Tout sauf la tête du monstre qui paraissait la regarder en retour. Son haleine lourde couvrait la vitre de buée à chaque expiration. D’un coup, il ouvrit sa grande gueule d’acier et une langue en jaillit à une vitesse fulgurante. Elle heurta puissamment la trappe à plusieurs reprises. Les coups firent sursauter Corday, terrifiée, qui espérait de tout son cœur que la paroi résiste. Quelques essais encore et l’alien comprit que continuer serait vain. Cette fois, il allait avoir du mal à traverser. Il cessa de s’acharner. Il parut ne pas quitter le regard de Corday lorsqu’il rétracta sa longue langue. Une langue rigide et baveuse, armée de petites mâchoires aux dents de métal. La gueule du monstre se referma sur ses lèvres frémissantes, puis disparut en un éclair dans l’obscurité du local inférieur.
Bon sang. Il s’en était fallu de peu. Mais de toute évidence, si Corday ne faisait rien, ce ne serait qu’un répit.
— Foster, ferme toutes les trappes du pont supérieur. Ça a l’air de leur poser des problèmes.
— J’ai vu ça. Bien joué, en tout cas. Tu m’as collé une belle frayeur, répondit Foster dans l’intercom.
— Oui, j’ai des cheveux blancs, maintenant.
— Relève-toi et viens vite, qu’on puisse trouver un plan d’attaque.
Corday se trouvait dans l’antichambre, d'où deux voies menaient au cockpit. Le couloir tribord contournait le mess et la salle de contrôle de MAMAN avant de mener au cockpit, tandis que le couloir bâbord se terminait en cul-de-sac et donnait accès à plusieurs installations, dont le laboratoire et le mess. Cette pièce était la seule reliée au couloir tribord, juste en face du sas du cockpit. Toute cette structure était modulable. Un plan se forgea rapidement dans l’esprit de Corday. Les bêtes qui la poursuivaient étaient des animaux, après tout. Malins, certes, mais elle avait peine à croire qu’ils parviendraient à se frayer un chemin jusqu’à elle s'ils étaient piégés.
— Foster, lance le protocole anti-incendie numéro 3 sur le pont intermédiaire. On va les priver d'oxygène.
— Vu ce qu’ils respiraient chez eux, je ne suis pas certaine qu’ils en aient quelque chose à foutre. s’inquiéta Foster dans l’intercom.
— On tente le coup.
— Et si ça les tue pas ?
— Alors, on les largue. lança-t-elle dans un murmure.
— Pardon?
— Le Fortune est modulable, répliqua Corday. On devrait pouvoir se séparer du compartiment où ils se trouvent.
— Oui, enfin, ça voudrait dire qu’on devrait se passer des moteurs principaux et décrocher la soute, mais ça devrait être faisable. Ça ne nous empêcherait pas de poursuivre notre route avec les moteurs auxiliaires et une bonne poussée initiale. On perdrait pas mal de systèmes, mais rien de bien méchant si on finit le voyage en hyper-sommeil.
— Ça devrait être jouable.
Elle se sentait un peu plus en sécurité, mais se doutait bien que si le plan ne fonctionnait pas, cette impression ne serait que de courte durée. Corday se leva d’un petit bond et fonça côté bâbord. Sous ses pas, elle sentait la rage qui grondait contre le métal. Les aliens cherchaient une issue. Ils la voulaient. Corday avait vu de ses yeux horrifiés ce dont ces monstres étaient capables et elle refusait de finir entre leurs mains. Dans le couloir étroit éclairé par les stroboscopes d’alerte, elle contenait son angoisse, mais pressa le pas quand elle réalisa qu’une centaine de mètres restait une sacrée distance en sachant qu’en-dessous, la menace était omniprésente.
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Foster venait de pirater le système de sécurité de MAMAN, et ce, depuis le poste de pilotage. C’est Cobb qui lui avait montré comment faire ce tour de passe-passe. Là, il lui avait fallu simuler un feu de grande envergure sur le pont médian. De quoi justifier l’opération auprès de l’IA.
— MAMAN, j’autorise le protocole anti-incendie numéro 3. Neutralisation du feu par anoxie dans 3, 2, 1.
Sur le moniteur, le plan du vaisseau montrait l’action se dérouler en temps réel. La purge se fit en un instant sur l’ensemble du pont. Comme à son habitude et pour veiller à ce que tout se déroule selon un schéma bien établi, Foster faisait mentalement le récapitulatif de la procédure en temps réel.
Le système de ventilation et les filtres se coupaient dans les zones non affectées par l’incendie. Le feu était étouffé en aspirant l'oxygène par les pompes à vide reliées aux conduits d’aération. Ces pompes créaient une dépressurisation dans le compartiment visé, coupant l’oxygène là où il était nécessaire. Foster fixa ensuite son attention sur les caméras de surveillance, ajustées pour avoir une vue sur les conduits. Il restait encore dix secondes avant que le système ne redémarre, rouvrant la circulation de l’air et rétablissant l'oxygène dans le pont médian. Foster devait à tout prix éviter la redistribution de l’air, car les aliens pourraient survivre à l’anoxie ou emprunter un conduit rouvert pour se faufiler jusqu’au pont supérieur
Encore fallait-il savoir où ils se trouvaient maintenant.
Elle chercha les aliens sur les caméras de surveillance. Déjà qu’elle ne les avait qu’entrevus depuis leur arrivée sur le Fortune, elle se rendit compte qu’elle ne les avait pas davantage remarqués depuis. Sur l’écran, son regard passa de fenêtre en fenêtre pour repérer un signe de vie.
Cinq secondes.
Le cœur de Foster battit à tout rompre à l’idée que ces bêtes aient eu le temps de trouver une sortie par les conduits.
Deux secondes.
Là ! Quelle horreur. Ils étaient toujours vivants. Une queue venait de filer dans une ouverture. L’un d’eux était passé, mais l’autre s’apprêtait à prendre sa suite.
Fin de la procédure.
Foster, même tremblante, avait suffisamment de rage en elle pour maîtriser son travail. Elle activa la fermeture hermétique des panneaux de ventilation, dont celui par lequel étaient en train de se glisser l’alien. Mais ça ne suffisait pas. Il était à moitié entré et résistait au verrouillage du sas. Mais Foster avait une autre idée. Chaque ouverture avait un contrôle du débit géré par une fermeture en iris. Foster ferma alors l’iris de cet accès.
— Vas-y, décide-toi à crever, saloperie.
À l’image, Foster put contempler son œuvre. Le diaphragme composé d’une dizaine de lames de métal se resserrait autour du torse de la créature affolée qui ne pouvait plus avancer. Les lames écrasèrent puis traversèrent sa chair sans la moindre difficulté pour finir par joindre leurs extrémités au centre de l’ouverture, tranchant net l’alien en deux. Le bas de son corps mou pris de spasmes retomba au sol et du sang gicla en abondance.
Foster aurait pu jubiler s'il ne s’était pas avéré qu’elle venait de commettre là la pire des erreurs. Tout ce sang. Foster se répéta qu’elle avait tout fait comme il fallait. Que quoi qu’il allait arriver maintenant, ce n’était pas de sa faute. Qui aurait eu une meilleure idée et aurait réagi aussi vite ? C’était du bon sens.
Comment aurait-elle pu prévoir que ce sang était extrêmement corrosif ?
L’image à l’écran était très claire. Les lames de la ventilation, la paroi, le sol. Tout était en train de fondre, rongé par cette cascade d’acide qui se répandait tout autour du cadavre sectionné. Gerbe après gerbe, le fluide dévorait le métal en produisant une épaisse fumée toxique. Le sang se répandit sur une surface assez large pour que les jambes et la queue de l’alien glissent et tombent vers le niveau inférieur. Aucun doute sur la suite des événements, le liquide détruirait tout sur son passage. Jusqu’à la coque.
Et toute la mécanique de cette catastrophe n’avait demandé que quelques secondes.