La vengeance de l'ombre
Mulder arriva à Wilmington, a une cinquantaine de kilomètres au sud de Philadelphie, sous le soleil du début d'après-midi.
Les rues larges étaient entretenues, les commerces étaient ouverts et bourdonnaient d'une activité tranquille. La ville aurait pu paraître accueillante si disparitions et meurtres n'y étaient pas devenus chose courante depuis un mois.
Quatre corps retrouvés, mutilés avec une expression de souffrance atroce sur le visage, chacun a une semaine d'intervalle.
Deux hommes et deux femmes, entre 22 et 77 ans. Les cadavres avaient été a chaque fois abandonnés dans des lieux différents, et retrouvés par des promeneurs ou des automobilistes.
Le bureau du FBI de Philadelphie avait réclamé la présence de Mulder, présentant cette affaire comme des meurtres n'ayant pas de liens entre eux, ce qui de prime abord semblait être le cas.
Philadelphie souhaitait tout de même son expertise sur place en qualité de consultant, misant sur sa profonde connaissance en psychologie et sa capacité à cerner les tueurs. L'enquête locale était a ce jour au point mort.
Mais Mulder n'était pas dupe, il avait flairé le danger : il ressentait une similitude troublante avec une affaire qu'il avait résolue trois ans plus tôt. Il venait alors de rejoindre le bureau de Washingon après ses études de psychologie et criminologie à Oxford.
Le tueur, Alex Newman, sévissait à Philadelphie même. Il avait des méthodes sadiques, il torturait puis tuait ses victimes, hommes et femmes, de tout âge et race, de toutes catégories socio-professionnelles et familiales. Ce qui rendait son profil complexe et les liens entre les crimes difficiles à prouver. Il semblait choisir ses victimes avec un hasard glaçant. Plus que cela, il brouillait les pistes: il faisait parfois des mises en scènes pour présenter ses cadavres, tantôt sataniques, parfois comiques ou encore avec des poses a connotation sexuelles.
Dans d'autres cas il se contentait d'abandonner simplement le corps du supplicié au bord d'une route, tel un vulgaire déchet. Il n'avait aucune logique et aucun rituel précis, la seule similitude étant la jouissance profonde dont il se galvanisait à la vue de la souffrance et de la terreur de ses victimes.
Mais Mulder avait su, trois ans plus tôt, lire entre les lignes et avait profilé d'une main de maître ce criminel pour l'écrouer. Il avait mené cette enquête avec ferveur avec son coéquipier d'alors, ainsi qu'avec une aide secondaire du bureau de Philadelphie. La traque et la capture de Newman, qui avait fait des aveux complets, avait été une victoire écrasante, propulsant Fox comme l'un des meilleurs éléments du bureau.
Il avait été couvert d'éloges, et était devenu la coqueluche de ses supérieurs.
Cependant, un vice de procédure dans le dossier avait été utilisée par l'avocat du meurtrier : au lieu de purger sa peine de 198 ans de réclusion, le criminel n'en avait fait que trois derrière les barreaux, puis il avait été libéré à cause de cette stupide bavure dans le dossier.
Il y a six mois, lorsque Mulder avait appris sa libération, son cœur avait bondit de rage, le souvenir des corps mutilés des victimes palpitant a son esprit en un cri d'injustice muet.
Les coïncidences étaient donc frappantes, le timing troublant. Mais il ne fallait pas tirer de conclusions attives, toutes les pistes restant ouvertes pour l'instant.
C'est avec cette sombre réflexion que Mulder gara sa Taurus noire. Il fut accueilli au commissariat par le lieutenant Benton, chargé de l'enquête locale. C'était un homme d'une cinquantaine d'années bien entamée, massif aux cheveux déjà gris et a la moustache proéminente.
Il fut ensuite salué par le sergent Miller, une jeune femme d'une trentaine d'années, a la longue queue de cheval brune, ses yeux vifs et sa posture dynamique dégageant une force tranquille.
A coté d'eux se trouvait également l'agent spécial Peterson du bureau du FBI de Philadelphie, un quarantenaire cravaté a la mâchoire carré dont la rigidité semblait n'avoir d'égale que son mépris pour les deux policiers locaux, qu'il jugeait manifestement inférieurs a lui. Mulder l'avait brièvement croisé lors de sa chasse a l'homme dans l'affaire Newman, il y a 3 ans.
Ensemble, ils firent le point sur la situation actuelle et recoupèrent leurs peu de preuves respectives. Le tueur était méthodique et ne laissait pas d'indices.
Le sentiment de malaise de Mulder s'intensifia. Il soupira, puis se lança :
"-Je pense qu'aucun d'entre vous n'a oublié les horreurs et atrocités comises a Philadelphie il y a 3 ans. Newman est un fou furieux dangereux, extrêmement sadique, qui ne recule devant rien. Sa libération il y a 6 mois lui donne la possibilité de sévir a nouveau. Il faudra être méthodique et travailler ensemble efficacement si nous voulons...
-Vous pensez qu'il s'agisse de Newman?, le coupa Peterson. Franchement Mulder, je pense que vous faites fausse route. Aucun des cadavres ici n'a été retrouvés dans des mises en scènes bizarres ou... ou sataniques. Je pense , si vous me le permettez, qu'il s'agit de meurtres isolés, n'ayant rien a voir les uns avec les autres, et comis par des personnes différentes et particulièrement dérangées.
Mulder releva lentement la tête vers son collègue de Philadelphie.
-C'est une hypothèse... intéressante, poursuivit lentement Mulder, tentant de faire preuve de diplomatie. Nous ne devons écarter aucune piste, mais je vois déjà assez de similitudes dans les meurtres actuels pour que la piste soit explorée. Et je vous rappelle, Peterson, que trois des dix victimes de Philadelphie n'avaient elles aussi aucune mise en scène étranges ou sataniques.
-Enfin Mulder, ce type est sortie de prison il y a 6 mois, pourquoi avoir attendu tout ce temps pour recommencer a tuer? Si vous voulez mon avis Mulder, Newman s'est fait la malle depuis belle lurette, envolé pour l'Amérique du Sud, peut être même en l'Europe allez savoir... Pourquoi serait il resté ici pour perpétrer de nouveaux meurtres, en prenant le risque de se faire prendre en terrain connu? Ça n'a absolument aucun sens!", renchérit Peterson .
Mulder le fixa de ses yeux vert, se demandant intérieurement depuis quand il n'avait plus entendu l'expression "belle lurette". Peterson commençait déjà a lui taper sur les nerfs, avec son costume sur mesure, sa montre de luxe et ses idées supérieures. Sans doute n'appréciait-il pas qu'un agent de Washington vienne mettre le nez dans sa juridiction, mais c'était ainsi. Ils devaient tous avancer ensemble dans cette sombre affaire.
Le lieutenant Benton et le sergent Miller assistaient a la scène, sentant la tension montée dans la conversation.
"Bien, toussota finalement Benton. Voilà qui suffira en guise d'introduction. Merci a tous les deux de venir nous épauler dans cette affaire qui est, pour nous, une impasse je dois bien l'admettre."
Le lieutenant Benton, après cette mise au point et sous le regard méprisant de Peterson, proposa à Mulder de faire un tour en ville accompagnée du sergent Miller. Celle-ci lui ferait visiter le centre-ville, lui laissant prendre ses marques, faisant le tour des différents points stratégiques où le tueur aurait pu repérer ses victimes.
Miller proposa à Mulder de partir à pied, pour être plus proche des lieux et des habitants. La jeune femme était très impliquée dans l'enquête, connaissant les moindres détails connus et discutant avec ferveur de chaque indices potentiels. Elle lui posa des questions tout à fait pertinentes, preuve de son intelligence et de son intuition évidente.
"-Si vous voulez mon avis, agent Mulder, murmura t elle, je pense que vous avez raison pour Newman."
Mulder remarqua qu'elle avait accentué le "si vous voulez mon avis, agent Mulder" avec une inflexion qui ressemblait de manière convaincante au ton de Peterson au commissariat. Mulder sourit, le sens de l'humour de la jeune femme ne lui ayant pas échappé.
Ils poursuivirent leur visite du centre ville, croisant habitants, écoliers rentrant chez eux, commerçants sur le pas de porte de leurs magasins. Wilmington semblait être une petite ville tranquille où il faisait bon vivre, où chacun saluait son voisin et prenait soin les uns des autres. En apparence.
"-A ce soir, sergent !"
Plusieurs habitants les hélèrent au passage, et Mulder interrogea la jeune femme sur ce qu'il se passerait ce soir.
-Avec la permission du lieutenant Benton, j'ai créé un club de self-défense avec l'officier Watson, où chacun peut venir afin de s'initier à des techniques de défense basiques mais efficaces. Cela me semblait être une bonne idée pour rassurer et unir les habitants... dans ces temps troublés "
Elle rougit sous le regard perçant de Mulder.
-C'est une excellente idée en effet, répondit-il a la jeune femme, qui fut visiblement soulagée de son approbation.
Mulder était positivement surpris, le sergent Miller faisait preuves d'initiatives rafraîchissantes, et cela renforça l'estime qu'il avait de suite ressenti pour d'elle.
De retour dans sa chambre de motel, Mulder fit un rapport préliminaire de cette première enquête et l'envoya au directeur adjoint Anderson, de qui il dépendait pendant chaque enquête.
Il décida ensuite de se rendre au gymnase pour assister au cours de self-défense du sergent Miller. Il y verrait une bonne partie des habitants, et pourrait peut être trouver quelques indices intéressants. La ville n'était pas grande, et le gymnase proche: il partit donc a pied.