A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 28 : Les champions de l'univers

5813 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 18/11/2023 11:48

Chap 28 : Les champions de l'univers


- Accroche-toi la bleue, ça va déménager !, s’exclama Murase.

- Compris !


Reiko se dirigea, titubante, jusqu’à son siège situé entre Edwin Silver et José Valdivia. L’écran central avait été déployé en plein milieu de la “control room” et diffusait des images des plus glaçantes.


- Ils sont assaillis par deux… Non, trois vaisseaux, observa-t-elle avec stupéfaction.

- Un amiral et des aéronefs, précisa Silver.

- Détruisez-les ! José, utilise l’Iron Berger comme bouclier. Le train royal doit demeurer intact, vu ? 

- Bien reçu.

- Avance en parallèle. Pilote-le comme il faut.

- À vos ordres.


Dignity avait rabattu ses volets et renforcé sa barrière de protection, qui brillait d’un éclat irisé intense. Dépourvu d’armement, il était entièrement tributaire de la Space Defence Force.


- Silver !

- Je vais les arroser avec toute notre puissance de feu disponible, leur assura-t-il avec un sourire en coin.

- Montre-leur de quel bois on se chauffe.

- Tu vas voir la nouvelle ce que c’est que l’élite de la SDF !


La pilote leva les yeux au ciel, exaspérée par tant d’arrogance.


- Les Space Panzer Grenader ? Des agneaux à côté de nous, renchérit José.

- On parie que tu voudras changer de peloton à l’issue de la bataille ?, lança Schneider avec un clin d'œil.

- Aucune chance, répliqua-t-elle un peu trop sèchement. Sirius me convient parfaitement.


Surpris par tant de véhémence, l'Officier radar se renfrogna.


- C’est que le chaton sort les griffes !, s’amusa le Commandant. Bon, Silver, tu te relâches !?

- C’est plus délicat que prévu.


“Le mot est faible.”


- L’amiral…, marmonna-t-elle. Son artillerie est redoutable. Comment un groupuscule a-t-il les moyens de s’offrir quelque chose de cette… Envergure ?

- Il ne faut jamais mépriser les partisans d’une rébellion.

- Vous faites allusion aux financiers ?

- Exactement. Elle est maligne, hein ?


Reiko piqua du nez au-dessus de sa console, gênée par les rires de ses coéquipiers du jour.


- Canons pulsars, feu !


Des faisceaux verts brûlants heurtèrent à plusieurs reprises l’aéronef le plus proche. Le train vibra violemment et Reiko empoigna ses accoudoirs. Secouée comme un prunier, elle enfonça ses ongles dans le cuir du fauteuil, y creusant de profondes entailles.

Le sifflement strident d’une déflagration perfora de part en part les oreilles des membres de la SDF.


- Oublie pas de respirer, fil de fer.


Le Commandant darda une oeillade préoccupée sur son invitée qui s’efforçait d’inspirer et d’expirer calmement.


- Tout le monde va bien ?

- Oui, rien de cassé, répondit Schneider en coulant un regard douloureux vers la femme qu’il aimait.

- Ouais, ânonna Reiko dont le sang battait les tempes. Le vaisseau ?

- Réduit en poussière, qu’est-ce que tu crois ?, se vanta l’artilleur.

- Allez, on continue sur cette lancée !, les encouragea Ryosaku Murase.


L’Officier radar fit pivoter son siège, alarmé.


- Freiheit riposte ! Les coordonnées de leur cible : Dignity !

- Largue les contre-missiles, le borgne. Ne laisse rien passer.


Reiko se raidit, cédant à la panique face à l’ampleur de l’attaque.


- Commandant !

- Le train est blindé, grogna Murase.


Des détonations étouffées résonnèrent dans la “control room” et l’Iron Berger bascula sur le côté. Épouvantée, les yeux vissés sur l’écran principal, la militaire masqua sa bouche avec la paume de sa main.


- 85% de nos missiles ont atteint leur objectif, annonça sombrement Silver.

- Nous sommes relativement épargnés, 12% d’avaries. Voiture hangar numéro quatre en feu, les informa Moritz.

- Verrouillez les sas.

- Non… Non…


De la fumée s’élevait de la locomotive et du cinquième wagon de Dignity. Reiko se mit debout, en état de choc.

“Énide-sama… Manabu… Louise…. Bruce !”


- Schneider, ouvre les canaux. Je dois parler en urgence à Bulge.


Des grésillements encombrèrent la ligne durant une longue minute avant que la voix grave du Commandant de l’unité Sirius ne retentisse.


“- Ici, Bulge. “

- Content de t’entendre, vieux frère. Désolé pour les dégâts, on s’est faits déborder. Des blessés ?

“- Un de mes hommes. Yûki lui administre des soins.”

- Qui ?, demanda Reiko avec empressement. Qui ?


Un silence, suivi d’un soupir.


“- Bruce. C’est une épaule démise, ajouta-t-il. Rien de méchant.”


Des tremblements irrépressibles agitèrent le menton de la jeune femme.


- On vous couvre, enchaîna Ryosaku Murase. Veillez sur les princesses, on s’occupe du reste.

“- On compte sur vous. N’abîme pas ma recrue. Enfin pas plus qu’elle ne l’est déjà.”


Le Commandant de la section Vega éclata d’un rire gras.


- Mais c’est qu’il nous sous-estime, hein les gars ?

- Il semblerait, ironisa l’artilleur.


La communication prit fin.

Reiko fixait Dignity, à deux doigts de l’apoplexie, le regard vitreux. Son cœur tambourinait si fort dans sa poitrine qu’elle avait l’impression qu’il allait bondir hors de son corps.


- Tu tiens le coup, la stagiaire ?

- Oui, répondit-elle sans enthousiasme, totalement démoralisée.


“J’aurais dû être là-bas. Si j’avais pas merdé sur Améthyste, j’aurais pu les aider. Je suis la novice la moins dégourdie de toute la SDF. Non, de toute l’histoire de la SDF ! Je suis bien loin de la légende de Wataru Yuuki.”


- T’as pas à t’en faire pour tronche de fraises. Ce type là, c’est un titan.

- Ça me tue de l’avouer, mais c’est vrai, approuva Silver. Y’a qu’à se souvenir de son baroud sur la station Cassiopée quand il a fallu désamorcer les bombes.

- Oui, oui… Vous avez raison. 

- Il ne lui arrivera rien, argua Moritz pour la rassurer, même si prononcer ces mots lui coûtait énormément.


La pilote le détailla sans comprendre pendant que Murase tapait dans ses mains pour recentrer le débat.


- Finissons-en. Rive toutes nos tourelles sur l’aéronef numéro deux.

- Oui ! Progression à 75… Non, 85% ! On y est !

- Iron Berger, feu !

- Des tirs en provenance de l’amiral, intervint Schneider. Nous sommes visés !

- On peut encaisser ! La carlingue est robuste !


Le train de combat de la force de défense spatiale fut ballotté dans tous les sens et son équipage essuya les tirs de leurs assaillants en serrant les dents. 

Le suite fut assez floue pour Reiko qui se cogna brusquement sur le clavier de sa console et qui perdit connaissance quelques secondes.


- Hé, réveille-toi ! C’est pas le moment de ronfler ! Remue-toi !, l’admonesta-t-il en la bousculant. 

- Commandant ?, balbutia-t-elle en émergeant difficilement.

- C’est bon, elle a rien ! Au rapport !

- Dignity a été épargné. L’Iron Berger par contre…, commença Schneider. Notre bouclier est à 40% de ses capacités, les tourelles quatre et cinq sont HS et les wagons, huit, neuf et onze sont touchés. Le circuit principal et la locomotive sont encore fonctionnels à 60%.

- Et l’aéronef ?

- Une épave, lâcha Edwin Silver, satisfait de sa performance. Reste plus que le gros là.


Reiko s’ébroua, migraineuse et l’esprit embrumé. Elle effleura son visage, puis son cuir chevelu, sur lequel une bosse se dessinait.


- Le vaisseau amiral se déplace. Il verrouille ses armes sur Dignity, poursuivit Moritz.

- Préparez le cosmo-matrix ! Nos pulsars ne viendront pas à bout de ce mastodonte.

- Dix minutes avant chargement complet !

- C’est trop long, maugréa le Commandant.

- Couverture aérienne ?, suggéra Reiko du tac au tac.

- J’ai pas le luxe de me priver de mes hommes et aux dernières nouvelles, et aussi doué qu’il soit, un manchot ça ne peut pas piloter.


“Je vous remercie du rappel. Comme si j’ignorais que j’avais coupé mes propres ailes...”, pensa-t-elle avec dépit.


- Je peux prendre la place de Moritz.

- Avec une seule main ?, se moqua Silver.

- T’as bien qu’un œil, non ? T’es moins efficace pour autant ?

- Elle t’a atomisé, ricana José.

- C’est pas une mauvaise idée. On va faire ça. Affrète un Space Eagle, Schneider. La petite te remplace. 

- À vos ordres !


Il se leva et se rua vers la sortie de la “control room”. Reiko l’interpella alors que la porte se refermait derrière lui.


- Sois… Sois prudent !

- Ouais, j’essaierai.


Le vantail claqua.


- Tu sais pas ce que tu veux, toi, commenta l’artilleur.

- Boucle-la. On est amis.

- Il est au courant ?

- Et ta soeur ?, rétorqua-t-elle, excédée, en interchangeant de poste.


Le Commandant s’avança au milieu de la pièce, résolu.


- Notre objectif : protéger Dignity. Notre cible : Le vaisseau amiral. Au travail vous tous. Moins de papote, plus d’action. Vu ?

- Oui !


Reiko se familiarisa le plus vite possible avec les instruments de bord du Berger. Ils ressemblaient presque trait pour trait à ceux de Big1, ce qui lui facilita considérablement la tâche.

“Ils me font confiance. Je dois assurer. J’ai pas le choix étant donné mes exploits désastreux depuis le début de cette foutue mission. Je vais leur prouver que je mérite d’être parmi eux. J’aimerais devenir la digne élève de mon instructeur.”

Elle toussota pour s’éclaircir la voix.


- L’artillerie des rebelles est plus lourde que la nôtre. On dénombre trente-trois tourelles, huit lance-missiles et six batteries de ca…

- Schneider s’est envolé, la coupa Edwin.

- Combien avant la charge intégrale ?

- Cinq minutes.

- Il va faire diversion pour nous offrir un peu de répit.


La militaire se mordit les lèvres.


- Commandant, je vais calculer le point faible du vaiss…

- Pas la peine, on tire dans le tas. C’est notre méthode.

- Et si ça ne marche pas ?

- Ça marche toujours.

- Je vois.


L’écran de contrôle des radars s’affola, clignotant de toute part, ce qui n’augurait rien de bon.


- Ils ouvrent le feu !

- On bouge pas. La sécurité des passagers de Dignity est notre priorité.

- Notre bouclier va être annihilé, le prévint Reiko.

- Ce ne sera pas la première fois, railla Silver.

- Accrochez-vous.


Reiko eut tout juste le temps de démarrer une analyse du bâtiment ennemi avant que les rayons laser ne les percutent de plein fouet. 

Elle manqua de peu d’être catapultée hors de son fauteuil mais c’était sans compter la poigne d’acier de Silver qui la cloua à son assise. 

Lorsque la tempête prit fin, elle n’eut pas besoin d’un examen poussé pour savoir que le train de la SDF n’était pas au mieux de sa forme.


- System all-green !

- Cosmo-matrix, feu !, ordonna le Commandant.


Un imposant canon se déploya au fronton de la locomotive. Des particules d’énergie pure se disséminèrent autour de lui puis un rayonnement lumineux puissant s’en extraya et fusa tout droit sur le vaisseau amiral.


- Impact imminent ! Dans trois, deux, un…

- On l’a eu !, clama Edwin, victorieux.


Le brouillard opaque se dissipa et Reiko prit la parole, douchant brutalement les cris de joie de ses compagnons.


- Non. Il n’est pas détruit. Nous avons, dans le meilleur des cas, anéanti 20% de ses ressources.

- Au rapport !

- Bouclier HS ! Circuit principal endommagé !, énuméra-t-elle.

- Notre armement ne répond plus, conclut Silver. Il n’y a plus que le cosmo-matrix.

- Rechargez !


La jeune femme jeta un oeil à son étude en cours.


- Accordez-moi cent-vingt secondes pour découvrir le talon d’Achille de ce truc. J’y suis presque.

- Je t’en donne soixante.

- Soixante ?!

- Où en est Schneider ?

- Il s’en sort, grommela José. Son aile gauche est détériorée, tout comme une partie de son fuselage.

- Prochaine salve en approche !, s’écria Reiko.

- Le cosmo-matrix ?

- 90% ! Ce sera notre dernier tir. Notre réserve sera à plat après ça.

- Ne le gâchons pas. T’en es où la stagiaire ?

- Il me faut encore… Encore un peu de temps…


Pianotant frénétiquement sur son clavier, elle poussa l’ordinateur au maximum de ses capacités quitte à le faire disjoncter en entraînant avec lui tout le système dans sa défaillance.

Une lumière verte pulsa alors sur l’écran et le cœur de Reiko faillit s’arrêter.


- Trouvé !

- Transfère moi les indications, lui intima l’artilleur.


Elle s’exécuta, fébrile.


- Cosmo-matrix, feu !


Une formidable déflagration se dégagea à nouveau de l’Iron Berger à l’instant où les faisceaux ennemis les transperçaient en rafales. La pilote hurla lorsque sa console explosa en mille morceaux. Projetée à terre, son souffle fut partiellement coupé. Autour d’elle, des arcs électriques traversaient la salle de contrôle de toute part. Elle toussa tandis qu’une fumée malodorante se répandait dans la pièce. Des gouttes écarlates perlèrent sur son cou et ses joues, qu’elle essuya d’un revers de manche.


- José les ventilations ! Hé, José !, beugla Murase.


L’armoire à glace s’était effondrée sur le manche de navigation, complètement sonnée.


- Je m’en charge, marmonna Edwin en faisant pression sur son ventre, duquel s’échappait un flot d’hémoglobine.


Un bruit d’aspiration se fit entendre et Reiko respira un peu plus librement. Elle se releva en s’appuyant sur le siège de Murase et chancela jusqu’à son poste.


- Il ne reste… Il ne reste plus rien de l’amiral. Nos dégâts… Sont conséquents… Un… Un atterrissage en urgence est nécessaire.

- Dignity ?, questionna Murase en se frottant la tête.

- Intact, si ce n’est le retour de débris.

- Et Schneider ?

- Son jet paraît en état de voler.

- Bien. T’es entière ?

- Oui… Mais Edwin…

- C’est une égratignure, répondit-il vivement. Je peux tenir. Je ferme tous nos sas de sécurité pour contenir les foyers d’incendie.


Le Commandant allongea José au sol.


- Je prends la navigation. Appelle Bulge et dégote-nous un endroit où atterrir.

- Oui ! 


Malgré son étourdissement, elle réussit à actionner le système de communication. Cette fois-ci, les crachotements durèrent moins longtemps et la voix de Bulge aboya dans les haut-parleurs.


“- Murase !”

- Vega a sauvé vos fesses… Encore… Mais le Berger réclame une pause et… Nous aussi. On va se poser sur le caillou le plus proche…

“- Est-ce qu’il y a des blessés ?”

“- Reiko ? Reiko tu vas bien ? Rép…”

- Bru… Bruce ! Bruce !


La pilote se tourna vers son Commandant, dépitée.


- Nos liaisons sont HS.

- Détermine un point de chute et envoie le à la loco de Dignity.

- Hum ! 


L’opération fut plus longue que prévue car le circuit central du train était instable.


- C’est Astorie. La planète-mère de l’Empire. J’ai les coordonnées.

- Rentre-les dans la Data-Base. On met le cap là-bas. Combien de temps ?

- Trente minutes. Je leur fais parvenir un message pour les avertir de notre venue. Le train tiendra ?

- Il ne nous a jamais lâché jusqu’à présent.

- Et si Dignity nous remorquait ?

- Il… N’en a pas… La puissance, articula laborieusement Silver en ahanant comme un bœuf.


Reiko remarqua avec horreur qu’une mare cramoisie était apparue en dessous de son fauteuil. Elle s’approcha, paniquée.


- C’est tout sauf une égratignure, ça !

- Pour… Le peloton… Sirius, peut-être, mais pas pour… Les champions de l’univers !

- C’est pas le moment de jouer les braves, le réprimanda-t-elle. Je vais ramener de quoi panser ça, ou tu vas te vider de ton sang.


Elle sortit du wagon de Commandement mais se heurta bientôt à des voitures verrouillées. Elle dénicha toutefois des draps dans une armoire poussiéreuse et revint à toute allure dans la “control room”.


- Bouge pas, on va faire un nœud autour de ta taille, dit-elle en s’agenouillant devant le blessé.

- Et tu vas… Faire comment… L’estropiée ?


La jeune femme lui adressa un regard noir.


- Finalement, je vais laisser l’hémorragie t’achever. Je rendrais service à l’humanité.

- J’ai encore besoin de lui, alors garde le en vie, fil de fer.

- Bien reçu.


Tout en s’aidant de ses dents, elle déchira le tissu et le noua fermement autour de l’abdomen d’Edwin Silver.

Ce dernier n’émit aucune plainte mais la souffrance se lisait sur son visage. Ses cheveux noirs ébouriffés collaient à ses tempes, des gouttes de sueur détrempaient sa peau et sa respiration était saccadée.


- Je vais serrer. D’accord ?

- Vas… Vas-y !

- Hum.


Elle tendit la bande au maximum de ses possibilités puis, elle admira son ouvrage, satisfaite.


- Pas trop mal pour une estropiée ? Hein ?

- Ouais…, bougonna-t-il, épuisé. 

- Ménage-toi. Plus de folie, hein ?


Il marqua un silence.


- Merci.

- On est quitte, dit-elle en songeant à son intervention qui lui avait permis d’éviter d’être propulsée à travers la pièce.


Elle appliqua ensuite ses doigts sur le front de José.


- Il est juste évanoui. Il a pris un gros coup sur le crâne. Je vais mettre un linge humide, ça l’apaisera. Je crois qu’il n’y a rien d’autre à faire.

- Je commence à comprendre… Ce qu’ils peuvent bien te… Trouver…, murmura Edwin.

- Qu’est-ce que tu dis ? 

- Rien, t’occupe.


Elle roula des yeux, agacée.


- Le moment de grâce est terminé, je vois.


La porte de la control room coulissa et Schneider entra, hors d’haleine.


- Les gars ça va ? Et toi…

- Je vais bien, répondit-elle avec un pauvre sourire. Les autres, c’est pas la grande forme.

- J’ai eu vraiment… Vraiment très peur…, dit-il en s'avançant et en caressant la joue de son équipière.

- Qu’est-ce-que… ?


Elle recula comme si de l’huile bouillante l’avait éclaboussée.


- Je vais chercher de l’eau fraîche, dit-elle en s’enfuyant. Dis à ton copain de rester immobile ou il sera mort avant qu’on ne mette le pied sur Astorie.


Reiko disparut à l’intérieur du train de combat, aussi vite qu’il lui était possible de le faire.


- Tu lâches jamais l’affaire, hein ?, commenta Edwin.

- Tu l’as vue, non ? Faudrait être fou pour laisser filer une fille comme elle.

- La folie c’est plutôt de provoquer tronche de fraises, soupira le Commandant.


*** 


L’Iron Berger entra en contact avec les rails de la gare d’Astorie peu de temps après Dignity. Les freins étant en mauvais état, l’atterrissage fut mouvementé et Murase dû mobiliser tout son savoir-faire pour ne pas quitter la voie.


- Hé… Tu fais… Quoi ?

- Ça s'appelle une compression.

- Assieds-toi sur mes genoux… Pendant que tu y’es !

- Plutôt mourir, dit-elle en tirant la langue.


Du coin de l'œil, Reiko s’était aperçue que son bandage de fortune n’allait pas tenir avec les cahots du voyage. Elle s’était donc résolument dirigée vers son patient, enfonçant presque son poing dans la plaie pour juguler le flux sanguin.

“Murase a dit : “Empêche-le de crever. C’est un imbécile mais il sauve des vies avec son unité de relous.”


- Arrête de gigoter ! Yûki sera bientôt là pour prendre soin de toi.

- Elle sera sûrement… Plus douce que tu… ne l’es, répondit-il en haletant.

- Sans aucun doute. Tiens le coup encore un peu, hein ?

- T’oublies… Qu’on est…

- Les champions de l’univers ?


Elle grimaça, soudainement très fatiguée.


- T’as tout compris la bleue !, s’exclama Murase à l’instant où le train se stoppait enfin.


Le soulagement était presque palpable dans la “control room”. Le Commandant chargea la carcasse gigantesque de José Valdivia sur ses épaules tandis que Schneider soulevait l’artilleur par les aisselles.

La porte du wagon s’ouvrit alors à la volée.

L’infirmière du peloton Sirius, suivie par des hommes et des femmes en blancs que Reiko n’avait jamais vu, investirent la voiture.


- Étendez-le ici !, dit-elle en désignant Silver. Il a besoin de soins immédiats. Emmenez l’autre à l’infirmerie.

- Reiko !


Le bras en écharpe et l’uniforme noirci, Bruce avait franchi l’ouverture béante, bousculant par là même l’équipe médicale.

Son teint pâle devint vert quand il avisa l’hémoglobine qui couvrait le pull et le pantalon de sa compagne.

Elle capta son regard et secoua la tête en souriant, avant de se réfugier auprès de lui.


- C’est pas mon sang. Pas mon sang.

- Pour une fois…, souffla-t-il.

- J’ai eu peur… Pour toi…

- Et moi ? Qu’est-ce que je devrais dire ?, s’irrita-t-il.

- Vous gênez les amoureux, grogna Murase, en les écartant du passage.


Se soutenant l’un l’autre, Bruce et Reiko descendirent de l’Iron Berger.


- L’air frais, se réjouit la militaire. J’aurais jamais cru qu’il puisse faire autant de bien.

- Murase est un inconscient, reprit le sniper sans décolérer. Il vous a mis sciemment en danger. S’il t’était arrivé quoi que ce soit… Qu’est-ce-que… Qu’est-ce-que…

- Comment tu t’es fait ça ?, intervint son interlocutrice.

- À la première salve. Celle qui a touché Dignity. Fallait bien que quelqu’un protège ta petite princesse, mais change pas de sujet !

- Putain, Bruce…

- T’es quand même mal placée pour me dire que j’ai manqué de prudence !

- Désolée. Je… Je…

- Je t’aime, benête. Viens par là, va.


Le nez enfoui dans la veste de son amant, elle huma son odeur de résineux acidulée, un tant soit peu masquée par une flagrance de brûlé.


- J’ai pas été totalement inutile, hein ?

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- J’en ai assez de faire des erreurs… D’être tellement… Tellement incompétente.


Il lui caressa les cheveux, mettant ces paroles sur le compte du contre-coup de la bataille.


- Dis pas n’importe quoi.

- Tu sais pas tout…

- Koko !


La pilote se détacha de Bruce en reconnaissant l’intonation aiguë de Louise. Elle faillit basculer en arrière lorsque son amie la pressa dans ses bras, bientôt rejointe dans son élan par Manabu. 


- Vous tous… Pleure par Louise… Ne pleure pas ou je vais… Moi aussi…


David et Bulge ne tardèrent pas à arriver sur les lieux pour découvrir les deux filles en larmes, Manabu qui ne retenait les siennes qu’à grand-peine et un Bruce visiblement dépassé par la situation.

Et c’était sans compter Énide, qui s’était soustraite à la surveillance des gardes d’Astorie, et qui se jeta sur le trio comme un plongeur dans une piscine.


- RE-I-KO !


Celle-ci eut tout juste le temps d’ouvrir les bras. Tel un koala, la fillette se pendit à son buste en baragouinant des phrases incompréhensibles.


- Ils ont tous décidé de te voler ta copine, se gaussa David.

- La ferme.


Schwanhelt Bulge eut toutes les difficultés du monde à mettre un terme aux effusions des retrouvailles puisque Louise refusait catégoriquement de se séparer de Reiko, qui tenait elle-même Manabu en otage contre sa poitrine, pendant qu’Énide hurlait à pleins poumons qu’elle ne bougerait pas d’un iota.


- Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, s’exaspéra le Commandant en passant une main sur son visage.


Le calme ne revint qu’après de longues minutes durant lesquelles Bruce renonça à arracher la petite à l’emprise de sa fiancée.

Une voix tonitruante retentit alors depuis l’autre bout du quai.


- Où sont mes filles ?


***


Les souverains d’Astorie étaient moins terribles que ce que Reiko ne s’était imaginée. Ils prirent rapidement les choses en main et les patients furent évacués vers le palais royal. À regret, la pilote avait cédé Énide à la reine, une très belle femme à la chevelure rousse démesurée, qui lui évoqua celle d’Emeraldas.

Les sections Sirius et Vega furent invitées à séjourner sur Astorie, ce qui fut accepté par les Commandants au vu de l’état général de leurs troupes et de celui de l’Iron Berger, qui devait être remorqué sur Destiny pour bénéficier d’une batterie de réparations.

Une suite spacieuse fut affectée à Louise et Reiko, contre l’avis de Bruce, qui ne put rester avec sa petite-amie malgré ses protestations houleuses.


- Et si on te décrassait un peu ?, proposa l’Officière radar en détaillant les auréoles de sang séché sur les vêtements trop larges de son équipière.

- Ce ne serait pas du luxe…


Lorsque Reiko s’immergea dedans, la couleur du bain prit une teinte brunâtre peu engageante. Il fallut d’ailleurs plusieurs shampoings pour enlever les graviers, la terre et la poussière qui s’étaient nichés dans ses boucles brunes. Une fois propres et parfumées, les filles quittèrent à regrets la salle de bain fastueuse.


- T’as entendu des gens rentrer ?

- Non.

- Au moins tu ne vas pas être obligée de remettre ces habits puants.

- Il semblerait. Quoi que, ça serait peut-être préférable, dit-elle en empoignant une extravagante robe rouge à col bateau qui avait soigneusement été disposée sur le lit.

- Hors de question, ils infectent.

- Ouais…


Si Louise avait revêtu d’emblée une tenue vert d'eau assortie à ses prunelles, Reiko eut plus de peine à enfiler la sienne.


- Attends je vais la boutonner.

- Merci.

- J’en connais un qui va apprécier…

- Tais-toi, dit-elle en dissimulant son moignon entre les couches de tissus.


Des martèlements se répercutèrent sur la porte et les filles partagèrent un regard étonné.


- Entrez ?


Deux majordomes pénétrèrent dans la chambre en s’inclinant. L’un d’entre-eux toussota avant de prendre la parole.


- Sa majesté Erya désire s'entretenir avec Mademoiselle Sakuramachi.

- Moi ?, demanda-t-elle, ébahie.

- En effet.


Le second valet s’approcha.


- Si vous le permettez, Mademoiselle Fort-Drake, je vais vous escorter à la salle de réception où le dîner est servi.

- Avez-vous des nouvelles de Valdivia ? Et de Silver ?, les interrogea-t-elle.

- Vos collègues ont été soignés, ils sont à l’infirmerie et se reposent.

- Tant mieux.


Bien que mal à l’aise, Reiko se soumit à cette requête et emboîta le pas au majordome dans un dédale de couloirs jusqu’à ce qu’ils ne débouchent dans un salon luxueux couvert de tentures rouges et or.

“Je me fonds dans la décoration.” 


- Patientez ici, dit-il en désignant un divan molletonné.

- Bien… Bien-sûr.


“Ils vont me condamner à mort parce que j’ai abandonné leur fille au beau milieu d’une ville en guerre ?”

Elle tapota ses pommettes, anxieuse.

“Je me fais des films. Ils ne m’auraient pas filé toutes ces fringues si c’était leur but.”

Elle n’eut pas à attendre longtemps pour qu’Énide pointe le bout de son museau.


- Votre Altesse royale !, dit-elle en se levant maladroitement.

- T’es trop jolie !

- Ah bon ?


Reiko se raidit lorsqu’elle aperçut la reine qui entra à la suite de la fillette.


- Votre… Euh…

- Majesté !, souffla l’enfant en s’installant contre la soldate de la SDF.

- Enchantée, Votre… Majesté.

- Allons, asseyez-vous, pas de formalité entre nous.

- Euh… Si vous… Si vous le dites.


Elle posa ses fesses sur le canapé, aussi figée qu’une statue.


- Détendez-vous, nous vous devons énormément.

- À.. Moi ?

- Bien sûr, Énide nous a fait le récit de ce… Voyage épique.

- Ah ?

- Au fait, je t’ai ramené ton écharpe !, s’écria la petite.

- Tu peux… La garder.

- Vraiment ? Merci !, s’enthousiasma-t-elle.


Reiko déglutit de travers, persuadée qu’elle allait être exécutée sous peu, malgré le ton rassurant de la souveraine.


- Vous avez risqué votre vie pour donner une chance à Énide de survivre. Vous avez toute notre gratitude.

- Ah euh.. D’accord. C’est mon… Travail.

- Cette mésaventure nous a fait comprendre que nous avions des affaires à régler… En famille. Enfin bref, je vous ai convoquée pour une toute autre raison.

- C’était mon idée ! 


Confuse, Reiko ne savait pas sur quel pied danser.

“La gamine n’a pas tout expliqué à ses parents. Sinon, je serais sous les verrous à l’heure actuelle. Je me demande quelle version de notre fuite elle leur a faite.”

Sans plus de cérémonie, la reine claqua des doigts et un valet apparut dans le salon. Il portait un coussin sur lequel était posé un coffret en acajou serti d’or.


- Ouvrez-le.


L’employé s’exécuta et Reiko hoqueta de surprise.


- Acceptez ce présent, je vous prie. En guise de remerciements pour les services rendus à l’Empire.


***


La jeune femme lissa sa robe avant de s’introduire en catimini dans la grande salle de réception dans laquelle ses partenaires se restauraient. L’odeur des mets la fit saliver et son ventre émit un borborygme significatif.

Bruce, qui était en train d’avaler une gorgée de vin, recracha le liquide au visage de David qui recula en jurant.


- Tu l’as fait exprès ! 

- Qu’est-ce que…, commença-t-il, troublé.

- Sympa, non ?, se vanta la pilote.

- Très… Sympa, dit-il en froissant la nappe entre ses phalanges.


“Elle est beaucoup… Beaucoup trop…”, pensa-t-il, proche de l’asphyxie générale.


- Tu trouves aussi ?, dit-elle en agitant sa prothèse flambant neuve sous les yeux de son amant.

- Ah ? Ça ? J’avais pas vu…

- Mais de quoi tu parlais, alors ?, dit-elle en prenant place à ses côtés, suspicieuse.

- Euh…

- C’est rare que Bruce se fasse moucher, se moqua David. 

- Mêle-toi de tes oignons.


Reiko fronça les sourcils, mettant ce comportement étrange sur le dos de l’alcool.


- C’est un cadeau de la famille royale. Un auto-mail en cristal.

- Et c’est solide, ça ?, questionna Manabu.

- Je ne sais pas mais ça me permet de récupérer ma mobilité, même si la transparence est un peu bizarre. Il paraît que c'est la pierre la plus répandue ici.

- T’es magnifique, chaton.


Elle s’empourpra, étonnée par la brutalité du compliment.


- Cette boisson fait des ravages. Vous oubliez que vous êtes en service.

- Elle n’a pas tort, approuva Louise en lorgnant sur les joues rougeaudes de Manabu.

- Beaucoup trop magnifique pour quelqu’un comme moi, susurra le sniper en l’embrassant dans le cou.

- Hé on… On n’est pas tout seuls !

- Ouais. C’est bien dommage, tiens, lui chuchota-t-il à l’oreille.


De l’autre côté de la table, Moritz Schneider s’appliquait à hacher menu le contenu de son assiette.


- Tu te fais du mal vieux, soupira Murase.

- Sauf votre respect, c’est pas votre problème, Commandant.


Morte de faim, Reiko attaqua son assiette avec appétit, triplement de bonne humeur. Elle avait retrouvé un auto-mail, son petit-ami, et personne ne l’avait encore emprisonnée pour manquement à ses obligations.

Elle termina son repas par une monstrueuse glace au chocolat qu’elle partagea volontiers avec Manabu. Bruce la laissa faire, songeur. Une fois sa dernière cuillerée engloutie, il lui tendit la main.


- Et si on prenait l’air ?

- Si tu veux, dit-elle en essuyant sa bouche avec une serviette.


Ils franchirent les immenses portes-vitrées et gagnèrent les jardins colorés éclairés par la lumière argentée de la lune et des étoiles.


- C’est… Splendide…, s’extasia-t-elle en se penchant vers les massifs d’iris. Harlock… Il adorerait voir toutes ces fleurs.

- Je suis chanceux.

- Pourquoi ?

- Parce que la plus belle d’entre-toutes s'épanouit dans mon jardin.

- C’est l’alcool qui te rend poète ?, répondit-elle, émue.

- Non.


Il l’attira contre lui et blottit son nez dans sa chevelure brune. 

“J’ai jamais été aussi heureux. Alors pourquoi est-ce que j’ai la sensation que je n’y ai pas droit ?”


- Tu danses ?

- Il n’y a pas de musique.

- J’en ai pas besoin, rétorqua-t-il en la faisant virevolter sur elle-même.

- On n’a pas dansé ensemble depuis…

- Heavy Melder, ça fait un bail.

- Oui, murmura-t-elle en se mettant sur la pointe des pieds pour l’embrasser. 


Appuyée sur le balcon, Énide contemplait la scène, dubitative.


- C’est ça “aimer quelqu’un” ?


Louise s'accouda à la balustrade, rêveuse. 


- Si ce n’est pas ça, ça y ressemble drôlement.

- Je crois que j’ai aucune chance avec le champion, se résigna la princesse en souriant. 


Une brise légère souleva la chevelure et la robe de Reiko, emportant son rire vers les constellations qui brillaient haut dans le ciel de la planète Astorie.

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