A Galaxy Railways Story : Reiko
Chap 11 : Destiny
Reiko boutonna la dernière pression de sa veste et réajusta le col face au miroir de sa chambre.
Elle se sentait honteuse. Terriblement honteuse.
Elle s’était réveillée à bord de Big1, l’esprit embrumé par de terrifiants cauchemars, ignorant de quelle manière elle s’était téléportée dans le dortoir. Des bandages recouvraient ses mains, ses vêtements étaient dans un piteux état et sa gorge était irritée comme si elle avait assisté à un concert de heavy metal.
Lorsque Louise lui avait fait le récit de leur aventure sur “Hal’wasa”, elle avait failli tourner de l'œil.
- T’es juste un boulet. T’es tellement trop inutile, reprocha-t-elle à son reflet.
Encore une fois, ses équipiers avaient dû l’évacuer car elle était incapable de se prendre en charge.
C’était lamentable.
- J’peux pas croire que j’ai encore foiré ce coup là. Juste quand tout commençait à s’arranger.
Elle attacha sa chevelure en une tresse sur le côté et reporta son attention vers le lit sur lequel était posé un uniforme soigneusement lavé et plié.
- Je suis pathétique, hein ? Pourquoi est-ce qu’il a fallu que ce soit toi qui me trouves ?, demanda-t-elle au tas de tissu, le front appuyé contre son armoire.
Les effets du poison avaient mis de longues heures à se dissiper. De longues heures durant lesquelles elle aurait voulu mourir à maintes reprises.
“Le passé, c’est le passé. Si je le laisse me submerger, je ne pourrai plus jamais sortir de cette chambre.”
Un voile sanglant recouvrait ses iris dont la présence persistait alors même qu'elle clignait des paupières.
- Harlock… J’aimerais vraiment que tu sois là… Aniki…
Les ongles de Reiko griffèrent le bois du lit.
- Ressaisis-toi. Ressaisis-toi. C’est pas comme ça que tu prouveras à Otto-san que tu peux te débrouiller toute seule.
Elle attrapa l’habit de Bruce et quitta la pièce en claquant la porte.
“J’ai pas abandonné. J’abandonne pas. J’abandonnerai pas.”
Se répétant inlassablement ce leitmotiv, Reiko prit la direction du Quartier Général.
Elle pénétra dans le grand hall et continua jusqu’à la salle de repos de l’unité Sirius. Elle dépassa un distributeur de bouteilles de soda avant de se stopper brusquement. Tout en faisant volte face, elle fouilla dans ses poches et enfonça une pièce dans la machine.
Une canette rose recouverte de fraises souriantes lui tomba dans la main.
Elle l’observa un instant, pensive, puis la fourra dans le vêtement de l’artilleur.
- Reiko ?
- Ah, bonjour Manabu.
- Tu vas mieux ?
- J’ai la tête dans les vapes.
- Je comprends, avoua-t-il en grimaçant.
La jeune femme s’approcha, hésitante.
- Tu peux déposer ça dans le casier de Bruce, s’il-te-plaît ? J’évite au maximum de m’aventurer dans les vestiaires des hommes…, dit-elle en songeant en particulier au peloton Vega.
- Pas de problème.
- Je te revaudrai ça.
De la veille au soir, elle avait un vague souvenir du Commandant les informant que la mission du lendemain après-midi aurait lieu sur Destiny. Il avait sûrement expliqué l’objectif de celle-ci mais impossible pour Reiko de se le remémorer.
Les températures étant clémentes, elle décida de profiter du beau temps avant que ne débute leur prochain travail.
***
- Et voilà, vous savez tout.
Les membres du peloton Sirius se dévisagèrent, abasourdis.
- Des enfants ?
- Oui.
- Vous voulez qu’on garde de sales mioches criards et mal élevés ?
- David !, rouspéta Louise.
- Mais c’est la vérité. Bruce, tu n’es pas de mon avis ?
- Commandant, est-ce vraiment du ressort de la Space Defence Force…?
- Manabu, le moralisa Bulge, tes compétences sont-elles si incroyables pour que tu juges cette mission indigne de ta personne ?
- Non mais…
- Il n’y a pas de tâches déshonorantes ou subalternes à la SDF. Veiller sur les passagers est notre priorité, l’aurais-tu oublié ?
- Non. Je suis désolé.
- Bien. Je préfère ça. Et on garde le sourire mesdames et messieurs. Louise, tu feras équipe avec Reiko. Bruce et Manabu. David et Yûki.
Le Commandant leur détailla les différents postes à occuper et se retira ensuite pour participer à une réunion importante au Haut Commandement.
- Quelle chance, marmonna David. On est les grands gagnants aujourd’hui. Heureusement qu’il y a encore la soirée annuelle pour nous remonter le moral.
- La soirée annuelle ?, questionna Reiko. J’en ai pas entendu parler.
- Quoi ? Mais je n’ai fait que ça toute la semaine dernière !, protesta Louise.
- Ah euh…
L’officière radar pinça les deux joues de la pilote.
- Tu..M’as..Pas…Écoutée…
- Tou… M’fais..Moal…
- Je crois qu’elle a compris, tempéra Manabu.
Louise relâcha Reiko qui se massa la peau avec soulagement.
- C’est une tradition. Chaque année une grande fête est organisée au QG. C’est informel et ça permet à tout le monde de se détendre. Il est de coutume d’être accompagné. Donc, Manabuuuu, j’attends toujours ton invitation !
Reiko, profitant de cette diversion bienvenue, s’écarta discrètement des redoutables pincements.
- Moi j’y vais avec Yûki, compléta David. Et toi Bruce ?, le questionna-t-il sur un ton faussement innocent.
- T’apprendras jamais à pas te mêler des affaires des autres ?
- Oh, j’en connais un qui est de mauvaise humeur. On se demande bien pourquoi, tiens.
Reiko se frotta le poignet distraitement, risquant une œillade vers son instructeur. Celui-ci avait les mâchoires verrouillées et un tic nerveux agitait la commissure de ses lèvres.
Une cocotte minute prête à exploser.
Voilà à quoi il lui faisait penser.
Elle toussota pour capter l’attention de ses partenaires.
- Si on y va pas très vite, j’en connais aussi un qui mettra un terme à tous vos beaux projets.
- Elle a raison, déclara Bruce en agrippant Manabu par le bras.
Alors que chaque binôme prenait le chemin de son point de surveillance, Bruce héla Reiko.
- Merci pour ça !, dit-il en sortant la canette rose de sa poche.
- Oh, je t’en prie. Merci à… Toi.
Il s’était déjà détourné et elle fixa son dos jusqu’à ce qu’il se fonde dans la foule des voyageurs.
“Cet homme est une énigme.”
Il lui faisait un effet similaire à celui d’un aimant.
Elle avait l’impression d’être un fragment métallique incapable de lutter contre son magnétisme.
“Pourquoi mon coeur bat-il si vite ? J’aurais aimé que tu me regardes…”
Elle soupira en s’éloignant.
- Quand est-ce que je vais arrêter d’être si bête ?, murmura-t-elle.
***
- Ça fait beaucoup d’enfants.
- Oui.
- C’est compliqué de tous les garder en visu.
- Oui.
Louise eut un petit rire.
- Tu n’es pas très à l’aise avec eux, n’est-ce pas ?
- C’est… C’est pas vraiment….
Reiko prit une profonde inspiration, tordant inconsciemment ses doigts.
- Je suis juste incapable de prendre correctement soin d’eux.
- Mais pourquoi tu dis ça ?
- Parce que… C’est la vérité. C’est tout.
- Tadashi mis à part, tu as d’autres frères et soeurs ?
- J’en ai… J’en ai…
Voyant que sa compagne était au bord de la crise de nerf, Louise n’insista pas.
- Ne t’inquiète pas, on est deux. On devrait pouvoir surveiller tous ces garnements. Et avec un peu de chance l’un d’entre eux vomira sur les chaussures de David.
- Oui. T’as raison.
Sayuri, Kiyoka, Nami…
Les événements de la journée d’hier lui avaient rappelé à quel point les enfants sont une responsabilité immense et que, malgré toute la bonne volonté du monde, il est parfois impossible de les protéger.
Elle chassa les images de désolation, de violence et de mort qui s’étaient insinuées dans son esprit en secouant la tête.
- Tu dirais qu’ils ont quel âge ?
- Six à sept ans… Pourquoi ?
“Comme Sayuri… Non, c’est pas le moment !”, se morigéna-t-elle.
- Pour rien…
- Le Commandant Bulge a précisé que cette arrivée massive était due à de nombreux voyages scolaires. Destiny étant une gare de triage majeure, c’était inévitable…
- Ouais…
Louise tira sur la veste de Reiko, en arborant un sourire taquin.
- Diiiis, ce soir tu vas t’habiller comment… ?
- J’viens pas.
- Mais pourquoi ?
- J’aime pas.
- “T’aimes pas ?”
- Je suis pas à l’aise quand il y a trop de personnes que je connais pas au même endroit.
- Dans les trains, il y a beaucoup de passagers et ça ne te dérange pas.
Elle marqua un point et Reiko vit sa belle excuse s’envoler.
- Et si Bruce t’invitait ?
La pilote bondit en arrière comme si elle avait été éclaboussée par de l’huile brûlante.
- Je.. Non !
- T’en es bien certaine ?
- Oui !
- T’es toute rouge.
- C’est parce que tu racontes n’importe quoi !
- On va dire ça…
Les haut-parleurs annonçant l’atterrissage imminent de l’express Arias épargnèrent à Reiko la lourde peine de devoir répondre.
- Arias…, dit Louise en consultant les fiches distribuées par Bulge. Oh oui là il seront nombreux. On doit être vigilantes.
- Si on se focalisait uniquement sur le travail, ce serait plus facile, grogna Reiko.
- Bien sûr, Bruce. À vos ordres, Bruce.
- Hé !
- Ce serait pas le peloton Vega par là bas ? Et si on les saluait ?, proposa-t-elle en agitant le bras.
Sans réfléchir, Reiko se camoufla derrière un panneau publicitaire.
“Il dirait quoi Harlock s’il te voyait fuir tes collègues de la sorte ? Oh et puis on s’en tape. Il est pas là, il le saura pas.”
- Koko ?
- Chuuuut ! Oublie moi, supplia-t-elle.
- T’as pas dit qu’on devait rester concentrée ?
- Après !
José Valdivia, accompagné de Schneider et de Silver, s’approcha de Louise.
- Vous êtes affectés à la surveillance aujourd’hui ?
- Celle de Manabu aussi ?, pouffa Edwin Silver.
- Ah, c’est drôle ça !
Schneider jeta une oeillade circulaire aux alentours.
- Reiko est dans le coin ?
- J’y crois pas, il recommence.
- La ferme Valdivia.
Louise dansa d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.
- Elle est partie… Elle est partie… Aux toilettes. Crampes intestinales.
- Oh ça doit pas être beau à voir, lança Silver en grimaçant.
- Oui, voilà ça sert à rien de l’attendre.
- Ouais. Ben on n'en avait pas l’intention.
Schneider se gratta le cuir chevelu, gêné.
- D’accord, passe lui le bonjour.
- Je le ferai sans faute ! Bonne journée !
La jeune femme patienta le temps que l’unité Vega quitte le quai puis elle s’accouda contre le panneau.
- Tu m’expliques, le ninja ?
- C’est pas important, répondit Reiko en émergeant de sa cachette.
- Dans ce cas, je vais les rappeler ! Youhou !
- Tais-toi, c’est bon. Je vais tout te dire mais t’aurais pu trouver mieux qu’une diarrhée fulgurante.
- J’ai fait avec ce que j'avais. Tu devrais me remercier.
Quelques minutes plus tard, l’Officière radar avait complètement oublié leur mission du jour.
- Il t’a embrassée ?
- Yep.
- Quand on était dans l’auberge de Robunte Roldo ?
- Ouais.
- Tu ne veux pas sortir avec lui ?
- Je sais pas. Vraiment… J’en ai pas la moindre idée.
- C’est un type bien mais peut-être… Que tu apprécies quelqu’un d’autre ?
- Je..
“L’Express Arias entre en gare. Merci de respecter les distances de sécurité et de vous tenir éloignés des voies.”
- On en reparlera plus tard, promit Louise d’un ton déterminé.
Reiko soupira, soudain très fatiguée.
Quelqu’un d’autre ?
L’image d’un blond ténébreux lui tournant le dos s’imposa naturellement dans ses pensées.
“Ben voyons… Décidément, tu vises un peu haut ma cocotte. Tu risques de te faire éconduire mais d’une force… “
Les heures qui suivirent ne laissèrent que peu de répit au binôme féminin. Reiko empêcha par trois fois des élèves de chuter sur les rails, en emmena un autre à l’accueil de la gare et termina en ramassant plusieurs sac à dos égarés. Louise s’était quant à elle démenée pour interrompre une bagarre, rechercher un goûter perdu déjà retrouvé par Reiko et nettoyait actuellement le vomi d’un enfant qui avait eu le mal des transports.
- Je suis lessivée. On termine quand ?
- Pas maintenant, lâcha Reiko en s’affalant sur un banc en métal.
- Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Une femme vêtue d’un tailleur rose et munie d’un bloc notes les rejoignit en courant, la mine affolée.
- Vous faites partie de la Space Defence Force ?, les questionna-t-elle, essoufflée.
- Oui, que… ?
- Je suis madame Saito, je suis arrivée avec ma classe par l’Express Arias en provenance de la sixième Galaxie. Lorsque j’ai compté mes élèves, je me suis aperçue que l’un d’eux manquait… J’ai… J’a inspecté les environs mais…
- Vous pouvez nous le décrire ?
- J’ai mieux, voici une photo de ma classe. C’est ce garçon, Taka Yamamoto. Il a huit ans.
Reiko et Louise se penchèrent au-dessus du cliché.
L’air bagarreur, le regard résolu, un pansement posé sur le nez, Taka avait tout l’air d’un rebelle. Ses cheveux noirs ne semblaient pas avoir croisé un peigne depuis longtemps.
- Je m’en occupe, déclara Reiko en attrapant le cliché.
- Hé ! Je l’avais vu la première.
- Je vous le ramène au plus vite.
- Il faut que nous prenions notre correspondance dans une heure pour la Voie Lactée, les prévint la professeure.
- Ne vous inquiétez pas, nous reviendrons à temps.
- Reiko, t'abuses !
La pilote tourna rapidement les talons et, armée de sa photo, entama ses recherches. Elle débuta par les quais les plus proches avant d’explorer les salles d’attente et de restauration.
- Il ne serait quand même pas… ?
Reiko se dirigea vers les grandes baies vitrées qui débouchaient sur la rue principale de Destiny.
- Il pourrait être n’importe où…
Elle songea brièvement à appeler son peloton en renfort mais, au vu de son échec cuisant de la veille, elle craignait que le Commandant ne mette un terme à sa période d’essai plus vite que prévu.
- Si t’étais un gamin où es-ce que tu te irais ?, se demanda-t-elle à haute voix.
Cette question, elle pouvait malheureusement y répondre facilement. Se cacher, se faire oublier et se soustraire à l’attention des adultes, avaient été son quotidien durant deux longues années.
- Allons-y…
Elle passa en revue les cachettes éventuelles dans un rayon de cinq cents mètres autour de la gare. Les containers, les étals du marché, les buissons… Tous les endroits dans lesquels elle aurait pu se dissimuler à son âge.
“Il n’a pas peur de perdre son groupe ? Est-ce qu’il aurait suivi quelqu’un qu’il connaissait ? Je continue à l'extérieur ou je fouille de nouveau la gare?”
Le temps pressait et l’instinct de la pilote lui soufflait qu’il était là quelque part, dehors.
Elle en était certaine car, dans son enfance, c’est exactement ce qu’elle aurait pu faire si elle avait voulu échapper à une situation stressante.
- Taka…
Elle traversa l’artère principale à grandes enjambées en scrutant le moindre interstice et le plus petit renfoncement avant de piler devant une ruelle sombre de laquelle s’échappaient des rires sadiques. S’avançant à pas feutrés, elle découvrit une scène qui la révolta.
“Te voilà dans les ennuis jusqu’au cou, petit…”
Deux brutes épaisses d’une quinzaine d’années l’avaient acculé au fond d’une impasse et le torturaient allégrement. Du sang coulait du nez de Taka et, malgré sa situation précaire, il les défiait farouchement du regard.
“On dirait Manabu. Non, Tadashi.”
Les poings serrés, elle sortit de l’ombre dans laquelle elle s’était tapie.
- Et si on rééquilibrait l’équation ?
Les jeunes firent volte face dans un ensemble presque parfait.
Reiko enleva ses gants avec les dents et retroussa les manches de son pull.
D’accord, elle n’était pas très sportive.
D’accord, elle n’excellait ni en tir ni en mécanique.
Cependant la rue, puis Harlock, lui avaient appris à se défendre.
- On se bat pas contre les filles, rétorqua-t-il avec dédain.
- C’est dommage parce que moi j’adore infliger une raclée à ceux qui s’en prennent à plus faible qu’eux. Sans vouloir t’offenser, Taka.
- Je suis pas faible ! Hé, comment tu connais mon nom, la balafrée ?
- Tu me fais de la peine. Dire que je venais te filer un coup de pouce.
- Je me débrouillais très bien tout seul !
- Peut-être pas aujourd’hui, mais ça viendra. Regarde et apprends.
- Hein ?
Reiko fonça en avant et heurta de plein fouet le premier adolescent. Celui-ci percuta une poubelle métallique et manqua de peu de se démettre l’épaule.
Le second voulut riposter mais elle ne lui en laissa pas le temps. Elle attrapa son bras et se servit de son élan pour le propulser contre son acolyte.
- Je vous conseille de rester à terre. C’est la place des vermines dans votre genre.
- Espèce de sale…
- Tu ferais mieux de réfléchir avant de parler car ma patience a des limites. Allez, dégagez. Et plus vite que ça.
La lueur mauvaise dans les prunelles de Reiko convint les jeunes de ne pas s’attarder dans le coin.
- T’as l’air entier, dépêche-toi on y va, ordonna-t-elle à Taka.
- T’es qui, toi ?
- Reiko. Je bosse à la Space Defence Force et ton instit’ m’a chargée de te ramener. Madame Sato ? Ou Saito ? Enfin, bref tu viens avec moi.
- Non, j’en ai marre de cette école et de tous ces idiots.
- Et tu crois que tu arrangeras tous tes problèmes en t’enfuyant ? C’est jamais une solution.
Bon, elle avait fui Schneider mais le contexte était différent.
- Les adultes peuvent pas comprendre.
- Écoute, petit.
- Je suis pas petit.
- Okay. Écoute, Taka. Je ne connais rien de ta vie ni de tes soucis, mais je suis sûre que tu ne les résoudras pas en te planquant au fond d’une ruelle de Destiny.
Elle posa un genou à terre et lui ébouriffa les cheveux.
- Hé !
- T’étais pas coiffé de toute façon. Enfin bref, ce que je veux dire c’est que tu dois rentrer chez toi et affronter tes ennuis. Comme un homme. Pour devenir plus fort.
- Et… Si j’y arrive pas ?
- C’est pas grave de pas réussir du premier coup. Tu réessaieras. Encore et encore. Et parfois, il faut accepter une main tendue. Qui sait, un jour, quelqu’un aura lui aussi besoin de cette main tendue et tu seras là pour l’aider.
Elle se leva en rejetant sa chevelure en arrière.
- De toute façon, si tu ne viens pas de toi-même, je te ramène par la peau des fesses. Je te garantis que ce ne sera pas trop compliqué.
- Tu m’apprendras ça ?, la questionna-t-il en mimant une bagarre avec ses poings.
- Si tu travailles à la Space Defence Force un jour, peut-être !
- D’accord !, capitula-t-il en sortant de l’impasse, Reiko à sa suite.
Ils firent le chemin en sens inverse en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
- Tu es courageux. Il faudrait que j’en prenne de la graine, argua Reiko en songeant à Schneider et à sa manœuvre d’évitement qui avait été tout sauf subtile.
- Toi ? Mais t’es la grande personne la plus forte que j’ai jamais vue de toute ma vie !
- C’est parce que tu ne connais pas mes collègues… Mon instructeur, Bruce, il est vraiment très fort.
- Woaaah. Il doit être génial.
- Oui, il l’est.
“Moi par contre… Il me reste encore beaucoup de travail pour atteindre son niveau.”
Ils entrèrent ensuite dans la gare de Destiny et Taka pointa du doigt un attroupement d’élèves qui patientait dans l’espace restauration.
- Je vois Madame Saito !
- Oui, elle est là bas.
Soulagée, l’institutrice se rua vers les nouveaux venus.
- Taka ! Mais par tous les dieux, qu’est-ce qui…
- Il s’est perdu, la coupa Reiko.
- Vrai…Vraiment ?
- Oui, ce n’était pas une fugue. Si nous avons terminé, je vais prendre congé.
- M-Merci !
Reiko sentit un tiraillement sur sa veste.
- Attends.
Taka lui fit signe de s’agenouiller.
- Tu me feras visiter ton train de l’espace mortel ?
- On pourra toujours demander au Commandant Bulge, mais je ne promets rien.
- Trop bien !
Le groupe, enfin au complet, vida les lieux. Taka adressa de grands signes de la main à Reiko et il fallut que sa professeure le pousse dans le train pour l’obliger à suivre sa classe.
- Ah ben, je te remercie pas, hein !
- Désolée, j’avais besoin de prendre l’air. J’espère que tu t’en es sortie.
- Mais bien-sûr…
Dix-sept heures sonnèrent et Louise leva les bras au ciel en signe de victoire.
- Délivrance ! Fin du service !
- Comme tu dis…
Un sourire mystérieux se dessina sur les lèvres de l’Officière radar.
- On va s’habil…
- Non, même pas en rêve.
- Mais tu avais bien enfilé ce joli kimono !
- Pour faire plaisir à une vieille dame…
- Tu as quand même gagné un baiser ! Hé reviens !
- Non, à plus !
Les joues écarlates, Reiko se précipita en direction des jardins fleuris et odorants.
Finalement, le beau discours qu’elle avait tenu à Taka, elle était bel et bien incapable de l’appliquer à elle-même.
“Fais ce que je dis et pas ce que je fais !”
Il fallait vraiment qu’elle cesse de fuir en courant à chaque situation malaisante.
C’était une mauvaise habitude.
Tiens, en parlant de situation malaisante…
Comme quoi, Destiny portait bien son nom…
“Allez… Si Taka peut le faire, toi aussi…”
Elle s’avança vers le blanc surplombant la fontaine, les mains moites.
- Salut.
Schneider ne se donna pas la peine de se retourner.
- J’aurais pu croire que tu m’évitais.
Elle prit une profonde inspiration.
- Parce que c’était le cas. Désolée.
- Ouais, je m’en doutais. Ça va mieux tes crampes ?
- Euh, oui, c’était rien de grave.
Elle détailla l’artilleur. Grand, bien bâti, il avait un visage profondément affable. Son uniforme vert lui seyait à merveille, ce qui ne gâchait rien.
- Hé, dit-il en captant son regard. J’ai un truc sur le nez ?
- Non, pas du tout. Écoute… J’ai été très touchée par ta déclaration mais tout ça c’est un peu précipité pour moi.
- Je l’ai compris, moi aussi. Je ne voulais pas te mettre la pression ou te gêner, c’est juste que je t’ai vue et tu étais… Enfin, c’était pas prévu.
- Je ne veux pas te blesser… Je suis…
- C’est bon t’inquiète pas, il faut plus que le refus d’une jolie fille pour blesser un grand gaillard comme moi.
Reiko soupira, en proie à un profond sentiment de libération, et un brin flattée par la qualification “Jolie”.
- Hésite pas à me dire si t’as pas envie mais, si t’es libre ce soir, on pourrait aller ensemble à la soirée annuelle. Entre amis si c’est ce que tu souhaites.
N’ayant pas le cœur à le décevoir après leur conversation éprouvante, elle hocha la tête.
- Avec plaisir. Personne ne m’a invitée et Louise n’avait pas l’intention de me lâcher avec cette histoire…
- Très bien. Je serai là à vingt-et-une heures.
- Je peux marcher jusqu’au QG.
- Il fera nuit et ça ne me dérange pas.
- D’a.. D’accord.
Ils discutèrent encore un moment des récents événements qu’ils avaient pu vivre avec leurs sections respectives et se séparèrent quand le soleil commença à décliner.
***
La voiture de Schneider se stoppa devant l’allée de l'immeuble et Reiko s’engouffra à l’intérieur.
- Merci d’avoir fait le détour.
- Pas de quoi.
La pilote tira sur sa veste pour la lisser. Elle n’avait pas cédé aux injonctions de Louise et avait simplement enfilé un pull et un pantalon propres, contrairement à son escorte qui s’était mise sur son trente-et-un.
- Prête à faire la fête ?
- On va dire ça…
Une fois au Quartier Général, ils ne tardèrent pas à gagner le grand hall où se tenait la soirée. Reiko constata qu’elle n’était pas la seule à avoir ignoré le dress code malgré la majorité de femmes en tenues de cocktail.
- Nos pelotons.
En effet, les unités Spica, Vega et Sirius étaient plongées dans une conversation animée ponctuée de grands gestes.
Reiko tapota sur l’épaule de Louise.
- T’es venue !
- Oui.
- T’aurais pu faire un effort, ajouta-t-elle en lorgnant sur ses vêtements.
- Non.
- Irrécupérable…
L’Officière radar virevolta sur elle-même pour que son amie puisse mieux admirer sa robe.
- Des volants rouges, un corsage pailleté, et le tour est joué.
- Tu es très belle, n’est-ce pas Manabu ?
- O.. Oui… Enfin…
- Enfin quoi ?, gronda Louise.
Reiko les abandonna à leur dispute et rejoignit le groupe formé par Bruce, Bulge, Murase et Silver.
Ce dernier la dévisagea en ricanant.
- En fait je me suis trompé, t’es pas du tout une vraie fille en fait.
- Edwin, gronda Moritz. Tu gardes tes remarques déplacées pour toi.
- On sait bien que t’en pinces pour elle et que c’est pour ça que tu prends toujours sa défense.
- Ça suffit !, les réprimanda le Commandant Bulge.
- Et dire qu’ils sont encore sobres…, ajouta Murase.
Reiko dont le teint avait viré au rouge tomate préféra ne pas répliquer et se consoler avec la liqueur à la framboise du buffet.
Bruce, qui n’avait quant à lui rien manqué de la scène, avait dû serrer très fort les mâchoires pour ne pas asséner une réplique cinglante à cet imbécile de Silver.
Lorsque son équipière avait fait son entrée dans la salle au bras de Moritz, il avait eu l’impression qu’un uppercut lui enfonçait l’estomac.
“T’aurais dû aller la voir avant cette baltringue.”
Oui mais, une fois encore, ses doutes et son travail avaient pris le pas sur sa raison.
Pourtant, quand il avait trouvé la canette de lait à la fraise enroulée dans l’uniforme, son cœur habituellement si froid s’était un peu réchauffé.
Il ferma les poings à s’en faire blanchir les phalanges, le regard rivé sur Schneider et Reiko qui plaisantaient joyeusement.
“Putain, ça me rend fou.”
- Tu comptes rester sans rien faire ?, le questionna David. Et c’est pas la peine de me rappeler que c’est pas mes oignons.
- Ouais, ben pose pas la question alors.
- Bruce, sérieusement, tu laisses le champ libre à ce gars ?
L’artilleur, dont la température corporelle crevait le plafond, choisit de s’éclipser dehors le temps de reprendre ses esprits.
Et de décider une bonne fois pour toute quoi faire de ses sentiments.
Une musique douce s’éleva de la pièce et des couples se formèrent sur la piste, éclairée par une lumière bleue tamisée.
Contemplative, Reiko se perdit dans ses pensées et les paroles de Moritz se firent lointaines à mesure qu’elle se remémorait sa danse équivoque avec Bruce.
Instinctivement, elle le chercha dans l’assemblée mais il demeura toutefois invisible.
- Il est parti ?
- Qu’est-ce que tu dis ?
- N-non, rien.
- Du coup, tu veux ou pas ?
- Quoi ?
- Danser.
Reiko ouvrit de grands yeux surpris.
- Non merci, j’ai pas assez bu pour ça.
- Hé bien attends, je te ressers, proposa-t-il en riant.
Quelques verres plus tard, elle se sentait déjà plus légère bien qu’un tant soit peu étourdie.
- Je vais m’aérer, je reviens.
- Je t’accompagne ?
- Pas la peine.
Elle franchit les portes vitrées et s’adossa à un mur recouvert de lierre fleuri.
Les paupières mi-closes, elle profita de la fraîcheur de la nuit, écoutant les stridulations des insectes nocturnes.
Somnolente, elle sursauta lorsqu’une main s’abattit à côté d’elle.
- Oh non pas encore… L’alcool qui file des hallucinations, j’ai déjà donné.
- Hé, je suis réel.
Reiko tendit ses doigts et effleura une peau albâtre.
- Ah oui. Bonsoir, Bruce.
Le jeune homme pencha la tête, intrigué..
- Tu as bu ?
- Juste un peu, répondit-elle en pinçant son pouce et son index.
- Ça t'a pas servi de leçon hier ?
- Si, renifla-t-elle, mais Silver a été méchant et la liqueur est réconfortante.
- C’est un imbécile.
- Non, il a raison mais...
- Reiko.
La pilote haussa un sourcil, étonnée par le sérieux dans la voix de son instructeur.
- O..Oui ?
- J’aimerais te dire quelque chose depuis un moment déjà.
- Q… Quoi ?, paniqua-t-elle. Tu veux plus qu’on s’entraîne ensemble ? Mais j’ai déjà franchi deux niv…
- Non, rien à voir.
Le sniper rassembla chaque miette de son courage, résolu à en finir au plus vite, à l'image d'un pansement qu’on arrache lorsque la plaie est cicatrisée.
- Tu me plais.
Devant l’air ahuri de Reiko, il enchaîna, conscient que cette annonce ne se suffisait pas à elle-même.
- C’est en partie la raison pour laquelle j’étais distant. Il y aussi tous ces morts que je traîne derrière moi… Je sais que tout ça est très confus…
- M… Moi ?, balbutia-t-elle, hagarde.
- C’est tout ce que tu as retenu ?, railla-t-il.
- Bruce, est-ce que… Est-ce que...
Elle tombait des nues à mesure que les mots se frayaient un chemin dans ses pensées.
- Est-ce que tu me demandes…, poursuivit-elle en déglutissant bruyamment.
- T’as compris. Je veux qu’on sorte ensemble.
Il marqua un silence.
- Sauf si c’est pour Schneider…
Reiko secoua la tête avec virulence.
- Non, on est juste amis.
- Et moi ?
- Toi…
Bruce se rapprocha d’elle avec un sourire énigmatique.
- Je peux t’embrasser ?
La respiration de Reiko se bloqua.
Elle songea une nouvelle fois que l’alcool la faisait délirer.
C’était impossible que Bruce lui pose cette question.
Vraiment impossible.
Mais comme c’était impossible, elle pouvait répondre ce qu’elle voulait, non ?
Ou mieux faire ce qu’elle voulait !
Elle fit un pas en avant et déposa sa bouche sur celle de l’artilleur, presque persuadée qu’il allait se volatiliser à son contact.
Une fois la stupeur passée, il lui rendit son baiser avec virulence avant d’enfouir ses doigts dans ses cheveux et de l’attirer contre lui.
Ni l’un ni l’autre n’auraient pu dire combien de temps dura leur étreinte mais elle se prolongea jusqu’à ce que leurs lèvres soient desséchées.
- Je n’aurais jamais imaginé… Jamais…
- C’est parce que tu n’as pas confiance en toi. Si seulement tu te voyais… Comme je te vois moi…
- Et donc.. Et donc..
- Oui, si tu en as envie aussi.
- Ça me plairait beaucoup, accepta-t-elle, le cœur battant à tout rompre.
“Maintenant, impossible de faire demi-tour mais il faut toujours que je lui parle… De cette foutue malédiction…”
- Bon c’est réglé, dit-il en écartant une mèche de la joue de Reiko.
- Je peux.. T'embrasser…?
- T’as pas besoin de ma permission, idiote, murmura-t-il en l'enlaçant étroitement.
Quand elle s'éveilla le lendemain matin dans son lit, sa fin de soirée n'était plus qu'un vague souvenir rendu trouble par les vapeurs alcoolisées. Elle était cependant presque sûre de ne pas avoir remis les pieds à la réception une fois sa session câline avec Bruce terminée.
Déjà, elle n'était pas certaine d'avoir réellement vécu ce moment.
"Si c’est mon imagination, le punch devait être sacrément corsé."
Reiko enfouit son visage dans son oreiller, en réprimant un cri d'excitation.