Le Meilleur des mondes possibles (ancienne version)
Chapitre 4 : Chapitre III ~ Le syndrome de la tartine beurrée
Catégorie: T
Dernière mise à jour 08/11/2016 18:03
Chapitre III ~ Le syndrome
de la tartine beurrée
~ Parce que si la chance sourit un jour à quelqu'un,
c'est qu'il a beurré le mauvais côté de sa tartine au petit-déjeuner.
« Bon. Maintenant, on peut peut-être espérer obtenir des explications claires et précises sans se faire déranger par quoi que ce soit, je suppose. Alors pourrions-nous discuter calmement de ce qui se passe ? »
C’était le Docteur qui avait parlé. En effet, cela devait faire un petit quart d’heure que tous attendaient plus ou moins patiemment dans la même salle, et que rien ne s’était produit depuis l’arrivée du jeune homme croyant à une prise d’otages.
Cette parole n’avait été prononcée qu'au bout de ce moment bien précis, car un homme qui était vraisemblablement le chef de la bande d’agents Japonais venait d’arriver, dévisageant plus ou moins sévèrement les intrus. Il se décida finalement à répondre au bout d’un moment d’attente indéterminé ; mais à la surprise de certains, il préféra parler anglais. Probablement parce qu’il savait qu’il se ferait comprendre plus facilement. Il commença par se présenter comme étant le commandant Kazanari, responsable des lieux. Puis il répondit enfin à la question du Docteur, lorsque celui-ci insista :
« Si vous voulez ; mais dans ce cas, commencez par me dire ce que vous faites ici, et comment vous avez pu entrer. On n’entre pas dans la Seconde Division comme dans un moulin, encore moins quand nous sommes sous l’océan.
- Ah, ça, ce n’est pas compliqué : il y a mon TARDIS (il montra plus ou moins du doigt cette cabine téléphonique bleue), et quelques cas de voyages dimensionnels involontaires et plus ou moins inexpliqués pour le moment. Ça répond à votre question ?
- Qu’entendez-vous par « voyages dimensionnels involontaires » ?
- Faites pas l’innocent, grogna Raphaël en le transperçant de son regard haineux. C’est vos hommes qui m’ont kidnappé et emmené ici, pour ma part. Et c’est pareil pour Marie et Fondue. Alors c’est plutôt à nous de vous demander pourquoi on est ici. »
Le professeur Layton eut un très léger sursaut, à peine perceptible, avant qu’il ne se retournât vers le jeune adolescent qui avait parlé. D’après ce qu’il avait compris, il était Français… mais là n’était pas le détail qui l’intriguait. Il avait été enlevé, et on l’avait conduit ici sans qu’il ne sût pourquoi. C’était non sans lui rappeler la mystérieuse disparition, récemment, de son ancienne élève cantatrice, Janice Quatlane, alors même qu’elle était en pleine représentation. Cela ne pouvait être un hasard… Mais dans ce cas, comment se faisait-il qu’il ne l’eût pas encore vue ? Pourquoi, alors que tous étaient rassemblés dans cette salle, faisait-elle exception ? Où pouvait-elle bien être ?
Le commandant soupira silencieusement, sans rien laisser paraître.
« Je ne parlais pas de vous, mais des autres. Ils n’ont rien à voir avec toute cette histoire, alors j’aimerais savoir ce qu’ils font là. Et, si cela ne les dérange pas, qu’ils s’en aillent. C’est déjà bien assez compliqué comme ça.
- Hé, coupa le Docteur d’un ton subitement énervé. Nous sommes venus ici pour enquêter sur les phénomènes de dégradation du Void, alors on ne partira pas avant que ce problème soit réglé.
- Vous n’en êtes peut-être pas conscients, mais je suis prêt à parier que vous en êtes l’origine. Vous avez réussi à enlever des adolescents qui n’habitent pas dans le même univers que vous, donc cela signifie que vous possédez une technologie qui vous permet de voyager d’un monde à l’autre. Et quelque chose me dit que c’est ça qui, à répétition, a dû fragiliser les parois des univers. N’est-ce pas, M’sieur ? »
Conan s’était tourné vers le Docteur avec une expression de petit gamin content d’avoir trouvé quelque chose. Il ne laissa rien paraître au début, mais quelques secondes de silence consterné suffirent à lui faire comprendre qu’il avait été un peu trop volubile et lucide, pour un enfant de son âge. Il se reprit aussitôt, sur la défensive, tentant de montrer que c’était un simple hasard, et qu’il ne fallait pas le prendre réellement au sérieux.
« Enfin, j’y connais rien en matière d’univers parallèles, hein ! C’est sûr que j’ai dû me tromper quelque part ! Après tout, je ne suis qu’un—
- Au contraire, je dirais qu’il n’a pas tort, coupa l’adulte. C’est en effet le fait d’ouvrir des ponts entre plusieurs univers afin de voyager de l’un à l’autre qui les fragilise ; donc même si vous n’en étiez pas conscients, c’est de votre faute si, maintenant, nous avons autant d’ennuis.
- Vous voudriez donc que nous cessions nos activités et nos recherches, et que nous laissions le Noise envahir tout le pays, voire plus encore ? Nous sommes vraiment désolés, mais nous avons longtemps hésité avant de passer à l’action ; et nous n’avions pas le choix. »
À l’entente du mot « Noise », nombre de voix s’élevèrent unanimement pour lui demander tout naturellement de quoi il s’agissait. L’homme parut surpris un instant, mais se résigna finalement à répondre :
« Comment dire… Ce sont des créatures sans pitié qui n’existent que pour tuer les hommes. Les seules armes que nous ayons pour nous en défendre sont d’anciennes reliques, qui ne peuvent être activées que par certaines personnes.
- Ben tiens ! lança soudainement l’Américain. Juste par hasard, ça ne ressemblerait pas à de gros machins colorés qui carbonisent tous les gens qu’ils touchent ? Parce que c’est justement ce qui nous a attaqués avant qu’on ne se retrouve ici. »
Le commandant s’exclama avec surprise que c’était impossible. Si le Noise n’existait pas dans l’univers dans lequel ils vivaient, alors il n’y avait aucune raison qu’il se manifestât là-bas.
« Ce n’est pas tout, reprit le petit enfant à lunettes. Ils ont attaqué Tōkyō aussi, et c’est en se faisant poursuivre que Ran et moi nous sommes retrouvés ici. Je suppose que, d’ailleurs, vos reliques, seules ces jeunes filles peuvent les utiliser. Non ? »
Il avait montré d’un coup de tête les trois adolescentes en uniforme japonais qui, en effet, étaient réapparues entre temps.
Encore une fois, ses paroles relativement lucides étonnèrent profondément les personnes présentes ; mais personne n’osa faire remarquer quoi que ce fût sur le moment.
« Je pense la même chose que ce garçon, répliqua le professeur Layton. Si seules trois personnes peuvent lutter contre ce genre de créatures, il est clair que vous soyez prêts à tout pour trouver une meilleure solution. Cependant, je ne vois pas encore ce que vous pourriez bien trouver dans les autres univers qui pourrait vous aider en quoi que ce soit.
- Des candidates, avoua gravement le Japonais. Lorsque des scientifiques ont découvert l’existence de mondes parallèles et, en particulier, la présence de reliques anciennes aux propriétés peu communes, nous avions décidé de mener une petite enquête. Et lorsque le Noise a commencé à devenir trop présent pour que les candidates que nous avons puissent tenir tête, nous n’avons plus eu le choix. Il nous fallait trouver du renfort. »
Un long silence se plongea dans la salle. Celui-ci fut brisé au bout d’une dizaine de secondes par l’homme au haut-de-forme, qui posa une question qui, visiblement, devait l’aider à comprendre ce que cela impliquait.
« Pouvez-vous nous dire selon quels critères vous choisissez vos candidates ?
- C’est assez complexe à déterminer ; très peu de personnes peuvent être compatibles avec les reliques, et je dois avouer que j’ignore totalement pour le moment ce qui fait qu’une personne sera compatible ou non avec telle ou telle relique.
- Ce qui me chiffonne le plus, coupa une fois de plus Conan, c’est le fait que Ran et moi les avons vues à l’œuvre. Les armures qu’elles portaient ont disparu d’elles-mêmes, je ne vois vraiment pas comment ça peut être possible. »
Le visage de l’homme s’assombrit, ses cheveux roux en bataille masquant une partie de son visage. Une des candidates, l’aînée, s’avança alors prudemment vers lui, lui glissant dans l’oreille « Si Sakurai avait été là, elle aurait pu leur expliquer, non ? ».
Il ne répondit pas. Il n’eut pas l’air de réagir lorsque tous lui demandèrent de qui il s’agissait. La jeune fille aux cheveux bleus poussa un soupir tendu, puis se tourna vers toutes ces personnes qui lui étaient inconnues.
« Le Gear se défait de lui-même lorsque la raison pour laquelle la candidate qui l’avait invoqué n’est plus. Lorsque nous avons abattu le dernier Noise sur les lieux, nous n’avions plus besoin de nous battre.
- Et comment vous les ‘activez’, vos reliques ? Ça marche comment ?
- Par le pouvoir de nos chansons. »
Le Londonien sursauta violemment, dévisageant les trois candidates qui s’offraient à son champ de vision. Il avait compris pourquoi on l’avait enlevée, elle plus qu’une autre. Ce n’était pas n’importe quelle diva, qui avait été ciblée. Elle avait quelque chose de différent. C’était pour cela qu’elle avait été enlevée. Et si elle n’était pas avec eux sur le moment…
« Excusez-moi, mais auriez-vous également enlevé une certaine cantatrice nommée Janice Quatlane dans le but d’essayer d’en faire une candidate ? »
Son ton particulièrement inquisiteur parut à peine intimider le Japonais. Toutefois, il avait marqué un court instant de silence avant d’acquiescer tout en s’excusant.
« Cette jeune femme avait un lien très étroit avec ce qui ressemble très fortement à un fragment de relique. Nous l’avons étudié, et nous avons constaté que son pendentif en était en réalité un. Elle est pour le moment dans le centre de soins, où les médecins vérifient sa compatibilité avec ce fragment de relique.
- Vous voulez dire que vous comptez la faire combattre sans même lui demander son avis ? accusa l’archéologue en fronçant les sourcils. Est-elle seulement consciente de ce qui se passe autour d’elle ?
- Je suis désolé, je n’ai pour le moment aucune nouvelle la concernant. Mais si vous la connaissez et que les médecins vous le permettent, peut-être pourrez-vous lui rendre visite plus tard. »
Il sursauta légèrement, comme se rendant subitement compte de quelque chose qu’il avait oublié. Il s’excusa aussitôt, subitement embarrassé ; désormais qu’il était convaincu que ces étrangers n’étaient pas dangereux, il pouvait bien les détacher. Il ordonna à ses agents que tous fussent libérés sur-le-champ, s’excusant encore auprès d’eux pour sa méprise.
« Vous voyez, ce sous-marin appartient à une unité très spéciale de l’armée japonaise. Je pense que vous comprenez pourquoi nous vous avions pris au départ pour des intrus à arrêter le plus tôt possible… »
Il demanda toutefois à ce que chacun se présentât de manière plus ou moins précise, expliquant en détail leur identité ainsi que le moyen utilisé pour se retrouver dans le quartier général de la Seconde Division et la raison pour laquelle ils étaient venus. Il avait même sorti calepin et crayon afin de tout prendre en note, histoire de ne rien oublier. Ils étaient tout de même suffisamment nombreux pour prêter à confusion, à cause du grand nombre d’informations qui allait lui être révélé.
« Le Docteur. »
Cela commençait bien.
« Docteur qui ? C’est votre profession ?
- Non. Juste le Docteur. Je voyage dans l’espace et le temps à bord de ce TARDIS, que vous pouvez voir garé dans le coin de la salle. Tiens, j’y pense… »
Il se retourna vers l’engin en question, en sortant une petite manette qui ressemblait à des clés de voiture. Il appuya sur le bouton central, et en réponse l’engin répondit par un petit clignotement du gyrophare et un bruit mécanique.
« Voilà. J’avais oublié de le verrouiller, avec toute cette agitation. »
Le commandant Kazanari le fixa avec stupeur, mais préféra s’arrêter là et demander à la suivante de se présenter à son tour. Raphaël s’interposa cependant, en profitant pour enfin poser la question qui le taraudait depuis si longtemps :
« Hé, Docteur. Comment vous faites pour vous faire comprendre par tout le monde alors que vous parlez français ? En plus, c’est pareil pour tous ceux qui sont avec vous, non ?
- C’est grâce au TARDIS. Elle traduit absolument tout ce que peuvent entendre ceux qui en proviennent, et vice-versa : ceux à qui nous parlons comprennent absolument tout ce que nous disons comme si nous parlions dans leur langue maternelle.
- Donc vous voulez dire que là, en fait, vous parlez pas du tout français.
- Je connais pas un mot de français. Pas plus que ceux qui m’accompagnent, je suppose. »
Rose Tyler n’eut pas beaucoup à dire non plus, et les autres personnes suivirent plus ou moins rapidement : le professeur d’archéologie londonien Hershel Layton ainsi que ses ‘assistants’ Luke Triton et Flora Reinhold ; les cinq poneys – qui restèrent cinq, car Ogawa convainquit son supérieur sans trop de souci qu’il valait mieux laisser la sixième endormie là où elle se trouvait en ce moment-même –, qui n’eurent pas grand-chose à dire ; les deux Français kidnappés passèrent leur tour, puisqu’il connaissait parfaitement leur identité ; les deux Japonais sauvés par les candidates, Ran Mouri et le petit Conan Edogawa, ce gamin à lunettes qui paraissait si intelligent.
« Moi, c’est Brice.
- Brice de Nice ? lança aussitôt Raphaël en ironisant.
- … Hein ?
- Rien. Oublie. C’était stupide. »
L’avocat Phœnix Wright était tellement absorbé par ces étranges personnages qui avaient été interrogés devant lui qu’il en oublia son tour, ne voyant même pas passer celui de Maya ; aussi fut-il le dernier à décliner son identité au Japonais. Une fois cette formalité passée, le responsable des lieux remercia tout le monde de sa coopération ; puis il regarda soudainement sa montre, affirmant que l’heure du déjeuner approchait ; il proposa de tous les inviter au self, puisque la plupart d’entre eux n’avait évidemment pas les moyens de se payer un repas au Japon, soit par l’impossibilité de parler japonais, soit tout simplement par le fait qu’ils ne possédaient pas le moindre yen. C’est pour me faire pardonner d’une telle méprise, ajouta-t-il. Ainsi, il leur fit signe de le suivre, ce que tous firent sans hésiter.
« Hé, Maya. »
La jeune femme se retourna vers son ami, lui demandant tout naturellement ce qu’il avait à lui dire.
« Ce… Docteur.
- Oui ?
- Il n’a strictement rien dit concernant son identité. Il cache quelque chose, c’est certain.
- Et alors, Nick ? Il n’a pas l’air très méchant, tu sais…
- Ce n’est pas ça. »
Elle se tourna vers lui. Son regard perçant fixait l’homme en question, tandis que ses sourcils froncés et ses mains enfouies dans ses poches montraient une certaine angoisse, en apparence inexplicable sur le moment.
« Ben alors ? S’il n’est pas si suspect que ça, qu’est-ce qui ne va pas ?
- Ce qui m’inquiète, c’est que le magatama n’a pas réagi. Tu crois qu’il aurait pu se décharger en arrivant ici ?
- Je ne vois pas pourquoi. Les licornes, là, elles peuvent bien faire de la magie. Elles l’ont montré tout à l’heure, durant l’interrogatoire.
- Mais les licornes n’ont pas utilisé leur magie pour arriver ici. Nous, si on est là, c’est à cause du magatama. »
Le médium se stoppa ; il avait raison.
« C’est vrai que c’est logique… Il se serait déchargé à cause du voyage dimensionnel…
- Personne n’aurait eu besoin de magatama pour comprendre que cet homme cache un secret qui a un rapport avec son identité. Mais il aurait quand même dû réagir… »
Il sortit le petit objet de sa poche ; il luisait pourtant toujours de sa petite lueur verdâtre et fantomatique. Ce qui était une preuve qu’il possédait encore de l’énergie. Mais dans ce cas, pourquoi n’avait-il pas fonctionné sur ce Docteur ? Il faudrait y réfléchir plus tard. Puisqu’il ne pouvait répondre à cette question, il valait mieux passer à un autre détail complètement différent, qui le dérangeait également.
Alors qu’ils marchaient dans les couloirs, la plus jeune des personnes présentes entendit une voix dans son dos qui, visiblement, lui était destinée.
« Excuse-moi, mon garçon… »
Conan se retourna ; c’était l’avocat américain qui venait de l’interpeler. Il lui demanda tout naturellement ce qu’il avait :
« Tu es japonais, non ?
- Euh, oui, M’sieur.
- Tu te débrouilles vraiment bien en anglais, pour un étranger de ton âge. On dirait presque que tu as le niveau d’un lycéen. »
L’adulte le surprit à rougir lorsque Ran était apparue à ses côtés, approuvant cette dernière remarque et s’étonnant que le gamin qu’elle connaissait fût si doué en langues étrangères.
« Ah… ? Euh, c-c’est normal, M’sieur ! Mes parents voyagent beaucoup à l’étranger, et ils m’ont appris à parler anglais pour que je puisse me débrouiller très tôt… »
Cette justification était cependant suivie d’un rire nerveux laissant transparaître qu’il cachait quelque chose. Comme pour le confirmer, l’homme vit apparaître autour du jeune gamin nombres de chaînes couvertes de verrous. Cinq grands verrous si noirs qu’ils en masquaient presque totalement son petit visage d’enfant.
Un verrou-psyché. Finalement, il fonctionnait encore ; mais pourquoi n’avait-il pas fonctionné, dans ce cas, sur le Docteur ? Il devrait y réfléchir plus tard. L’important sur le moment était le fait que le magatama avait réagi, ce qui signifiait que cet enfant cachait obstinément quelque chose. Quelque chose que son amie paraissait ignorer au vu de sa réaction suite à cette réplique. De quoi pouvait-il s’agir, pour qu’autant de verrous aussi obscurs fussent présents ? Cela ne devait pas vraiment être quelque chose qu’un enfant garderait ainsi. Les enfants gardaient souvent mal les secrets. Si ces verrous semblaient si complexes à briser, alors cela devait réellement masquer quelque chose de bien peu commun. Et seul ce gamin était au courant…
Le temps d’y réfléchir et de sortir de ses pensées, ce dernier avait déjà disparu avec la jeune femme. Ils avaient dû se rendre au self en avançant plus dans le groupe. Il n’en tirerait probablement pas grand-chose pour le moment. Et puis, il était possible que son secret n’eût aucun rapport avec l’affaire, après tout… Sa présence ici n’était qu’un hasard. Bien que ce fût étrange qu’un gamin fût si futé pour son âge, cela ne devait pas avoir de lien avec cette histoire. Il n’avait pas à s’en mêler… Et puis, il commençait sérieusement à avoir faim.
Visiblement, puisqu’ils se trouvaient au Japon, le menu du jour était évident : tous se virent remettre une paire de baguettes en plus du repas de midi que la cuisine de la Seconde Division eut la bonté de leur offrir. Bien évidemment, ce fut pour certains l’occasion de découvrir de nouvelles recettes ; enfin, pas avant que la tenue des baguettes ne fût maîtrisée…
« Eh, Marie, regarde ! »
La concernée se retourna vers son ami roux, arrêtant pendant un instant d’essayer de comprendre comment tenir ces deux bouts de bois dans la main ; Raphaël avait ses propres baguettes dans le nez et s’amusait à les faire remuer en rythme. La jeune blonde pouffa de rire, mais fut visiblement la seule avec le Parisien à trouver la plaisanterie amusante : les autres se contentaient de les regarder avec des yeux à la fois curieux et embarrassés.
Brice tentait de demander à Conan de lui expliquer comment on pouvait se servir de bâtons de bois pour manger ; Maya s’affairait devant le self pour s’assurer une énième fois qu’ils étaient sûrs qu’ils n’avaient pas de hamburgers ; le Docteur et Rose, dans leur coin, se débrouillaient relativement bien et mangeaient dans le silence, ne prêtant pas attention au véritable spectacle qui se déroulait à côté ; seul le professeur Layton demeurait véritablement imperturbable bien qu’au milieu d’eux, ayant en quelques minutes complètement assimilé la méthode. Luke s’émerveillait devant la facilité avec laquelle son mentor se saisissait de chacune de ses bouchées, et n’hésita pas :
« Professeur, comment vous faites ? Vous pouvez m’expliquer ? Vous vous êtes déjà servi de baguettes ? Comment vous pouvez réussir à faire ça aussi facilement ?
- Une fois que l’on a compris le mécanisme, cela devient très simple, mon garçon ; il suffit de bien observer et de trouver la meilleure prise pour être certain de ne rien laisser retomber. Je vais t’expliquer… »
En effet, l’archéologue n’avait absolument pas touché à son assiette ni même à ses baguettes durant les premières minutes ; au lieu de se jeter à l’eau, il avait préféré observer sur les autres tables la position exacte des mains des Japonais à l’œuvre, aussi n’eut-il aucun problème par la suite à se servir. Il montra à son apprenti ainsi qu’à Flora le positionnement de chacune des baguettes, et les deux adolescents parvinrent avec plus ou moins de facilité à l’imiter.
« Pour la dernière fois, nous ne faisons que de la cuisine japonaise. Estimez-vous déjà heureux que le Commandant ait décidé de payer pour vous tous.
- La poisse… Et vous n’auriez même pas des fourchettes ?
- Désolé. On n’a pas l’habitude des clients étrangers.
- Hé, Brice, interpella Conan. Cherche pas, tu ne trouveras pas ça ici. Je comprends vraiment pas, c’est quand même pas dur de tenir des baguettes… »
« Oh ! Professeur, regardez ! Je ne savais pas qu’ils avaient aussi des sauces vertes ici… C’est exactement la même couleur que les bouillons de Flora, c’est quand même drôle comme coïncidence, non ?
- C’est du wasabi, informa Hibiki. Mais faites attention、c’est très épicé。
- Attendez, je vais goûter !
- Flora, marmonna Luke, je ne crois pas que ce soit une très bonne idée…
- Hé, ça a exactement le même goût que la sauce que je mets dans mes rosbifs ! Professeur, vous ne trouvez pas que c’est drôle, comme coïncidence ?
- Professeur… murmura le jeune adolescent.
- Oui, Luke ?
- Vous croyez que le baron Reinhold pourrait avoir eu des origines japonaises ? »
« Woah, c’est du wasabi ! J’avais encore jamais eu l’occasion de goûter !
- Euh, ‘Rafaer’, fais attention, prévint Ogawa. Celui-là est—
- Ah ! Mais c’est super épicé, ce truc ! Marie, passe-moi l’eau !
- … très concentré. »
« Luke, méfie-toi. Tu devrais reposer cette boulette, tes baguettes ne sont pas très stables…
- Ne vous en faites pas, Professeur, je la tiens bien.
- Luke… »
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que déjà les deux bouts de bois du jeune homme avaient dérapé, la boulette de riz replongeant aussitôt dans sa sauce soja et aspergeant les alentours ; le jeune Londonien prit environ dix minutes à s’excuser en boucle devant Rarity, qui par mégarde était juste à côté de lui.
Twilight demeurait relativement silencieuse, se contentant d’user de sa magie afin d’amener chaque morceau de nourriture à sa bouche ; une jeune femme apparut soudainement à ses côtés, posant sur la place libre à sa gauche son plateau et s’installant. Cette femme devait avoir dans la vingtaine d’années ; ses longs cheveux châtain clair étaient attachés en chignon, et elle portait une blouse blanche. Ce devait être une des scientifiques du quartier général.
« Alors comme ça、cette histoire de magie n’était pas une blague…
- Eh bien, je suis encore en train de l’étudier… Mais je connais déjà quelques tours.
- Intéressant。Le Commandant m’a demandé de voir si ça ne te dérangerait pas si j’étudiais ça un peu plus en détail… Crois-tu qu’un de tes sorts pourrait avoir un effet sur le Noise ? Ce serait tellement génial!
- Probablement… Mais je ne sais même pas à quoi ça ressemble…
- Ce n’est pas grave。Crois-moi、peut-être que c’est mieux ainsi。»
La jeune Japonaise se saisit d’un nigiri à l’aide de ses baguettes, puis croqua sa surface moelleuse à pleines dents.
« J’y pense、je ne me suis pas présentée。Je suis Saga Saeko。»
Une fois le déjeuner terminé, le commandant reparut et parvint à rassembler tout le monde ; il expliqua alors qu’il avait trouvé un hôtel non loin de la côte qui pourrait tous les héberger pour un temps indéterminé. Pour les poneys, cependant, il avait été jugé préférable qu’ils restassent dans le sous-marin : une salle peu utilisée servait à la fois d’entrepôt et de bibliothèque, juste à côté de la salle des machines, et pouvait facilement être aménagée pour accueillir six équidés de manière confortable.
L’adresse de l’hôtel avait été confiée aux trois candidates ; Hibiki proposa de les guider dans Tōkyō et de les y mener, et ce dès que le sous-marin arriverait au port. Ce qui devait arriver d’ici une ou deux heures.
En attendant, plusieurs groupes se formèrent : les Londoniens, accompagnés de Tsubasa, étaient partis chercher des nouvelles de Janice auprès des médecins ; les ponettes étaient parties réveiller Pinkie, car elles venaient de se rendre compte qu’elle avait été oubliée dans sa salle insonorisée ; les Parisiens avaient décidé de fouiller le sous-marin pour tenter de retrouver le violon de Marie ; le reste du groupe, enfin, avait décidé de rester soudé afin de faire un simple tour de repérage et, si possible, trouver de quelconques indices à propos de quoi que ce fût qui pouvait leur apprendre quelque chose d’utile.
Conan, alors qu’il s’apprêtait à suivre Ran en sortant du self, croisa les équidés. Il eut soudain une idée peut-être folle, à laquelle il valait mieux réfléchir à deux fois, mais qu’il voulut suivre. C’était beaucoup trop tentant… et l’occasion était trop belle. Mais il n’avait que peu de temps pour se décider : elle s’en allait. C’était maintenant ou jamais.
Le petit enfant rajusta machinalement ses lunettes tout en inspirant fortement pour se donner du courage ; puis il passa à l’action.
« Dis、Twilight… »
La licorne se retourna vers l’origine de cette voix, si discrète et pourtant si insistante. Elle s’arrêta, comme l’avait fait le jeune garçon qui l’avait interpelée, puis le regarda en l’interrogeant du regard. Les autres, n’ayant apparemment pas vu qu’il manquait quelqu’un dans chacun des deux groupes, s’éloignèrent chacun de leur côté avec insouciance.
Il passa sa main droite dans ses cheveux, comme pour réfléchir, et resta ainsi un moment. Mais finalement, il continua dans sa lancée.
« C’est vrai que ta magie peut faire absolument n’importe quoi ?
- Ben… à peu près, oui. Tu veux que je fasse quelque chose pour toi ? »
Il hésita encore. Tête baissée, il jeta de furtifs regards aux alentours, puis s’approcha de l’oreille de la ponette dans laquelle il murmura une simple question qui voulait tout dire à la fois :
« Peux-tu garder un secret ? »
« Ok, je résume. En fait, tu t’appelles Shinichi Kudō, tu as dix-sept ans et tu es un détective qui, il y a quelques mois, a fourré son nez là où il ne fallait pas ce qui a fait qu’une mystérieuse organisation que tu traques en secret t’a fait avaler un poison qui, en fait, t’a fait rajeunir. C’est ça ?
- Grosso modo, oui.
- Et si tu n’en parles à personne, c’est parce que cette organisation s’en prendrait à tous ceux qui sont au courant si jamais ils se rendent compte que tu es toujours vivant. Et c’est pour ça que Ran, ta petite amie, ne sait absolument rien de tout ça et qu’elle croit que tu t’appelles Conan Edogawa. »
Il hocha la tête en signe d’acquiescement.
« Exactement. Donc je voulais savoir si tu avais un sort qui pourrait arranger tout ça.
- Si j’ai bien compris, tu veux que je te rende ta vraie apparence, c’est ça ? Mais comment tu comptes t’y prendre, après ? Personne ne va trouver ça louche de voir un type apparaître et un gamin disparaître sans laisser de traces ?
- Pour Conan, c’est vrai que ça va être dur. Mais pour Shinichi, j’ai ma petite idée… »
La licorne lui jeta un regard sceptique.
« Dis toujours.
- On est dans un monde parallèle, non ? Dans la plupart des fictions qui traitent ce genre de sujets, il est question d’alter-egos. Je n’ai qu’à me faire passer pour l’alter-ego de Shinichi en provenance de cet univers-là, et quand l’affaire est terminée et qu’on va rentrer, je m’arrangerai pour me retrouver avec Ran.
- Ça marchera jamais.
- T’en fais pas. Tout ce que tu as à faire, c’est me rendre mon apparence normale. Pour le reste, je peux me débrouiller seul. »
Twilight soupira profondément. Cela se voyait clairement que le Japonais était beaucoup moins sûr de lui qu’il ne le laissait paraître. Mais d’un autre côté, ce n’était pas vraiment comme s’il avait le choix : il voulait à tout prix redevenir lui-même, et le seul moyen à sa portée était sa magie. Et cette magie ne pouvait qu’opérer là où ils se trouvaient en ce moment-même, car jamais elle ne poserait un sabot dans son univers. Donc il n’avait pas le choix, il devait saisir la balle au bond. Tant qu’elle était encore à portée de main.
Même si c’était risqué.
« Ok. Tu sais, les sorts temporels sont vraiment dans les niveaux les plus élevés en magie, je ne suis pas certaine d’en être capable… Mais je veux bien essayer.
- Si tu rates, ce n’est pas grave. Je ne vais pas mourir non plus, hein.
- Je sais. Mais je comprends que ça doit vraiment être important pour toi…
- Twilight, coupa-t-il, un sourire assuré aux lèvres. Je suis sûr que tu vas y arriver. »
L’équidé releva le regard pour le plonger dans celui du petit humain, puis acquiesça. Shinichi releva, juste avant de commencer, le problème que causeraient cependant les vêtements ; mais elle le rassura vite : Rarity lui avait appris quelques tours, et elle était elle-même parvenue à maîtriser quelques sortilèges en matière de couture. Je parie que les costumes te vont à ravir ! avait-elle ajouté en souriant. Ce petit détail n’était donc pas un problème. Tout était en règle.
Elle recula sur quelques pas en baissant la tête, visant son ami du bout de sa corne, se concentrant profondément. Elle s’arrêta, respirant lentement ; une lueur mauve apparut au bout de sa corne, signe qu’elle était prête à commencer. Une lumière semblable enveloppa de même le jeune détective, qui se sentit soudainement plus léger ; il ressentit que le sol échappait à ses pieds, et ses yeux lui témoignèrent qu’il lévitait.
Alors qu’un ruban éclatant et mauve l’entourait, une violente douleur à la poitrine le frappa. Il commença à voir trouble, et son corps entier le faisait souffrir ; mais il souriait malgré tout. C’était bon signe. Il reconnaissait parfaitement bien ces symptômes. C’étaient les mêmes que durant cette soirée où il avait bu le poison. C’étaient les mêmes que durant la journée où Hattori lui avait fait boire cette petite bière chinoise qui lui avait momentanément rendu son apparence. C’étaient les mêmes symptômes qui allaient lui rendre son corps de manière définitive, concluant enfin ce cauchemar qui avait bien trop duré.
Twilight avait de plus en plus de mal à tenir sur ses pattes. Elle se sentait de plus en plus faible. Le sort allait être interrompu si jamais elle venait à tourner de l’œil. Il ne le fallait pas. Surtout pas. Elle devait achever ce sort temporel à tout prix. C’était pour lui qu’elle le faisait. Pour lui et pour son amie. Pour son entourage. Pour tout ce qu’il pourrait faire, une fois revenu chez lui, pour démanteler cette organisation qui osait multiplier ainsi les crimes impunis. Il le fallait. Elle ne devait pas échouer. Ils n’avaient pas le choix…
Une violente détonation surgit soudain du bout de sa corne. Celle-ci cessa de luire par la même occasion, un dernier jet de lumière s’abattant sur le jeune gamin. Cependant, le cocon lumineux qui l’entourait se fractura de toutes parts, venant s’écraser contre le mur opposé, au fond de la salle. Les deux amis se retrouvèrent à terre, les lois de la gravité ayant repris le dessus. Chacun d’eux se plaignait plus ou moins explicitement de leur douleur liée à la chute, ainsi qu’aux suites de toutes les souffrances qu’ils avaient endurées. Ils demeurèrent ainsi un moment d’une durée indéterminée, couchés sur le dos, épuisés, silencieux. Finalement, le silence ne fut brisé qu’à peine, comme s’il s’agissait d’un crime que de le rompre sans prévenir.
« On a… réussi ? » murmura le poney d’un ton inaudible et totalement dénué d’espoir tandis qu’elle fixait le plafond de ses yeux mi-clos.
Il parvint à lever une main pour la placer devant son visage. Mais ce fut une main d’enfant qui apparut dans son champ de vision. Il ragea, refermant cette petite main innocente en un poing qui vint s’écraser avec fureur contre le sol, rejetant toute sa colère et sa désillusion contre la première chose matérielle à portée de main.
Twilight comprit et ferma les yeux dans un signe de déception et de désolation, tandis que deux petits éclats de lumière vinrent se miroiter au coin de ses paupières, tremblant un peu.
« Ne… Ne t’en fais pas, Shinichi… J-Je m’entraînerai, et on retentera… Je vais—
- C’est plus la peine. Tu te fatigues pour rien. »
La ponette bascula lentement sa tête vers lui, le dévisageant de ses deux grands yeux déjà embués de larmes. Conan s’était relevé, fixant le sol et répétant dans des murmures une seule et unique injure qui revenait tout le temps, n’étant probablement destinée à personne d’autre que la Providence elle-même, si elle existait. Mais ses mots étaient surtout pleins d’un seul sentiment : la désillusion. De toute manière, son plan ne pouvait fonctionner. Il s’était fait des illusions et s’était persuadé du contraire uniquement parce que l’occasion était trop belle. Mais justement, elle l’était trop pour que ce fût réalisable.
Ils avaient échoué sur toute la ligne.