A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 41 : Prison Break
/Attention ce chapitre contient des scènes +16 ans/
- Depuis quand ?
- Deux mois environ.
- Donc ça remonte…
Les mâchoires du sniper se serrèrent.
- … À Tabito.
- Ouais.
Un tic fébrile agita la commissure des lèvres du pirate.
- Je vois que certains sont passés outre le couvre-feu, grogna-t-il.
- On venait de célébrer nos noces. Vous vous attendiez à quoi ?
- Un peu de respect pour commencer, rétorqua son interlocuteur froidement.
- Parce que vous avez fait chambre à part avec Kanna, peut-être ?
La respiration d’Harlock se bloqua.
Son gendre marquait un point.
- C’est de ma fille dont on parle, reprit-il en toussotant.
- Vous voulez dire ma femme et la mère de mon enfant ?
Le regard du hors-la-loi se durcit et il dû faire un effort considérable pour ne pas écraser son poing sur le nez proéminent de ce bellâtre arrogant.
- Ne me pousse pas à bout.
- Il serait temps d’admettre que votre lapin a grandi.
- Occupe-toi donc…
Harlock se figea lorsqu’il aperçut le Commandant du Yamato qui pénétrait dans le saloon.
Bruce, dont la pression et la nervosité n’étaient pas redescendues, se raidit.
- Lui. Il savait.
- Lui ?
Les paupières du Capitaine de l’Arcadia se plissèrent.
- Comment ça se fait ? Usagi se serait confiée à lui plutôt qu’à moi ?
- Faut croire.
Mamoru, qui avait senti l’aura ténébreuse émanant des deux hommes adossés au bar, se retourna, son sourire affable se transformant progressivement en grimace.
- Hé toi, l’interpella Bruce.
Le concerné désigna une table toute proche.
- Mon équipage, il est… Je… Désolé on m’appelle !
- Hé !
Le sniper, qui ne voulait pas en rester là, esquissa un pas dans la direction de Kodaï.
Tel un puissant battoir, la main d’Harlock s’abattit alors sur son épaulière, le stoppant net dans son élan.
- Pas la peine. Tu ne ferais qu’envenimer la situation.
- C’est pas à vous d’en juger… !
- Et, d’après toi, continua-t-il en pointant Reiko du menton, elle a besoin de ça ?
Prostrée sur une banquette, Louise dans ses bras, la jeune femme ne cillait pas. Ses cheveux bruns foncés, emmêlés, formaient un rideau devant son front. Sa tête dodelinait, se posant par moment sur l’épaule de Manabu, qui était tout aussi exténué.
- Hum, vous avez raison, concéda-t-il sans pour autant cesser de fusiller du regard le nouveau venu.
- J’ai dû mal à réaliser, grommela le père de Reiko.
- Et moi donc.
Il y eut un silence durant lequel ils vidèrent chacun le contenu de leur verre.
- Elle n’embarquera pas à bord de Big1, déclara Bruce de but en blanc.
Il attrapa la bouteille de Brandy et remplit leurs gobelets respectifs.
- D’une part, je ne pourrai pas commander efficacement si je sais qu’elle risque sa vie et celle de notre enfant pendant l’offensive contre Râ-Metal. D’autre part, elle n’est pas en état. Que ce soit physiquement ou psychologiquement.
- Elle protestera.
- Elle n’aura pas le choix. Elle a volé un Eagle. Je peux la punir pour désobéissance. Elle sera forcée de l’accepter. C’est notre règlement.
- Ce n’est pas mon problème, c’est le tien.
- Emmenez-la avec vous sur l’Arcadia. Votre cuirassé est une véritable forteresse… Quand il ne se fait pas prendre sous un rayon paralysant, ça va de soit, se moqua-t-il.
- Ça va de soit, ronchonna Harlock.
- Elle sera en sécurité avec vous. Et moi je pourrai… Faire ce qu’on attend de moi. Si je l’oblige à rester sur cette planète, elle trouvera un moyen de s’échapper. Donc autant qu’elle soit à vos côtés. Nous n’avons pas d’autre alternative.
Le Capitaine acquiesça lentement.
- Faisons ainsi.
Bruce ingurgita sa boisson d’une traite et reposa bruyamment son verre sur le comptoir.
- Si nous sommes d’accord, finissons-en vite.
- C’était une de tes connaissances ? Le Commandant qui s’est sacrifié avec sa section.
- Ryosaku Murase. C’était quelqu’un de bien. Et ses hommes… L’étaient également.
- Tous ?
- Ça me tue de l’avouer, soupira-t-il, mais ils étaient courageux. On ne peut pas leur retirer ça, dit-il en s’éloignant de son beau-père.
- Je vois. J’ai de l’estime pour ceux qui sont capables de mourir pour leurs convictions.
- Murase était courageux, certes, mais cette attitude inconsciente a entraîné la mort de son unité. Il n’y a pas de place pour les individus suicidaires à la Space Defence Force.
Le père de Reiko poursuivit sans se formaliser de cette réflexion purement pragmatique.
- Nous n’allons pas bouger d’Heavy-Melder avant quarante-huit heures. Des réparations sont nécessaires pour Kodaï et pour moi… Aussi bien que pour la SDF. Prends-la avec toi et reposez-vous tant que vous le pouvez.
- Dans la même pièce ?, railla le jeune homme.
- C’est trop tard pour ça, non ?
- Sauf si vous voulez qu’on tente les jumeaux, grand-père. Et, de toute façon, c’est pas comme si votre avis m’importait, conclut-il en se dirigeant vers son peloton.
- J’en ai tué certains pour moins que ça…. Quel sale caractère, maugréa le rebelle avec un demi-sourire. Tout le contraire de Koko.
***
Profondément démoralisée, Reiko baladait ses doigts dans la chevelure de Louise, qui était secouée de spasmes et de sanglots incontrôlables.
Impuissante, la pilote essuyait régulièrement les larmes de son amie avec la manche de son propre pull, tout en lui chantonnant une berceuse pour la tranquilliser, dans laquelle il était question d’étoiles qui contemplaient les vies humaines se déroulant à leurs pieds.
Le chagrin de l’Officière radar était partagé par tous ceux qui s’étaient rassemblés dans ce petit établissement de Gun Frontier.
Ryosaku Murase.
José Valdivia.
Edwin Silver.
… Moritz Schneider.
Des gouttes d’eau salée se déposèrent sur l’uniforme de Louise.
Moritz Schneider.
“J’ai été ignoble. Ignoble avec lui. Je suis indigne de l’intérêt qu’il me portait.”
Reiko enfouit son visage dans le cou de sa protégée.
La culpabilité se mêlait à la douleur de la perte, formant un poids accablant.
- Hé, chaton.
Elle ne réagit pas, apathique.
- Chaton… Viens, on va dormir un peu…
- J’ai pas sommeil, ânnona-t-elle.
- Tu tombes de sommeil, rectifia-t-il.
- Mais…
Bruce décala délicatement Louise et l’installa vers Manabu, dont les joues se teintèrent de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
- Prends soin d’elle, lui ordonna-t-il.
- Je… Oui, évidemment.
- Très bien.
La Commandant passa un bras autour de la taille de son épouse et la poussa doucement en direction des escaliers menant aux chambrées situées à l’étage.
Chancelante, elle suivit le mouvement, aussi molle qu’une poupée de chiffon.
Une fois au pied des marches, elle s’immobilisa, indécise.
- On ne va pas coucher là, s’agaça son mari.
Il la souleva et la chargea contre lui.
“Elle est complètement asthénique. Ça confirme ma décision de ne pas l’impliquer davantage dans cette guerre… Il lui faut du repos.”
Harlock, qui observait le couple du coin de l'œil, était lui aussi parvenu à cette conclusion.
“Sa détention sur la station, l’auto-mail… Le décès de Bulge, le coma de Speed… La grossesse… Et maintenant ça… N’importe qui serait épuisé. Contrairement aux sbires de Promethium, nous ne sommes pas des robots.”
Dès qu’ils furent arrivés au niveau supérieur, Bruce opta pour une porte au hasard et l’enfonça avec un coup de genou bien placé.
- Voilà, ici ce sera parfait.
Il allongea Reiko sur le lit avant de verrouiller la serrure.
Cette dernière le regarda faire, la tête penchée sur le côté.
- Déshabille-toi mon cœur.
- Hein ?
Comprenant que sa compagne était trop confuse pour décider de quoi que ce soit, il l’aida à enlever ses bottes et ses vêtements.
- J’ai froid.
- Mets toi sous la couette, tu te doucheras demain. Pour le moment, il faut dormir et uniquement dormir.
Elle obéit en claquant des dents, le corps parcouru de frissons.
- Mon amour, sanglota-t-elle. Ce n’est pas réel… Pas réel…
Le sniper maniait mieux les armes que les mots et, à cet instant, il se trouva démuni face à la détresse de Reiko.
- Je suis là. Moi, je ne partirai pas. Moi… Je ne t’abandonnerai pas.
Il se débarassa de ses habits, qui roulèrent en boule au sol, et se glissa à son tour dans les draps propres.
- Je reste éveillé jusqu’à ce que tu t’endormes, promit-il en baillant.
Il n’eut pas à patienter longtemps car elle s’assoupit presque aussitôt en marmonnant des paroles incompréhensibles.
Tendrement, il épongea les larmes qui continuaient de ruisseler sur l’oreiller.
Aussi solide qu’il soit, lui aussi avait des difficultés à garder les idées claires.
“Murase… Bulge… Ce nouveau statut de Commandant… Sans compter le bébé qui pointe son nez au milieu de cette boucherie…”
Il eut beau lutter de toutes ses forces, il tomba rapidement dans les bras de Morphée, ce qui mit fin à la tempête qui agitait ses pensées.
***
Assise dans une chaise à bascule, les yeux mi-clos, Reiko écoutait les stridulations des insectes diurnes.
Au loin, sur les aires d’atterrissage, les équipes de mécanos s’affairaient, réparant pêle-mêle trains, chasseurs et cuirassés.
Près de la moitié de la flotte de la SDF était inapte à participer aux prochains combats et était retournée sur Destiny.
Et quatre sections avaient péri sur le champ d’honneur.
Orion, Altair, Rigel et Vega.
- Ryosaku Murase, Edwin Silver, José Valdivia et…
Elle prit une grande inspiration, articulant péniblement le dernier nom.
- Moritz Schneider.
Ils ne reverront plus leur famille.
Ne réaliseront jamais leurs rêves.
Happés par la Faucheuse dont l’ombre planait encore et toujours sur les membres de la Space Defence Force.
Elle ne pouvait s’empêcher de songer à Koharu et Isao qui attendaient leur fils, probablement attablés autour du kotatsu de leur petite auberge de Robunte Roldo.
- Comment ça va ?
- Ils te laissent m’approcher ?, s’étonna la pilote sans décoller ses paupières.
- Difficilement, je dois l’avouer. Je ne sais pas qui me hait le plus entre ton époux, ton père et ton frère.
- Bruce, affirma-t-elle sans hésitation.
Reiko marqua un silence.
- Désolée pour ça. Il est tendu par les derniers événements et j’ai… J’ai pas vraiment choisi mon moment pour lui balancer la vérité à la figure.
- Ne t’en fais pas. Je suis en mesure de gérer les maris jaloux et possessifs, plaisanta-t-il.
- Et Hirumi ?
- Elle va bien.
- Elle n’a pas été éprouvée par la bataille ?
- Vous vous ressemblez, elle peut tout surmonter.
- Tu as tort, je ne suis pas comme ça.
Elle frotta la peau asséchée de son visage.
- J’ai failli te demander l’asile pour échapper à tout… Tout ce bordel, dit-elle en dessinant un cercle avec son index.
- Tu sais que la porte du Yamato t’est toujours ouverte.
- Cette porte aurait tôt fait de se faire défoncer par une coalition entre SDF et pirates.
- Qu’ils essaient donc pour voir.
Mamoru emprisonna les doigts de son amie dans les siens.
- Tu as l’air exténuée.
- Ils sont morts. Tous morts. Et encore une fois… J’ai été inutile.
- C’est pas ta faute. Nous sommes en guerre et… Ces accidents tragiques sont inévitables.
- Bruce me l’a répété au moins cent fois, mais ça ne m’aide pas.
Le Commandant du Yamato l’attira dans ses bras, touché par son affliction.
- Ça finira par aller mieux.
- J’aimerais pleurer mais je n’ai plus de larme. Plus aucune larme.
- Tu te trompes, chuchota-t-il à son oreille. Tu as une sacré trempe. Je te rappelle que tu as capté l’intérêt d’un type comme Speed. Et ça, c’était pas gagné d’avance.
- Ouais, c'est surprenant..
- Je ne suis pas de cet avis, dit-il en s’écartant.
Reiko remonta ses genoux contre sa poitrine et appuya son menton au creux de ceux-ci.
- La fin de ce conflit est proche, lui assura-t-il. Bientôt, tout ce dont tu devras te soucier, ce sera de prendre soin de toi et du petit. Ou de la petite.
Elle secoua la tête.
- Tant qu’il subsistera ne serait-ce qu’un seul boulon de cette sorcière millénaire, ce cycle de violences sera infini.
***
Yûki rangea l’échographe et essuya le liquide gluant du ventre de sa patiente.
- Examen parfaitement normal.
- Tu en es sûre ?, insista Bruce.
- Oui. Le fœtus présente un développement satisfaisant. Il n’y a rien de spécial le concernant.
Les lèvres du médecin se pincèrent.
- Commandant, pourriez-vous sortir ?
- Pourquoi ? la questionna-t-il abruptement.
- Ce que j’ai à dire ne regarde que Reiko et relève du secret médical.
- Nous sommes mariés, martela-t-il sur un ton menaçant. Je peux tout entendre. Son bien-être est ma priorité.
La jeune femme posa une main sur le poignet de son conjoint.
- C’est bon, vas-y.
- Chaton…, gronda-t-il.
- S’il-te-plaît.
Il s’exécuta de mauvaise grâce, manquant de dégonder le battant.
- Je m’excuse de son comportement d’ours mal léché, Yûki.
L’infirmière sourit et s’installa sur le lit médicalisé.
- Je ne vais pas te le cacher. Ta tension est trop élevée. Tu as perdu beaucoup de poids depuis le début de ta grossesse et ton état général se dégrade lentement mais sûrement. Comme je suspecte des carences, je vais te faire une prise de sang. Tu as besoin de calme. Toute cette agitation est néfaste pour toi.
- Qu’est-ce que tu suggères ?
- Un arrêt maladie jusqu’à ce que ton état de santé s’améliore.
- Non.
La réponse avait claqué, sèche.
- Je ne peux pas faire ça. Tout le monde se bat. Je ne resterai pas en arrière. Je le dois aux enfants de Tôkyô et à toutes les victimes de Promethium. Je mourrais de honte si je laissais les autres mener mes propres combats à ma place !, argua-t-elle en pointant son cœur.
Elle se mit debout, déterminée.
- Merci pour le suivi, lâcha-t-elle en quittant l’infirmerie, irritée.
- Reiko !
Une fois dans le couloir, elle prit appui contre l’une des parois de Big1, tremblante.
“Est-ce que je mets réellement la vie de mon bébé en danger ? Je serais… Incapable de mener ces deux batailles de front ?”
- Elle a raison.
- Bruce !
- Quoi ?
- Tu as tout… Écouté !
- Evidemment.
Adossé au mur, les muscles durcis par l’anxiété, le Commandant du peloton Sirius n’avait jamais été aussi ombrageux. Nerveux, il ébouriffa ses cheveux blond polaire qui avaient poussé et effleuraient sa nuque.
“Je savais qu’elle n’était pas au mieux de sa forme, mais c’est pire que tout ce que j’avais imaginé.”
- Je vous protégerai. Que cela te plaise ou non. C’est mon rôle.
- Tu n’as pas le droit…. De décider pour moi !, s’offusqua-t-elle.
- Tu crois ça ? Je suis ton supérieur hiérarchique. Ta mise à pied pour insubordination débute aujourd’hui et sa durée ne descendra pas en dessous de sept mois.
- Tu me coupes les ailes !?, rugit-elle en empoignant le col de son compagnon.
- Si ça me permet de vous sauver, je le fais sans aucun scrupule.
- Je te déteste !, cria-t-elle, submergée par ses émotions. Je te déteste !
Qu’il soit surpris ou blessé par cette insulte, il n’en fit rien paraître.
- J’ai l’habitude, répondit-il simplement.
- Je refuse cette décision !
- Tu préfères la cour maritale ? Ça ne me fera pas plaisir mais s’il faut en arriver là, je le ferai.
- Tu es monstrueux !, se récria-t-elle en s’éloignant à grands pas, furibonde.
- Quand tu m’as épousé tu savais à quoi t’attendre, lança-t-il alors qu’elle disparaissait à l’angle du corridor. Je ne suis pas aussi gentil que Kodaï ou aussi complaisant qu’Harlock.
Ses épaules s’affaissèrent tandis qu’il faisait volte-face en enfouissant ses poings au fond de ses poches.
- C’était la meilleure chose à faire. Elle me pardonnera.
***
- Sur l’Arcadia ?
- Tu as une autre option ?
- Otto-san, je fais partie de la Space Defence Force. Mon unique option c’est Big1 !
- Vraiment ?
Lorsque le rebelle était entré dans le bar, il était tombé sur sa fille qui faisait les cent pas, les traits déformés par la colère.
“Il lui a parlé et, comme prévu, ça ne lui a pas plu… On ne peut pas nier que ce gars a du cran.”
- Comment ça “Vraiment” ?, l'interrogea-t-elle, suspicieuse. Ne me dis pas que tu étais au courant !
- Parce qu’après ton annonce “coup de tonnerre”, tu croyais qu’il allait te laisser gentiment faire des voltiges ?
- Je suis une militaire !
- Tu es surtout sa femme enceinte dont la constitution est instable. S’il t’avait permis d’embarquer sur ce foutu train, il aurait eu affaire à moi. À moins que Dashi-kun ne m’ait devancé.
- C’est une conspiration, s’exaspéra-t-elle. Vous vous êtes passé le mot ! Est-ce quelqu’un s’est demandé ce que moi je désire ? Et la liberté ? C’est okay pour les autres mais pas pour moi ? Ah, il est beau le pavillon noir !
Harlock ne répondit pas, conscient qu’elle était dans le vrai.
Mais voilà, son instinct paternel était plus fort que ses convictions et, s’il devait se trahir lui-même pour garantir la sécurité de Reiko, qu’il en soit ainsi.
- J’irai sur le Yamato, trancha-t-elle.
- Parce que Mamoru t’autoriserait davantage à voler ?, railla son père. C’est encore plus improbable que le tireur d’élite.
- Vous êtes… Tous… Insupportables !
Elle vida les lieux, doublement furieuse.
“Quelle solution me reste-t-il ? Bruce, Harlock… Mamoru. Ils me confineront pour mon bien. Mais moi… Je ne peux pas m’y résoudre.”
Un soleil chaud et aveuglant inondait la ville et, puisqu’elle avait été bannie de son unité, elle choisit de se promener dans les ruelles afin de retrouver un semblant de sang-froid.
“Je suis en cloque, pas malade. Pourtant, c’est tout comme. J’ai l’impression d’être une pestiférée où que j’aille.”
Elle aurait bien bu un verre de vin pour calmer ses nerfs mais l’alcool trônait tout en haut de la liste des boissons interdites par Yûki.
- Si je ne rentrais pas pendant quelques heures, ça leur ferait les pieds à tous ces hommes qui savent tellement mieux que moi ce qui est bon pour ma santé.
- T’as l’air contrariée, Koko. Un problème ?
Une silhouette de taille moyenne, drapée dans une cape, le visage masqué sous un large chapeau troué, avançait à contre-jour.
- Te… Tetsuro ?, bredouilla-t-elle en écarquillant les yeux.
- Ouais, ça fait un bail. T’as encore été virée à ce qu’il paraît ?
- Les infos circulent vite… Hum. Enfin, je n’ai blessé personne ce coup-ci.
- C’était une boîte de conserve, ça ne compte pas.
Reiko étreignit son ami.
- Le 999 ?
- Non, l’Arcadia.
- Oh, je vois.
Une idée traversa l’esprit de la pilote.
“Je tiens peut-être ma chance.”
- T’as cinq minutes devant toi pour discuter ?
- Bien sûr. Pour une fois que je ne risque pas de louper le départ du train.
***
- J’accepte la punition !
Accoudé au comptoir avec Guy Lawrence et Julia Reinhart, Harlock sursauta.
Il eut tout juste le temps d’entrapercevoir sa fille avant que la porte ne se referme aussi rapidement qu’elle s’était ouverte.
- La punition ?, questionna Julia, sidérée.
- Elle a été renvoyée de son peloton. Je la récupère donc temporairement sur l’Arcadia pour ma tranquillité. Et celle de Bruce.
- Pour quel motif ?, demanda Lawrence, qui n’était pas vraiment étonné de cette annonce.
Le pirate eut un sourire en coin.
- Officiellement pour “recel de Space Eagle”, officieusement pour “hébergement clandestin d’un passager à bord de Big1”.
- Pardon ?
Les pupilles du Commandant Reinhart se dilatèrent.
- Un passager… Clandestin ?, répéta Guy Lawrence.
Il se figea alors que l’information se frayait un chemin jusqu’à son cerveau.
- Elle est…
- Un bébé ?, s’écria Julia.
- Exact.
Un silence stupéfait succéda à cette nouvelle, qui fut bientôt brisé par le Commandant de la section Cepheus.
- Elle est à combien de… ?
- Deux mois environ. Elle l’a appris quand Bruce était dans le coma.
- C’était donc ça. Ma veste s’en souvient encore.
Le hors-la-loi haussa un sourcil dubitatif.
- Votre veste ?
- Reiko a repeint mon uniforme durant une mission. Je croyais qu’elle avait la grippe mais le timing est cohérent.
- Moi aussi elle m’a déjà vomi dessus, mais bon… À l’époque, elle avait neuf ans, et le jeune Capitaine que j’étais n’avait jamais eu l’occasion de gérer la gastro d’un enfant. Même à mon pire ennemi, je ne souhaiterais pas ça.
Hilare, il saisit son gobelet et trinqua avec le vétéran de la SDF.
- Je lève mon verre à Koko, qui saura très prochainement ce que c’est que de se faire crépir les habits d’un liquide puant, qui ne part même pas avec du détachant.
- Je confirme, surtout sur du blanc. C’est un juste retour des choses, approuva Lawrence.
***
- Il se fait tard. Tu devrais aller dormir et profiter de ces instants de paix avec ton mari car demain… Demain, les hostilités reprennent.
- Pas pour moi, se désespéra Reiko.
- Pourquoi tu n'as rien dit ?, l’interrogea Manabu.
- Parce que… Parce que… Si je vous en avais parlé, Bruce aurait fini par l’apprendre au détour d’une conversation… Et je n’étais pas encore prête à lui avouer ça.
- Tu as vécu des moments difficiles, continua Louise. Comment as-tu pu affronter tous ces événements sans… T’effondrer ?
Reiko remua une cuillère dans sa tasse de chocolat chaud, râclant le fond de la céramique.
- Yûki et Mamoru m’ont aidée.
L’Officière radar prit les mains de son amie entre les siennes.
- Vous ne devez pas vous quitter en mauvais terme ou vous allez le regretter. Tous les deux.
- Elle n’a pas tort.
- Il m’a radiée de la SDF !
- Pour ton bien et celui du petit, lui rappela l’artilleur. Il croit bien faire.
- Il me retire surtout le droit de décider par moi-même, grommela-t-elle. Il a utilisé cette histoire de “Space Eagle emprunté sans autorisation”, alors que ses motivations sont purement personnelles.
- Tu agirais différemment si les rôles étaient inversés ?
La jeune femme prit le temps de réfléchir.
- Probablement pas.
- Je sais que tu es déçue, mais réconciliez-vous avant que Big1 ne décolle. Qui sait ce qu’il arrivera pendant l’invasion de Râ-Metal !
- Ouais….
Elle avala son chocolat et se leva, blasée.
- Je vais prendre l’air et mettre un peu d’ordre dans mes pensées. Vous deux, profitez de la fin de la soirée, mais pas de bêtise !, ajouta–t-elle avec un clin d'œil, tandis que les joues de ses équipiers s’embrasaient.
***
Les coudes posés sur la rambarde de la terrasse de l’établissement, Reiko écoutait la brise nocturne qui s’enfilait sous la charpente des toits, faisant mugir le bois.
“C’est ici qu’on a dansé il y a presque un an. Qui aurait cru que je reviendrais ici, mariée et enceinte jusqu’aux yeux ? Pas moi, c’est certain.”
Avec la pulpe de ses doigts, elle suivit le tracé des veines qui se dessinaient sur la barrière.
“Prisonnière.”
Voilà quel était son sentiment actuellement.
Bien que la prison ne possède ni barreau ni gardien, elle n’en était pas moins réelle.
Et elle s’apprêtait à exécuter le plan d’évasion qu’elle avait orchestré avec le concours de son complice, qui haïssait Promethium autant qu’elle, si ce n’est davantage.
- Bruce va m’en vouloir à mort. Otto-san et Aniki aussi mais… Ça m'est égal. Je ne mourrai pas là-bas. Au contraire, j’y vais pour récupérer ma propre vie. C’est nécessaire avant que je ne…
Elle se passa une main sur le ventre, songeuse.
- Oui, c’est nécessaire. Je dois plonger dans cet enfer pour en sortir définitivement. Et cette fois, ce n’est pas moi qui serai forcée de fuir.
Pour ce qui était des paroles de Louise et de Manabu…
- Il est sûrement aussi mal que moi… Mais il ne le montrera pas. Parce qu’il est comme ça.
“- Je te déteste !”
“- J’ai l’habitude.”
- J’en pensais pas un mot. J’ai été… Cruelle ?
La pilote soupira puis, à la faveur de l’obscurité, reprit la route de l’auberge. Elle s’introduisit dans la maisonnette qui provenait tout droit de l’ouest américain terrien du XIXème siècle, et grimpa les marches menant à l’étage en évitant de les faire grincer.
Enfin, elle parvint devant le panneau de la chambre qu’elle partageait avec Bruce.
“Est-ce qu’il dort ? J’imagine que non…”
Elle se faufila dans la pièce et avisa une silhouette dissimulée sous les draps, qui lui tournait le dos.
Reiko ôta son pantalon en toile et entra à son tour dans le lit.
- Je suis toujours en colère, chuchota-t-elle.
- Je sais.
Elle se colla contre Bruce, humant son odeur, mélange acidulé de métal et de résineux.
- Mais je t’aime.
Il pivota pour regarder sa femme.
- Je sais.
- Si c’est notre dernière nuit avant qu’on ne soit séparés pour dieu sait combien de temps…
Elle appuya sur le torse de son époux pour l’obliger à s’allonger sur le dos.
- Je veux qu’elle soit exceptionnelle.
- Tu es trop fatiguée, protesta-t-il. Hors de question que je t’épuise plus. Je me connais, je… M’emballe et…
- Je suis assez en forme pour ça, dit-elle en promenant ses lèvres sur le cou du sniper.
Le cœur de celui-ci rata un battement, puis un second, lorsque la bouche de Reiko descendit au niveau de son bas ventre.
- J’arrête ?
- Tu me tortures, gronda-t-il.
- C’est mérité, rétorqua-t-elle.
Des mèches brunes effleurèrent sa peau, très vite suivies par des doigts qui se glissèrent sous un caleçon qui ne demandait qu’à être ôté.
La température corporelle de Bruce augmenta de plusieurs degrés lorsque sa compagne acheva d’enlever ses sous-vêtements pour s’attaquer à son intimité.
- Putain, chaton…
Dans l’impossibilité de répondre, elle se contenta de poursuivre son entreprise. Le jeune homme serra les dents pour contenir ses gémissements ou plutôt, grognements, de plaisir. Haletant, il attrapa les longs cheveux de Reiko, oubliant toute délicatesse par la même occasion.
- Tu l’auras voulu.
Il essaya de la basculer sur le côté mais elle résista, résolue à imposer sa propre volonté. Telle une sirène lascive et envoûtante, elle enroula ses jambes autour des hanches de son amant.
Assise à califourchon sur ce dernier, elle retira son pull, puis son soutien-gorge.
- Cette nuit, tu n’es pas le Commandant et je ne suis pas ta subalterne.
- Ça me va, dit-il avec un sourire.
- Cette nuit… Tu es à moi.
Il se redressa contre le dossier du lit.
“Cette fille… Elle n’a pas idée de l’effet qu’elle a sur moi. Depuis le premier jour… Jusqu’à aujourd’hui.”
- J’ai toujours été à toi, rectifia-t-il. J’ai…
Il ne put terminer sa phrase lorsqu’il sentit qu’il s’insinuait à l’intérieur de la femme qu’il aimait désespérément.
Pour elle, il n’hésiterait pas un instant à sacrifier Big1 et tous ses occupants.
Pour elle… Et pour celui ou celle qu’elle portait dans ses entrailles.
Alors qu’elle entamait de lents mouvements de va-et-vient, il enserra étroitement sa taille.
- Je suis heureux que tu sois revenue.
- Tu m’en diras tant !, dit-elle en l’embrassant passionnément.
***
- Tu seras prudent ?
- Je ferai au mieux, promis.
- Je serai inquiète pour toi à chaque minute.
- Je m’en sortirai, même avec cette équipe de bras cassés.
- Hé !, s’exclama Manabu.
Reiko se blottit contre son mari pendant que Big1 répandait une nuée de vapeur sur le quai.
- On se retrouve après. Je te l’ai déjà dit : je ne vous ferai pas faux-bond. Bruce la Mort, c’est de l’histoire ancienne.
- “L’unité Sirius n’est pas suicidaire.”, se gaussa David en fronçant les sourcils et en durcissant ses traits, imitant son Commandant à la perfection.
- Ouais, approuva le concerné en adressant un regard noir à l’ingénieur. On court-circuite la reine, on démantèle sa base et à notre retour je t’emmène où tu veux.
- En vacances ?
- Où tu veux. Sauf sur l’Arcadia, compléta-t-il en la devançant. Je ne suis pas prêt à me coltiner le pitbull et le doberman.
- D’accord, capitula-t-elle.
Après un ultime baiser, elle s’efforça de lâcher le sniper. Elle étreignit ensuite tour à tour chacun de ses coéquipiers, puis elle les observa embarquer à bord de Big1.
“Et moi, je reste là.”
- Sois sage, lança Bruce en réajustant sa casquette.
- Toi aussi !, cria-t-elle alors qu’il disparaissait dans un wagon.
“J’ai l’impression de lui mentir délibérément.”
Un second nuage brûlant jaillit et les roues du train crissèrent bruyamment.
Big1 se mit en mouvement, prit de l’élan et fusa sur la rampe de lancement.
La chevelure de Reiko se souleva, lui dégageant soudainement le visage.
Un sifflement résonna dans l’atmosphère et la gorge de la pilote se serra.
- Ils sont partis.
***
Le vantail coulissa et Reiko pénétra sur le pont principal, devenu une véritable fourmilière.
- Te voilà, dit Harlock en l’apercevant. Enfin. Je croyais que tu avais déserté.
- Comme tu l’as si bien formulé, je n’ai pas d’autre endroit où aller.
Elle fit quelques pas, détaillant les pirates qui s’activaient, vérifiant les systèmes, calibrant les radars et se répartissant les différents postes d’artillerie.
Au milieu de ce brouhaha ambiant, se dressait une silhouette droite et longiligne, parfaitement tranquille et statique.
- Maetel.
- Comment vas-tu, Koko ?
- Comme une personne qui n’a sa place nulle part.
- C’est ce que je ressens… Quotidiennement. C’est pour cela que je voyage avec le Galaxy Express 999 depuis maintenant… Une éternité, signifia-t-elle tandis qu'un voile de tristesse recouvrait ses prunelles.
“Elle est venue en finir… Avec sa sorcière de mère. Après tout, il est vrai qu’elle est l’héritière de cette terre glaciale et maudite.”
- Hé gamine.
- Je suis plus vieille que toi !
- Mais moi je suis plus mature, se rengorgea Tetsuro en souriant de toutes ses dents.
- Plus mature ? Laisse-moi rire !, se moqua Tadashi en s’approchant. T’es le type le plus puéril que je connaisse.
- Les enfants, les morigéna leur père. Nous sommes en guerre, un peu de sérieux. À vos postes sauf… Toi, usagi. Tu peux…
- “Rester planter là et faire comme si tu n'existais pas ?”
- Oui si tu veux, mais fais-le depuis ce siège, là-bas, dit-il en désignant un fauteuil vide.
- À tes ordres, marmonna-t-elle, morose.
Le rebelle s’avança au centre de la passerelle, les bras croisés.
- Le Yamato et la SDF sont déjà dans l’exosphère d’Heavy Melder, Captain, les renseigna Yattaran.
- Très bien.
Harlock posa une main sur sa barre en bois, digne de celle des flibustiers des anciens temps.
- Arcadia, décollage !