La volte-face mélodramatique

Chapitre 4 : Procès n°1

9122 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/09/2022 01:07

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11 mars, 9h45

Tribunal fédéral - salle des accusés n°2

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               « Phoenix ! Phoenix ! ... »


Ce marteau de juge en bois laqué me parlait d’une voix tout à fait féminine. Après m’avoir fait subir un long interrogatoire, il se pencha sur moi, l’air menaçant, prêt à s’abattre. Ses courbes brillantes me rappelèrent un instant l’angle impeccable du banc de la défense…


               « Niiick ! Debout !


               — Hung… Quoi ?! »


Je sursautai, me cognant la tête contre le bord du canapé de la salle des accusés. Malgré le choc, mes yeux ne s’ouvrirent pas immédiatement. La lumière des néons jaunes me perçait les pupilles, m’obligeant instinctivement à les garder à l’abri. Cela ne m’empêchait pas de commencer à raisonner, même faiblement.


               « Oh, euh… Maya ? C’est toi ? m’interrogeais-je vaguement en m’adressant à la voix du marteau.


               — Nick ! s’exclama la voix a priori mécontente. C’est bientôt l’heure du procès, réveille-toi !


               — Oh… Le procès ! Le procès, Maya !


J’avais oublié le procès. Mais à peine l’espace d’une sieste, je le jurais sur ma crête ! Et je le jure toujours, d’ailleurs !


               — Tu… Tu pourrais faire un effort, Nick, grommela l’accusée désabusée. »


Je détachai avec un effort considérable mes paupières pour mieux cerner la situation dans laquelle je me trouvais. La porte du tribunal se trouvait au bout d’un long couloir, à ma droite, tandis que de l’autre côté se tenait les battants refermés de la salle d’audience. Juste devant moi, un mur violet arborant un collier émeraude en forme de magatama, semblable au chiffre neuf, se dressait, mécontent… en train de bouder.


               « Oh, Maya, écoute, j’avais juste besoin d’un peu de repos…


Je n’avais pas fermé l’œil de la nuit.


               — Comment veux-tu que je sois rassurée si tu ne prends pas ça au sérieux…


Hé ! Je prenais ça au sérieux.


               — Bon, écoute Maya. Je vais gagner ce procès, puis nous irons manger un bon bol de ramen. Et juste après, je t’emmènerai chez Hamburg pour déguster le meilleur burger de ta vie. Si même Tektiv dit qu’on a toutes nos chances, alors on a toutes nos chances.


Je disais ça, mais le cabinet était complètement à sec. Enfin, elle méritait bien ça… Dans tous les cas, je devais me racheter.


               — Hm… fit-elle semblant de bouder. Bon, ok ! Je te fais confiance, Nick.


               — Je vais te sortir de là. »


L’huissier vint nous chercher peu après pour nous annoncer la tenue du procès. Nous franchîmes les portes de la salle d’audience, certes stressés, mais déterminés. Je n’allais cependant pas mettre longtemps à regretter mes paroles…


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11 mars, 10h03

Tribunal fédéral - salle d'audience n°2

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Le juge, du haut de son fauteuil, respirait la sérénité quant à la situation. Moi, moins. Bien que je me tenais avec appréhension derrière le banc de la défense, le banc du procureur, lui, était vide. Que faisait-il donc ? La salle emplie de personnalités du monde de la littérature et du spectacle commençait à s’impatienter. Les rumeurs et les on-dit passaient sans discontinuer d’un siège à l’autre, jusqu’à se propager dans l’intégralité des tribunes… Tant et si bien que le juge se vit dans l’obligation d’intervenir, à coups de marteaux (sur son socle en bois…).


               « Silence, silence ! Je vous prierai de rester calme ! La séance va débuter. Le procureur d’aujourd’hui… a ses rituels. Merci de patienter encore un peu. S’il tarde trop… Je me chargerais personnellement de le rappeler à l’ordre. »


Sur ces paroles maîtrisées, le brouhaha se mua en un calme divin. Je pouvais enfin me concentrer sur le procès. Puis, sans prévenir, le personnage tant attendu apparut du long couloir filant sous les tribunes, à mon extrême opposé. Il rentra dans la salle par la petite ouverture près de la barre des accusés et se mit à longer les tribunes pour s’arrêter juste en face de moi… Là où le procureur devait être. Enfin, il releva la tête pour mieux me dévisager.


               « Néhéhé… monsieur Wright, je tiens ma revanche ! »


Je réalisai soudain ce qu’il se passait. Les lunettes translucides se posant sur les cheveux gris du cinquantenaire me provoquèrent comme une onde de choc. Comment aurais-je pu oublier ces rides marquées, ce costume gris (trop) classique, ce rire mesquin ?... En fait, cela aurait été facile !... S’il n’avait pas été impliqué dans l’une de mes dernières affaires, il y a de cela quelques mois.


               « Victor Boulay… Dites-moi que je rêve ?!


               — Eh… Ne tremblez pas, monsieur Wright. Je suis aussi là pour apprendre aux nouveaux le vrai sens du mot « interroger ».


Il débloquait complètement, le vieux. Visiblement, ce n’était pas au goût du juge, dont le raclement de gorge fit taire l’assemblée et le procureur.


               — Bien, tout le monde est là ! Monsieur Boulay, vos témoins sont-ils prêts ?


               — Plus que prêts, votre honneur ! s’esclaffa-t-il en me fixant.


Le juge se tourna également vers moi, sans autre considération.


               — La défense est-elle prête, monsieur Wright ?


               — Oui, votre honneur.


Un seul coup de marteau retentit.


               — Alors je déclare ouverte la séance pour le procès de Maya Fey ! Monsieur Boulay, votre exposé introductif, je vous prie.


               — Mon exposé introductif ? Néhéhé… Des méthodes de débutant, votre honneur. Permettez-moi d’appeler l’inspecteur Dick Tektiv à la barre. Lorsqu’il aura terminé son résumé de l’affaire, j’appellerai mon premier témoin. A l’issue de ce témoignage, Maya Fey sera déclarée coupable !


               — Hm… J’en serai le seul décisionnaire, M. Boulay. Soit ! Qu’on fasse venir l’intervenant des forces de police ! »


Le gradé nonchalant s’avança à la barre des accusés, jetant ses yeux vides de part et d'autre des tribunes. En dépit des impressions, l’inspecteur connaissait mieux que personne les us et coutumes des procès même si, sans surprise, ses étourderies précédentes lui avaient valu plusieurs renégociations de salaires (parmi d’autres choses). Son regard volatil s’arrêta finalement sur le juge, qui ne manquait jamais à ses obligations non plus.


               « Nom et profession, s’il vous plaît.


               — Inspecteur Dick Tektiv, monsieur. Je suis en charge de l’affaire du théâtre Wasabi.


Boulay prit alors le relais, instinctivement.


               — Inspecteur ! Résumé de l’affaire, s’il vous plaît !


               — Oui, m’sieur...


Ça y est, les choses sérieuses commençaient… pour moi, pour Maya… pour Ophélie, aussi.


               — Alors… Il marqua une pause, puis reprit. Avant-hier soir, au théâtre Wasabi, se tenait la représentation de la pièce « Le conte de la princesse du Nouveau Vieux Tokyo », écrite par Ophélie Retou, écrivaine et directrice du théâtre. Le spectacle avait lieu à vingt-et-une heures précises. Aux alentours de vingt-deux heures quinze, l’un des projecteurs, dirigé par l’accusée, s’est détaché de la rampe d’éclairage. A ce moment-là…


               — Objection, votre honneur !


Je ne pouvais pas le laisser affirmer cela. 


               — Monsieur Wright ? Pourriez-vous attendre la fin de l’exposé ?... s’interrogea le juge à juste titre.


               — Non, votre honneur ! Ma cliente ne « dirigeait » pas les projecteurs. Il s’est détaché de la rampe lors de son déplacement, c’est certain. Mais elle n’est pas responsable pour autant !...


               — Hm… Un point valide, monsieur Wright.


               — A peine une erreur de débutant, néhéhé. Il me semble essentiel de clarifier un point, monsieur le juge. Que plaide la défense ? Non coupable, ou homicide involontaire ?...


Un instant de silence fendit la salle, avant que la parole ne me revienne.


               — Non coupable... soulignai-je en ravalant ma salive.


— Bien, à présent que ce point est éclairé, je pense que l’inspecteur peut continuer, ajouta Boulay en arborant un sourire faussement camouflé.


               — Oui, monsieur. Où en étais-je… Ah oui, le projecteur s’est détaché. Puis, entraîné par la gravité, il a percuté Mme RETOU, qui jouait à cet instant le rôle principal. On estime l’heure de la mort à vingt-deux heures et dix-sept minutes. Voici le rapport d’autopsie établi. »


Tektiv distribua le rapport aux parties concernées. Je me plongeai aussitôt dans sa lecture : « Ophélie RETOU – décès à 22h17 par blessure externe. Un objet contondant a heurté la victime sur l'arrière du crâne. Le choc avait la capacité d’être fatal. Les analyses post-mortem confirment le décès immédiat de la victime. » Un rapport plus que précis… mais qui ne confirmait que l’évidence.


— Merci pour ces détails, inspecteur, en convint le procureur par politesse. A présent, j’aimerais appeler à la barre notre premier témoin pour clore définitivement cette affaire on-ne-peut-plus simple !


— Ne tirez pas de conclusions hâtives, monsieur Boulay... Même si je dois bien avouer que cette affaire semble en effet très simple. Soit ! Huissier, faites venir à la barre le témoin suivant ! »


Tektiv prit congé tandis qu’Alice allait le remplacer. La tournure du procès ne me plaisait pas... Boulay en disait trop peu. Il était peut-être idiot, mais il restait procureur. Pour le moment, je ne pouvais que constater les faits évoqués par l’inspecteur. Espérons que la venue du nouveau témoin allait changer la donne...


« Madame, nom et profession, je vous prie.


— Hm... Alice, couturière, chuchota-t-elle.


— Pardon ?


— Alice ! Couturière...


— Et votre nom ?


— Euh... Paletin... chuchota-t-elle.


— Vous moquez vous de ce tribunal madame ?...


— Non ! Pas du tout...


— Monsieur le juge, il s’agit d’Alice Paletin, la couturière du théâtre Wasabi. Madame Paletin, témoignage s’il vous plaît ! s'impatienta Boulay en grattant le peu de cheveux qu’il lui restait.


— Euh, oui...


Un silence s’ensuivit.


— Euh, quel témoignage déjà ?...


Et le procureur soupira.


— Racontez-nous ce que vous avez vu pendant la représentation ! ordonna-t-il d’une voix stridente.


— Tout de suite... Je suis entrée dans la loge un peu avant la représentation. J’ai assisté au spectacle depuis la loge, ayant rempli mon rôle de costumière.


— Un instant ! Pourquoi ne pas y avoir assisté depuis la salle, Mme Paletin ? Il est évident que vous auriez eu une bien meilleure vue depuis votre chaise, plutôt que du fond du théâtre, derrière les décors !


— Oh euh... Je... n'y ai simplement pas pensé... marmonnait-elle en se mordillant la lèvre.


C’était un peu trop facile.


— Expliquez-moi comment cette possibilité ne vous a pas effleuré l’esprit... alors que des dizaines de personnes assises dans l’assemblée avaient déjà eu cette idée !


— Que ?!... Je... Je suis une fana de couture et je n’aime pas la foule ! cria Alice en arborant un teint rougeâtre, la tête avancée par-delà la barre des accusés, malgré ses petits yeux fermés par la gêne.


— C’est-à-dire ?...


— Pendant que je regardais la représentation... Je cousais également.


La réponse semblait farfelue. Pourtant, la poubelle de la loge était remplie de chutes de tissus. Qui plus est, j’avais été le premier à fouiller dedans... Elles étaient donc récentes. Enfin, son comportement paraissait sincère.


— Hm...


— monsieur Wright ? s'interrogea le juge perplexe.


— Je... ne conteste pas la réponse du témoin, votre honneur.


— Bien, témoin, veuillez préciser votre témoignage et reprendre.


— Oui, monsieur le juge... J’assistai au spectacle depuis la loge, tout en cousant. Maya... Je veux dire, l’accusée, est restée aux commandes des projecteurs toute la soirée. Elle a contrôlé les lumières d’un bout à l’autre du spectacle. Dans ces circonstances...


— Objection ! Madame Paletin, vous venez d’affirmer que vous cousiez. Qui plus est, de nombreux témoins pourront confirmer vos passages sur scène en tant que figurante ! Dans ces conditions, il est difficile de soutenir que l’accusée est restée aux commandes “toute la soirée” !


— Objection, monsieur le juge ! contre-attaqua Boulay. Cela ne change rien au fait qu’elle a vu ce qu’elle a vu, néhéhé... Maya Fey dirigeait les projecteurs au moment du crime, le reste n’est que discussions puériles.


— Je suis obligé d’admettre que monsieur Boulay a raison... Objection rejetée, M. Wright. »


Objection rejetée... Et occasion manquée. Le procès commençait à traîner en longueur mais, malgré les incohérences, je ne parvenais pas à trouver de faille assez grande dans le témoignage d’Alice. M’embourber dans un contre-interrogatoire me semblait vain... Si ç’avait été mon coup d’essai, j’aurais peut-être abandonné. Mais Maya comptait sur moi. Et la vérité ne se découvre que par “détails”... Pour trouver une aiguille dans une botte de foin, il fallait d’abord en inspecter les épis, un par un... dont le témoignage d’Alice.


« Il apparait évident que Maya Fey contrôlait les projecteurs au moment du crime. Mme Paletin, avez-vous constaté autre chose ?


— Hm... Je... Je ne sais pas trop, monsieur le juge.


— Madame Paletin, reprit sèchement le procureur. Parlez-nous du déroulé de la soirée...


— Oh, oui, bien sûr !... Nous avons commencé par un grand repas avec tout le monde, un peu avant dix-neuf heures. Puis, après avoir discuté tous ensemble, je suis allée dans la loge pour recoudre le costume de Blake qui était déchiré. Une fois terminé, j’ai aidé Ophélie et Blake à se maquiller avant la représentation.


— Combien de temps cela vous a-t-il pris ? questionnai-je par habitude.


— Hm... Raccommoder le costume... A peu près quarante minutes. Et une heure de maquillage. Nous étions prêts juste à temps pour le spectacle.


— Soit, Mme Paletin, intervint Boulay. N’y a-t-il pas quelque chose qui vous a paru suspect ?...


— A vrai dire... Maya s’est absentée lors du repas. Elle a dit qu’elle allait aux toilettes, mais ce fut relativement long.


— Je vois. Cela semble fâcheux...


— Un instant !


Le petit jeu de mon adversaire m’agaçait. Il était évident qu’il voulait nous emmener sur son terrain, sans la subtilité ni la préparation de procureurs plus doués.


— Monsieur le juge ! La partie civile a visiblement quelque chose à nous dévoiler ! Je demande à ce que le propos soit clarifié sans attendre.


— Hm... Je suis également de votre avis, monsieur Wright. Je n’aime pas trop les cachotteries... Même si votre position actuelle ne vous permet pas de requérir grand-chose. Monsieur Boulay, merci d’arrêter les sous-entendus et de nous dire ce que vous avez en tête !


Erf. Merci, monsieur le juge, même si je me serais bien passé de vos commentaires désagréables sur ma position actuelle...


— Néhéhé... C’est très simple. Ce qui s’est passé ce soir-là n’était pas un accident. Maya Fey s’est absentée au cours du repas, comme en a témoigné Mme Paletin, puis en a profité pour dévisser le projecteur. Ensuite, il ne lui restait plus qu’à le diriger au-dessus sa victime…


— Que ?!


Le juge marqua une pause tandis que les tribunes recommençaient leurs chuchotements oppressants.


— Monsieur Boulay ! C’est une accusation grave que vous portez ! Il s’agit de préméditation. J’espère que vous ne le faites pas à la légère, ou je devrais sévir !


— Un procureur tel que moi ne fait pas d’erreurs si évidentes, monsieur le juge.


— Objection ! Mademoiselle Fey a été embauchée dans la troupe il y a tout juste un mois ! Elle savait à peine comment utiliser le panneau, alors monter jusqu’à la rampe et dévisser un projecteur ?! Je n’y crois pas, M. Boulay ! »


La salle se ralliait petit à petit derrière moi : « mais oui, ce procureur débloque, l’avocat a raison », « cette pauvre fille n’a pas eu de chance, c’est tout », « quel goujat, ce vieillard ! ». Pourtant, j’avais l’intuition profonde que l’inquiétude que je ressentais alors était justifiée. Le mot « impossible » n’existe pas dans un tribunal. J’étais mieux placé que quiconque pour le savoir.


« Néhéhé... Mesdames et messieurs, j’aimerais porter à votre connaissance la preuve des méfaits de la jeune Maya Fey.


— Comment ?


Il sortit des étagères encastrées à l’arrière du banc du procureur un sachet imperméable noté d’un numéro : “AS-48, pièce à conviction n°3”. A l’intérieur, on distinguait clairement... un tournevis au manche azur.


— Voici un tournevis qui a été retrouvé au fond de la poubelle des loges du théâtre, sous des chutes de tissus, grâce au travail acharné de l’un de nos agents.


Hm...


— Contre toute attente, il a servi à l’accusée pour défaire les vis du projecteur, qui ont été retrouvées avec ! développa monsieur Boulay, certain de sa théorie.


— Un instant ! Rien ne prouve que c’est l’accusée qui s’est servie du tournevis !


— Néhéhé... L’analyse scientifique n’est pas de cet avis, monsieur Wright...


— Non...


— Et si. Les empreintes digitales de Maya Fey ont été retrouvées sur ce tournevis, preuve évidente de son crime !


— Quooooii ?!


Il fallait que je me calme. Les chuchotements étaient redevenus un brouhaha incessant. La salle en ébullition ne s’attendait sûrement pas à cela... Et moi non plus.


— Silence ! Silence ! Silence, ou je fais évacuer la salle !!


Les coups de marteau répétés finirent par calmer les gens, moment que le juge choisit pour reprendre ses droits.


— Cette preuve est un élément décisif pour confirmer la théorie de l’accusation. Bien, je me sens prêt à prononcer un verdict.


Maintenant que les gens s’étaient calmés, c’était à moi de trouver un moyen de calmer le juge. Et vite.


— Objection, votre honneur ! Comme je l’ai déjà souligné, l’accusée n’était là que depuis un mois, elle ne connaissait pas suffisamment la disposition des lieux pour monter un tel plan !


— Néhéhé... Il lui suffisait de se renseigner, voilà tout. Peut-être qu’elle prévoyait ce meurtre depuis longtemps. Après tout, j’ai cru comprendre qu’on lui avait refusé le rôle principal.


— On ne tue pas des gens pour si peu, monsieur Boulay ! répliquai-je par obligation morale.


Un mobile... Oui, bien sûr, c’était un premier point.


— L’accusée n’avait d'ailleurs aucun mobile valable pour tuer la victime, votre honneur ! Elles se connaissaient à peine, et je peux en attester ! J’ai moi-même rejoint la troupe il y a un mois.


— Humph... Les meurtriers sont de connivence, commenta le cinquantenaire sans retenue.


— Monsieur Boulay ! Je vous prierai de rester courtois. L’objection de la défense est valide, mon jugement était probablement prématuré... Cependant, cela ne change pas les preuves.


Parfait, c’était exactement ce qu’il me fallait.


— Votre honneur ! Je demande à ce que le témoin précise son témoignage... »


Mais sur quel point ? Je devais à tout prix faire poursuivre le procès, sans savoir par quel bout continuer. Mais j’allais devoir trouver dans la seconde. Alice disait que, ce soir-là, elle avait vu Maya s’absenter du repas. Puis, elle ne l’aurait pas lâchée des yeux pendant la représentation. Je pourrais même témoigner personnellement : Maya est bien restée aux commandes des projecteurs tout le long de la représentation. Cette histoire d’absence n’était pas non plus farfelue : c’est le tournevis qui complétait le témoignage qui posait problème. Bon sang, j’avais vraiment l’impression de me trouver dans une impasse... J’allais devoir improviser... en espérant tenir le rôle du héros et non du méchant.


 « Je demande à ce que le témoin précise son témoignage sur le repas et sur l’absence de l’accusée, votre honneur !


— Hm, soit. Monsieur Boulay, une objection ?


— Aucune, votre honneur... Ce n’est qu’une astuce de débutant pour prolonger le procès...


… J’allais lui prouver le contraire.


  — Bien ! Madame Paletin, votre témoignage, s’il vous plaît.


— Ou... Oui, votre honneur. Nous nous sommes mis à table petit à petit entre dix-huit heures quarante et dix-neuf heures... Je crois. Hamburg avait préparé pour l’occasion ses fameux hamburgers, avec lesquels tout le monde s’est régalé.


— Hamburg ? s'interrogea le juge.


— Le cuisinier de la troupe, précisa Boulay.


— Un instant ! madame Paletin, vous dites que vous vous êtes mis à table “petit à petit”. Pourriez-vous nous dire ce que vous entendiez par là ?


— Eh bien, les activités de la troupe sont décalées... Nous ne pouvions pas tous arriver au repas en même temps, et nous n’avons pas tous mangé exactement en même temps.


— Je vois... Qui y avait-il à table lorsque vous êtes arrivée ?


— Blake et Hamburg, je crois… Je savais que j’avais de la couture à faire, alors j’ai mangé tôt pour pouvoir m’y atteler…


— Je vous remercie, Alice… Vous pouvez reprendre.


— Oui, bien sûr… chuchota-t-elle. Pendant le repas, j’ai surtout discuté avec Régis, qui est arrivé un peu plus tard, Ophélie et Maya. Blake me fait un peu peur, avec ses blagues douteuses… Mon repas fini, je suis sortie de table la première pour raccommoder le costume. 


— L’accusée était-elle encore en train de manger à ce moment-là ?


— Il me semble… Voyons… Elle est sortie de table un moment, puis est revenue juste avant que je m’en aille.


               — Vers dix-neuf heures quinze donc, d’après vos témoignages précédents…


               — Ça… Ça doit être ça, oui.


               — Ou voulez-vous en venir, M. Wright ? questionna le juge intrigué.


               — C’est très simple, votre honneur. Rappelez-vous ce qu’a dit monsieur Boulay précédemment : « contre toute attente, le tournevis a servi à l’accusée pour défaire les vis du projecteur, qui ont été retrouvées avec ! »


Je ne pouvais m’empêcher d’arborer un rictus malicieux devant cette incohérence évidente.


               — Mais si les vis avaient été complètement retirées et jetées à dix-neuf heures quinze, le projecteur n’aurait pas gentiment attendu plus de deux heures pour chuter. Il serait venu s’écraser sur le sol immédiatement !


               — Que ?!...


Et le procureur de l’affaire n’avait même pas compris cela ! J’allais faire la vérité sur le témoignage d’Alice… Et le remettre à sa place avec une joie non dissimulée.


               — Objection ! Qu’importe le moment, votre honneur ! L’accusée avait toute la soirée pour établir son larcin ! Le fait est que ses empreintes sont sur le tournevis, néhéhé…


               — Objection, monsieur Boulay ! L’accusée n’avait pas « toute la soirée », comme vous dites ! Après le repas, le reste de la troupe, ou Alice, déjà dans la loge, auraient vu Maya Fey dévisser les projecteurs. Pour la suite, je crois qu’il n’est pas nécessaire de rappeler l’évidence : pendant la représentation, elle était aux commandes tout du long !


               — C’est… C’est impossible ! bégaya Boulay. Le tournevis a été retrouvé sous les chutes de tissus, donc le projecteur a forcément été dévissé avant !


               — Hm… Je dois avouer que les arguments des deux parties se tiennent. Du reste, il y a bien les empreintes de l’accusée sur « l’outil du crime », si je puis me permettre, oh oh… Je ne sais pas quoi penser de tout cela. Monsieur Boulay, une suggestion ?


               — Qu’on mette fin à cette mascarade ! s’exclama-t-il violemment.


               — Hm… Je n’aime pas trop votre ton. Mais le témoin nous a raconté l’intégralité de sa soirée, il est de ce fait difficile d'établir un nouveau témoignage. Comme vous l’avez souligné, la preuve est à ce titre décisive. »


Je me retrouvais à nouveau dans une impasse, malgré mes efforts. Il y avait forcément une solution. Quelque chose clochait dans cette affaire, depuis le début. Maya n’avait pas pu trafiquer le projecteur… Pourtant, le tournevis était bien dans la poubelle. Si ce n’était pas elle, c’était donc forcément quelqu’un d’autre… Mais le témoignage d’Alice, même s’il paraissait innocent, se concentrait sur les agissements de mon assistante. Et puis, il y avait autre chose qui me perturbait… Je devais en avoir le cœur net… Pour cela, j’allais devoir me frotter à la longue barbe expérimentée du juge.


               « Votre honneur, le témoin ne nous a pas tout dit !


               — J’ai bien peur que si, M. Wright… Et le procureur est également de cet avis.


               — De quoi pouvez-vous bien vouloir parler ? De méthodes de couturière ? De goûts de costumière ? Un peu de noir avec votre rose ? Néhéhé… Arrêtez vos enfantillages. Cette cour se passera de vos théories fumeuses, monsieur Wright !


               — J’ai bien peur que non, monsieur Boulay… Je prends votre demande à la lettre : j’aimerais que Mme Paletin nous parle du costume qu’elle a raccommodé le soir du meurtre, votre honneur !


               — Humph ! Vous ne manquez pas d’air, l’avocat.


               — Je suis de l’avis de monsieur Boulay ! Votre requête a-t-elle seulement un lien avec l’affaire ?! Mes petits-enfants ne seront pas contents si je suis en retard pour les emmener à la piscine, monsieur Wright…


Génial, le juge allait me faire culpabiliser maintenant. En tout cas, il ne risquait pas de me faire reculer.


               — Vos petits-enfants devront attendre, votre honneur ! Le costume est un élément décisif dans cette affaire !


Je crois…


               — Hm… Soit ! Mais ce sera la dernière fois que j’accède à une requête de la défense aujourd’hui. Madame Paletin, veuillez témoigner au sujet du costume que vous avez raccommodé avant la représentation. 


               — Ou… Oui, votre honneur. Après le repas, je me suis assise dans la loge. J’ai pris le costume de Blake, qui était déchiré au niveau de l’aisselle, comme cela arrive souvent sur les costumes… A vrai dire, il s’agit seulement d’un tissu de confort. Même si je suis maniaque, l’armure portée par-dessus le vêtement noir en cache la majorité, donc…


               — Un instant ! Madame Paletin, avez-vous cousu autre chose le reste de la soirée ?


               — Et bien, oui, pendant la représentation, comme je l’ai dit, mais…


— Avec quel tissu ?


— Le même que celui de Blake… Le tissu azur était réservé à la robe d’Ophélie… répondit Alice, désorientée par mes questions.


Je le savais.


               — Votre honneur ! Les questions de la défense n’ont aucun rapport avec l’affaire. Elles n’ont qu’un seul objectif : perturber le témoin !


               — Hm… Je suis aussi de cet avis. Monsieur Wright, je me vois dans l’obligation de mettre fin à votre contre-interrogatoire… Votre petit jeu a assez duré.


               — Je ne joue pas, votre honneur. Hier, en fouillant la loge, j’ai moi-même trouvé le tournevis et les vis que j’ai remises à la police.


               — Hm… Le juge fixa monsieur Boulay, qui feignait l'ignorance, avec un certain dédain.


               — Mais ce n’est pas tout ! Par-dessus les vis et le tournevis, il y avait des chutes de tissu : noires… argentées, et azur.


La tignasse de Boulay fit un bond en arrière.


               — Non… Vous rigolez !


               — Je vois que vous avez compris, monsieur Boulay… Quelqu’un s’est servi du tournevis, puis l’a jeté dans la poubelle. Ensuite, les chutes de tissu noires du costume de Blake ont été jetées par-dessus. Mais quand a-t-on jeté les tissus des autres couleurs ?!


               — Alice a dû coudre autre chose pendant la représentation, voilà tout ! répliqua le procureur aigri.


               — Il faut écouter : elle vient d’avouer n’avoir utilisé que le tissu noir !


               — J’avoue que j’ai du mal à suivre. Que prétendez-vous exactement, monsieur Wright ?


               — Que madame Paletin s’est servie de ces tissus après la représentation, votre honneur ! Et ce n’était pas innocent !


               — Cela ne change rien à l’affaire ! insista Boulay.


               — J’ai bien peur que si ! Un projecteur tue quelqu’un, la salle est en effervescence, et votre premier réflexe est de coudre, madame Paletin ?!


               — Oh, je… Je n’ai pas entendu l’impact…


               — Il va falloir mentir mieux que ça, Alice !


               — M. Wright, merci de ne pas harceler le témoin ! madame Paletin, pourriez-vous témoigner sur vos agissements après le décès de la victime ?


               — Bien… Bien sûr, votre honneur, accepta-t-elle en se mordillant la lèvre. A vrai dire… Comme je l’ai dit, je ne me suis pas rendu compte tout de suite de l’accident. Je suis un peu… étourdie. Et puis, je ne voyais pas bien la scène depuis la loge. Comme j’avais commencé un nouveau costume avec le reste de tissu noir, j’ai dû le compléter avec un tissu azur, qui se marie bien avec le noir. Je ne me suis aperçue du décès d’Ophélie qu’ensuite, à l’arrivée de la police qui a fait beaucoup de bruit…


Alice commençait sérieusement à s’emmêler les pinceaux… et les aiguilles.


               — Vous venez de témoigner, je cite : « je me suis servie du même tissu noir… » ! Arrêtez de vous contredire !


               — Eh bien… J’ai dit que j’avais utilisé le même tissu… Ça ne veut pas dire qu’il n’y en avait pas d’autres.


               — Que ?!... »


Il fallait que je trouve un moyen de la coincer. J’étais à deux doigts de découvrir ce qu’elle nous cachait… Mais j’avais besoin de preuves. Malheureusement, la seule preuve que j’avais obtenue avait déjà été dévoilée. J’avais dû louper un élément dans mon enquête. D’une manière ou d’une autre, Alice s’était servie de ses talents pour falsifier la scène du crime. Vu le déroulé de la soirée, elle ne pouvait pas être la coupable… Mais elle était quand même impliquée !


               « Je croyais que le tissu azur était, je cite, « réservé à la robe portée par Ophélie », madame Paletin !


               — Je…


               — Il n’y a que dans l’urgence que vous auriez pu vous servir de ce tissu par erreur : vous saviez pertinemment que madame Retou venait d’être tuée !


Ses yeux bleus fixaient le sol méthodiquement. Elle se mordillait désormais les ongles, plutôt que la lèvre. Ses joues blanchâtres tournaient au rouge… vif.


               — Je… Je n’ai pas tué Ophélie !


               — Non Alice, c’est vrai…


Si elle n’avait pas tué Ophélie, qu’avait-elle pu faire de ce tissu ? Qu’est-ce qui ne collait pas, dans ce procès ?... Dans les… pièces à conviction ?


               — Mais vous avez falsifié la scène du crime.


               — Monsieur Wright ! J’espère que vous avez de quoi soutenir votre accusation !


               — Bien entendu, votre honneur. Il y a une seule chose qu’Alice ne pouvait faire qu’après le meurtre, grâce à ses connaissances… en tâches en tout genre, et en propriété des tissus.


Sur la pièce à convictions.


               — Monsieur Wright… Arrêtez de divaguer ! s’exclama la concernée.


               — Le soir du meurtre, vous avez attendu que Maya soit emmenée par la police. Je l’ai suivie jusqu’à l’entrée du théâtre… A ce moment-là, vous vous êtes retrouvée seule. Vous avez récupéré les empreintes de Maya sur le panneau de commandes…


               — Objection ! Ce que vous dites n’a aucun fondement, ni aucun sens !


— Si vous aviez bien fait votre travail, vous auriez remarqué la poudre sur les boutons du panneau de commandes, monsieur Boulay… accusai-je avec un certain contentement. Cette même poudre qui s'est retrouvée partout... sauf sur l'un des boutons ! Etrange, n'est-ce pas ? C'est comme si, au moment des premiers prélèvements scientifiques, quelque chose le couvrait...


— Ou voulez-vous en venir, monsieur Wright ?...


— Avant que Maya ne prenne position au tableau, Ophélie a cousu un morceau de tissu en urgence sur l'un des boutons du panneau... pour prélever son empreinte ! Vous avez tenté d’incriminer Maya Fey pour le meurtre d’Ophélie Retou, madame Paletin !


               — Humph, rien ne prouve que c’est moi qui aurais fait ça ! Et même si c'était le cas, je ne vois toujours pas en quoi je l'aurais incriminée ! Quoi qu'il arrive, prélever des empreintes n'est ni un plaisir, ni une compétence de couturière, monsieur Wright !


               — Malgré les incohérences du panneau ? questionnai-je une dernière fois.


               — Sûrement la police. Je ne suis pas une vulgaire criminelle !


Son élocution s’accélérait. Ses yeux, d’habitude si volatils, me fixaient désormais avec une agressivité inhabituelle. Ce petit jeu avait assez duré…


               — Très bien, Alice. Je vais donc tout vous expliquer ! Vous avez décousu le tissu, marqué de l'empreinte de Maya, du panneau, puis vous l'avez recousu au manche du tournevis, que vous avez entièrement refait d'une certaine couleur afin de camoufler votre méfait ! Est-ce suffisamment dans vos compétences de couturière, madame Paletin ?!...


— Humpf... Vous n'avez aucune preuve !


— Oui... Oui, vous n'avez aucune preuve ! répéta Boulay, pris de court par la tournure des évènements.


— Oh que si, j'en ai !


Ce tournevis me tracassait depuis le début du procès... J'avais enfin compris pourquoi.


— Vous n'aviez que peu de temps pour recoudre le manche ! Maya ne semblait pas vouloir quitter le panneau de commandes, puis la police est arrivée. Dès qu'elle a été emmenée, vous avez récupéré le tissu cousu par-dessus le bouton, puis avez pris le premier tissu à votre portée pour compléter votre travail : un tissu azur. Pourtant "réservé" à la robe, n'est-ce pas, madame Paletin ?! Et quelle couleur étrange, pour un tournevis !


— Non ! Non, je ne...


— Objection ! Monsieur le juge, la défense harcèle le témoin ! Ce raisonnement de bas étage ne constitue pas une épreuve !


— Alors, je demande à ce que soit analysées les chutes et le manche du tournevis, monsieur le juge ! Un œil expert ne devrait pas avoir de mal à constater les coutures raffistolées des deux morceaux mis bout à bout, aussi bien cousus soient-ils ! Ainsi qu'un éventuel échantillon de poudre provenant des prélèvements réalisés le soir-même...


               — Hm… Soit, demande accordée, monsieur Wright. Mes petits-enfants devront attendre… Bien, nous nous accordons une pause de trente min…


               — Rhaa !!! Vous… Vous !...


Le regard exorbité d’Alice me faisait un peu peur… Et ses cheveux clairs, pourtant de mi-longueur, semblaient danser de rage dans les airs, mais je devais me faire des idées.


               — Vous… Vous avez raison, se calma-t-elle soudain. J’ai tenté d’incriminer Maya Fey dans le meurtre d’Ophélie Retou.


               — Mme Paletin ?! s’exclamèrent le juge et Boulay en cœur.


               — J’ai marqué une pause, au cours de ma soirée. Je suis allée aux toilettes... Puis je suis revenue dans la loge, avant la représentation. J’ai commencé à raccommoder le costume… En jetant mes chutes, j’ai aperçu le tournevis au fond de la poubelle. J’ai immédiatement compris ce qu’il s’était passé. — Elle déglutit et reprit. — J’ai donc tout de suite envisagé d’impliquer Maya. J'ai cousu une chute de tissu par-delà l'un des boutons du panneau, pour récupérer son empreinte. Mais, dans la précipitation, je n’avais pas anticipé qu’elle ne bougerait pas de son poste du tout. Je l’ai ainsi observée tout le long de la représentation, méticuleusement… Ensuite, lorsque la police est arrivée, j’ai saisi ma chance... J’ai décousu le morceau, paniquée. Pour une couturière comme moi, c'était un jeu d'enfant, même dans l'urgence. Enfin, je suis rapidement retournée dans la loge, puis, grâce au premier morceau de tissu à ma portée, j'ai refait le manche du tournevis, au millimètre près. Mais j'avais utilisé le tissu azur, monsieur Wright... Et laissé les preuves à l'endroit même du méfait.


— Une erreur grossière... Le lendemain matin, vous vous êtes donc présentée à la scène du crime, pour récupérer les chutes dans la poubelle et mettre en évidence le tournevis, seul, à la vue des enquêteurs. Mais c'était trop tard !... La police avait déjà investi les lieux du crime. Mais... Pourquoi faire tout ça... ? ne puis-je m'empêcher de demander.


               — Pour protéger un ami, monsieur Wright. Je suis sûr que vous comprenez…


               — Il s’agit de complicité de meurtre, madame Paletin ! Vous ne pouvez pas continuer à protéger un meurtrier ! 


               — Bien sûr que si, monsieur Wright… J’admire votre ténacité. Peut-être que si j’avais eu votre détermination, tout cela ne serait pas arrivé… Je ne peux pas vous dire tout ce que je sais… Mais si vous cherchez absolument à protéger Maya, vous devriez vous renseigner sur Amy


Un coup de marteau retentit.


               — Madame Paletin ! Je vous ordonne de nous dévoiler le nom du meurtrier ! s’énerva le juge avec prestance, lui d’ordinaire si posé.


               — Votre honneur… Elle marqua une longue pause, puis enchaîna avec fracas : « j’invoque mon droit de garder le silence, votre honneur. »


               — Hm… Très bien. Alors ce seront vos dernières paroles dans cette cour, madame Paletin. Huissier, emmenez-la en cellule !


Le garde s’approcha de la jeune femme à l’apparence frêle et au teint blanchâtre. Mais avant d’être emportée, elle se tourna vers moi. Une seule larme se mit à couler sur sa joue.


               — Je ne voulais pas blesser Maya… Pardon, monsieur Wright. »


On aurait cru que la larme allait emporter un maquillage parfaitement réalisé, mais son teint blanc, aussi réel qu’immaculé, restait en place. Il me faisait penser à la pureté et à la simplicité de ses sentiments, dans la gêne comme dans la colère ou la tristesse... Alice fut accompagnée hors de la salle, puis escortée au centre de détention.


               « Hm… Je ne sais que penser de la séance d’aujourd’hui. Il est évident qu’elle n’a pas été inutile, mais les preuves incriminant Maya Fey ont disparu. Cela ne signifie pas qu’elle est innocente pour autant. Monsieur Boulay, un autre témoin à disposition ?


               — N… Non, votre honneur.


               — Eh bien, Maya Fey n’a visiblement pas été condamnée suite au premier témoignage. Il faudra revoir votre investigation, monsieur Boulay. Quelque chose de plus… sérieux. Me suis-je bien fait comprendre ?


               — O… Oui, votre honneur.


               — Bien ! Pour la prochaine séance, je demanderai aux parties de se renseigner sur le mobile du crime. J’aimerais également que soit décortiquée plus…sérieusement, la méthode du crime qui, de toute évidence, a été rondement réfléchie. Ce sera tout ! »


Sur ces recommandations, le juge frappa de son marteau la fin de la séance. Je me sentis soudain soulagé d’avoir réussi à me défaire de cette première journée de procès. Nous sortîmes tous de la salle d’audience et rejoignîmes nos salles respectives.


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11 mars, 13h20

Tribunal fédéral - salle des accusés n°2

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Je m’écroulai sur le confortable canapé qui longeait le mur du tribunal.


               « Nick ! Avant le procès, tu dors et là, tu es déjà épuisé !


               — C’était un peu trop… intense pour moi. Je croyais avoir l’habitude, mais cette fois, j’ai vraiment cru que le procès était perdu… et, en plus, contre Boulay.


               — Il était persuadé de gagner, il m’a énervée !...


               — Il pouvait… Si ça avait été Hunter à sa place, je ne sais pas si je m’en serais sorti. Dans un sens, il nous a sauvés la mise…


               — J’ai aussi été surprise par Alice…


Ses mains plongeant l’une vers l’autre le long de son corps recroquevillé ne mentaient pas : elle ne parlait pas d’une surprise agréable.


               — Je suis sûr qu’elle avait une bonne raison de faire ce qu’elle a fait, Maya. Ça ne veut pas dire qu’elle t’en voulait.


               — Oui, tu as sûrement raison…


               — Et cette « Amy »… Qui est-ce ? Quel lien a-t-elle exactement avec la troupe du théâtre ?... Une longue journée d’enquête m’attend demain. D’ici-là, reposons-nous au mieux.


               — Désolée de ne pas être plus utile, Nick…


               — Ne t’inquiètes pas. Tu vas encore devoir passer une nuit dans cette cellule… Mais à la prochaine séance, je te sors de là. Après, tu pourras toujours récurer les toilettes à ma place, si tu ne te sens pas assez utile !


               — Eh ! Je n’ai jamais vu dans mon contrat que j’allais devoir récurer des toilettes !


Elle se mit à bouder. Oops ?...


               — Si tu veux contester ma décision, tu auras besoin d’un bon avocat !... Allez, on se voit demain, Maya.


               — Ok, Nick. A demain ! »


Nous nous séparâmes sur ces mots. Les gardes du tribunal ramenèrent mon assistante en cellule pour un nouveau séjour. De mon côté, j’allais profiter de ma nuit de sommeil, malgré la situation. Après tout, il fallait que je sois au meilleur de ma forme pour aborder la journée d’enquête qui m’attendait.

         


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