A Galaxy Railways Story : Reiko

Chapitre 5 : Sous bonne escorte

5620 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/08/2023 12:12

- Hors de question.

- Allez ! C’est beaucoup trop JO-LI.

- Ça, je ne crois pas. 

- J’ai déjà mis la mienne, enfile celle-là !

- Louise, reste loin de moi !

- Et tu veux aller où comme ça ?


Perplexe, David écoutait les éclats de voix qui lui parvenaient à travers la porte. Il fut bientôt rejoint par Bruce et Manabu, tirés à quatre épingles. Grincheux, l’artilleur n’avait pas enfilé sa veste et l’avait nonchalamment jetée sur son épaule.


- Tu fais quoi ici, pervers ?

- Devant les vestiaires des filles, ajouta Manabu, méfiant.

- J’hésite à intervenir. C’est la guerre là-dedans.

- N’y pense même pas, l’avertit son ami.


Un cri de douleur les fit sursauter.


- Tu m’as planté une épingle dans la peau !

- Si tu gigotais un peu moins, ça n’arriverait pas.

- C’est bon, c’est bien là.

- Pour le bal des épouvantails, peut-être.


Bruce ricana tandis que Manabu s’avançait vers la porte, interloqué.


- C’est une bataille que je refuse de mener, allons-y.


Au même instant, le battant s’ouvrit à la volée. Reiko déboula tel un avion de chasse pour échapper à Louise, armée d’une brosse à cheveux et d’autres instruments capillaires. Elle avisa les garçons avec surprise et se réfugia derrière Bruce en pointant son amie du doigt.


- Instructeur, empêche cette folle de me toucher.

- Hé, protesta-t-il. Vous avez pas bientôt fini votre cirque ? On vous entend dans tout le bâtiment !

- Fais pas l’enfant, Koko.

- Range ton bâton de l’enfer et on pourra discuter.

- Ne dis pas n’importe quoi ! J’ai jamais vu quelqu’un refuser aussi catégoriquement du mascara.


Reiko poussa Bruce en avant.


- Tu peux le maquiller, lui.

- Pardon ?, lâcha-t-il en manquant de s’étouffer.

- Ou Manabu, je m’en fiche mais moi tu me laisses tranquille !


Un toussotement fit se retourner les membres du peloton Sirius dans un ensemble presque parfait.


- J’imagine que ce remue-ménage signifie que tout le monde est prêt ?

- Oui, Commandant !


À regrets, Louise rangea ses produits de beauté, telle une artiste déçue de ne pas avoir achevé son œuvre.

L’unité, avec Schwanhelt Bulge à sa tête, se dirigea vers le quai principal de la gare de Destiny. Mal à l’aise, Reiko tirait sur son habit dans l’espoir de l’allonger davantage. Louise avait réussi à lui faire enfiler une petite robe noire à volants sous laquelle elle avait dissimulé son cosmogun. Son corsage, un peu trop étriqué, lui enserrait la poitrine malgré le col bateau qui dégageait ses épaules. Elles avaient également dû batailler près de vingt minutes pour dompter la crinière de Reiko, la brosser et la ramener en queue de cheval sur sa clavicule.


- Pour cette mission nous travaillerons en collaboration avec le peloton Vega. Ils assureront la protection de l’express 888 à bord de l’Iron Berger pendant que nous investirons l’intérieur du train. Des questions ?

- Le costume, c’était vraiment nécessaire ?, questionna Bruce, maussade.

- Nous devons officier incognito, rappela le Commandant. Pour le bon déroulement du concert et pour ne pas inquiéter les passagers.

- J’ai hâte d’écouter le violoniste Adrian Von Meister !, s’extasia Louise. Il est réputé aux quatre coins de l’univers.

- Vraiment ? J’en ai jamais entendu parlé.

- Tu as dû grandir dans une grotte, Koko.


Louise tourna sur elle-même avant d’attraper Manabu par le bras.


- Tu ne trouves pas que cette robe rose me va bien ?

- Si.. Si, balbutia-t-il en rougissant.


Reiko laissa échapper un petit rire sous cape devant l’embarras de son collègue.


- Comme vous l’avez compris, reprit le Commandant, il s’agira d’une mission d’escorte. Même si les risques d’attentat sont faibles, je veux que vous restiez professionnels.


Le peloton Sirius parvint sur le quai d’embarquement du 888, sur lequel patientaient déjà les équipiers Vega. Ces derniers les accueillirent tantôt avec un sourire narquois, tantôt avec un sifflement impressionné. 


- En fait, t’es pas trop vilain avec un beau costume, railla Silver en tirant la chemise de Bruce.

- Ferme-la ou je te fais une belle cicatrice pour s’accorder avec ton cache-oeil.

- C’est qu’on est susceptible en plus.


Valdivia s’inclina devant Louise en posant sur elle un regard appréciateur.


- Si la belle plante est disponible pour boire un verre après la mission, je me tiens à sa disposition.

- Même pas en rêve, répliqua-t-elle en rougissant, flattée par le compliment.


Reiko, mal à l’aise, se tenait à l’arrière du groupe. Elle comptait sur les doigts d’une main les fois où elle avait porté autre-chose qu’un pantalon, et les jupes n’en faisaient pas partie.


- Hé, pourquoi tu te planques ?

- Salut Moritz.


Elle croisa les bras autour de son ventre.


- C’est sympa, dit-il en désignant la robe. Ça te va bien.

- J’ai pas eu le choix, se justifia-t-elle.

- Dommage qu’on ne soit pas avec vous.


Reiko lui mit un coup de coude dans les côtes.


- Arrête de te moquer.

- Je suis sérieux.

- Ah… Moi je préférerais être à bord de Big1 ou mieux, dans mon eagle.


Bruce se retourna, agacé par la situation. Que les membres de Vega s’en prennent à lui passait encore mais qu’ils draguent ouvertement et à tout va les filles de son peloton, l’énervait au plus haut point.


- Vous avez d’autres remarques spirituelles à faire ?, demanda-t-il à l’intention de Schneider.

- Aucune qui te concerne, lui rétorqua-t-il froidement.

- Je vois que chez Vega on a dû mal à se tenir.

- T’as un problème, le sniper ?

- Ça se pourrait bien.

- Euh, commença Reiko, étonnée par l’humeur massacrante de Bruce, tout va b..

- Alors c’est vous mes gardes du corps ?, interrogea une voix haut perchée.


Un jeune homme à la longue chevelure blonde, arborant un costume sombre luxueux, accompagnait le Commandant en chef Tôdo.


- Adrian Von Meister, s’exclama Louise, émerveillée.

- Lui-même !, se rengorgea-t-il en s’inclinant. Je vous remercie de veiller sur mon humble personne.

- C’est un véritable plaisir.

- Si vous voulez, je peux jouer un morceau de violon rien que pour vous. Je viens de composer une ballade qui s’appelle “Romance au clair de lune en ré mineur”.

- Vrai-Vraiment ?

- Louise…, soupira Manabu. 

- Je serais ravie de l’entendre !

- Hum hum, intervint le Commandant Tôdo. Comme vous le savez, la sécurité de Monsieur Von Meister sera du ressort du peloton Sirius et l’Iron Berger garantira sa couverture en cas de problèmes. Le train va décoller d’ici quelques minutes, donc si tout est clair à vos postes !


- Compris !


Les deux unités se dispersèrent sans demander leur reste. Bulge ne tarda pas à réunir le peloton Sirius dans une voiture du 888 encore vide de passagers. 


- Le trajet jusqu’à la planète Ongaku ne prendra que deux heures trente durant lesquelles aura lieu un concert en présence de nombreux chefs d'État et de personnalités.

- Est-ce que vous avez une liste ?, questionna Louise, enthousiaste.

- Je dois l’avoir sous le coude. Quoi qu’il en soit, je veux que vous ouvriez les yeux et que vous repériez la moindre attitude suspecte. En raison de ces prises de position politiques, Monsieur Meister n’a pas que des amis, donc soyez sur vos gardes. Avant l’embarquement, vous inspecterez le train. David, la salle des machines, Louise et Manabu la grande zone de spectacle, Bruce et Reiko le reste du 888. Quand nous serons en vol, vous patrouillerez suivant le plan établi. Si vous me cherchez, je serai avec le conducteur. Activez vos émetteurs et bon travail à tous.


L’unité se sépara. Bruce et Reiko convinrent de se partager la tâche et de se retrouver avant le décollage dans la salle de spectacle pour faire un point de situation :  l’un s’occupant des wagons de queue, l’autre des wagons de tête.

La pilote prit sa mission très au sérieux et examina le moindre recoin du 888 alors que les voyageurs commençaient à investir les lieux.

Elle lorgna sur ces hommes et ces femmes apprêtés avec des vêtements dont elle ne doutait pas qu’ils étaient hors de prix. Elle se sentait minuscule à côté d’eux. Jamais elle n’avait côtoyé ce genre d’individus. Sa famille adoptive était beaucoup plus simple et se fichait de tout ce qui se rapportait au paraître. Seuls comptaient l’entraide, l'amitié et le courage.

Un peu perdue dans cette foule, elle regrettait d’être séparée de ses compagnons d’armes. Lorsqu’elle atteignit enfin le dernier wagon sans déceler la moindre trace d’explosifs ou d’autres joyeusetés de cet acabit, elle fit demi-tour et parcourut au pas de course la distance la séparant de la salle de spectacle.


- J’y suis presque, marmonna-t-elle. Tiens, mais ce ne serait pas… ?


Elle déverrouilla la porte coulissante, apercevant le visage de Louise.


- Je suis désolée, mais ce n’est pas possible…


Reiko fronça les sourcils en entendant la voix de son équipière. Elle reconnut alors son interlocuteur qui n'était autre que le fameux Adrian Von Meister.


- Ma loge n’est pas loin, susurra-t-il. On peut prendre quelques minutes pour se voir en privé. Je vous jouerai ma nouvelle ballade.

- Je me dois de refuser. Encore une fois.


Le sang de Reiko ne fit qu’un tour dans ses veines. Si elle en jugeait par le visage embarrassé de Louise et sa promiscuité avec le musicien, la conclusion était des plus évidentes.


- Reculez, ordonna-t-elle, hargneuse. La demoiselle vous a déjà donné sa réponse, il me semble. Viens Louise, ajouta-t-elle en la tirant par le bras.

- Reiko…

- Mais…


Abasourdi, Adrian la dévisagea avec une irritation à peine dissimulée.


- Je ne t’avais même pas remarquée, persifla-t-il. En même temps, vu ta dégaine ce n’est pas étonnant, continua-t-il en la détaillant de haut en bas.

- Je vois qu’on a oublié ses bonnes manières.


Bien que blessée par sa réflexion, Reiko se plaça résolument devant Louise.


- Je n’aime pas que les subalternes se permettent de m’interrompre. 

- Et moi, je n’apprécie pas que les violonistes de pacotille abusent de leur minuscule popularité pour se croire tout permis. 


Le coup partit si subitement qu’elle n’eut pas le temps de l’esquiver. Un poing dur comme de la pierre lui percuta la mâchoire, l’envoyant valser au sol. Elle heurta une paroi avec un bruit mat et se releva presque aussitôt, une lueur mauvaise dans les yeux.


- C’est moi le grand artiste ici. Tentez quoi que ce soit et je mets un terme à vos carrières pathétiques.


Deux femmes en robe de soirée firent alors irruption dans le wagon en leur jetant un regard effaré.


- Ne l’oubliez pas, conclut Adrian avant de les planter sur place.

- Reiko ! Tu vas bien ?, demanda Louise une fois qu’il eut quitté les lieux.

- Je suis indemne, la rassura-t-elle en se massant le menton. Lui, par contre, je ne donne pas cher de sa peau quand j’aurai prévenu le Commandant.

- Non, je t’en prie n’en parle pas.

- Pourquoi ? Il.. Il t’a fait quelque chose ? la questionna-t-elle, affolée.

- Non, mais je… Je préférerais que Manabu n’en sache rien.

- Mana.. Manabu ?


Louise prit les mains de Reiko dans les siennes.


- Juste promets-le moi.

- Je… Ce genre de choses, c’est grave. Le Commandant…

- La mission sera très courte, la supplia-t-elle. Il n’a pas besoin de savoir. Qu’est-ce qu’il penserait de moi ?

- Mais que tu es victime de ce gros… de ce type, évidemment !

- S’il-te-plaît…


La pilote soupira et hocha lentement la tête.


- D’accord, mais s’il t’adresse encore une fois la parole, je le dénonce.

- Merci, répondit-elle, soulagée.

- Louise, tu n’étais pas censée vérifier.. ?

- Si, on avait terminé. Et j’ai vu passer Miss Kamado, la présentatrice de télévision. Je l’ai suivie mais j’ai été interceptée par…

- Je vois.


Elle lui entoura les épaules avec douceur.


- Retournons-y ou les autres vont se poser des questions. Ça va aller ?

- Oui.. je crois que oui.


Les deux jeunes femmes gagnèrent rapidement la grande arche fleurie qui marquait l’entrée de la salle de spectacle.


- Prête ?


Louise acquiesça, les doigts serrés contre sa poitrine. 

Une foule dense s’était agglutinée au pied de la scène et le niveau sonore perçait le plafond. La décoration était une débauche d’or et de fleurs fraîches multicolores. De forme circulaire, la voiture pouvait facilement accueillir une bonne centaine de personnes. Des tables couvertes de mets raffinés avaient été dressées dans un coin de la pièce et une odeur alléchante s’en échappait. Reiko se dressa sur la pointe des pieds et repéra enfin une tête connue.


- Viens, je vois Manabu. Surtout, tu ne le perds pas d’une semelle, okay ?


Elle poussa délicatement Louise à travers la masse des spectateurs et ne la quitta qu’une fois qu’elle eut retrouvé son binôme.

En les observant discuter, Reiko se demanda quel genre de relation ces deux-là entretenaient. Elle n’était pas très douée pour décrypter les sentiments de ses congénères mais elle avait très bien perçu la frayeur de Louise lorsqu’Adrian l’avait agressée. 


- T’en as mis du temps !


Reiko fit volte face dans une envolée de froufrous. Bruce marqua un temps d’arrêt avant de reprendre sa progression difficile au cœur de l’attroupement.


- Désolée, contretemps. Tous les wagons de queue sont sécurisés.

- Contretemps ?, l’interrogea-t-il en soulevant son menton avec un doigt, soudain suspicieux.

- Mes chaussures, improvisa-t-elle. Je suis tombée. Tu prends la zone dîner ou la partie scène ?


Le sniper inspecta le visage de sa collègue.


- Tu te fiches de moi ?

- C’est rien, j’te dis.

- Si tu ne m’avoues pas qui t’a fait ça, je préviens le Commandant. Et si tu veux me mentir, fais-le mieux que ça.

- Non !


Reiko posa une main sur l’émetteur que tenait Bruce.


- J’ai promis à Louise.

- Raconte, ordonna-t-il.


Elle débita à toute vitesse les événements qui s’étaient déroulés en marge de la fête.


- Le musicien. C’est le musicien qui t’a frappée parce que tu l’as empêché de brutaliser Louise.


Reiko frissonna. La voix de l’artilleur était aussi froide que la mort. Un tic nerveux agitait la commissure de ses lèvres et elle nota que ses poings étaient serrés.


- Je vais m’occuper de son cas.

- Attends !


Elle attrapa fermement son bras.


- Si tu t’en prends à lui au milieu de tous ces gens influents, ça va se retourner contre toi. Ça ne sert à rien. J’ai fait une promesse, alors garde ça pour toi.


La colère déformait les traits de Bruce. Sa main droite se crispa sur le cosmo-gun dissimulé sous sa veste.


- Tu comprends ? C’est inutile. Gardons juste un œil sur ce type pour qu’il ne s’en prenne à personne d'autre.


Reiko était à court d’arguments et elle savait qu’elle n’avait pas la force physique pour retenir son instructeur s’il décidait de refaire le portrait d’Adrian. 


- Il perd rien pour attendre cet enfoiré.

- D’accord, d’accord…Pour l’instant suivons le plan du Commandant. Le travail avant tout.


Bruce inspira profondément. Il essayait de dominer la violence qu’il sentait monter au creux de son ventre. Il avait horreur des hommes qui se comportaient comme des animaux. Sans qu’il ne se l’explique, le récit de Reiko l’avait rendu si furieux qu’il se sentait capable d’étrangler Meister sans aucun état d’âme.


- On est affectés ici pour une bonne partie du voyage. Reste sur tes gardes. Poste-toi vers la zone des repas, je reste ici.

- C’est pas une bonne id…


Devant le regard brûlant de son collègue, elle capitula.


- Ok, j’y vais.


Il ne répondit pas, ressassant sa mauvaise humeur. Craignant d’avoir fait une immense erreur en parlant de ce qu’il s’était passé, Reiko se positionna à l’arrière de la salle, anxieuse. Elle scruta l’assemblée à la recherche de ses coéquipiers mais elle ne distingua aucun d’eux.


- “Ici, Reiko, je suis au buffet, rien à signaler ici.”

- “Bien reçu, reste vigilante.”, conseilla le Commandant.


Une vague d’applaudissements succéda l’arrivée d’Adrian Von Meister qui s’inclina pour saluer son parterre d’admirateurs. Reiko grinça des dents. “Un bel hypocrite”, pensa-t-elle tandis qu’il s’installait, tout sourire et violon en main.

Le silence se fit progressivement jusqu’à ce que seul le bruit des respirations se fasse entendre. 

Puis, une mélodie à la fois douce et subtile envahit les lieux. À contrecoeur, elle dut reconnaître que la musique était en effet exquise. Elle ne l’apprécia cependant pas, le souvenir de Louise entre les griffes d’Adrian étant beaucoup trop vif dans son esprit. Elle pria pour qu’il fasse un faux accord ou mieux qu’une corde se détache et lui gifle le visage.

Elle repéra alors Bruce qui se tenait raide comme un piquet face à la scène. Si un regard était capable de tuer, elle était certaine que le musicien serait étendu raide mort.


- Faites qu’il ne lui saute pas au cou, marmonna-t-elle.


Elle songea alors à la réaction véhémente qu’il avait eue un peu plus tôt. Il devait énormément tenir à Louise pour avoir voulu étriper sur le champ son agresseur. Elle pouvait le comprendre. Ce comportement déplacé l’avait également révoltée. Si Manabu avait été témoin de la scène, elle ne doutait pas que le musicien n’aurait plus la possibilité de jouer du moindre instrument et ce pour le restant de sa vie. Un petit sourire étira ses lèvres. Celui-là, c’était vraiment une tête brûlée. Il lui rappelait son frère. Toujours prompt à se mettre dans les ennuis. Agir avant de réfléchir est une seconde nature chez eux.


Une lumière perçante traversa alors les grandes fenêtres et une secousse agita fortement le train. Reiko se maintint à une table pour ne pas perdre l’équilibre et se précipita ensuite vers les vitres.


- J’y crois pas…


Elle dénombra quatre ou cinq chasseurs qui s’attaquaient au bouclier du 888.


- Gardez-votre calme, beugla Manabu à l’intention des passagers.


Dans le même temps, l’émetteur de Reiko grésilla.


- “Maintenez l’ordre, Murase va s’en occuper !”.

- “Compris, Commandant.”


Le chaos avait investi le wagon. Les cris paniqués des uns se mêlaient aux pleurs des autres. Dans le même temps, l’Iron Berger avait ouvert le feu et l’un des jets explosa en plein vol.


- Le bouclier est solide, asseyez-vous au centre de la pièce. Vous êtes en sécurité !


Les membres du peloton Sirius entreprirent de rassembler les passagers mais la tâche était loin d’être aisée. Certains tentèrent même de quitter la voiture par la force, ce qui obligea Bruce à faire barrage et hausser le ton pour qu’ils renoncent à cette idée.


- On va tous mourir !, s’époumona une femme en arrachant ses cheveux.

- Mais non, la rassura Louise. Le meilleur train de combat de SDF va mettre un terme à l’attaque.


En effet, dirigés par Edwin Silver, les canons de l’Iron Berger faisaient des merveilles. Reiko se rapprocha de David qui essayait désespérément d’obliger un homme bedonnant à s’asseoir auprès de ses semblables.


- Murase ne leur laissera aucune chance.

- Comme d’habitude. 


Le calme était à peu près revenu à mesure que les chasseurs ennemis explosaient et que Bruce donnait de la voix.


- Tu trouves pas, commença-t-elle, que…

- Que cette tentative est un peu désespérée ?

- Il faut être fou pour attaquer un train si bien protégé. C’est du suicide. Ils n’arriveront pas à leurs fins avec un armement si faible… Quel est l’intérêt de cette attaque ?


L’ingénieur s’immobilisa, une ride d’inquiétude barrant son front.


- Il n’y en a aucun ou alors…


Reiko ouvrit de grands yeux horrifiés.


- C’est une diversion.


David voulut se retourner pour avertir leurs équipiers mais il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche. Un homme sauta sur la scène, se rua sur Adrian Von Meister et pointa une arme sur sa tête.

Des hurlements de terreur retentirent de nouveau dans le wagon pendant que certains voyageurs prenaient la fuite.


- Tous à terre !, s’écria Bruce.

- Lâchez-vos armes, ordonna le terroriste à l’intention du peloton Sirius. Un seul geste et je le descends. Vous connaissez la musique, ajouta-t-il en ricanant. Et je veux tous vous voir à genoux, les mains sur le crâne.


À regrets, ils furent forcés d’obéir. Reiko, dont le cosmogun était toujours attaché sous la robe, risqua un œil vers la scène. Si elle ne se sentait pas particulièrement émue par la prise d’otage, elle craignait que le dégénéré tire au hasard dans le public, ce qui risquait de provoquer un carnage sans précédent. Malheureusement, elle n’avait aucune ouverture qui lui permettait de viser sans risquer de toucher le violoniste. Même si elle jugeait que ce n’était pas une grande perte, cela risquait de ne pas plaire à ses supérieurs.


- On fait quoi ?, souffla-t-elle à David.

- On attend qu’il fasse une erreur.


Reiko, dont la patience n’était pas le fort, se contraint à l’immobilité. Autour d’elle, les voyageurs étaient allongés au sol, tandis que son unité était à genoux. S’il avait tant attendu avant de lancer son attaque, c’était uniquement pour repérer tous les membres de la SDF parmi les spectateurs. “Une manœuvre intelligente.”, pensa-t-elle.

Le terroriste attrapa Meister par les cheveux et l’obligea à quitter l’estrade.


- Ne bougez pas ou je troue la cervelle de vos précieux passagers. Je vais vous emprunter un chasseur. Tous vos trains en sont équipés, n’est-ce pas ?, claironna-t-il.

- Putain, murmura-t-elle. On peut pas le laisser partir comme ça.

- Attends, lui intima-t-il. Agir serait de la folie.


Désespérée, elle les observa avancer vers la grande arche. C’est ce moment que choisit Manabu pour se propulser en avant et plaquer les deux hommes au sol.


- C’est pas vrai ! Il en rate pas une lui, râla David en empoignant son pistolet.


Le terroriste tira et le lustre monumental éclata, répandant du verre tranchant sur l’assemblée. La pilote se couvrit la tête mais sentit tout de même des éclats lui tracer des estafilades sanglantes sur le bras.


- Bruce va le tuer, c’est sûr. 


Le genou planté au milieu du dos du terroriste, Manabu avait réussi à le désarmer. Adrian, tremblant, s’était éloigné. Bruce pointa son cosmogun sur la tête de l’homme.


- C’est fini.


Le Commandant Bulge, accompagné du conducteur du train, pénétrèrent dans la grande salle.


- Fouillez tout le monde, je veux être certain qu’il n’y en a aucun autre. 

- Manabu, l’interpella Bruce d’une voix menaçante. Tu peux pas t’en empêcher, hein ? C’est plus fort que toi ? Tu mets tout le monde en danger avec tes actions !

- C’est bon, dit le Commandant en posant une main sur l’épaule de son artilleur. On verra ça plus tard.

- J’ai réagi moi, au moins !


Le sniper fulminait face à ce comportement aussi imprudent qu’inconscient. Il ne se contenait qu’à grand-peine et décida de tourner les talons à défaut d’invectiver son équipier.

Manabu, les bras croisés, le fixait avec morgue.


- Les gars…


Reiko rejoignit Louise qui se tenait un peu en retrait.


- Ça va ?

- Oui, vivement que tout ça se termine.


La fouille au corps débuta et ne se termina qu’une fois qu’ils entrèrent en gare de la planète Ongaku. La voiture spectacle étant recouverte de bouts de verre tranchants, Adrian n’était plus en mesure de reprendre son concert. Sous la direction du Commandant, les passagers furent donc installés les uns après les autres dans les wagons attenants.

Louise distribuait des boissons chaudes pendant que Reiko, munie d’une mallette de premiers secours, désinfectait les blessures sans gravité provoquées par les chutes et l’éclatement du lustre.

Lorsque le train s’immobilisa, la consigne fut donnée d’évacuer dans le calme.

La jeune femme patienta jusqu’à ce que les derniers voyageurs eurent quitté le 888.


- “Fais un tour pour vérifier que personne n’est caché quelque part.”, lui demanda le Commandant à travers le communicateur.


Reiko, qui en avait plein les jambes, obéit avec un enthousiasme relatif. Elle avait traversé moins de la moitié de l’express luxueux lorsqu’elle fit une rencontre déplaisante.

Adrian quittait sa loge, le teint aussi pâle qu’un mort-vivant.


- Tiens, dit-il en l’apercevant, comme on se retrouve.

- Vous n’avez pas déniché d’autres filles à harceler ?


Une sourire sinistre se dessina sur le visage du violoniste.


- Tu es bien insolente pour un sous-fifre. T’en as pas eu assez tout à l’heure ?

- Vous parlez de ça ?, rétorqua-t-elle en pointant son menton. J’ai rien senti.

- Ferme-la.

- Vous devriez être reconnaissant qu’on ait sauvé vos fesses.


Adrian poussa un rugissement de colère et, alors que sa main fusait vers le visage de Reiko, cette dernière se jeta sur le côté. Emporté par son élan, il bascula en avant et elle en profita pour lui asséner un atémi sans pitié au milieu de ses omoplates. Il s’effondra par terre en émettant un gargouilli rauque.

Elle s’agenouilla vers lui, écrasant ses doigts au passage.


- Oh, ça fait mal ?

- Je vais… te faire virer.

- Voyez-vous ça. C’est qu’il fait de méchantes menaces en plus.


Elle se pencha en avant jusqu’à atteindre son oreille.


- Article 12 du règlement de la SDF. “Chaque membre est autorisé à user de légitime défense en cas d’attaque et ce dans n’importe quelle situation. Aucune sanction ne pourra être retenue contre ledit membre.”


Le sourire de Reiko s’élargit.


- Vous m’avez attaquée deux fois, je suis donc dans mon droit.

- Ça reste à prouver, c’est ma parole contre la tienne. On croira qui d’après toi ?

- Tss, tss. Vous voyez ces trucs là ? dit-elle en tournant la tête d’Adrian sur le côté. On appelle ça des caméras. Vous connaissez ? Des technologies fantastiques, les caméras. Ça filme et ça enregistre plein de choses. Comme les agressions envers des filles sans défense.

- Espèce de garce.


Reiko se releva et tendit un bras salvateur au musicien.


- Allez, dites-vous que ce n’était qu’un mauvais rêve.


Le violoniste bondit sur ses jambes et cracha sur la main de la pilote. Il quitta ensuite la voiture brutalement.

Reiko, le cœur battant la chamade, s’appuya contre l’une des parois, essuyant sa main contre le velours des rideaux.

Elle avait montré bien plus d’assurance qu’elle n’en avait réellement et son rythme respiratoire s’accéléra sous le coup de la pression qui redescendait. 


- J’espère qu’il est bien l’idiot que je crois qu’il est.


Car il ne lui faudrait pas plus de dix minutes pour vérifier que l’article 12 du règlement de la SDF qu’elle venait de lui réciter n’existait pas.


- Je suis complètement folle. Qu’est-ce qui m’a pris ?


Elle songea que l’attentat terroriste l’avait sans doute tendue à l'extrême. Elle ne voyait pas d’autres raisons à son accès de violence. Dire que Bruce reprochait à Manabu d’agir à la légère… C’était un comble. Elle ne donnait pas cher de sa peau si lui ou le Commandant apprenaient ce qui venait de se passer. Sa carrière à la SDF risquait en effet d’être plus courte que prévu.

Lorsque son émetteur vibra, elle eut un mouvement de sursaut, suivi d’un cri étranglé.


- “Tu as fini, Reiko ? On t’attend sur le quai."

- “C’est.. C’est bon, Manabu, j’arrive.”


Elle prit quelques instants pour retrouver une contenance et descendit à son tour du 888, oubliant de terminer son inspection au passage. Alors qu’elle mettait un pied sur le quai, elle imagina des policiers l’embarquer pour coups et blessures sur musicien traumatisé, mais rien ne se produisit.

Les personnalités ayant vidé les lieux, seuls demeuraient les deux pelotons de la SDF. L’Iron Berger stationnait à côté du 888 et les deux Commandants étaient plongés dans un débriefing de la mission. 

Louise, fébrile, s’approcha rapidement de Reiko.


- Adrian Von Meister a quitté la gare précipitamment. Tu l’as croisé ?

- Non, mentit-elle. Je ne l’ai pas vu.

- Oh, tant mieux alors.

- Oui, c’est sûr. Moins on le voit, mieux on se porte.


Bruce lui lança une œillade soupçonneuse qu’elle évita subtilement en tournant la tête. Comme d’habitude, il ne laissait rien passer, mais cette fois-ci il était hors de question qu’il soit mis au courant de l’altercation.


- Hé y’a eu des échauffourés à bord, il paraît ?


Schneider la fixait avec une inquiétude à peine dissimulée.


- Ouais, Manabu a réglé ça à sa manière.


Le jeune homme eut une mimique surprise en se rapprochant.


- C’est quoi ça ?, demanda-t-il en empoignant son menton.

- Rien, je me suis cassée la figure, dit-elle en reculant.

- Ça n'y ressemble pas, grogna-t-il.

- Laisse tomber, Schneider, intervint Bruce.


Piqué au vif, il détailla le sniper sans aménité.


- C’est toi, c’est ça, hein ?

- Qu’est-ce-que tu racontes ?

- On connaît ta disposition à cogner les nouveaux que tu dois former.

- J’ai jamais levé la main sur une femme, répondit-il, acerbe.

- Ah ouais ? J’en suis pas si sûr.

- Tu te prends pour qui ? Un foutu chevalier servant ?

- Qui sait. Ça te dérange ?


Bruce attrapa Schneider par le col. Reiko, dépassée par les événements, essaya de les raisonner.


- C’est quoi votre problème ? Personne ne m’a frappée ! Bruce lâche-le !


Il fallut l’intervention de David pour séparer les deux hommes et éviter ainsi que la situation ne s’envenime.


- Quelle mouche les a piqués ?, s’interrogea-t-elle en les regardant s’éloigner chacun de leur côté.

- C’est bizarre, ils s’entendent bien habituellement, fit remarquer Louise.

- Ah bon ? On dirait pas.


Les deux Commandants rejoignirent leurs unités respectives et donnèrent le signal de départ vers Destiny.

Reiko, installée sur un strapontin de la voiture de Commandement, essayait de faire le tri dans ses pensées. Son principal regret fut de ne pas avoir réussi à deviner plus tôt que l’attaque des chasseurs était une diversion. Elle manquait encore cruellement de jugement et de perspicacité.

Elle souffla en se prenant la tête entre les mains et reporta son attention sur Bruce et Schneider qui se tenaient volontairement loin l’un de l’autre. Pourquoi ces deux-là avaient-ils décidé de se chercher des noises, elle n’en avait pas la moindre idée. Trop fatiguée pour réfléchir, elle se laissa aller contre le mur et ferma les yeux. 


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