A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 45 : Terminus
Nous arrivons au terme du 1er voyage de Reiko.
Mais ne vous inquiétez pas… Si une page se referme, une nouvelle va s’ouvrir !
- Alors ?, questionna une voix pressante et stressée.
- Alors tout va bien, Commandant.
- L’échographie ?
- Sans anomalie. Le bilan sanguin est rassurant.
- Mais la perfusion…
- … Permet simplement de la réhydrater. Je lui ai également prescrit des comprimés de fer et d’acide folique pour combler ses carences. Mais ce qu’il lui faut surtout c’est…
- Du repos ?
Yûki raffermit sa prise sur le dossier médical qu’elle tenait serré contre sa poitrine.
- Aussi, mais ce n’est pas à ça que je songeais. Elle a besoin de la présence de son époux. Elle a besoin de toi !
- Quand tout ce bazar sera réglé, je discuterai avec elle.
- Bruce… Elle n’a vraiment pas le moral. Elle est persuadée que tu es en colère et…
- Je suis en colère, Yûki.
De l’autre côté de la vitre teintée, Reiko leur tournait le dos. Recroquevillée dans un coin du lit, elle somnolait. Ses longs cheveux bruns formaient une auréole autour de son crâne et pendaient indolemment dans le vide.
- Je risquerais de proférer des paroles que je finirais par regretter. Lorsque tout sera rentré dans l’ordre… À ce moment là…
Il fit volte face et s’éloigna en direction du wagon de commandement.
- Bruce !
- Plus tard. Laissons-la dormir.
La chape de fatigue sur les épaules du sniper était colossale.
Toute aussi colossale que le soulagement qu’il ressentait actuellement, même s’il n’en était pas moins préoccupé.
Lors de la bataille contre la station, Reiko avait fui une première fois.
Puis, elle s’était à nouveau échappée pour aller faire dieu sait quoi sur Râ-Metal.
“À croire que son objectif c’est de me foutre perpétuellement en rogne. Tout ce que je fais, c’est pour la protéger. Et pourtant, elle s’obstine à se mettre en danger. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle veut prouver et à qui ? On n’est pas dans un conte de fées. Le meurtre de Promethium ne ramènera pas tous ces pauvres gamins. La vengeance et la guerre n’apportent pas la paix. J’en sais quelque chose.”
Cependant, il ne fallait pas se leurrer, l’imprudence de la pilote n’était pas la véritable raison de son emportement. Ce qui l’irritait par-dessus tout, c’était le fait qu’elle se soit dégotée un énième chevalier servant.
- Franken Leopard, hein ? Je parviens enfin à me débarrasser de l’un d’entre eux et y’en a un autre qui se pointe. Je me suis marié avec elle, je lui ai fait un gosse mais c’est pas encore suffisant.
Il arracha le panneau menant au wagon cafétéria en fulminant.
Puis, il se figea en remarquant la silhouette nonchalamment assise dans un fauteuil.
- Tiens le Commandant ou plutôt… Le mari terrible. Vous êtes allé embrasser votre femme ?
- C’est pas vos oignons.
- C’est marrant, elle n’a jamais mentionné votre nom.
- Peut-être parce que vous la connaissez depuis… Je ne sais pas, dix minutes ?
- Parfois, il n’en faut pas davantage pour cerner quelqu’un.
- Et ? Vous en avez déduit quoi ?
Leopard eut un sourire en coin.
- Qu’elle est clairement beaucoup trop bien pour vous. Se faire ainsi mépriser par la personne qu’on aime… Aucune femme ne mérite ça.
- Vous ne savez pas de quoi vous parlez, gronda Bruce.
- Je sais ce qu’est l’amour et là je n’en ai vu aucun.
- Bouclez-la et mêlez-vous donc de ce qui vous regarde.
- Je croyais que mon point de vue vous intéressait.
- J’en ai absolument rien à carrer de ce que vous pensez de moi.
- C’est une fille courageuse et volontaire. J’en n’ai pas croisé des masses. Pas étonnant qu’elle ait retenu l’attention de dame Maetel.
- Ouais, ben passez votre chemin ou vous aurez affaire à moi.
Les mâchoires verrouillées et les traits tendus, le Commandant de l’unité Sirius quitta la pièce, hors-de-lui.
- C’est ce qu’on verra, répondit le chef des résistants en avalant le contenu de sa tasse.
***
- Tu lui as demandé, Yûki ?
- Oui, il est très occupé.
- Trop occupé pour venir me voir ?
- Je suis désolée.
Reiko se rallongea, amère.
- Ce n’est pas ta faute.
- Nous allons arriver sur Destiny. Repose-toi, d’accord ?
- Hum.
Une fois seule, elle enfonça son nez dans l’oreiller et émit une plainte rauque.
- Je suis décevante. Je l’ai toujours été. Je commets tellement d’erreurs que c’en est grotesque. Je fais de mon mieux mais ce n’est jamais assez. Pas fichue de surmonter ma peur. Pas fichue de préserver la vie dans mon ventre. Dire que je leur ai promis d’être heureuse… C’est pas gagné.
Un à-coup secoua la voiture, faisant comprendre à la jeune femme que le train était entré en contact avec les rails de la rampe d’atterrissage.
- C’est réellement fini ?
Big1 s’immobilisa en gare.
Le silence succéda aux vrombissements du moteur.
Un silence angoissant et pesant.
- Bruce…
Quand elle réalisa qu’il ne viendrait pas, elle se redressa.
Tremblante, elle ôta les aiguilles dans son bras, déclenchant un geyser de sang, qu’elle étouffa avec des compresses abandonnées sur une desserte.
- Je ne vais pas l’attendre éternellement.
Déboussolée, elle laissa tomber sa chemise blanche au sol et revêtit à la va-vite ses vêtements roussis et enfumés.
Puis, elle fit coulisser le vantail de l’infirmerie.
- Yûki n’est pas là.
Alors qu’elle allait s’enfiler dans le couloir, elle se ravisa.
- Si je pars sans l’avertir, elle va s’inquiéter.
Reiko ramassa un stylo sur la commode et griffonna quelques phrases sur un bout de papier.
“Yûki,
Je sors faire un tour.
Tout va bien, ne t’en fais pas.
Merci de tes bons soins,
Koko”
Son message rédigé, elle le plia en deux et le déposa en évidence sur le matelas.
Puis, elle s’en alla à pas feutrés.
Lorsqu’elle déboucha sur le quai et malgré la nuit déjà bien entamée, elle fut agressée par l’agitation qui avait envahi Destiny.
Des brancardiers, des médecins et tous les pelotons de la Space Defence Force étaient sur le pont pour tenter de sauver ce qui pouvait l’être.
Elle nota également plusieurs dizaines d’uniformes différents, appartenant probablement aux nations souveraines qui s’étaient impliquées dans cette guerre.
Une oeillade circulaire lui apprit que sa section était invisible.
“Ils sont tous sûrement débordés.”
Bruce excepté, elle aurait volontiers quêté du réconfort auprès de Manabu et de Louise.
- Et le Yamato… Pourvu qu’il n’y ait pas trop de casse du côté de Mamoru.
Soudain, un ronronnement familier retentit dans l’atmosphère.
Elle leva les yeux au ciel et un demi-sourire étira ses lèvres.
- Si je lui jure de me tenir tranquille, il acceptera sans doute de m’emmener où je veux, non ?
La pilote clopina hors de la gare, zigzaguant entre les lits médicalisés et le matériel de premier secours.
Puis, elle prit la direction des aires de stationnement des vaisseaux spatiaux.
L’Arcadia avait déjà atterri et une vingtaine de pirates en sortirent avec le Docteur Zero à leur tête.
“Comme d’habitude, Otto-san… Prêt à aider son prochain.”
- C’était une drôle de journée, non ?
- Tetsuro !
- Tu y crois, toi ? Au fait qu’elle ait enfin disparu.
- Pas… Pas vraiment.
Le jeune garçon se porta à la hauteur de Reiko, qui frissonnait à cause de la brise nocturne.
- Je n’ai pas assisté au dénouement du combat, confessa-t-elle.
- Moi non plus. Harlock m’a tiré par la peau des fesses hors de la salle du trône.
- Bienvenue au club. Et Maetel ? Elle va bien ?
- Tu la connais, elle est coriace. Elle a rejoint les hangars peu de temps après nous.
- Tant que cette fois est la dernière, souffla-t-elle en faisant allusion au décès de la dictatrice de Râ-Metal. Sinon, nombreux seront ceux morts en vain, à commencer par Murase et son unité… Sans oublier le Commandant Bulge.
- Hum. Au fait, que s’est-il passé après que l’on se soit séparés ? Quand on vous a retrouvés, t’avais l’air bouleversée et je suis certain que ce n’était pas seulement la faute de Promethium. Vous avez découvert l’origine des voix ?
Reiko se mordilla la muqueuse de la joue, cherchant les mots justes pour narrer la rencontre avec les fantômes de son enfance.
Lorsque son récit s’acheva, les deux amis se turent, observant les allées et venues des uns et des autres.
- Je vois, j’expliquerai ça à Maetel. Si elle n’est pas déjà au courant.
- Ça ne m’étonnerait pas, elle a toujours un train d’avance.
- Il n’y a qu’un cheminot de la SDF pour s’exprimer de la sorte.
- Hilarant. Tu sais, je n’en ai délivré que quelques-uns. Ce sont les bombes à diffusion ondulatoire installées par les Résistants qui ont terminé le travail. Au final, ce que j’ai fait n’a pas eu de réel impact.
- Je ne parierais pas là-dessus.
Tetsura marqua un silence avant de reprendre.
- T’as eu des problèmes ?
- Je ne sais pas encore, Bruce refuse de m’adresser la parole.
- C’était prévisible.
- Ça n'en fait pas moins mal.
- Il s’en remettra.
Reiko croisa les bras autour de son abdomen.
- Oui ou alors je l’ai tellement déçu qu’il regrette de m’avoir choisie.
- Et toi ? Tu regrettes ?
- Bien sûr que non !
- Et donc ? Qu’est-ce que tu vas faire ?
- Lui accorder un peu de répit. En une semaine, il a hérité d’un peloton et d’un bébé. Ça fait un fardeau de trop. Sans me compter dans le lot, ses responsabilités ont doublé. Si je m’en vais, il aura un souci en moins. Il pourra se focaliser sur Big1 et tout le reste. De toute façon, ma suspension n’a pas été annulée.
- Il était plus peinard dans le coma, c’est clair.
Face au regard noir que lui renvoya la pilote, Tetsuro se gratta le cuir chevelu avec désinvolture.
- Je plaisante.
- T’as l’impression que je me marre, là ?
- Si tu veux mon avis, ça ne te ferait pas de mal.
- La ferme.
- Il a une mauvaise influence sur toi, je te trouve bien hargneuse.
- C’est pas lui, ce sont mes hormones.
- Tu vas aller où ?
- Dans un coin paisible, répondit-elle, évasive. Et, puisque t’es là, tu peux me rendre un service ?
- Quoi ? Je te préviens, je suis trop jeune pour être père.
- Trop immature, oui. Bon, t’as une feuille et un crayon ?
***
La passerelle se déploya aux pieds de Reiko. Alors qu’elle était aux trois-quarts de son ascension, elle jeta un ultime coup d'œil en arrière.
“T’espères quoi ? On n’est pas dans un film à l’eau de rose. Il ne va pas débarquer avec un bouquet de fleurs en criant ton prénom.”
Et, en effet, elle ne distingua pas la silhouette élancée de son mari dans la fourmilière qu’était devenu le Quartier Général.
La trappe claqua derrière elle et elle sursauta.
- Bruce…
Tandis qu’elle s’apprêtait à quitter les hangars, elle aperçut une ombre qui se tenait dans l’encadrement de la porte.
- Otto-san…
- Lapin.
La jeune femme se blottit contre le Capitaine, larmoyante.
“Comme si je n’étais jamais partie. Je voulais me prouver que je pouvais suivre ma propre voie et survivre seule dans l’espace. Tout ça pour finalement revenir me cacher dans la forteresse blindée de papa. Je suis pathétique.”
L'œil avisé d’Harlock lui confirma que ce qu’il craignait s'était produit.
- Que s’est-il passé ?
- Beaucoup de trucs mais tu avais raison sur l’essentiel.
- L’essentiel ?
- Il m’en veut à mort.
- Allons dans ma cabine. Tu vas tout me raconter depuis notre séparation sur Râ-Metal, vu ?
***
- Les faits ne mentent pas. Si on se fie à leur chronologie…
- Vos appareils étaient déréglés, Reinhart. Un effondrement peut survenir bien après le déclenchement d’un explosif.
Le Commandant de la section Spica tiqua.
- Non, Speed, ils ne l’étaient pas ! Le laps de temps était considérable !
- Et vous êtes certain que ce n’est pas vous ?, intervint Lawrence.
- Si nous avions saboté la base de la sorcière, je serais au courant, assura Yattaran.
- Et les Résistants ?
Leopard eut un sourire narquois.
- Vous savez quelque chose ?, s’exaspéra Bruce.
- Ça se pourrait.
- D’après nos archives numériques, reprit Julia, les défenses extérieures ont cessé d’émettre près d’une heure avant l’activation des bombes à diffusion ondulatoire.
- Et ? Pourquoi on se prend la tête avec ça ? Ça ne changera rien au fait qu’on a remporté cette bataille.
- Une donnée cruciale nous échappe, monsieur le nouveau Commandant de l’unité Sirius, insista Reinhart. Leopard, avez-vous des informations à nous communiquer ?
Ce dernier se leva et s’adossa contre l’une des parois de la salle de pause.
- Vraiment, Speed, elle ne vous a rien dit ?
Si un regard était en mesure de tuer, il va sans dire que le chef des résistants serait étendu raide mort.
“Qu’est-ce qu’il bave ce connard ?”
- Ne me dites pas que vous ne lui avez pas parlé ? Ça ne vous intéresse pas ce qu’elle a vécu là-dedans ?
- Quel rapport avec Reiko ? Ne la mêlez pas à ça ! Elle n’a rien à voir avec ces conneries, s’énerva Bruce en s’approchant, menaçant.
- Elle a tout à voir avec ça, le coupa une voix cristalline.
Il plissa les paupières, surpris.
- Maetel ? Et… Le petit con qui a aidé ma femme enceinte à s’évader ?
Franken Leopard hoqueta.
- En… Ceinte ?
- Lui-même ! Mais je préfère qu’on m’appelle Tetsuro Hoshino. On s’est déjà rencontrés à bord du Galaxy Express 999 et sur Heavy Melder.
- Ouais, comment oublier un gosse aussi mal élevé ? Faudra qu’on s’explique toi et moi.
- Et si j’ai pas envie ?, le défia le jeune garçon.
- Je peux te dévisser la tête des épaules sans délai.
- Personne ne va dévisser la tête de personne, les rabroua Guy Lawrence.
Maetel s’installa autour de la table et, après avoir détaillé tous les participants à la réunion, prit la parole.
- Vous n’ignorez pas que ma mère utilisait le processus de transmutation génique pour déplacer l’âme humaine dans l’acier râ-metalien.
- Exact, renchérit Julia Reinhart. Celui-là même qui constituait les bombes qui ont visé nos stations.
- Tout à fait. Ce métal à haute densité énergétique était le principal composant de sa place forte. Plus souple, plus dur et capable de résister aux températures les plus extrêmes.
- Et donc ?, s’impatienta Bruce qui ne comprenait pas où Maetel voulait en venir.
- Il arrive que les esprits emprisonnés à l’intérieur de celui-ci soient encore conscients de leur existence. Certains d’entre-eux sont entrés en résonance avec Reiko car le lien qu’ils partageaient sur Terre était fort.
- Ils l’ont menée jusqu’au vide-sanitaire où je l’ai interceptée, c’est ça ?, l’interrompit Leopard. Je m’en doutais.
- Le vide-sanitaire ?, répéta le sniper, hébété.
- Oui, Franken. Le grain de sable le plus insignifiant peut enrayer un mécanisme dans son intégralité. En extrayant des rouages de la machinerie, elle a entraîné un dysfonctionnement majeur qui a fait sauter l’alimentation de l’artillerie humanoïde.
- Et qui a sauvé vos fesses !, conclut Tetsuro.
- Vous en êtes sûre ?, lança Julia, dubitative.
- Il n’y a aucune autre explication possible.
Bruce frappa un mur du plat de la main, désabusé.
- Reiko ? Reiko aurait fait ça ?
- Involontairement, argua Maetel. Tout ce qu’elle souhaitait, c’était libérer ceux qu’elle considère comme sa famille. Le reste est le fruit d’une réaction en chaîne.
- Si vous aviez pris deux minutes pour la questionner, vous l’auriez compris !, lâcha Leopard, moqueur. Quel genre de mari êtes-vous donc ? N’importe quel homme aurait été heureux de revoir son épouse vivante et entière et ce, peu importe les circonstances de son départ.
Une fois n’est pas coutume, Bruce ne répondit pas.
“Ça me fait mal de l’avouer mais cette baltringue est dans le vrai. Je reproduis les mêmes erreurs encore et encore. Yûki a essayé de me le dire mais je n’ai pas écouté… Pour un tireur d’élite, je suis très long à la détente.”
- Vous avez vu Koko ? Je ne la… Oh.
Louise s’immobilisa devant l’entrée de la salle de pause de l’unité Sirius.
- Excusez-moi… Je reviendrai plus tard !
Une sueur froide ruissela dans le dos de Bruce.
“Oh non. Elle a récidivé.”
- Comment ça ? Elle n’est pas en train de dormir ?, s’étouffa-t-il, proche de l’apoplexie.
- Elle… Elle…
Tetsuro s’avança en toussotant.
- Ouais, à la base c’est de ça dont je venais vous parler.
Il fouilla dans ses poches et en tira une lettre froissée.
- Pour toi, dit-il en la tendant à Bruce, qui se préparait déjà à dégonder la porte. Et une autre pour Leopard.
Le sniper arracha le papier de l’emprise du voyageur du 999 avant de sortir de la pièce sans ajouter un mot.
Quant au chef des résistants, il déplia délicatement le sien sur lequel n’étaient inscrites que quelques lignes.
“Commandant Franken Bach Leopard,
Merci de votre aide et de votre confiance.
Et surtout, merci de m’avoir accordé un tout dernier vol.
Une nouvelle ère s’ouvre pour Râ-Metal qui, assurément, permettra à son peuple de surmonter les horreurs commises par Promethium.
J’ai hâte de voir germer les graines de la République que vous avez semées.
Bien à vous,
Reiko”
- J’espère que vous viendrez voir s’épanouir ces fleurs en personne, murmura-t-il en repliant sa correspondance.
***
- Tu es sûre que tu ne veux pas rester ? Le Docteur Zero se chargera du suivi de ta grossesse et…
- Papa, j’adore être ici mais ta vie est loin d’être calme et sereine.
- C’est vrai, reconnut Harlock, mais nous pouvons faire une halte sur SSX….
- Jusqu’à la naissance du bébé ? Otto-san, tu as des millions de trucs à gérer, à commencer par la passation du pouvoir sur Râ-Metal. Leopard semble tout indiqué pour instaurer une démocratie et guider les habitants de cette planète vers la liberté mais il n’y arrivera pas par ses seuls moyens.
Le Capitaine se laissa tomber sur son lit.
- Je suis du même avis.
- Je serai entre de bonnes mains.
- Très bien, usagi.
Reiko s’assit aux côtés de son père et appuya une joue contre son épaule.
- Tto-san. Je crois que la vengeance n’a jamais été mon destin. La Grande Roue de l’Univers avait d’autres ambitions pour moi. Moins glorieuses mais…
- Toutes aussi importantes ?
- Oui. Promethium était le dessein de Maetel et de Tetsuro. Pas le mien.
- Ni le mien. Cette Grande Roue, comme tu dis, avait aussi des aspirations différentes pour moi.
- Lesquelles ?
- Te permettre d’accomplir ta destinée, poussin, déclara-t-il en lui caressant les cheveux.
- Quelle piètre destinée…
- Ce n’est sûrement pas l’opinion de ceux qui reposent maintenant en paix.
- Tu m’en diras tant…
Harlock s’obligea à se mettre debout.
- Bon, dans ce cas, partons.
- Et ceux qui sont sur place ?
- Yattaran et le Doc ? Je reviendrai pour eux quand tu seras loin d’ici. De toute façon, ils sont déterminés à porter secours à la SDF, que ce soit sur le plan médical ou sur celui de l'ingénierie.
Elle tira sur la cape du hors-la-loi.
- Bruce… Il me… Je…
- Koko, tu savais à quoi t’attendre quand tu t’es mariée avec lui. Tu savais également à quoi t’attendre lorsque tu es montée dans ce jet avec Tetsuro.
- Je sais… Je ne le sais que trop bien.
- S’il t’aime, il te pardonnera.
Le battant se referma derrière le pirate, et Reiko se retrouva livrée à elle-même.
- S’il m’aime… Mais parfois, ça ne suffit pas, hein ?
***
Parvenu dans un salon isolé du Quartier Général, Bruce fit pivoter la lettre entre ses doigts, fébrile.
Puis, sans plus de cérémonie, il la déplia sèchement.
“Mon amour,
Tetsuro m’a juré de te transmettre ce message après le décollage de l’Arcadia. De cette manière, je t’évite de choisir entre moi et ton travail ici.
Enfin, dans l’optique où ton cœur m’appartient toujours. Sache que je comprendrais que mon attitude décevante soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase.
Je ne vais pas revenir sur les motivations qui m’ont poussée à aller sur Râ-Metal car elles étaient influencées par ma haine et mon aveuglement.
Là-bas, j’ai cependant pu trouver ce que je cherchais quand bien même j’ignorais le chercher.
Ce n’est pas très clair, mais je te raconterai tout si tu le désires.
J’aurais voulu te dire ceci de vive voix mais, si je me fie à la froideur de nos retrouvailles, le mieux que je puisse faire pour toi est de t’offrir du temps.
En ce qui me concerne, et puisque ma mise à pied n’a pas été levée, je me rends sur Tabito pour m’éloigner de toute cette agitation et me reposer pour de bon.
Fais attention à toi,
Je t’aime,
Reiko
PS : Ne t’en prends pas à Tetsuro s’il-te-plaît et salue Manabu, Louise et David pour moi.”
Après avoir terminé sa lecture, il froissa la missive et se passa une main sur le visage avec lassitude.
- Idiote.
***
Les propulseurs du vaisseau se mirent en marche, entraînant un vent violent qui souleva les cheveux de Reiko.
- Sois prudent, Otto-san.
Sur Tabito, l’hiver cédait lentement mais sûrement sa place au printemps.
Perce-neige et jonquilles avaient entamé leur floraison dans les jardinets qui ornaient la gare.
La jeune femme s’agenouilla devant les fleurs, un petit sourire flottant sur ses lèvres.
- Après les températures glaciales de Râ-Metal, je suis contente de vous contempler, mes mignonnes.
La pilote se releva et prit la direction de l’établissement de Kanna, le cœur un peu plus léger.
Une fois devant le shoji, elle toqua doucement contre le vantail avant de le faire coulisser.
- Excuse-moi, j’entre.
L’hôtesse des lieux se rua vers elle sans qu’elle ne puisse ôter ses chaussures.
- Koko ! J’ai eu l’appel de Phantom. Je ne m’attendais pas à ta visite ! Tu es venue seule ? Et il m’a annoncé… Il m’a annoncé… Oh ! Félicitations Reiko ! Mais… Pourquoi pleures-tu ?
La militaire se réfugia dans les bras de sa mère adoptive.
- Parce que je fais n’importe quoi.
Kanna l’étreignit avec tendresse.
- Je suis sûre que non. Je vais te servir du thé bien chaud et tu me confieras tout, d’accord ?
***
“Prochaine station Tabito… Prochaine station, terminus : Tabito !”
Bruce jeta un sac sur ses épaules et se dirigea vers la porte du wagon.
- Chaton, tu es vraiment une imbécile.
Il enclencha la poignée en soupirant.
- Mais pas autant que moi, hein ?
Il ne s’était pas écoulé plus de quinze minutes entre le moment où le sniper avait achevé de lire la lettre de Reiko et celui où il avait embarqué dans le premier train à destination de la planète natale de Manabu.
Il avait à peine pris le temps de prévenir ses supérieurs et son peloton de ce départ précipité. Après avoir tassé quelques affaires au fond d’une besace, il s’était rué vers la gare.
“Le jour où la colère cessera enfin de me dicter ma conduite, je pourrai sabrer le champagne mais je crains que ce ne soit pas demain la veille. Par ma faute, Reiko finit toujours par se sentir coupable et ça… C’est intolérable. Surtout que j’ai promis à sa famille de ne plus la blesser. Ce gars n’avait pas tort, j’aurais simplement dû me réjouir de la revoir en bonne santé.”
- Et elle n’aurait pas eu besoin de fuir dans le trou du cul de la Galaxie…
Il descendit de l’express Falcon et sortit de la station sans un regard pour les fleurs qui avaient capté l’intérêt de la pilote.
L’aube n’allait pas tarder à pointer le bout de son nez et il n’avait pas fermé l'œil depuis près de vingt-quatre heures.
- Je veux être là à ton réveil, mon coeur.
Il rejoignit le restaurant de Kanna au pas de course et, alors qu’il s’apprêtait à tambouriner contre le shôji, celui-ci s’ouvrit furtivement.
Une tête blonde apparut dans l’interstice.
- Vous voulez la réveiller ?
- Je…
- Vous êtes en retard. Il n’y a pas de train plus rapide sur Destiny ? À quoi ça vous sert donc de commander Big1 ?
- J’étais…
- Dans son état ! Vous êtes censé veiller sur elle !
- Elle vous en a…
- … Dit plus qu’à vous, visiblement. Sinon, elle ne serait pas assoupie dans le lit de Manabu et j’aurais encore un stock de mouchoirs dans mon armoire.
- Mais…
- Il n’y a pas de “mais”, Bruce James Speed ! Enlevez ces bottes dégoûtantes et entrez.
Le Commandant de la section Sirius renonça à défendre son cas face à l’ouragan “Kanna”, puisque, de toute façon, c’était un combat perdu d’avance.
- Bon sang, vous êtes un grand garçon, non ? Ravalez donc votre frustration et serrez les dents !
Elle poursuivit son monologue tout en rangeant le manteau de son invité dans la penderie.
- Son comportement était peut-être irresponsable mais le vôtre n’en était pas moins puérile ! Vous vous rendez compte qu’elle est convaincue d'être une déception à vos yeux ? Et que, de ce fait, elle croit ne pas mériter votre amour ?
- Kanna…
- Elle est enceinte de votre enfant ! Et vous n’avez pas daigné l’embrasser alors qu’elle a risqué sa vie dans cet enfer !
- Kanna…
- Tout ça pour essayer de vaincre les démons qui la tourmentent… Je ne cautionne pas spécialement son attitude mais votre réaction était disproportionnée !
- Kanna !
- Qu’y a-t-il ?
- Ce que vous dites est vrai, je n’ai pas d’excuse et je ne m’en cherche aucune. Si vous avez terminé, j’y vais.
La mère de Manabu s’interposa entre Bruce et les escaliers.
- Non. Elle vient tout juste de s’endormir. Si vous tenez à elle, vous la laisserez récupérer tranquillement. Vous avez mangé ?
- Je n’ai pas faim. C’est ma femme…
- Et ma maison, gronda Kanna. Vous ferez donc ce que je dis. Vous n’êtes pas le seul Commandant à avoir franchi les portes de mon établissement. Et aucun ne s’est permis de me donner des ordres, alors je vous garantis que vous ne serez pas le premier. Allez donc vous asseoir là bas, je vous réchauffe des ramens. Exécution, soldat.
Le soldat en question, qui n’eut pas d’autre alternative que d’obéir, s’assit mollement sur une chaise.
- Bien reçu madame.
***
Installé en face de la restauratrice, Bruce dégustait son repas en silence, morose.
- Je suis désolée… Je n’aurais pas dû vous agresser de la sorte.
- Pas grave. Vous avez dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas.
- Ce n’était pas une raison pour vous traiter de cette manière.
- Si, ça l’était. Je suis un mari déplorable. Bien sûr que j’étais énervé à cause de sa récidive d’évasion mais le véritable motif de mon emportement c’était… C’était ce type, maugréa-t-il.
Kanna haussa un sourcil intrigué.
- Ce type… Léo… Léopard ? L’homme qu’elle a rencontré sur Râ-Metal ?
- Ouais.
- Vous êtes un gamin, pouffa-t-elle.
- Vous l’avez pas entendu, grogna-t-il.
- Inutile, affirma-t-elle après s’être calmée. Peu importe ce qu’il vous a dit… Elle est si désespérément amoureuse de vous que la seule chose qu’elle ait mentionné à son sujet était qu’il vous ressemblait.
- Et c’est bien, ça ?, l’interrogea-t-il, perplexe.
- Si j’en juge par le torrent de larmes qui a suivi, je vous laisse deviner.
- Je suis un idiot ?, marmonna–t-il.
- Ce n’est pas moi qui l’ai dit.
La mère de Manabu se releva en époussetant son tablier.
- Dormez donc quelques heures, ça ne vous fera pas de mal. Le canapé-lit est prêt.
Ignorant les bougonnements provenant du salon, Kanna s’engagea dans les escaliers menant à l’étage.
- Les marches grincent, l’avertit-elle.
Un grommellement dépité fut l’unique réponse qu’elle obtint.
***
À tâtons, Bruce fit pivoter le panneau de la chambre.
Puis, le souffle court, il pénétra à l’intérieur de la pièce.
Un léger ronflement lui parvint aux oreilles tandis que la lumière du jour filtrait à travers les persiennes.
Il fallut plusieurs secondes à ses pupilles pour s’habituer à l’obscurité. Enfin, il remarqua une silhouette recroquevillée dans un fûton.
Le Commandant s’avança à tâtons et s’assit en tailleur à côté de sa femme.
Il écarta la mèche de cheveux qui recouvrait son visage et se prit à sourire bêtement lorsqu’il aperçut la bave qui coulait au coin de sa bouche.
Reiko remua les narines, perturbée par cette présence rapprochée. Ses paupières se décollèrent difficilement alors qu’une voix familière se frayait un chemin jusqu’à son cerveau.
- Bonjour chaton.
La jeune femme écarquilla les yeux avant de se redresser sur les coudes.
- Je… J’hallucine ? C’est un rêve ?
- Ou un cauchemar, ça dépend du point de vue.
Elle posa une main sur le poignet de son époux afin de vérifier qu’il était bien réel.
Interloquée, elle peinait à interpréter l’image que lui renvoyaient ses rétines.
- Bruce ? Mais… Comment ça se fait… ? Pourquoi t’es là ?
- Comme si je pouvais être ailleurs, benête.
- On est sur Tabito ?
- Jusqu’à preuve du contraire, oui.
- Mais… Mais… Et ton travail ?
Le sniper l’attira contre lui et nicha son nez dans son cou.
Elle poussa un petit cri de surprise, choquée par ce revirement de situation.
- Je te demande pardon, lâcha-t-il entre ses dents.
La pilote le serra dans ses bras, émue.
Toute l’amertume, toute la souffrance, tous les doutes qu’elle ressentait s’évanouirent.
Balayés par une étreinte.
- Evidemment que je t’appartiens. Je t’ai toujours appartenu, continua-t-il. Comment peux-tu encore te poser cette question ? Hein ?
- Tu n’es plus fâché ?
- Parce que tu m’as menti, que tu t’es sciemment mise en danger et que tu as failli mourir… À ton avis ?
Reiko prit ses distances avec son mari, penaude.
- Je suis dé…
- C’est bon, je ne suis pas le mieux placé pour te faire la leçon.
- Mon amour… Je ne voulais pas te contrarier. Si je n’avais pas tourné la page “Râ-Metal”, je sais que ça m’aurait hanté pour le reste de mon existence…
- J’aurais dû venir avec toi. Ce n’était ni le rôle de Tetsuro, ni celui d’Harlock et encore moins celui de ce Leopard.
Elle se lova à nouveau contre Bruce en humant son odeur réconfortante.
- T’es pas décevante. Arrête de croire à des conneries pareilles. C’est plutôt moi qui ne suis pas digne des sentiments que tu me portes.
- Non… Ne dis pas ça…
- Je t’ai blessée à tel point que tu t’es sauvée à l’autre bout de l’univers et j’en suis pas fier.
- J’imaginais que…
- Le bébé et la SDF, c’était trop dur à gérer ?
- Oui, avoua-t-elle à demi-mots.
- Tu me sous-estimes, chérie.
- Ils n’ont pas besoin de toi là-bas ?
- Je m’en cogne.
- Bruce !
Il haussa les épaules avec nonchalance.
- Je reviendrai quand tu seras rétablie. Vous êtes ma priorité. Peut-être que… Demeurer ici un moment n’est pas une si mauvaise idée… Pour s’éloigner de Destiny et de tout ce merdier.
- Je suis toujours suspendue ?
- Ouais, si tu es d’accord. Et j’aimerais vraiment que tu le sois, chaton.
Elle réfléchit un instant, amusée.
- Si j’accepte de ne plus embarquer sur Big1, je voudrais au moins aider à la paperasse. Je suis sûre que Tôdo ne refusera pas un peu de renfort au département administratif.
- Okay, ça me paraît être une proposition raisonnable.
- Je te dois bien ça… Pour tous les soucis que je t’ai causés. Je sais que tu as le droit d’être furieux mais…
- Hum, la vie est trop courte pour ça. Je t’aime et je veux prendre soin de vous deux. Si tu me le permets.
- Ça me plairait beaucoup.
Pelotonnés l’un contre l’autre, Bruce et Reiko écoutaient le bruit de leurs respirations respectives.
Simplement heureux d’être réunis.
Simplement heureux de s’aimer.
Simplement heureux d’être en vie.
***
- Laisse-moi passer !
- Hé ! Pousse pas !
- Faites moi de l’air tous les deux !
- Bruce, soupira Reiko.
- Mais c’est eux là ! Ils me saoulent déjà !
- Hé !, protesta Louise.
- C’est bien l’hôpital qui se fout de la charité, s’exclama Manabu.
- On n’était pas obligé de les emmener, intervint David.
- Toi non plus, on n’était pas obligé de t’emmener. Il n’y a que Yûki que j’avais invité. Vous autres c’est parce que Koko a insisté.
La pilote frappa contre le battant.
- Soyez respectueux, n’oubliez pas qu’ils sont en deuil.
Le médecin de Big1 se faufila auprès de Reiko.
- Dire que nous n’avons même pas pu assister à l’inhumation à cause d’un accident sur la ligne Altair…
- Ce voyage était d’autant plus nécessaire.
- T’es déjà à cinq mois, j’aurais préféré que tu restes tranquille.
- Je suis juste montée dans un train, Bruce ! J’ai pas couru un marathon.
Le shôji s’ouvrit en grinçant, coupant court à la dispute.
Le peloton Sirius s’inclina alors comme un seul homme.
- Monsieur et Madame Murase, nous vous présentons toutes nos condoléances !
Koharu et Isao les saluèrent à leur tour.
Pâles et amaigris, ils semblaient écrasés par un poids colossal.
Le poids de la disparition de leur fils unique.
- Merci à tous d’êtres venus. Entrez, je vous prie, lança la vieille dame en s’effaçant sur le côté.
Elle avisa ensuite le ventre rebondi de Reiko et un petit sourire se dessina sur ses lèvres.
- Félicitations ! C’est prévu pour quand ?
- Le 24 septembre !
Le panneau claqua derrière les membres de la Space Defence Force.
- Oh, c’est merveilleux !, reprit la voix étouffée de Koharu. Un garçon ou une fille ?