Quand on ne regarde que les étoiles

Chapitre 17 : I'm the one you're lookin' for

4021 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/02/2024 23:31

Il était bien paradoxal d'avoir autant hâte de partir et d'autant se retourner sur le chemin.


Qu'allait-il bien advenir de Billy ? Mon regard se perdait sur la maison penchée, tout aussi figée dans le temps que l'étaient ses résidents. Ce gosse allait avoir dix ans toute sa vie, ce que certains auraient sans doute vu comme une malédiction.

Pas moi.


Quincy, au loin, se dessinait comme une silhouette inquiétante. Nul besoin de mes souvenirs intacts ; mon corps semblait avoir très bien retenu ce qu'il s'était passé la dernière fois que nous avions posé le pied là-bas. À chaque pas de plus l'angoisse me gagnait davantage ; la peur, la vraie, de celle contre laquelle je m'étais trop souvent battue, à mains nues, à même le sol. Cet étau qui enserre le sternum. Cette eau qui infiltre peu à peu les poumons et les empêche de se remplir convenablement.

Je ne ralentis pas pour autant. J'essayais même de conserver l'air le plus neutre qui soit ; ce qui est parfois difficile quand on est en train de se noyer.


L'angoisse est un naufrage dans lequel personne ne retrouve jamais la côte.

On se perd, on tourne en rond, on ne sait plus dans quel sens il faut nager ; on se rapproche du fond de l'eau sans même s'en rendre compte. Les pensées fuses, elles s'étalent, elles dessinent de grands ronds, elles filent encore jusqu'à dépasser les garde-fou, ces grands panneaux qui nous disent bien que cette direction n'est pas la bonne, ces écluses qui retiennent le déluge. Je ne pouvais emporter personne dans ma propre perdition. Quelle drôle d'idée j'avais encore eu, à quémander de l'aide, à l'accepter, même, ce qui était encore pire. Je n'étais fichue de rien, avec mon vide plein les mains, pas fichue de retrouver Shaun, pas fichue de ne pas frôler la mort, pas fichue de ne pas me laisser déborder par toutes ces eaux. Et puis.


— Moriarty. Vous m'écoutez ? On est arrivés.

Mes élucubrations éclatèrent comme autant de bulles. Je relevai la tête. Effectivement, nous étions devant le commissariat, qui, par un heureux hasard, était juste en dehors de Quincy, et pas à l'intérieur. Ce qui n'était pas spécialement rassurant quand on voyait que le symbole des Artilleurs avait été peint sur l'un des murs qui tenait encore debout.

— C'est bon ? Suivez-moi, chuchota Nick en sortant son magnum de sa poche.

Le toit effondré de la station de police laissait passer de la lumière. Bon sang, comment allions-nous trouver quoi que ce soit ici ? C'était une planque. Le rez-de-chaussée était dévasté ; restes de bouteilles d'alcool, munitions abandonnées, étagères renversées. Les tiroirs étaient vides, les terminaux explosés.

— Il n'y a plus rien ici, Nick, dis-je avec lassitude.

— Tant qu'on n'a pas cherché partout, on ne peut pas dire qu'il n'y a plus rien, marmonna Nick en poussant un bureau brûlé. Regardez, dit-il en me montrant quelque chose au sol.

C'était une trappe. Canigou la renifla avec attention.

— Une trappe, dis-je platement. Vous allez vraiment aller là-dedans ? ajoutai-je alors que Nick soulevait la poignée.

La trappe s'ouvrit avec un grincement. Des toiles d'araignées s'étirèrent, puis se brisèrent.

— Tant qu'on n'a pas cherché partout, répéta Nick.

Je n'avais aucune envie de rester ici toute seule. Je suivis Nick et Canigou et descendis derrière eux l'escalier sombre et humide, tellement qu'il en était devenu glissant. Ce n'était vraiment pas le moment de tomber.

— Vous n'avez pas une lampe torche, sur votre...

— Ah, si, dis-je en allumant mon Pip-Boy.


Des cellules étaient alignées sur les côtés de la cave. Dans l'une d'elles gisait un squelette qui n'avait pas pu voir une dernière fois le ciel avant que les bombes ne tombent. Je fis un tour sur moi-même pour éclairer la pièce. À part une table sur laquelle avait été posée une combinaison de détenu et une espèce de bocal à poisson, il n'y avait absolument rien ici.

— Il y a forcément quelque chose, marmonna Nick en réfléchissant.

— Je ne crois pas que l'holobande soit là, Nick.

— Éclairez-moi quand même.

Je m'exécutai. Nick observa chaque geôle, il tira sur les verrous maintenant les portes closes, il déplaça même le squelette pour voir s'il n'y avait pas, par hasard, une holobande cachée derrière-lui.

— Bon, soupira-t-il. Sur la table, là, qu'est-ce que c'est ? Venez me faire un peu de lumière.

Il attrapa le bocal à poisson. Le tissu orange y était attaché. Ce n'était pas un bocal à poisson. Ni une tenue de prisonnier.

— Vous ne cherchiez pas précisément un machin de ce genre, Moriarty ?

Je venais de me souvenir des combinaisons des scientifiques de l'Abri. Les leurs étaient jaunes, celle-ci était orange vif. J'attrapai la tenue antiradiations pour mieux l'inspecter. Elle était parfaitement neuve. Elle n'était jamais sortie de cette cave et personne ne l'avait jamais trouvée.

Les monstres sous le sable s'étaient envolés. Nick inspecta de sa main le dessous de la table, au cas où l'holobande y avait été camouflée, puis soupira.

Mon sourire s'éteignit.

— Nick, je suis désolée.

— Vous en faites pas, Moriarty, dit-il en essayant de camoufler sa déception. Au moins, on n'aura pas fait tout ça pour rien, ajouta-t-il en pointant du doigt la tenue.

— On pourra chercher dans d'autres commissariats. On finira bien par...

Nick secoua la tête et me fit signe de remonter.

— Sortons d'ici avant que je ne me mette à rouiller.


Je plaçai la combinaison sous mon bras, et. 

— Tiens, ça y est... T'es remontée, toi... T'es toute seule ou t'es avec ton pote, la... La boîte de conserve ?

Le type but une gorgée dans sa bouteille de whisky. Il chancela, laissa échapper un rot, avant de sortir son arme pour la faire tourner dans ses mains.

Il portait l'armure des Artilleurs.

Je n'étais pas armée. Bon sang. Mon pistolet était au fond de mon sac. Il était toujours au fond de mon sac.


— Ah, bah tiens, la voilà... La boîte de conserve.

— Et tu lui veux quoi, à la boîte de conserve ? demanda Nick sur le ton de la conversation.

— J't'attendais, dit le type en repoussant une mèche de cheveux gras qui lui tombait sur le visage. C'est toi qui a tué Tessa et Baker.

— Effectivement, répondit Nick en mettant négligemment les mains dans ses poches.

— Et j'suis d'humeur sympa, tu sais... J'suis pas un tyran, moi, dit le mec en levant ses mains en l'air avant de se mettre à rire. Alors je te propose un marché. J'vous ai vu... Avec le gosse, là, le moche. Si tu me le ramènes, j'efface ton ardoise.

— Qu'est-ce que vous voulez à Billy ?

— Billy, Billy, répéta le type en m'imitant. Oh non, pas Billy.

Il s'esclaffa, bu à nouveau, avant de se racler la gorge et de reprendre :

— J'ai envie de le faire bosser. Un gamin goule, c'est l'esclave rêvé. Il aura même pas besoin de bouffer ni de dormir.

— Mais les goules ont besoin de dormir, soufflai-je comme si une inexactitude était la pire chose qui puisse arriver.

— Bon... Marché conclu ou pas ? dit l'Artilleur.

— Dis-moi, dit Nick. T'es quel genre de grosse merde, exactement ?

— Oh, ça va... Ça va... Écoute-moi, quand j'te cause, ajouta-t-il en pointant ses deux indexs vers Nick. J'peux même ajouter... Cent capsules.

Dans mon sac, mes doigts se refermèrent sur mon flingue.

— Cent capsules et la vie sauve, franchement, je vois pas co-

Je sortis mon arme, visai, et tirai jusqu'à vider la totalité de mon chargeur dans la tête de l'Artilleur. Sa bouteille de whisky s'écrasa au sol en même temps que lui et se brisa dans un millier d'éclats de verre.

Silence. Nick haussa les épaules.

— J'imagine que ça ne pouvait pas se terminer autrement.


Il soupira bruyamment avant d'enjamber les bris de verre.

— Nick, qu'est-ce que vous faites ? demandai-je alors qu'il se penchait au-dessus du corps.

Il ne répondit rien. Avec méticulosité, il lui fouilla les poches, en sortit une autre flasque d'alcool, une arme, des munitions.

— Elle est forcément quelque part, marmonna-t-il en retournant les poches intérieures de la veste de l'Artilleur.

— L'holobande ? Mais...

Elle était bien là. Je fronçai les sourcils. Nick n'avait pas l'air peu satisfait. Il me tendit la cassette.


— J'ai pris les devants, en allant chercher votre sac, dit-il en me regardant attentivement insérer la bande dans mon Pip-Boy. Si elle était sortie du commissariat, il y avait une chance pour que l'un d'entre eux l'ait gardée. Et je ne passe pas à côté d'une chance.

— Donc vous les avez tous fouillés, conclus-je.

— Exactement. Je n'aurais pas parié sur celui-là. Mais bon...

La cassette grésilla pendant une longue minute, si bien que je commençai à craindre que la bande n'aie pas survécu aux affres du temps. Mais la voix grasse de Winter finit par remplir le commissariat.


Message à Claire Pozinski.

Bon, je me disais qu'il serait temps de prendre des vacances. Quatre semaines en Irlande, ça sonne bien, non ? Dublin, la Baie de Galway, Waterford. On pourrait peut-être même passer une semaine dans ce Bed & Breakfast de Kilkenny ? Et non, t'en fais pas... Cette fois, c'est sans mon cousin Steven. S'il veut sortir du territoire, il se démerde. Je lui avais bien dit de menacer ce flic - pas de lui exploser la tête au fusil à pompe. Il peut bien pourrir dans cette vieille pêcherie de Union Wharf, je m'en fous.

Je t'aime.

Eddie Winter, terminé.


— Quatre, soufflai-je avec un sourire.

— Quatre, répéta Nick.

— 9-1-8-0-4, dis-je sans la moindre hésitation.

Nous nous regardâmes un instant avant de nous mettre à rire.

 

*


Nick avait été aimable et avait pensé à mes besoins humains au lieu de courir à la station Andrew dans laquelle était caché Winter.

Je n'en pouvais tellement plus de marcher, de ces routes qui n'en finissaient pas, de ces arbres morts, de ces maisons qui n'étaient plus que des souvenirs que mon cœur s'alléga en apercevant, au loin, les panneaux qui indiquaient Goodneighbor.

J'étais heureuse d'arriver à Goodneighbor. Quelle étrangeté.


— Bon, si ça ne vous ennuie pas, je vais aller voir... Enfin, peu importe. Je vais faire un tour au Memory Den, dit Nick en réajustant sa cravate.

— Je peux venir avec vous ?

— Vous voulez... ? Oui, enfin, j'imagine que...

Oh.

— Ah. Je vais aller me prendre une chambre au Rexford, dis-je alors en balançant la combinaison antiradiations par-dessus mon épaule.

Je peux très bien me débrouiller toute seule.

Pour une raison étrange, la seule chambre disponible était exactement la même que la dernière fois. Elle n'avait pas l'air d'avoir été nettoyée depuis. Je jetai mes affaires sur la chaise avant de m'écrouler sur le lit.

— Bon, bon, bon... marmonnai-je en regardant le plafond et ses détails que je connaissais déjà très bien.

Je m'assis, attrapai mon sac, ouvris négligemment une boîte de biscuits avant d'en lancer un à Canigou. Je soupirai, jetai un œil à l'heure sur mon Pip-Boy. Je n'allais pas dormir maintenant. Je fis le tour de la chambre. Je n'étais là que depuis quelques minutes que je m'ennuyais déjà.

— Bon, viens, Canigou, dis-je en fourrant dans les poches de mon blouson des capsules et des cigarettes. On va faire un tour.


Il me fallait un bar. De retour dehors, c'était une évidence soudaine ; tout retournait toujours aux bars. Surtout quand on a nulle part où aller, dans une ville inconnue et tout à fait hostile.

Tout retournait toujours aux bars. Il aurait été fort improbable que Goodneighbor n'en possède pas.


Un bâtiment éclairé de bougies attira mon attention. Sur la façade était écrit Le Troisième Rail. Il n'en fallut pas plus pour me faire pousser la porte.

C'était une ancienne station de métro. Un videur était posté devant l'escalier qui menait au quai. Je le saluai d'un signe de tête comme si je savais parfaitement ce que je faisais.

— Hé. Ton chien, là. Il rentre pas, dit la goule en pointant Canigou de sa mitraillette.

Sérieusement ? Il avait peur de quoi, qu'il salisse ?

— Ok. Canigou, soupirai-je, je suis désolée mon vieux. Reste-là, d'accord ?

J'hésitai ; était-ce vraiment une bonne idée de laisser le chien tout seul ici ? Oh, tant pis.


Je descendis les escaliers. C'était bien un bar, et il était bondé, et agencé d'une telle façon qu'on ne pouvait se douter, si on n'avait pas vécu de mon temps, que ça avait été une station de métro.

Derrière le comptoir s'affairait un Mr. Handy. Juste à côté, un projecteur illuminait une scène vide.

— Salut, tentai-je en m'asseyant au bar.

Les trois yeux du robot se tournèrent vers moi.

— Qu'est-ce que je vous sers ? répondit-il sèchement avec un très fort accent britannique.

— Euh. Qu'est-ce que vous avez ?

— De la bière. C'est tout.

Voilà qui simplifiait mon choix.

— Et bien, ça sera une bière, alors, dis-je en haussant les épaules.

Le robot fit volte-face, attrapa une bouteille couverte de poussière sur une étagère et la posa brusquement devant moi.

— Voilà de quoi noyer votre chagrin, dit-il. Quinze capsules. Inutile de me laisser un pourboire. Je gonfle déjà suffisamment les prix comme ça.

— C'est votre bar, donc ? demandai-je en lui tendant le paiement.

— Nan. Tout appartient au maire. Moi, je m'occupe juste de garder les sols propres et la bière dégueulasse.

— Hm. C'est le bar de Hancock, alors ?

— Vous n'êtes pas une flèche, vous, répondit le robot.

Il passa un coup de chiffon -terriblement sale- sur le comptoir, puis essuya des verres avec ce même torchon. Je bus ma bière en silence, en me remerciant d'avoir décidé de boire à la bouteille.

— Et, euh, sinon... Il y a des choses qui se racontent, en ville ?

— Ouais, dit Charlie en se retournant vers moi. J'ai entendu dire qu'il y a une nouvelle venue qui n'a toujours pas compris que j'étais un barman et pas un putain de vendeur de journaux.

Touchée.


Il était temps d'occuper mon temps autrement. Je finis ma bière en balayant le bar des yeux. Il y avait une majorité de goules, plutôt bien habillées, qui riaient, buvaient, et fumaient. Je mis les mains dans mes poches pour en sortir une cigarette. Puis je remis les mains dans mes poches. Je n'avais pas de briquet. Bon sang. Quelle idiote.

— Hé, Charlie. Vous n'auriez pas du feu ?

— Vous êtes chiante, répondit-il en débarrassant le comptoir.

— Et je reprendrai bien une autre bière.

Le robot me servit, ce qui n'arrangeait que peu mes affaires. Bien décidée à affronter ma peur des humains - ou des goules, dans ce cas précis, je me levai, les mains pleines d'une bière et d'une cigarette. Je n'avais qu'à demander un briquet. C'était facile.

Et puis mes yeux se posèrent sur deux types à l'air mauvais qui traversèrent le bar d'un pas pressé. Ils jetèrent un regard soupçonneux derrière leur épaule avant de rentrer dans une ouverture, tout au fond du Troisième Rail, loin des gens, loin du bruit.

Oh, ces hommes étaient louches et probablement dangereux. Mais la bière m'avait rendue curieuse.

Un peu trop.


— ...écoute-moi bien, MacCready. La seule raison pour laquelle on te descend pas sur le champ c'est parce qu'on veut pas d'emmerdes avec Goodneighbor. Tu vois, nous... On respecte les règles. On sait rester dans le rang.

MacCready, puisque c'était son nom, était enfoncé dans un fauteuil rouge, les bras croisés sur la poitrine et les sourcils froncés plus que de raison. Les deux types mauvais le toisaient, avec un air qui frôlait le règlement de compte imminent.

Derrière l'angle du mur, il était trop tard pour arrêter d'écouter leur conversation.

— Ouais. Vous êtes vraiment des mecs en or, hein ? répondit MacCready en se levant.

— C'est ça. Continue à jouer au con, Robert. Si on te recroise sur le territoire des Artilleurs, tu sais ce qu'il se passera.

— C'est bon, Winlock ? T'as fini ? souffla MacCready en levant les yeux au ciel.

Un homme attrapa son arme pour la serrer dans son poing. L'autre lui posa une main sur l'épaule.

— Viens, Barnes. On se casse.

Et avant que je ne puisse disparaître dans la foule du bar, les types se retournèrent, me virent et s'arrêtèrent. Barnes regarda Winlock, Winlock me regarda en fronçant les sourcils.

— Vous n'auriez pas du feu ? demandai-je avec un sourire en montrant ma cigarette.

Winlock soupira, mit la main à sa poche et en sortit un briquet à huile, qu'il me lança.

— Merci, répondis-je, toujours souriante.

Il leva les yeux au ciel en secouant la tête, et tous deux sortirent de la pièce.


Je m'écrasai dans le fauteuil rouge sans me préoccuper de MacCready qui me regardait avec beaucoup de questions.

— Euh... Écoute, je sais pas ce que tu fous là, mais j'ai pas envie d'entendre parler d'Atome ou de t'écouter chialer en me racontant tes problèmes.

Il était vraiment très jeune, maintenant que je le voyais de plus près.

— C'était qui, ces types ? demandai-je en appréciant chaque bouffée de ma cigarette.

MacCready soupira.

— Deux gros cons. J'en peux plus, de ces putains d'Artilleurs, dit-il, les sourcils froncés - ce qui semblait être la seule et unique expression de son visage.

— Pourquoi ?

Son regard s'arrêta sur mon Pip-Boy et ses yeux disparurent presque sous ses sourcils.

— C'est un des plus gros gangs du Commonwealth, dit-il finalement. Tellement soudés qu'on pourrait penser que c'est une secte.

Il se laissa tomber dans le fauteuil à côté de moi et reprit :

— Hé, j'ai bossé avec eux, mais j'avais juste besoin de thunes, ok ? J'ai jamais réussi à me faire à leurs... Enfin, c'est pour ça que je me suis barré.

Je hochai la tête comme si c'était la réaction appropriée ; je n'avais absolument pas besoin qu'il se justifie auprès de moi, qui était juste venue me perdre dans un bar de Goodneighbor.

— Mais toi. T'es qui ? demanda alors MacCready, comme s'il venait de se souvenir qu'on ne se connaissait pas du tout.

— Euh, Lily. Juste Lily. Et je bois une bière, dis-je en levant ma bouteille.

— Ok. Juste Lily. Mon prix, c'est deux cents cinquante capsules. Cash. Pas négociable.

Wow. Je me relevai, d'un coup. Les fauteuils rouges, les murs rouges. Mon teint, rouge. Je regardai MacCready de la tête aux pieds. Où étais-je, en fait ?

— Quoi ? Je cherchais juste du... bredouillai-je. Deux cents cinquante capsules... Quoi ?

— T'as pas l'habitude des mercenaires, toi, hein ?

Oh, wow. Je me rassis.

— Je peux buter tout ce que tu veux ! Te protéger des saloperies du Commonwealth... T'escorter en ville... continua MacCready.

Je réfléchis pendant un instant. Un mercenaire. Ce n'était pas si idiot, finalement. Quoique. Je n'avais pas de deuxième combinaison antiradiations. Sans parler du fait que ce type avait de toute évidence les Artilleurs aux trousses. C'était une parfaite recette pour un parfait désastre.

— Non, dis-je en me relevant pour de bon. Besoin de rien, MacCready.

Je finis ma bière d'une traite.

— Mais merci pour la proposition. Je tâcherai de m'en souvenir.

— Ok, juste Lily, fit MacCready en abaissant sa casquette pour me saluer. A plus.


J'entendis le jazz à l'instant même où je ressortais du salon. Une femme chantait. La scène n'était plus vide.

Sans la quitter des yeux, je m'assis négligemment au comptoir. Sans la quitter des yeux, je commandai une nouvelle bière auprès de Charlie, puis une autre.


I see you lookin' 'round the corner

Come on inside and pull up a chair

No need to feel like a stranger

Cause we're all a little strange in here.


Si elle avait vécu de mon temps, elle aurait pu grimper jusque tout en haut des charts. Ce n'était pas seulement sa voix - chaude, magnétique, comme si elle me tirait en avant pour arriver jusqu'à elle, c'était sa façon d'entourer son micro de ses mains, sa façon de replacer cette mèche de cheveux noirs derrière son oreille, sa façon de fermer les yeux quand elle chantait.


Have you got a history that needs erasing?

Did you come in just for the beer and cigarettes?

A broken down dream you're tired of chasing

Oh, well I'm just the girl to make you forget.


M'avait-elle regardée en prononçant ses derniers mots où était-ce mon esprit qui l'avait inventé ?


Now is your motor running close to empty?

Or are you runnin' from yourself?

You're thirsty for a brand new kind of pleasure?

Or are you hungry to be somebody else?


Ou peut-être était-ce toute cette bière, finalement. Peut-être que cette chanteuse n'existait même pas ; qu'elle n'avait pas écrit chacun de ces mots avant de les chanter précisément le soir où j'étais assise dans le Troisième Rail. Peut-être qu'elle n'existait pas ; et qu'elle n'avait pas chanté ces mots que j'imaginais être pour moi.


So sit down your pretty face

You came to the right place

Oh, where every night it starts once more

I'm telling you friend, your search is at an end

Cause I'm the one you're lookin' for.


Elle m'avait regardée. J'en étais sûre, cette fois. Elle relâcha son micro. La musique du juke-box s'arrêta. Elle lissa les pans de sa robe rouge, regarda autour d'elle, et vint s'asseoir au bar. Toute sa gestuelle était éthérée, tout en elle respirait la beauté, la vraie, de celles des peintures ; de ses pas jusqu'à la façon de tendre la main vers Charlie pour attraper une bouteille de bière.

— Alors ? Vous avez aimé ma chanson ?

Elle se tourna vers moi. J'ai adoré. Bien sûr, c'était superbe. Vous avez un don.

— Oui.

Elle se mit à rire, d'un rire cristallin, céleste, parfait, comme tout le reste.

— Magnolia, dit-elle en me tendant une main.

— Lily.

— Vous n'êtes pas comme les autres, vous, dit-elle avant de lâcher ma main qu'elle avait tenue juste quelques instants de trop. Ne dites rien. Chut. Laissez-moi deviner.

Elle planta ses yeux dans les miens et, nerveusement, je passai ma main dans mes cheveux. De quoi pouvais-je bien avoir l'air ?

— Vous êtes une survivante, n'est-ce pas ? Je parie que le monde entier pourrait se mettre en travers de votre chemin et vous continueriez quand même à avancer.

— J'imagine qu'on peut dire ça, dis-je avec un sourire aux joues rosées.

— Et qu'est-ce qui vous amène dans les tréfonds de Goodneighbor ?

— Vous ne voulez pas essayer de deviner ?

Elle gloussa.

— J'imagine qu'on essaye tous d'oublier quelque chose, en venant ici, dit-elle en buvant un peu de sa bière. Je pense que nous allons bien nous entendre, vous et moi.

Je gloussai à mon tour.

— Comment quelqu'un comme vous s'est retrouvé à Goodneighbor ? fis-je en rapprochant mon visage du sien.

— Comme tous les oiseaux égarés du monde : poussé par le vent des regrets, dit-elle sans cesser de me regarder.


Mon nez toucha la pointe de son nez.



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