Le Coeur en Feu
Les heures, le temps filait et rien ne se passait. Malgré quelques soubresauts TK demeurait inatteignable. Et Carlos demeurait à ses côtés, impuissant, sans pouvoir agir.
Cette après-midi-là, il vit finalement sa mère, Andréa, arriver pour se rendre au chevet de TK. Elle le prit dans ses bras et dans cette étreinte il sentit un peu de son poids se diviser.
Une fois assis, alors qu’Andrea avait le visage tendu par l’angoisse de voir le secouriste dans un tel état, ils eurent une conversation où elle apprit avec effarement leur séparation datant de plusieurs mois. Elle ressentit la détresse et la colère sourde qui animait encore son fils. Elle l’exhorta à parler à TK et lui dire ce qu’il avait sur le cœur. TK risquant de mourir elle fit comprendre à Carlos qu’il devait lui parler, être honnête et lui dire tout ce qu’il ressentait. Car cela était peut-être sa dernière occasion.
Après un dernier baiser sur le haut de sa tête, elle se leva et laissa son fils seul avec TK après avoir doucement refermé la porte vitrée.
Carlos ne savait par où commencer. TK allait-il réellement l’entendre ? Ces confidences allaient-elles vraiment être utiles ? N’allaient-elles pas aggraver la situation ? Et puis par quoi commencer ?
Il soupira en le regardant et rapprocha sa chaise.
-Salut TK, commença-t-il la voix rauque, c’est moi.
La mâchoire serrée, c’était comme si les mots avaient du mal à se frayer un chemin à travers ses dents. Sa lèvre inférieure eut un petit mouvement nerveux, incertaine quant aux mots à formuler.
-Ça fait un moment que je suis là, reprit-il en secouant la tête.
Carlos eut un petit rire furtif, presque imperceptible et aussi faible qu’un murmure.
-Je ne sais même pas si tu veux de moi, mais pour une fois tu ne peux pas fuir la discussion et je vais en profiter, continua-t-il d’une voix grave. Et même si tu ne m’entends pas, ma mère a raison j’ai besoin de te dire les choses, dit-il la mâchoire serrée et les larmes aux yeux.
-Je suis tellement en colère contre toi, repris Carlos dans une colère sourde.
Le policier parlait lentement comme si une pression cherchait à s’échapper de son corps sans toutefois exploser.
-Et le plus difficile dans tout ça, continua le policier au bord des larmes tentant de reprendre son souffle, c’est que si c’est vraiment la fin je voudrais pouvoir te tenir la main, je voudrais pouvoir te caresser les cheveux ou t’embrasser le front…
Carlos se pencha vers lui le fixant alors qu’une larme coulait le long de sa joue.
-Mais j’aurais presque l’impression de commettre une agression, dit-il d’une voix sourde.
Il détourna les yeux en secouant à nouveau la tête et en se balançant en arrière.
-La première impression est toujours la bonne, poursuivit-il en revenant vers TK, surtout quand elle est mauvaise. Alors je ne peux pas te toucher ! Et ça a toujours été comme ça ! Le premier soir où je t’ai invité à diner chez moi et que tu n’as rien trouvé de mieux à faire que de te barrer ! C’était déjà une première mauvaise impression ! Mais moi trop con je t’ai laissé une seconde chance ! Et encore mieux quand je t’ai retrouvé au poste après ou lorsque tu m’as dit que tu ne voulais pas être avec quelqu’un au café avant de me dire finalement totalement l’inverse ! Mais c’est un mécanisme de défense chez toi de toujours te barrer face à la situation ou de te mettre dans des situations toujours plus impossibles les unes que les autres ! Et tout a toujours été comme ça avec toi ! Tout !
Carlos repris son souffle.
-Et l’appartement c’était vraiment le pompon ! repris Carlos alors que les larmes coulaient désormais réellement sur son visage. De quoi tu avais peur ?! Que je t’abandonne ?! Mais qu’est-ce que tu crois ?! Tout ça c’est que du matériel ! T’as pas compris encore TK à quel point je t’aimais ?! Comment tu as pu me faire ça ?! Comment tu as pu nous faire ça avec tout ce qu’on avait et tout ce qu’on avait construit ?! Tu m’as trahi ! Tu nous as trahis et tu as détruit tout ce qu’on avait sans avoir la décence de me répondre ou de t’expliquer ! termina Carlos en lâchant un lourd soupir.
Carlos pesait chacun de ses mots mais la violence de ses émotions le trahissait.
-Et maintenant regarde dans quel état tu es ! Comme toujours tu prends des risques inconsidérés sans penser aux autres ! Je suis tellement en colère contre toi TK !
Derrière la vitre, assise dans la salle d’attente, Andréa voyait son fils s’agiter et pleurer. Elle ressentait sa douleur jusque dans ses propres os. Elle continua de réciter une prière, son chapelet à la main. TK devait s’en sortir. Dieu devait le sauver. Ou sinon Andréa savait que son propre fils ne pourrait jamais s’en remettre. Jamais. Pitié…pensa-t-elle, pitié…
A la fin de son soliloque Carlos retomba lourdement contre le dossier de sa chaise tout à coup épuisé. Son bras replié sur l’accoudoir, il reposa son front dans sa main les yeux couverts. Ses doigts légèrement écartés et ses articulations marquées trahissaient sa tension intérieure. Sa posture trahissait un renoncement momentané, un retrait, une prise de recul. Carlos n’avait plus de force, il n’en pouvait tout simplement plus, il atteignait ses limites.
Après ces mots que pouvait-il faire de plus ? La situation paraissait inextricable.
Carlos perdait TK.
Il sentit alors deux mains glisser sur ses épaules. Sa mère était revenue. Elle se pencha à sa hauteur et le serra contre elle. Elle voulait lui donner toute sa force et tout son espoir.
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De nouveau cette nuit-là, Carlos dormit au chevet de TK, replié dans une position douloureuse, épuisé. L’infirmière de nuit, le cœur serré vint le couvrir d’un plaid.
Plusieurs jours passèrent ainsi sans changement et sans qu’Owen ne réapparaisse.
Une matinée en revenant de la cafétéria Carlos surpris une conversation d’aides-soignantes qui estimaient que TK n’en avait plus pour longtemps et que le plus dur était pour ceux qui attendait et espérait.
Carlos en fût choqué. Il était en colère que l’équipe est de telles paroles sans vérifier que la famille ne se trouvait pas dans les parages.
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Le soir du 6ème jour Owen, retrouvé et ramené par Marjane, se rendit à l’hôpital au chevet de son fils. Il fit un gros point avec Tommy et le médecin en charge de TK. En sortant de la chambre toute la 126e et Carlos l’attendait.
Il eut une longue étreinte avec Carlos et quitta l’hôpital pour aller à la rencontre de Billy Tyson et régler la question de leur dernière altercation.
Carlos retourna au chevet de TK et repris sa place auprès de ce dernier à l’identique des derniers jours sous le regard désolé de la 126e. Alors que l’état de TK ne s’améliorait pas Carlos mourrait à petit feu de l’intérieur.
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Le lendemain matin, Carlos, toujours prostré entendit de nouveau des bruits stridents et vit tout à coup le corps de TK s’agiter violemment et se contorsionner sur le lit. Toute l’équipe médicale arriva en trombe. Il semblait à Carlos que TK toussait mais comment étais-ce possible ?
Le staff médical le fit reculer. Alors que la mère de Carlos était revenue soutenir son fils, TK était en train de rejeter la sonde d’intubation. Il se réveillait. Alors que tout espoir semblait avoir disparu et que Carlos s’attendait à tout moment voir TK mourir celui-ci se réveillait finalement.
Les infirmiers terminèrent de retirer l’intubation, placèrent le tuyau d’oxygène au niveau de son nez et le réinstallèrent correctement dans son lit tandis que le Docteur Patel vérifiait l’ensemble de ses constantes.
Carlos, le regard fixé sur TK, le voyait reprendre conscience, le visage grimaçant.
Le Docteur Patel invita Carlos à se rapprocher.
Le policier était en apnée, au bord des larmes, tout son corps semblait coincé et ses épaules raidies.
C’est alors que TK ouvrit finalement difficilement les yeux vers Carlos. Le cœur du mexicain sembla s’arrêter. Andrea la main sur sa bouche se mit à sourire à travers ses larmes.
-Respire bébé, marmonna difficilement TK en tendant une main encore plus difficilement vers Carlos.
Pendant un instant le temps parut suspendu à Carlos. Il était immobile comme si son corps hésitait à reprendre vie. Le visage figé, la bouche entrouverte, des larmes incontrôlables s’étaient remises à couler. Puis un hoquet et un râle saccadé et nerveux secouèrent son corps. Finalement une aspiration brusque et bruyante précéda une expiration hâtive. Le torse de Carlos se mis à se soulever de manière frénétique alors que l’air pénétrait de nouveau dans ses poumons. Sa respiration était haletante et désordonnée.
C’était comme si Carlos avait attendu que TK lui dise de respirer depuis leur dispute au loft.
Cette libération silencieuse fit comprendre à Carlos qu’il était en apnée depuis des mois.
Il s’approcha doucement du lit dans un mouvement désordonné et hésitant. Mais il prit finalement cette main.
Le toucher à nouveau lui lança une décharge électrique dans tout le corps. Il s’assit lourdement sur le matelas à ses côtés.
Il fixa intensément son visage le regard brouillé par les larmes ne croyant pas qu’il voyait de nouveau ces traits bouger. Dans un geste désespéré il embrassa sa tempe et chercha refuge au creux de son cou où il enfouit son visage. Il ferma les yeux en sentant le bras de TK se refermer sur lui. Totalement vulnérable après ces longues journées d’angoisse, Carlos s’abandonna et lâcha prise contre TK. C’était un besoin silencieux pour lui de se rapprocher à nouveau du secouriste et de s’ancrer à lui.
TK épuisé, désorienté, sentit ce corps chaud contre lui. Il savait de qui il s’agissait et reconnu cette peau, ces mains, cette odeur et cette respiration entre mille, même aveugle et sourd. Il sentait ses sanglots contre lui. Désorienté et légèrement amnésique il ne saisissait pas encore la totalité de la situation mais comprenait que quelque chose de grave le concernant avait eu lieu.
Avait-il vu sa mère ? Il déglutit la bouche douloureuse.
Après de longues minutes Carlos se redressa sans cesser de toucher le visage de TK. Il embrassa délicatement ses doigts.
-Comment tu te sens ? lui demanda-t-il doucement en reposant sa main sur son ventre.
-Fa…fatigué…bafouilla TK qui tentait difficilement de garder les yeux ouverts.
-Dors, murmura Carlos en passant une main dans ses cheveux.
TK agrippa comme il pût la main du policier.
-Je serais là quand tu te réveilles, répondit Carlos à la demande muette de TK qui tentait désespérément de garder les yeux ouverts.
Carlos le voyait lutter sans lâcher sa main.
-Je serais-là, repris-t-il doucement, je serais là, termina-t-il sans cesser de caresser ses cheveux.
TK ferma finalement les yeux les sourcils froncés, les joues creusées et le visage contracté.
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Le soir venu, alors que TK dormait encore, dans la lumière tamisée de la chambre d’hôpital, Carlos de nouveau assis à ses côtés n’avait pas lâché sa main. Ses doigts entrelacés aux siens contre sa joue, Carlos était accoudé au bord du matelas sans cesser de le fixer du regard. Assis légèrement incliné vers l’avant, Carlos semblait suspendu entre le monde extérieur et cette bulle intime qu’il avait créé entre eux.
Autour d’eux, l’hôpital restait un lieu froid et impersonnel, mais dans ce petit coin de la pièce, une forme de chaleur émanait de ce simple contact. L’odeur de désinfectant, le bip des machines en arrière-plan, tout cela semblait désormais lointain face à ce lien silencieux, fait de gestes simples et du regard de Carlos qui en disait plus que des paroles.
Leurs doigts entrelacés semblaient suspendus dans le temps. Un geste modeste, mais porteur de tout le poids de l’amour, de l’attente, et de l’espoir. Dans ce moment, tout ce qui comptait, c’était cette présence partagée, la certitude de ne pas être seul, de se tenir l’un l’autre dans une vulnérabilité à la fois douce et puissante.
Carlos était là pour lui. TK était revenu. L’avenir était incertain mais il était là, bien vivant.
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Carlos regardait TK dormir depuis maintenant plusieurs heures. Surveillant sa respiration et le moindre mouvement. Très heureux de le voir éveillé il savait pourtant que tout n’était pas réglé entre eux. Loin de là. Tiraillé, il se sentait perdu.
Après qu’Owen eut retrouvé Billy Tyson et participé indirectement à la naissance du fils de Grace et Judd, il rejoignit le jeune policier à l’hôpital.
En arrivant à la porte et voyant le policier, le Capitaine sentit son cœur se serrer. Tandis que voir de nouveau son fils dans cet état, et ce malgré son récent réveil, manqua de lui couper la respiration. Le Capitaine voyait que Carlos souffrait encore.
Carlos n’entendit plus qu’il ne vit Owen s’installer à ses côtés sur une autre chaise verte aux accoudoirs marrons.
Pendant un temps ils ne dirent rien, les yeux fixés sur l’homme, le fils face à eux ; immobile, endormi, le visage détendu. Il semblait si apaisé, bien loin de toutes les tergiversations dans lesquelles étaient plongés l’ancien amant et le père qui avaient bien cru perdre un homme qu’ils aimaient plus que leur propre vie.
-Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous, murmura Owen brisant le silence qui régnait dans la chambre.
Cette voix qui vint stopper les pensées de Carlos fût violent et lui fit serrer la mâchoire ravivant ses souvenirs douloureux.
-Je ne sais pas ce qui s’est passé entre vous, répéta le Capitaine, mais je sais qu’il t’aime encore et que tu l’aimes aussi. Je sais qu’il peut parfois agir comme un enfant capricieux mais je sais qu’il t’aime à un point que je ne saurais quantifier.
A ces mots une larme se mit à couler le long de la joue de Carlos qui n’avait pas relevé la tête la gorge soudain serrée.
-TK est tombé dans la drogue à cause de moi, reprit le Capitaine.
A ses mots, Carlos releva soudainement la tête sans comprendre.
-TK avait 7 ans lorsque Gwen et moi nous nous sommes séparés. Et je sais que pour lui ç'a été un traumatisme, poursuivit Owen la voix grave. Après les attentats du 11 septembre, tout le monde a changé. J’ai changé. Si je m’en suis sorti vivant ça n’a pas été le cas d’autres collègues et de certains de mes gars, s’exprima le Capitaine en soupirant. Après ça je me suis éloigné de ma famille, je me suis éloigné de TK, je l’ai abandonné. Et je n’ai pas vu les signes. Je n’ai pas vu que TK sombrait et qu’aux moments où il a eu le plus besoin de moi je n’étais pas présent.
Et quand il a su que je me remariais il m’en a extrêmement voulu. C’est Gwen qui a su la première qu’il se droguait et prenait des médicaments. Moi je suis arrivé après et je ne comprenais pas son addiction au début. Et je confondais la réalité de ma famille et la réalité des attentats et de tout ce qu’ils nous avaient pris, continua Owen. On n’avait pas fait attention au départ mais c’est vrai qu’il changeait, il maigrissait, se renfermait…
Si Carlos ne le regardait pas frontalement, il écoutait pourtant avec beaucoup d’attention ce que lui racontait Owen. Il s’agissait là d’éléments que le policier n’avait jamais eu et que TK ne lui avait pas raconté.
-TK a fait sa première overdose à 16 ans. L’oxycodone. Grâce à je ne sais quel obscur connard rencontré au lycée. Les années qui ont suivies ont été les pires de ma vie. On était en alerte constante concernant TK. Gwen est allée un nombre incalculable de fois le chercher dans des squats pourris, à même le sol, dans des conditions affreuses. Il revenait en pleine nuit complètement saoul et défoncé à je ne sais qu’elle substance. Il volait de l’argent à Gwen pour se fournir. Il a fait plusieurs cures. Je ne sais pas comment il a réussi à sortir en vie de tout cela ni comment il a réussi à construire un semblant de vie aujourd’hui. Mais ce qui est sûr c’est que ce n’est pas grâce à moi, termina Owen dans un soupir.
Un nouveau silence s’installa entre eux.
-On ne s’est rapproché que bien plus tard, repris le Capitaine. Si je te dis tout ça c’est que je sais qu’il fait des erreurs et qu’il a parfois un comportement incohérent voir intolérable. Mais je sais aussi qu’il le fait de manière inconsciente et incontrôlée comme en réaction incontrôlable avec tout ce qu’il a vécu et surtout en raison du fait que j’ai été absent très longtemps. TK a une peur viscérale de l’abandon et dans un même temps de perdre son indépendance ou le semblant de contrôle sur sa vie. C’est pour ça qu’il prend des risques inconsidérés. Il se met en danger pour voir s’il est toujours en vie et maintenir dans ces moment-là un contrôle illusoire sur sa vie qui peut déraper à tout moment. Depuis très jeune il est sur le fil et joue à l’équilibriste. Mais depuis qu’il te connaît, il a changé. Je le trouve plus mesuré, raisonnable, ancré. Il va mieux.
Carlos redressa la tête vers Owen.
-Je ne dit pas ça pour te contraindre à quoi que ce soit. C’est votre histoire et je n’ai pas à m’y immiscer tout comme je ne veux pas savoir ce qui s’est passé car ça ne me regarde pas mais je tenais simplement à t’expliquer, en tout cas essayer, de pourquoi parfois TK agis comme il le fait. Mais cette décision t’appartient à toi et à vous.
-Merci Owen, fût la seule chose que Carlos réussit à répondre au Capitaine et à tout ce qu’il venait de lui dire.
Et en effet les mots d’Owen lui permettaient de mieux comprendre TK.
Cependant, ils ne pouvaient pas couper à une discussion réelle et franche. Il serait temps ensuite de parler de l’avenir.