A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 44 : Râ Andromeda Promethium

5907 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 08/03/2024 18:29

Chap 44 : Râ Andromeda Promethium


- Il y en a combien ? Bordel, il y en a combien !?


Harlock se baissa pour éviter un faisceau lumineux.

Bien qu’il soit un excellent tireur, ce n’était qu’une question de minutes avant qu’il ne soit submergé par le nombre de ses assaillants.

“J’espère avoir accordé suffisamment de temps à Koko pour… Pour trouver ce qu’elle cherche si désespérément. Que ce soit réel… Ou non.”

Son cosmo-dragoon se déchargeait lentement mais sûrement et, s’il ne se voilait pas la face concernant ses chances de survie, abandonner n’était pas une option. 

Et n’en avait jamais été une.


- Mon lapin… J’aurais volontiers sacrifié mon deuxième œil pour que tu n’aies pas à remettre les pieds sur cette planète lugubre.


Le Capitaine s’accroupit derrière une console et fit pivoter son pistolet entre ses doigts. Trois barres rouges clignotaient sur son côté gauche. 


- Si je m’éternise ici, je vais manger les pissenlits par la racine plus vite que prévu. Pourvu que Reiko ait pu s’abriter… Elle est maligne et son instinct lui fait rarement défaut… Et, par-dessus tout, elle sait mieux que personne comment se soustraire aux regards inquisiteurs.


En revanche, quel que soit l’endroit où se posaient ses yeux, il ne discernait rien d’autre qu’un tas d'ennemis grouillant comme de la vermine.


- Une percée ?, marmonna-t-il. Ça ne se fera pas sans dégât… 


C’est alors qu’elle lui parvint aux oreilles.

La clameur assourdissante.

Elle mêlait des hurlements féroces au fracas d’une course endiablée et se répercuta en un écho interminable dans le couloir.


- Mais… On dirait bien…!


Une horde de guerriers emmitouflés dans d’épais manteaux de fourrure débouchèrent au pied de la cage d’escalier devant laquelle le hors-la-loi vendait chèrement sa vie. Celui-ci se plaqua alors sur le mur pendant que des traits laser fusaient de part et d’autre du large corridor.

“Les humanoïdes ne peuvent rien face à un tel déferlement de haine et de détermination.”

La suite des événements donna raison au rebelle car les robots furent tous anéantis sans exception.

Il se redressa ensuite maladroitement, sonné par cette intervention providentielle qui s’apparentait en tous points à un miracle.

Contre toute attente, des dizaines de fusils le prirent en otage et il leva les bras au ciel.


- Je ne suis pas votre ennemi.


L’un des hommes s’approcha et retira sa capuche.


- De qui êtes-vous donc l’ennemi, Capitaine Phantom F. Harlock ?


***


Hébétée, Reiko contemplait l’ouverture dans laquelle les âmes des enfants avaient été détenues durant plus de vingt ans. 

Retenues captives à l’intérieur de rouages, de boulons et de vis.

Un sort qu’elle avait été incapable de leur épargner.


- Je ne dois pas me flageller. J’étais comme eux. Une pauvre gamine des rues.


La jeune femme s’ébroua et se releva péniblement, gênée par l’exiguïté du vide-sanitaire, tandis que des picotements tiraillaient sa peau.

Elle avisa alors avec horreur la chair à vif de ses phalanges et de ses tibias. 


- Oh, c’est pas beau. Bruce va pas aimer. Papa non plus.


Elle rampa jusqu’à l’échelle menant au rez-de-chaussée.

“Pas un bruit… La voie est probablement libre.”

Nauséeuse, elle enjamba le premier barreau. Des vertiges troublaient sa vision et il lui était difficile d’en faire abstraction.

Elle glissa deux doigts sous la lourde plaque de métal et la souleva de quelques millimètres.

L’obscurité était particulièrement dense et, à travers celle-ci, elle ne distinguait aucune forme de présence potentiellement létale.

“Je vais rejoindre Otto….”


- AAAH !


Quelqu’un avait arraché la trappe et des mains aussi grosses que des battoirs l’empoignèrent sous les aisselles. 

Prise de panique, elle se débattit et tenta, sans succès, d’attraper son arme de service. 


- Ne me touchez pas ! Ne me…


Elle s’immobilisa à l’instant où elle aperçut les manteaux qui enveloppaient la quinzaine d’individus autour d’elle.

Les humanoïdes ne ressentent ni le froid ni la chaleur.

Pourquoi s’habilleraient-ils de la sorte ?


- Qui… Qui êtes…, bégaya-t-elle, sous le choc de cette rencontre inattendue.


“Pas des pirates… Est-ce que… ?”


- Reiko ?


Un homme se détacha du groupe en ôtant son capuchon, dévoilant des cheveux blonds, presque blancs, et des prunelles turquoises.

“Sauf pour ce qui est du nez et du menton… Il ressemble… Il ressemble vraiment à Bruce. Jusqu'à son expression faciale, aussi renfrognée et indéchiffrable que la sienne.”


- C’est toi, Reiko ?


Circonspecte, la militaire garda le silence, fixant farouchement le nouveau venu.


- Je suis le Commandant Leopard. Je dirige la Résistance humaine de Râ-Metal.


Elle ouvrit la bouche et la referma aussitôt.

“Et s’il mentait ? Et si c’était un piège de la reine ?”


- On ne te veut aucun mal. Harlock est à ta recherche.

- Il va bien ?, demanda-t-elle brusquement, avant de plaquer une main contre ses lèvres en se rendant compte de son erreur.


Le soldat eut un léger sourire.


- Il n’était pas blessé lorsqu’on s’est quittés.

- Et qu’est-ce qui me dit que vous n’êtes pas à la botte de Promethium ?

- “Si usagi refuse de vous suivre, rappelez-lui qu’elle n’est pas seule dans la balance.”, récita-t-il d’une voix morne.


Reiko se détendit un peu et adressa un signe de la tête à Leopard, qui enjoignit à ses subalternes de la relâcher.


- C’est bon, je vous crois. Vous n’auriez pas pu inventer un truc pareil.

- En effet.

- Je ne savais pas que… Qu’il y avait encore…

- Des gens qui respirent sur ce fichu caillou ?, l’interrompit une imposante silhouette encapuchonnée.

- Oui, monsieur.

- Hé bien, tu n’es pas la première à nous sous-estimer. 

- Burnbarrel, on y va. On a assez perdu de temps.

- On y va… Où ?, les questionna-t-elle, confuse.


Leopard plissa les paupières, concentré.


- Toi, tu me suis comme mon ombre. J’avance, tu avances. Je cours, tu cours. Je m’arrête, tu t’arrêtes. Je t’ordonne de ne pas bouger, tu te transformes en statue, c’est clair ? Je ne tolérerai aucun acte d’insubordination.


La pilote serra les dents, contrariée.


- J’entends ça toute la journée.


Le Commandant ne répondit pas, se bornant à la dévisager sans aménité.


- Ça va, j’ai pigé. Il vous a promis quoi en échange ?, demanda-t-elle en faisant allusion à son père.

- Si cela sied à madame, on met les voiles, intima le sosie de Bruce en l’ignorant délibérément. Allez les gars !

- Pas croyable, ce sont des jumeaux cachés ces deux-là ?, ronchonna-t-elle en pensant à son époux. En fait… Un Leopard c’est une bestiole plutôt Speed, non ?

- Qu’est-ce que tu racontes ?, l’interrogea le dénommé Burnbarrel, un vétéran aux cheveux et à la barbe grisonnants.

- Rien, je suis fatiguée. On va où ?

- Tu verras quand on y sera, petite.


***


- Qu’est-ce que c’est ?


Burnbarrel claqua la porte d’une armoire dans laquelle avait été dissimulé un tube rose fluorescent.


- Une bombe à ondulations.

- Pas vrai…. Comme celles… Comme celles… Utilisées par Promethium contre le Galaxy Railways ?

- À la différence près que les nôtres ne sont pas constituées des résidus d’humanité de pauvres hères. D’ailleurs, nous avons presque terminé de les installer aux quatre coins de la base.

- Je vois… Et vous allez…


Leopard se pencha au-dessus de l’épaule de Reiko et celle-ci sentit son souffle chaud au creux de sa nuque.

Elle frissonna, perturbée par ce rapprochement intempestif.


- Les déclencher pour faire exploser cette forteresse maléfique.

- Ah…


Il frappa le panneau derrière la pilote qui sursauta, surprise par cette soudaine virulence.


- Et, par la même occasion, on libérera tous les esprits prisonniers entre ces murs.

- Oh.

- Tu sais de quoi je parle, n’est-ce pas ?


La jeune femme détourna le regard et un tic nerveux agita la commissure de sa bouche.


- Oui.

- T’étais pas dans ce vide-sanitaire par hasard, hein ?


Les mots du Commandant étaient aussi précis et incisifs que les tirs de Bruce.


- Harlock vous a prévenus à propos…

- Des voix d’enfants. Exactement. Il faut posséder une certaine sensibilité pour percevoir les murmures émis par l’acier râ-métalien.

- Disons que… Mon lien avec eux était… Il était…

- Puissant ?, proposa-t-il en approchant son visage de celui de son interlocutrice.

- C’est ça, oui, approuva-t-elle en rougissant.

- Intéressant, conclut-il en s’éloignant.


Reiko, qui avait été en apnée tout au long de la conversation, inhala une bouffée d’air glacial.

“Le magnétisme de ce type est impressionnant. Faut croire que c’est inhérent aux grands blonds aux yeux bleus.”


- On continue, il y en a encore trois à po…


Une déflagration sur sa droite empêcha Leopard d’achever sa phrase et les résistants furent projetés pêle-mêle dans la salle des machines.

Par réflexe, la militaire se recroquevilla en position foetale pour protéger son ventre, priant pour que l’impact ne soit pas trop violent. Son dos heurta alors brutalement une paroi et elle glissa contre celle-ci telle une poupée de chiffons gémissante.

Des faisceaux volèrent au-dessus de son crâne et, trop étourdie pour se mouvoir, elle se contenta de les observer illuminer les alentours.


- Faut pas rester là !, s’égosilla Burnbarrel en la tractant à l’abri d’une console.


Elle s’affala aux côtés du vieil homme en soufflant comme un bœuf.

Le chaos ambiant était indescriptible et une épaisse fumée grise s’était répandue dans la pièce, ce qui rendait hasardeux les tirs des humains, comme ceux des humanoïdes.

Le duo fut bientôt rejoint par le Commandant Leopard recouvert d’une poussière blanchâtre qui masquait la couleur sombre de ses vêtements. Seuls ses iris délavés perçaient au milieu de cette couche laiteuse.


- C’est bon, t’es avec nous ?, interrogea-t-il Reiko en l’attirant vers lui afin de vérifier la présence d’éventuelles blessures.

- Ouais, ça va, je suis juste un peu sonnée, croassa-t-elle.


Il la relâcha donc pour dégainer son arme et, à l’instar de son ami, entreprit de viser les robots malgré son champ de vision réduit. 


- Pas moyen de déterminer combien ils sont à travers cette purée de poix, grommela-t-il.

- Les fusées éclairantes ?

- On leur offrirait notre localisation sur un plateau doré.


Pendant que ses équipiers du jour débattaient pour trouver une solution qui leur permettrait d’éviter un sort peu enviable, Reiko ôta la sécurité de son holster. Son auto-mail avait été fragilisé par les températures souterraines élevées et les phalanges étaient parcourues de spasmes musculaires incontrôlables.

“C’est inutilisable…”

Elle détailla ensuite sa main gauche, dont l’état était critique, notamment à cause des brûlures au deuxième degré qui nécessitaient des soins immédiats et qui l’élançaient furieusement.

“Je suis encore la moins efficace d’entre-tous.”

Puisque de deux maux il lui fallait choisir le moindre, elle opta pour le côté gauche.

Puis, elle se retourna avec effort et, après une profonde inspiration, appuya sur la gâchette.

La douleur suscitée par le contact avec le métal et le plastique était vive et des larmes embuèrent ses yeux. Elle poursuivit malgré tout, consciente que ses shoots éparses étaient sûrement loin d’inquiéter leurs ennemis.


- Faut qu’on bouge ou cet endroit sera notre tombeau, maugréa Leopard.

- Hum, tu as raison, abonda Burnbarrel.


Le Commandant abaissa doucement le canon du cosmo-gun de Reiko.


- Tu en as assez fait, on prend le relais.

- Je fais… Je fais partie du peloton Sirius… La Space Defence Force n’abandonne… N’abandonne jamais, tenta-t-elle maladroitement d’expliquer.

- Le Galaxy Railways, hein ? Pas étonnant que tu sois liée à l’une de nos princesses.

- Maetel ?


Il ne répondit pas, arrachant simplement le foulard immaculé qui pendait à son cou. Il le secoua pour ôter les saletés qui s'accrochaient au tissu et banda les plaies de la fille d’Harlock. Cette dernière se mordit les lèvres au sang pour ne pas crier.


- J’ai terminé. Pour ce qui est de ta prothèse, je ne peux rien faire. Elle est foutue.


Il jeta un œil vers le visage de sa patiente, dont la souffrance avait durci les traits.


- Tu es courageuse. Tu te rappelles ce qu’on s’est dit ?


Elle hocha la tête.


- Bien. On décampe.


Il enleva un gant à l’aide de ses dents et porta index et majeur à sa bouche afin d'émettre un long sifflement aigü.

Les résistants encore en vie parurent réceptifs à ce signal et tous se dispersèrent.


- Nous aussi.


Le trio se redressa et, prise entre la haute stature des deux hommes, la pilote se contraignit à suivre le mouvement. 

“J’aimerais… J’aimerais que ce cauchemar prenne fin au plus vite.”, songea-t-elle en se figurant l’explosion qui avait failli la tuer.

Elle n’était qu’à moitié rassurée par l’absence de contraction et elle craignait que son bébé n’ait été brusqué lors de sa chute.

“Si je fais une fausse-couche, Bruce ne me le pardonnera pas.”

Le petit groupe s’enfila dans un dédale de couloirs tous plus obscurs les uns que les autres. À ce stade de la mission, Reiko était exténuée.

Elle ne regrettait pas d’être venue car cela lui avait permis de faire son deuil. Cependant, son organisme avait atteint ses limites et elle n’aspirait plus qu’à du repos.

Même vaincre Promethium était devenu un objectif secondaire.

Toute cette histoire avait eu le mérite de lui faire comprendre qu’elle n’était pas celle qui devait arrêter la reine.

Ce n’était pas son rôle et cela ne l’avait jamais été.

Aveuglée par la haine, il lui avait fallu beaucoup de temps pour le réaliser.

“Je ne suis ni Maetel, ni Tetsuro… Ni même Harlock. Je suis moi et tout ce dont je dois me préoccuper… C’est…”

Elle risqua un regard par-dessus l’épaule du Commandant et nota avec horreur une arrivée massive de soldats.

Et c’était sans compter les bruits de pas qui résonnaient dans leurs dos. 


- On va être pris en tenaille !

- Par ici !, leur enjoignit Leopard en désignant une coursive latérale.


Ils disparurent à l’angle du corridor au moment où des rayons lumineux transperçaient la noirceur ambiante. Reiko trébucha et se rattrapa in-extremis au manteau de fourrure de Leopard qui courait devant elle.


- Dépêchez-vous ! On doit leur échapper sinon…. Sinon…


D’autres humanoïdes surgirent face à eux et, fébriles, ils se faufilèrent dans un énième couloir.

Puis, à leur grande surprise, ils débouchèrent dans une immense salle circulaire soutenue par d’imposantes colonnes. L’architecture grecque ancienne terrestre jurait avec le reste de la base et, derrière les fenêtres, s’étendaient des landes enneigées sans âme qui vive.


- Non ! Il faut dégager, aboya Burnbarrel. Je reconnais…


Alors que le Commandant poussait Reiko vers une sortie alternative, une voix claqua, sèche. 

Elle aurait pu être celle du croquemitaine ou du diable en personne, qu’elle n’aurait pas effrayé davantage la pilote qui étouffa une plainte sourde.

“Nous y voilà. Ici… À la fin de toutes choses.”


- Il est trop tard pour cacher ta traîtrise Franken Bach Leopard. Et… Oh. Je vois que tu n’es pas venu seul… Tu es accompagné d’une invitée de marque. Sakuramachi…Tes deux premières visites ne t’ont pas suffi ? Tu t’es enfin décidée à intégrer mon œuvre magistrale ?


Les jambes en coton et les membres agités de tressautements, la jeune femme était pétrifiée par la terreur, incapable d’esquisser le moindre geste, ne serait-ce que pour s’enfuir.

Toute sa résolution avait fondu comme neige au soleil et elle se retrouva aussi démunie que l’enfant qu’elle était jadis.

“Je ne pourrai jamais transcender la peur qu’elle m’inspire.”

Drapée dans une ample robe noire qui se confondait avec ses cheveux sombres d’une longueur démesurée, le visage diaphane et inexpressif, Râ Andromeda Promethium les toisait de toute sa hauteur. 

Ses yeux étaient réduits à des orbites noires et un rouage rouge sang ceignait son front, faisant office de couronne. 

Cette créature concentrait toutes les angoisses ancestrales de Reiko.

Celle-ci rapprocha néanmoins sa main de son cosmo-gun, peu désireuse d'atterrir à nouveau dans l’une des prisons de Râ-Metal ou pire… Sur une table d’opération pour qu’on la transmute en vis.


- N’y pense même pas.


Des dizaines de robots firent un pas en avant en pointant de longs fusils sur le trio.


-  Tu me déçois, Reiko. En tant que souveraine, je voulais te souhaiter en personne la bienvenue sur ma planète. Quant à vous deux… Votre trahison est un affront inacceptable. Tous les humains ne savent que mentir et tromper. C’est pour ça qu’il est nécessaire que votre race d’êtres inférieurs s’éteigne enfin. C’était un honneur bien trop grand que de vous autoriser à rejoindre mon armée royale.

- Tu nous traites comme des moins que rien, vociféra Leopard. Tu croyais vraiment que nous allions te laisser nous convertir en esclaves mécanisés ?

- Je n’attends rien de votre espèce répugnante. Quant à toi…, persifla-t-elle en reportant son attention sur la pilote, tu n’as pas changé. Tu es toujours cette gamine apeurée, suppliant pour qu’on épargne sa vie pathétique.


Le menton parcourut de tremblements, elle recula d’un pas.

Elle voulait fuir le plus loin possible de cette abomination.

Finalement, Promethium soufflait sa rage comme la flamme d’une bougie.

Toute sa hargne, toute sa colère… Il n’en restait que des cendres.

Rien ne faisait le poids face à l’épouvante qu’elle ressentait.


- Et si je commençais pas toi ? Nous pourrions terminer ce que Maetel a interrompu il y a des années…

- Non… Non… Je ne veux… Je ne veux pas !


La panique déferla sur la militaire.

Tempête impitoyable et dévastatrice.

Une silhouette se plaça alors devant elle, la masquant à la vue de la dictatrice de Râ-Metal.


- Non, tu n’en feras rien.

- Et c’est un misérable insecte comme toi, Leopard, qui va m’en empêcher ?

- Ce ne sera pas lui mais moi, sorcière !


Le cœur de Reiko bondit dans sa poitrine et une vague de soulagement la submergea. 

Il était là.

Tout n’était pas perdu.


- Otto-san !

- Usagi. Quoi qu’il se passe, tu ne te sépares pas du Commandant, d’accord ?

- Oui… Oui.


Escorté d’une trentaine de pirates, de résistants, de Maetel et de Tetsuro, Harlock avait fait irruption dans la vaste pièce, sabre au clair.

Les événements qui suivirent se déroulèrent si rapidement que Reiko eut toutes les difficultés du monde à garder le fil de la bataille. 

Des échanges en rafales eurent lieu entre les deux camps. Puis, au milieu du chaos, Maetel et Promethium se firent face.

Mère et fille.

Reine et héritière. 

Passé et futur.

Les gravity saber s’entrechoquèrent, réverbérant la lumière froide qui parvenait de l’extérieur. 

Un combat qui déterminerait non seulement l’avenir du Galaxy Railways mais aussi celui de l’univers tout entier.

Puis, une onde fendit le sol, déchaussant les pierres blanches sous leurs pieds.


- Les bombes ! Évacuez !


De larges blocs se dessoudèrent du plafond et tombèrent devant Reiko, qui s’accroupit en posant ses mains sur sa tête.

Elle était trop déboussolée pour agir de façon rationnelle.

Quelqu’un cria son prénom tandis que des fragments tranchants éraflaient ses joues.


- Bruce… Bruce, sanglota-t-elle.


Des bras l’entourèrent et elle se blottit contre un habit chaud qui dégageait un mélange de fumée et d’huile de vidange. 


- Je vais te sortir de là mais il faut que tu m’aides un peu.

- Commandant… Leopard ?


Celui-ci souleva le menton de la pilote avec son index et essuya les larmes du bout de ses gants.


- Elle ne te fera plus de mal. Ni à toi ni à personne.


Du coin de l'œil, Reiko remarqua que les échauffourés se poursuivaient et que Maetel et Promethium combattaient de plus belle. De leur côté, Harlock et Tetsuro se démenaient également, exterminant les sbires de la reine les uns derrières les autres.


- Filons d’ici avant que tout ne s’écroule.

- O… Otto-san…

- Il survivra. Il a la peau dure. Viens, nous devons retrouver mes amis.

- Une… Une prothèse ! Vous aussi !, s’exclama-t-elle en contemplant avec stupeur l’auto-mail qui recouvrait l’intégralité du bras droit du Commandant.


Des rayons avaient brûlé le vêtement de Leopard, dévoilant le métal sous les lambeaux de fourrure.


- Il n’y a que cette partie de mon corps qui est mécanisée, lui assura-t-il. Un peu comme toi.

- Comme… Comme moi ?

- Oui, un point commun, n’est-ce-pas miss ?, lança-t-il avec un sourire charmeur.

- Euh, je… Vous savez, je suis…

- Bon, trève de bavardages, on y va, ordonna-t-il en saisissant son poignet et en l’obligeant à se mettre debout.

- Mais… Papa !


Si son père et Tetsuro demeurèrent hors de son champ de vision, Reiko aperçut les deux guerrières en train de rouler au sol dans un entremêlement de chevelures foncées et dorées.

La Lumière luttait de toutes ses forces pour prendre le dessus sur La Nuit.

Et Les Ténèbres semblaient prêts à ployer le genou.

En tout cas, telle fut l’impression de la jeune femme, ou plutôt son espoir.

La dernière image qu’elle emporta avant de vider les lieux, fut Maetel enfonçant profondément son gravity saber dans le ventre de Promethium, qui poussa un râle d’agonie déchirant.

“A-t-elle… A-t-elle vraiment réussi…!”

La salle étant proche de l’effondrement, Leopard entraîna sa protégée dans les méandres du Quartier Général qui partait à vau-l’eau.


- Non ! Je dois savoir si… !

- On n’a plus le temps !


Les murs se désagrégaient, le sol se décomposait et les consoles implosaient. 

En résumé, les explosifs à diffusion ondulatoire remplissaient leur office : anéantir totalement l’antre de la souveraine.


- On va pas… On va pas y arriver !

- Si. Les hangars sont proches. On va réquisitionner un chasseur. Les rescapés, civils et militaires, avaient pour consigne de se diriger vers les aires de lancement il y a de cela plusieurs heures. Les humanoïdes ne devraient plus poser problème de ce côté là. Et, quand Promethium mourra, ses soldats la suivront puisqu’ils sont devenus une extension d’elle-même.

- Et vous croyez que les enfants…

- Lorsque cet endroit n’existera plus, leurs âmes seront libres. C’est aussi simple que ça.


Durant leur course effrénée, Reiko faillit perdre l’équilibre à de nombreuses reprises.

Elle se heurta à des cadavres, à des reliquats de membres robotisés ou encore aux gravats provenant des déflagrations.

Et enfin, elle les repéra.


- Les hangars !

- On y est.


Il ne restait plus que quelques aéronefs dont la plupart avaient été endommagés par la mise à feu des bombes.


- Ils sont tous inutilisables !


Les mâchoires serrées, le Commandant les inspectait tour à tour avec un sang-froid qui forçait l’admiration au vu de leur situation actuelle précaire.


- Celui-là, lui indiqua Reiko, en désignant un appareil situé au fond de l’entrepôt. La carlingue est intacte !


Ils progressèrent tant bien que mal vers le chasseur en question, zigzaguant entre les débris et les failles qui lacéraient le sol. 

Lorsqu’ils atteignirent enfin leur objectif, Leopard jura bruyamment.


- Ce propulseur est méchamment abîmé. On ne pourra rien en faire.

- Un seul suffit.

- Tu t’y connais ?

- C’est mon… C’est mon métier. Je peux faire décoller ce machin.


Le chef de la Résistance fit mine de réfléchir. Bien qu’il soit un dirigeant indubitablement compétent, il n’était pas un pilote assez talentueux pour faire voler un jet avec des avaries.


- Ton auto-mail est déficient.

- Ça ira, lui garantit-elle.

- Okay, je te fais confiance.

- Sé… Sérieusement ?

- Évidemment. Quel genre de Commandant serais-je autrement ?

- Je ne vous décevrai pas !


“Bruce m’a-t-il déjà cru capable d’une telle prouesse ? Non… Il me considère comme une chose fragile à préserver du danger… Malgré nos entraînements… Malgré tous mes efforts.”

Un escabeau buta alors sur le fuselage.


- A toi l’honneur.

- Oui !


Elle déverrouilla le cockpit et bondit à l’intérieur. Elle actionna divers fusibles et manettes, enclenchant ainsi l’ensemble des systèmes du chasseur.


- Tout à l’air en état.

- Le propulseur excepté, répondit Leopard en s’asseyant derrière son équipière.

- Exact. Ce ne sera pas un problème.

- Fort bien. 


Reiko tira sur le manche directionnel puis, contre toute attente, fit pivoter le jet sur lui-même aussi rapidement que possible.


- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que…

- Je nous donne de l’élan. J’ai votre permission ?

- Vas-y !

- C’est parti !, déclara-t-elle avec enthousiasme.


Elle se sentait dans son élément.

“J’adore voler mais c’est probablement la dernière fois avant longtemps. Bruce ne me laissera pas reprendre du service. Je l’ai trompé à deux reprises… Il ne digérera pas ces trahisons de sitôt.”


- Propulseur activé. En avant ! 


Crispé, Léopard observa le décollage avec nervosité. L’aéronef penchait dangereusement sur le côté gauche. Néanmoins, il finit par s’élever dans les airs.


- Bon travail, l’encouragea-t-il. Engage-toi sur cette rampe.

- C’est comme si c’était fait !


Plusieurs blocs se détachèrent du plafond et Reiko les esquiva avec agilité.

Puis, elle s’enfila dans le passage menant à l'extérieur de la base. Elle virevolta avec aisance, oubliant provisoirement son anxiété. L’assiette du chasseur était déséquilibrée et la pilote compensait ce handicap en jonglant sur ses différents axes.


- C’est amusant, n’est-ce pas ?, se réjouit-elle.

- Si… Si tu le dis, lui accorda le Commandant, quelque peu nauséeux.


Le tunnel s’étira encore sur une centaine de mètres et, enfin, ils surgirent dans l’espace.


- On est dehors.

- Bien joué, demoiselle.

- Les combats…


L’Arcadia, le Yamato et les unités de la Space Defence Force patientaient en vol stationnaire tandis que leurs canons avaient cessé de cracher des rayons laser. 


-... Sont terminés. Et la forteresse est tombée. Au sens propre… Comme au sens littéral.

- Otto-san… Vous croyez…

- Assurément, il en faut plus pour tuer le légendaire Capitaine Phantom F. Harlock.


En réponse aux interrogations de Reiko, la radio se mit à grésiller.

 

“- Ici Harlock sur la fréquence générale galactique. Je vous confirme la mort de la reine millénaire et l’annihilation de sa station. Kodaï, prenez le relais sur place et venez en aide aux humains qui n’ont pas pu évacuer. À tous les autres, rendez-vous sur Destiny pour les réparations et les soins urgents aux blessés. Usagi, si tu m’entends je veux savoir où tu es et si tu vas bien. Fin de la communication.”

- Tu vois, il n’y avait pas à s’inquiéter.


Reiko tourna le bouton de son émetteur et se régla sur la même fréquence.


- Otto-san, je suis en chemin vers Big1.

“- On se voit sur Destiny.”

- Big1 ?, la questionna son copilote.

- Le train de mon peloton.

- Ah oui, la Space Defence Force. Décision étrange pour la fille adoptive d’un anarchiste. Que l’on me transforme en robot si Maetel ne t’a pas influencée.

- Je ne suis ni mon frère ni mon père, rétorqua-t-elle.

- Ça ne fait aucun doute.


Elle se renfrogna, songeuse.

La déclaration d’Harlock, loin de susciter de la joie ou du soulagement, ne laissait qu’un vide incommensurable dans sa poitrine.

Que les victimes du règne de Promethium aient trouvé la paix lui ôtait toutefois un poids immense des épaules.

“Nami… Kiyoka… Shiro… Je suis désolée d’avoir tant tardé, d’avoir mis tellement de temps à comprendre ce que vous attendiez de moi.”

Il demeurait cependant une ombre au tableau. 

Une ombre dotée de longs cheveux noirs et d’une robe de la même couleur.

“Malgré toute ma rage, j’ai été une fois de plus paralysée par la peur. Je n’ai pas pu vaincre ce cauchemar là.”


- C’est celui-là, Big1 ?

- Oui.


“Pour ce qui est de Bruce… Je crains que mon retour ne soit mouvementé.”


- Pourquoi pas l’Arcadia ?

- Je suis de la SDF. Je dois rendre des comptes à mon supérieur.

- Hum.


Le toit de l’un des hangars se rétracta et la militaire se posa avec toute la délicatesse dont elle était capable.


- On y est et sans heurt !, claironna-t-elle en ouvrant le cockpit.

- À la bonne heure.


C’est alors qu’elle le vit, adossé contre la paroi du wagon, la mine ombrageuse.


- Bruce…


L’estomac noué, Reiko entama sa descente.

“Il n’est pas en colère, non… Il est furieux.”

Avant qu’elle ne touche terre, des doigts enserrèrent tendrement sa taille, la sécurisant jusqu’à ce qu’elle atteigne le dernier barreau. 


- Je… Je suis heu… 

- Qui êtes-vous ?, la coupa-t-il brusquement, les yeux rivés sur l’homme qui accompagnait sa précieuse femme.


Celui-ci sauta agilement de son perchoir et se dressa de toute sa hauteur devant son interlocuteur.


- Commandant Franken Leopard, Résistance de Râ-Metal.

- Harlock m’a parlé de vous. On se demandait quand vous alliez vous décider à sortir de votre trou.

- Nous guettions le moment opportun pour mettre notre plan à exécution. Il n’était pas si aisé de trahir cette sorcière malgré nos soldats infiltrés dans les rangs de son armée.

- Si vous aviez eu un peu plus de cran, vous nous auriez évité bien des pertes.

- C’est ainsi que vous traitez vos alliés ?, gronda Leopard, irrité.

- Bruce, intervint Reiko. Tu ne crois pas que tu exagères ? Il…


Le regard que lui renvoya le sniper aurait pu arrêter un rhinocéros en pleine charge.

Après quelques secondes de flottement durant lesquelles il passa son épouse au crible, il reprit la parole.


- Va immédiatement consulter Yûki. Tu es tombée ? Blessée ? Et ces bandages, c’est quoi encore ?

- Des brûlures. Rien de grave. Je suis tombée mais je me sens bien. Tu aurais un instant pour qu’on discute ?, le supplia-t-elle en pinçant la manche de sa veste. Si je suis partie, c’est parce que je n’avais pas le choix…  C’était… Vital. Je ne voulais pas te contrarier ou te causer du souci.

- Plus tard. Fais ce que je te dis, lui intima-t-il en écartant sèchement son bras.

- Hé ! Ne réagis pas comme ça !


Le Commandant avait déjà fait volte face et quitté la voiture, bousculant Yûki sur son passage, qui arrivait munie d’une trousse de premiers secours.

“Je m’attendais à ce qu’il soit en rogne mais là… Mais là… C’est pire que tout ce que j’avais envisagé. Je ne l’ai jamais vu aussi énervé contre moi.”

Le wagon se mit à tanguer et elle glissa contre le mur, en proie à un vertige étourdissant.


- Qu’est-ce que… Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai tout fichu par terre ?


Leopard s’agenouilla à ses côtés, perplexe.


- Il est si terrible que ça ? Tu as désobéi à ses ordres ? Tu risques la sanction disciplinaire ?

- Reiko…, l’appela le médecin. Viens avec moi, je vais t’ausculter.

- Si terrible ?, répéta-t-elle en ravalant ses larmes. Vous voulez dire… En tant que Commandant ou en tant que mari ?


La bouche béante, Leopard goba un moucheron et déglutit bruyamment.


- Pardon ? Ce type c’est… Non… Tu plaisantes ?

- Est-ce que j’en ai l’air ?


La respiration de la pilote s’emballa et ses ongles rayèrent le sol.


- J’ai envie de vomir, se plaignit-elle tandis que l’androïde l’obligeait à se mettre debout.

- Je vais t’examiner.

- Besoin d’aide ?, proposa le chef des résistants, déboussolé par la tournure qu’avaient prise les événements.

- Non, ça va aller. Installez-vous dans l’une de nos voitures. La cafétéria a été épargnée par les tirs ennemis. Reposez-vous et buvez une boisson chaude. Doit-on vous prodiguer des soins médicaux ?

- Absolument pas.


Sans tergiverser davantage, Yûki emmena Reiko avec elle en la soutenant du mieux possible.


- Je veux qu’on aille jusqu’à la “control room”. Il se méprend…

- Non. Le check-up d’abord et ensuite on avisera.


Le vantail claqua derrière les deux membres de la Space Defence Force.


- Par tous les dieux, jura Leopard une fois seul. Ce ne sont pas les retrouvailles les plus chaleureuses auxquelles il m’a été donné d'assister.

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