La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé
Chapitre 37 : L'héritier.
Bien des années ont passé. L'Alliance de Lordaeron s'était disloquée avec le temps. Le Mur de Grisetête avait été édifié, séparant Gilnéas du reste du monde. Le royaume de Stromgarde, quant à lui, avait déjà quitté l'Alliance suite à la décision du roi Terenas de ne pas faire exécuter les orcs détenus dans les camps. Quant aux hauts-elfes, ils retournèrent dans leurs terres du nord et ne renouvelèrent pas non plus leurs vœux de loyauté envers l'Alliance.
Les années de guerre contre les orcs s'effaçaient peu à peu, ne laissant plus dans les mémoires que le spectre de combats redoutables. Leur conquête d'Azeroth avait échoué, et les orcs, enfermés pour la plupart, se vautraient dans la fange des camps.
Ce qui révoltait le jeune Thrall, orc domestique du seigneur Landenoire qui s'était échappé de sa prison où il servait de gladiateur à son maître. Avec l'aide de son amie humaine, Taretha Foxton, Thrall avait pu s'évader, et retrouver les siens, cachés dans des souterrains depuis des années.
Ces orcs encore libres lui enseignèrent les rudiments de sa langue maternelle, leurs us et coutumes, et lui transmirent également leur attrait pour la liberté. Car le jeune Thrall n'avait jamais vécu parmi les siens, vivant captif des humains alors qu'il n'avait que quelques semaines.
Le chef de ceux qui l'avaient recueilli, le fier Grommash Hurlenfer, avait bien perçu le sens de l'honneur et la fierté de ce jeune orc qui avait été trouvé dans un lange arborant l’emblème des Loup-de-givre.
N'ayant jamais vécu parmi les siens, Thrall ne comprenait pas pourquoi ce qui semblait être une race de fiers guerriers ne levait pas le petit doigt pour se libérer de ces infâmes camps d'internement.
- Tu ne peux savoir ce que cela fait, jeune Thrall. Nous autres qui nous sommes laissés tentés par le démon, en payons le prix à présent.
- Tu penses que c'est ce qui explique l'apathie des nôtres dans les camps, chef Hurlenfer ? demanda humblement Thrall.
- Je ne m'explique pas autrement que notre nature guerrière soit ainsi bridée ! répondit Grom de ses yeux rougeoyants.
- Et pourtant, toi et les tiens combattez ce mal chaque jour, fit Thrall avec fierté.
Ce jeune orc lui redonnait espoir. Tout d'abord amusé par sa verve et son enthousiasme, Grom finit par voir en ce jeune orc l'espoir de voir son peuple renaître de ses cendres. Il lui trouvait les mêmes qualités qu'un autre orc, ami de longue date et à ce jour toujours libre, c'est pourquoi, après l'avoir enjoint à retrouver son propre clan, les Loup-de-givre, Grom entreprit de contacter cet orc légendaire dont les rêves allaient probablement pouvoir se concrétiser. Car il venait peut-être de trouver son héritier.
W
Après des semaines à éviter les fortifications humaines, Thrall avait fini par trouver les orcs de son clan. Au fin fond des montagnes d'Alterac, il y découvrit un clan noble conservant ses pratiques chamaniques qui leur permettaient de survivre.
D'abord accueilli comme un étranger, il dût faire ses preuves d'humilité, puis de force, afin de mériter sa place et son titre. Car il s'avéra être le fils de Durotan, chef du clan Loup-de-givre assassiné lors de la Première Guerre entre les humains et les orcs. Une histoire que Drek'Thar, le vieux chaman et représentant du clan en l'absence d'un chef, lui enseignerait avec le temps.
Comprenant vite les affinités du jeune Thrall avec les éléments, Drek'Thar en fit son élève, et lui apprit à les écouter et à les solliciter.
Peu à peu, Thrall trouvait sa place au sein de son clan, et prenait une part active à leur vie dans les montagnes.
Un jour, alors qu'il rentrait d'une journée de chasse, il découvrit un nouveau venu parmi les Loup-de-givre.
Cet inconnu, un orc immense encapuchonné et dont la longue cape sombre cachait le corps entier, tenait un bol de ragoût, scruté par les orcs du clan qui semblaient lui montrer un certain respect. Même Drek'Thar, son maître, semblait le considérer. Et, alors que Thrall ouvrit la discussion, l'étranger ne répondait que succinctement et gardait près de lui un sac qu'il ne laissait personne toucher.
Derrière lui était assise au sol une fine silhouette également emmitouflée dans une longue cape, l'air misérable. Après que Thrall l'eut questionné, l'étranger expliqua qu'il n'était nul besoin de s'en préoccuper, et lança quelques restes en guise de repas à la créature qui semblait craintive.
Outré, Thrall proposa qu'on le traite ainsi, et, pour toute réponse, l'inconnu pouffa.
- Cette créature m'appartient, gronda-t-il. Elle mange si je le désire, elle me sert quand je le désire, dit-il, un sourire vicieux déformant son visage.
Cet orc lui rappelait Landenoire, qui avait fait de la jeune humaine Taretha Foxton, l'amie de Thrall, sa maîtresse. Thrall n'avait pas compris tout de suite le sens du mot « maîtresse ». À présent, il faisait face à un orc qui osait lui aussi soumettre une jeune femme à ses ignobles et bas instincts.
- Et ce que désire mon poing c'est de s'écraser sur ta face, étranger, menaça Thrall.
- Thrall, entonna Drek'Thar pour le remettre à sa place.
- Non, maître, je ne peux me taire quand je vois l'un des nôtres traiter son prochain en esclave.
- Comme tu l'as été, jeune Thrall, se moqua l'immense orc. Un orc digne de ce nom ne se laisserait pas dominé par un humain, et le laisser s'essuyer les pieds boueux sur sa face.
À présent hors de lui, Thrall se leva et défia l'inconnu :
- Je ne tolérerais pas ton attitude une seconde de plus. Tu aimes t'en prendre aux faibles, viens-donc et affronte-moi ! Je te montrerai ce qu'est la fierté orque.
L'étranger se leva à son tour, et Thrall constata qu'il était encore plus impressionnant qu'il le pensait. Il sortit de son sac l'arme la plus énorme que Thrall ait jamais vu : un immense marteau de guerre noir dont il empoigna la garde et qu'il souleva avec aisance. Il arracha sa cape, dévoilant une armure de plaque complète, noire elle aussi. À l'évidence, cet orc avait dû emplir d'effroi plus d'un ennemi sur le champ de bataille. Les autres membres du clan reculèrent, à la grande surprise de Thrall, qui en déduit qu'il ne recevrait aucune aide de son clan. Drek'Thar, quant à lui, sourit, ce qui scandalisa Thrall encore davantage.
La créature qui suivait l'inconnu recula également, recroquevillée sur elle-même et ajustant sa capuche.
- Tu me défies, jeune Thrall, annonça l'étranger. Tu sauras alors ce qu'il en coûte de me provoquer.
Il s'avança vers Thrall qui empoigna le javelot que lui tendit l'un des siens. L'étranger lança une attaque si violente qu'il brisa le javelot qui, de toute façon, n'aurait supporté aucun coup porté par une telle arme. Thrall se retrouva sans arme, face à un adversaire plus imposant que lui, portant une armure complète et un marteau de guerre à la taille démesurée. Quelle chance avait-il de sortir indemne de ce combat ?
C'est alors qu'il se souvint de l'entraînement qu'il avait suivi, chaque jour depuis qu'il avait six ans, chaque geste étant parfaitement ancré dans son corps qui se remémora naturellement l'enchaînement qui lui permettait de désarmer un adversaire à mains nues.
La manœuvre aurait réussi si l'étranger n'avait pas tiré sur le marteau dont Thrall avait pourtant réussi à attraper la garde en s'élançant vers lui à une vitesse surprenante. Sous l'effet du poids et de la surprise, le jeune orc vacilla et tomba, laissant la possibilité à son adversaire de l'enjamber. L'étranger ne vit pas les pieds de Thrall se placer autour d'une de ses jambes et se raidir, lui faisant perdre l'équilibre. L'orc immense tomba à son tour, et Thrall en profita pour frapper la main qui tenait le marteau de guerre. L'étranger poussa un grognement et lâcha son arme, que Thrall réceptionna et souleva malgré le poids surprenant du marteau.
Se tenant à présent debout au-dessus de son adversaire, il hésita à abattre l'arme. Ce duel ne devait servir qu'à enseigner une leçon à cet abjecte inconnu, pas à le tuer.
Ces quelques secondes d'hésitation permirent à son adversaire d'utiliser sa botte précédente contre lui. Il bloqua son pied et le déséquilibra, ce qui lui donna l'opportunité de le chevaucher. Thrall se retrouva alors au sol, le cou serré par deux énormes mains vertes. Sentant la vie le quitter, et perdant son souffle, Thrall rassembla ses forces et sa volonté pour se tortiller et faire basculer l'étranger sur le côté, malgré le poids de l'armure.
La furie sanguinaire prit le dessus, et Thrall tenta lui aussi d'étrangler l'orc inconnu qui commençait à suffoquer à son tour. La rage l'envahissait, tandis qu'il perçut malgré son état de transe la créature qui s'approchait d'eux.
Huit de ses frères le tirèrent en arrière et le retinrent le temps que la furie sanguinaire se dissipe. Haletant, il observait l'étranger masser son cou un peu plus loin, et attendit que le voile rouge devant ses yeux s'évanouisse pour entrevoir la scène.
- Tu l'as bien mérité, dit la créature qui s'affairait auprès de l'étranger.
Thrall vit l'orc assis au sol s'esclaffer, tandis que la femelle étrange semblait... le sermonner.
Encore sous l'effet de la furie sanguinaire, et reprenant conscience peu à peu, il ne comprenait pas ce qui se jouait devant lui.
L'étranger pivota pour le dévisager, puis, voyant que Thrall avait repris ses esprits, il s'approcha pour lui faire face. Une fois à son niveau, l'inconnu se cambra en arrière pour lancer un rire homérique au nez de Thrall qui en resta hébété. L'étranger se reprit, puis lança :
- Il en fallait des tripes pour me défier, moi ! entonna-t-il, encore amusé.
L'orc proposa sa main pour aider Thrall à se lever à son tour. Le jeune Loup-de-givre empoigna la main tendue, toujours dans l'incompréhension.
L'inconnu reprit :
- Jamais orc ne m'avait battu à ce jour, à par ton père, bien sûr, dit-il en toute humilité. Il serait fier de toi, Thrall.
Son regard était à présent bienveillant, laissant Thrall sombrer un peu plus dans l'incrédulité.
- Hurlenfer n'avait pas menti à ton sujet, à propos de ta fierté, de ta force. Tu es celui que nous attendions pour nous aider à libérer les nôtres de ces infâmes camps. Me suivras-tu en tant que lieutenant, jeune Thrall ?
À présent déterminé à faire valoir ses droits, Thrall se renfrogna :
- Je t'ai battu, étranger. Cela ne me donne-t-il pas le droit de te commander ?
- Oh, Thrall, fit Drek'Thar qui s'approcha d'eux. N'as-tu pas encore compris ?
- Compris quoi ? demanda Thrall, éberlué.
Il vit la créature sourire par-dessus l'épaule de l'étranger. Il commença à s'impatienter lorsque l'inconnu lui fit face :
- Compris qui je suis, fils de Durotan. Mon nom est Orgrim Marteau-du-destin.
W
La nouvelle fut un tel choc que Thrall s'en prit à son maître. Drek'Thar lui avait en effet caché la vérité, car Marteau-du-destin voulait évaluer le jeune Loup-de-givre et l’éprouver. Malgré tout, Thrall s'en voulait de ne pas avoir reconnu le célèbre marteau-du-destin ainsi que l'armure noire revêtue par le Chef de guerre des orcs.
- Ne lui en veut pas, Thrall, dit Orgrim. C'est moi qui lui ai demandé de jouer cette petite comédie, qui n'était pas du goût de tout le monde, je l'avoue, dit-il en direction de la femelle encapuchonnée derrière lui.
- Qui est-ce donc ? demanda Thrall. Si tu en a fait ton esclave, sache que je ne...
- Ne crains rien, mon ami, le rassura Orgrim. S'il y a un esclave ici, c'est bien moi, sourit-il tandis que Keera attrapa la main qu'il lui tendait et releva sa capuche.
Thrall en resta bouche bée. La femelle ressemblait à un être sorti tout droit de contes de fées. Infiniment plus belle qu'une humaine, les yeux dorés et les traits parfaits, presque surnaturels. Et ces deux-là seraient...
- Je suis Keera, Keera Marteau-du-destin, enchantée de faire ta connaissance Thrall, dit la princesse. Et excuse-nous pour cette farce de mauvais goût, ajouta-t-elle, l'air pincé.
- De mauvais goût ? reprit Orgrim. Tu n'as pas ri ?
- Si, répondit Keera. Surtout quand il t'a cloué au sol pour t'étrangler, dit-elle, dubitative.
- Pah ! Je l'ai bien provoqué, je l'admets, et j'ai reçu plus que je n'en demandais, fit-il en serrant son cou.
- Toutes mes excuses, grand Chef de guerre, s'offusqua Thrall. Si seulement j'avais su...
- Et la surprise aurait été gâchée. Allons Thrall, ne t'offusque pas. Allons plutôt marcher un peu, tous les deux, proposa Marteau-du-destin.
Thrall commençait à peine à réaliser. Il se souvenait des livres que son amie Taretha lui avait prêtés en cachette de leur maître. Plusieurs d'entre eux narrait les guerres contre les orcs, et tous parlaient d'Orgrim Marteau-du-destin avec respect. Son combat contre le seigneur Lothar avait été épique, et son sens de l'honneur n'avait apparemment pas échappé à certains historiens.
Et cet orc légendaire, le meilleur ami de son père, se tenait à présent à ses côtés.
Après un moment de silence, Orgrim dévisagea Thrall, qui put lire sur son visage de la nostalgie emprunte de tristesse. Orgrim repensa à Durotan, à la peine qu'il ressentit à l'annonce de sa mort, et aussi la disparition de son enfant. Mais l'enfant était bien vivant, et là, devant lui. Orgrim sourit :
- Tu as le regard de ton père, Thrall. Et son sens de la justice.
- Mais j'ignore encore tant de choses, sur mes parents, sur mes origines, et l'histoire de notre peuple.
- L'histoire, nous allons la réécrire, affirma Marteau-du-destin. Apprendre de nos erreurs passées, et ne plus jamais céder au déshonneur. Thrall, j'ai fait des choix, dans le passé, qui ont mené la Horde à la défaite. Je me suis échappé de ma cellule, retrouvé ma compagne, et pris le temps de réfléchir.
- Et aujourd'hui, tu penses que nous sommes prêts à libérer nos frères des camps ? Juste parce que je le crie haut et fort ?
- Grommash a su entretenir la flamme guerrière de son clan, dit Orgrim. Un autre clan s'est formé et est prêt à nous rejoindre. Nous sommes prêts, Thrall. Et pour cela, nous avons besoin de ta fierté et de ta véhémence pour raviver la flamme de nos frères.
Thrall observait le Chef de guerre avec admiration. Le temps et la défaite finale de la Horde avaient dû lui peser, car par moment, il pouvait voir ses larges épaules s'affaisser légèrement à l'évocation de certains événements passés. Mais son regard vif dénotait de sa détermination, et son isolement forcé ne semblait pas avoir eu de prise sur sa volonté de libérer ses frères. La légende disait que s'il était encore en vie, il n'était plus que l'ombre de ce qu'il avait été, un guerrier fier et farouche brandissant son marteau de guerre noir et légendaire, et faisant face à n'importe quelle adversaire.
Mais Thrall pensait qu'Orgrim devait la quiétude qui émanait de lui à sa compagne. Une telle association l'avait surpris, car les livres d'histoire n'évoquaient que la pauvre princesse d'Alterac vendue au monstre qui dirigeait la Horde et qui avait disparu après la guerre. Il ne s'était pas attendu à une telle entente entre ces deux-là, bien qu'il fût l'un des rares orcs à pouvoir comprendre une telle mixité. Lui-même était devenu ami avec une humaine, et savait que l'amitié était possible entre personnes venant de peuples différents.
C'est donc le cœur rempli d'allégresse qu'il suivit son nouvel ami dans la neige immaculée du refuge des Loup-de-givre, et regagna la caverne de son clan.
W
Le plan qu'Orgrim proposait était simple, mais risqué pour Thrall. Les orcs libres se tiendraient prêts à attaquer un camp, cachés dans la forêt, pendant que Thrall se laisserait prendre par les humains et emmener dans le camp le plus proche. De l'intérieur, il insufflerait sa force et sa volonté aux orcs captifs et ferait une démonstration de ses pouvoirs chamaniques. Il leur prouverait que si on les appelle, comme avant, les éléments répondent et aideront leur cause parce qu'elle est juste. Une fois convaincus qu'ils pouvaient se libérer, ils suivraient Thrall et seraient couverts par les orcs cachés prêts à les protéger.
Thrall se savait activement recherché par son ancien maître Landenoire, mais avait accepté le plan sans une once d'hésitation.
La belle saison était bien installée, et ils quitteraient bientôt les montagnes d'Alterac et le refuge des Loup-de-givre qui, pour la première fois, sortiront de leur cachette pour gagner le sud des Contreforts de Hautebrande pour se battre.
Thrall apprit également beaucoup auprès de Marteau-du-destin, qui était devenu son ami, tout comme sa compagne Keera. Ces deux-là le surprirent à bien des égards. Car, bien qu'accoutumé à la vie chez les humains, et lui-même ami avec l'une d'entre eux, il trouvait leur couple surprenant. Depuis sa fuite du Fort-de-Durn, où il fut recueilli et élevé, il avait été frappé par la méfiance et la crainte des orcs envers les autres races. Et pourtant, Orgrim et Keera s'étaient apprivoisés l'un l'autre, plus naturellement que l'on aurait pu le croire. Leur histoire lui donnait du baume au cœur, car lui aussi se savait différent.
Orgrim prit le temps de lui raconter beaucoup d'anecdotes sur son père que même Drek'Thar ignorait. Il lui transmettait son savoir et son expérience, si bien que Keera eut l'impression de voir un père et son fils. Cette vision l'emplit à la fois de joie et de tristesse. Oreille-sage, qui était lié à Keera comme tout animal qui la ressentait, sentit son vague à l'âme et l'approcha. Il se blottit, tandis que la princesse passa sa main sur son épais pelage blanc.
- Voilà une vision qui nous rendrait nostalgiques pour un peu, avoua Drek'Thar qui s'était également approché.
- Une phrase bien étrange venant d'un chaman aveugle, se moqua Keera.
- Je les ai souvent vu en vision, Durotan et Orgrim, faisant la course ou se défiant au combat, poursuivit le vieux chaman. Et je ressens la même fraternité entre ces deux-là, montra-t-il du doigt. Le père et le fils amis avec un Rochenoire, un trio de nobles orcs à la peau dure et au grand cœur. Il ne faisait aucun doute qu'ils s'entendraient aussi bien, finit-il.
Keera sourit.
- Après tout, il est le fils qu'il n'a jamais eu, reprit-elle.
- Tout comme tu es la femme qui lui était destiné, ajouta Drek'Thar qui devinait ce qui la traversait. Il est peut-être l'orc de la prophétie du marteau-du-destin, tout comme Thrall, se risqua-t-il.
Keera pivota pour le dévisager.
- Drek'Thar, tu...
- O'nosh, Thrall doute de mes paroles, s'indigna Orgrim qui s'avançait vers eux, suivi du jeune Loup-de-givre. Dis-lui qui de nous deux gagne au bras de fer.
L'air amusé, la princesse répondit :
- Thrall, si tu remets en question ton Chef de guerre, je me vois dans l'obligation de te provoquer. Bras de fer ?
Thrall ne sut quoi répondre. Il n'imaginait pas un bras aussi petit tordre celui d'un orc, et ne voulait pas la blesser. Cependant, devant son insistance, il ne put se dérober :
- Bien, allons-y, acquiesça Thrall à contre cœur.
Le duel avait attiré la foule. Thrall et Keera s'installèrent par-dessus un rocher qui servirait de table, tandis qu'Orgrim souriait sournoisement. Il ne connaissait personne d'aussi fort qu'elle, et jubilait à l'idée de la leçon qu'allait recevoir le pauvre jeune loup-de-givre.
Et quelle leçon. Le duel fut fini avant même qu'il n'ait commencé. À peine Thrall eût-il positionné son bras et serré la main de Keera qu'elle poussa légèrement afin qu'il l'empoigne sérieusement, puis abattit son avant-bras lentement et avec délectation. Thrall luttait, et faisait preuve de force, mais ne faisait pas le poids face au maigre bras de la princesse.
La mine crispée, Thrall dût admettre sa défaite. Puis, alors qu'il se redressa, il se cambra et rit de bon cœur, soumettant l'idée que c'était elle qui devrait être Chef de guerre.
Fort intrigué, Thrall avait questionné Keera à propos de sa force inhabituelle. Réalisant qu'elle leur serait très utile pour la libération des camps, il avait besoin de comprendre l'origine de cette force.
C'est alors qu'il apprit qu'elle était la dernière représentante de son peuple, une race à présent éteinte qui détenait une force surnaturelle dans le but de défendre Azeroth de toutes les menaces et de la faire croître par la magie de la nature. Il apparaissait d'ailleurs qu'elle était à l'origine de l'apparition de gisements d'ambre au sud de Lordaeron.
- Près du lieu où j'ai été trouvée, les humains ont découvert des gisements d'une résine fossile appelée l'ambre. Après de nombreuses recherches, nos amis nains ont trouvé qu'ils étaient liés à une grotte sous-marine étrange.
- La fameuse grotte où tu aurais été emprisonnée il y a des milliers d'années, c'est bien ça ? demanda Thrall.
- Oui, une grotte qui fut submergée par la mer après que le continent se soit fragmenté. Elle aurait été repoussée jusqu'ici, poursuivit Keera. En tout cas, d'après leurs recherches géographiques.
Tous deux étaient installés autour d'un feu en compagnie d'Orgrim et de Drek'Thar. Ils écoutaient le récit de la princesse avec attention :
- Nous avons exploré la grotte sous-marine ensemble, et c'est là que nous avons retrouvé ma prison : un arbre de bronze, dans lequel j'aurais reposé. Et ce serait la fusion entre l'arbre et mon corps qui aurait formé la roche organique dans laquelle j'ai été enfermée. Le lieu qui l'exploite se nomme Moulin-de-l'Ambre.
- Tu es donc à l'origine de l'apparition de l'ambre, conclut Thrall, impressionné.
- Bien malgré moi, je t'assure, dit Keera.
- En tout cas, quand je me sens vieillir, je n'ai qu'à penser à ton grand âge pour me rassurer, scanda Orgrim, bien téméraire.
- Sauf que, en ce qui me concerne, mes cheveux resteront noirs alors que les tiens blanchiront irrévocablement, renchérit Keera.
- Et ce minerai aurait un rapport avec la couleur de tes yeux ? demanda Thrall, toujours intrigué par l'histoire de la princesse et ignorant la mine boudeuse d'Orgrim.
- Aucune idée, avoua Keera. Mais sois bien sûr que nos amis archéologues se penchent sur le sujet, le rassura-t-elle.
- Vous gardez donc contact avec ces nains ? les questionna Drek'Thar.
- Jusqu'à présent, nous avons eu raison de leur faire confiance, dit Orgrim. Et je leur suis reconnaissant d'avoir permis à Keera de connaître ses origines.
- Et oui, ils savent où et comment nous contacter, répondit Keera. Ils nous fournissent des griffons pour les rejoindre, et nous utilisons des oiseaux messagers pour communiquer.
Thrall parut heureux de constater que, parfois, les orcs se montraient assez accessibles pour accorder leur confiance à d'autres races. Il convint que Keera n'était sans doute pas étrangère à cette ouverture d'esprit, et qu'elle représentait un réel bienfait pour son peuple.