Femme de super-héro
Quand j'ouvre les yeux, je suis étendue sur la neige. Ma chevelure répandue autour de ma tête m'offre un oreiller bien maigre. L'air me revient et ma poitrine se soulève brusquement. Je redresse la tête et crache de l'eau à côté de moi. Une toux m'esquinte la gorge alors que je retombe lourdement sur le sol, me roulant sur le côté. Elle meurt avec le peu de force qui me restait. Pourtant, je suis bien vivante. J’inspire profondément, tirant sur mes poumons et embrasse cet air qui m’a manqué.
Le lac auquel je viens d’échapper apparaît dans mon champs de vision. L’eau est encore troublée par les remous que nos corps ont causé et des morceaux de glaces flottent de manière épars. Il y a quelque chose dans ce lac qui me terrifie. La voix de Logan me ramènent vers lui, comme une barque qui atteint la rive. Je me redresse sur le lit de neige et lève les yeux vers mon sauveur. Le propriétaire du chalet est prêt de lui avec son fusil et son chien non loin. Ils ont du comprendre rapidement qu’il m’était arrivé quelque chose.
« Hina, tu m'entends ?»
Haletant, Logan me fixe, à demi penché sur moi. D'après son regard, je dois être très mal en point. Une ride d'expression tranche la moitié de son front en deux tant ses sourcils sont froncés. Ceci n'est pas inhabituel chez lui. Mais pour la première fois depuis que je le connais, je décèle une lueur singulière dans ses yeux. Il est trempé lui aussi. C’est lui qui m’a extirpé des eaux. Mes muscles se contractent sous des tremblements, ma peau ne doit plus avoir beaucoup de couleur à présent. Je veux lui répondre mais tout son qui sort de ma bouche est brouillé par le claquement de mes dents. Il me soulève. J'ai l'impression d'être un glaçon qui pèse des tonnes. C'est comme si mon sang était devenu aussi solide que la glace.
J'ai du mal à garder les yeux ouverts. Logan me tient contre lui. Je perçois vaguement les bruits de son cœur. Lui aurais-je fait peur ? La neige se met à tomber avec douceur. Les flocons atterrissent sur ma joue. Le visage offert au ciel, je cligne les yeux en recevant d'autres. Nous parcourons quelques mètres. A vrai dire, je suis tellement engourdie que je ne perçois les choses qu'à moitié, si ce n’est les lourds pas de Logan battant la neige.
Une fois au chalet, des bruits de pas se mêlent à des voix familières. La femme du propriétaire et deux voisins sont venus en renfort. La première m'aide à me sécher. D'après ses paroles, je suis un glaçon vivant. Elle se demande s'il y a encore du sang dans mes veines tant mon visage semble exsangue.
Les quatre personnes s’agitent autour de moi. Impuissante, je les laisse faire en commandant à mon corps indomptable de se réchauffer. Pour la énième fois de ma vie, j’ai échappé à la mort. La possibilité que j’aurais pu me noyer, englouti par ces eaux glaciales, vient me hanter l’esprit. Bien vite, je me rassure, me réconforte en m’ancrant dans l’instant présent. Je ferme les yeux un instant. Quand je les rouvre, tout le monde est parti. Seul Logan est assis sur le bord du lit, près de moi.
A présent sèche, je suis emmitouflée sous de grosses couvertures de laine. Les rideaux sont tirés. La chambre baigne dans la lumière tamisée de la lampe de chevet. Le chauffage est certainement réglé au maximum. Malgré les chaussettes épaisses et toutes ces dispositions, je ne sens plus mes pieds. Toutes mes extrémités sont devenus imperceptibles. J’inspire. J'ai l'impression que mon corps a perdu sa température normale pour toujours.
«Tu as repris des couleurs, on dirait. » me fait Logan.
Il pose une tasse de tisane chaude sur le chevet. Je me blottis contre lui et, malgré mes mains froides, il ne me repousse pas. Bien au contraire, il s'allonge près de moi et me prend dans ses bras. Je me cache contre son torse puissant et me réchauffe dans l'étau de ses bras. J’hume son odeur. C’est ce que j’aurai du faire ce matin avant de partir. Sentir son odeur une dernière fois. Que Dieu entende mes prières et me laisse, au moment de ma mort, serrer Logan une dernière fois. Je me rend compte qu’au moment de me noyer, c’était ce qui me rendait le plus triste.
J’ai l’impression d’être un être impitoyable, le genre de femme en détresse en attente de son héros. Pourtant, je n’ai jamais voulu ça. Etre indépendante, libre, ça a toujours été ma vocation. Soudain, je me rappelle de quelque chose:
« I-il y avait... » bégayé-je.
-Hm ?
-Il y avait quelqu'un. Dans l'eau.
-J'ai rien vu en arrivant.
Il me caresse les cheveux, frotte doucement mon dos en embrassant le sommet de crâne. D'habitude, je me met à gesticuler en sentant sa barbe de trois jours me chatouiller. Là, c'est à peine si la sens m'effleurer.
« I-il faut y retourner. »
-Pas maintenant.
Il a raison. Ce n'est pas comme si j'étais en état d'y aller. Ni physiquement, ni mentalement d'ailleurs. Mes tremblements cessent peu à peu. Mais l'air doit devenir étouffant dans la pièce, car Logan retire sa chemise de bûcheron. Il m'étreint à nouveau. Nous savons tous les deux que la chaleur corporelle est la plus efficace. J'approche une main vacillante de sa joue, colle mes lèvres bleues contre les siennes et ferme les yeux lorsqu'il accède à ma demande tacite.
Son corps tout entier recouvre le mien. Il émet un soupir sourd au contact glacial de ma peau. Je sais que ça ne doit pas être agréable. Sa langue heurte sauvagement la mienne et réveille en moi de profondes émotions. Malgré ma faible mobilité, je me surprend à souhaiter l'emboîtement de nos corps.
-Tu m’as fait peur tout à l’heure, me sermonna-t-il dans un murmure.
- Je me suis fait peur aussi.
Il afficha un sourire en relevant les cheveux qui me tombaient devant les yeux.
-Ah ouais? J’croyais qu’une femme comme n’avait peur de rien.
-Hey, je t’interdis de te moquer! C’est toi le super-héros ici!
Sans force, je lui donnai une tape sur l’épaule en égrenant un léger rire. Il emprisonna ma taille dans ses bras robustes et pressa sa joue contre ma poitrine.
-J’ai peur tout le temps. Pas pour moi, parce que ça fait longtemps que j’ai compris qu’il ne m’arriverait rien. Mais pour tout ceux dont ce n’est pas le cas.
Je passai mes bras autour de sa nuque et enfoui mon visage dans ses cheveux d’ébènes.Comme ils sentaient bons. Sans parfum, ni autre artifice. Ils avaient simplement l’odeur de ce vieux savon dont il se servait pour sa douche.
-C’est ce qui fait de toi le grand homme que tu es.