La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé
Chapitre 33 : Vers Loch Modan.
La basse saison touchait à sa fin. Keera et Orgrim avaient narré leur rencontre avec un nain explorateur, une race encore très méconnue des Chanteguerre. Ils s'en étaient tenus aux faits, et à la possibilité pour Keera d'en apprendre sur son identité et son passé. Grommash leur avoua que lui aussi se questionnait au sujet de sa force physique, mais, qu'au-delà de ça, il ne voyait pas en quoi elle était étrange. Les Chanteguerre n'avaient aperçu que de rares elfes jusqu'à présent, et manquaient de points de comparaison pour réaliser sa singularité.
Keera lui parla alors du message qu'elle avait reçu, et de l'importance de se rendre au point de rencontre.
- Et si c'était un piège, grommela Hurlenfer qui mâchait un bout de viande cuite.
- Il lui en coûtera la vie, dit Orgrim. Mais, je pense que nous pouvons le croire, il a eu plusieurs occasions de nous trahir.
- Je pense aussi que nous pouvons lui faire confiance, ajouta Keera. Tout se passera bien, Grom.
Elle sourit à Grom, ce qui le troublait toujours. Les orcs ne souriaient que rarement, et le plus souvent pour exprimer le plaisir de tuer.
Le message d'Hermand disait qu'il camperait près de Dun Algaz pour les attendre. En effet, à la base de Dun Algaz, plusieurs campements nains avaient été installés, protégeant ainsi le passage vers Loch Modan. Ce qui signifiait qu'ils devraient s'avancer avec prudence.
- Nous attendrons dans le sentier proche du point de rencontre pour rester à couvert, projeta Orgrim.
- Vous êtes sûrs de ne pas vouloir quelques chanteguerre avec vous jusque-là ? demanda Grom.
- Tout ira bien Grom, assura Orgrim.
- Dans ce cas, festoyons en votre honneur cette nuit !
Il fallait reconnaître aux Chanteguerre leur entrain à festoyer. Sur Draenor, lors du festival Kosh'harg, Orgrim se souvenait bien du clan le plus bruyant et frénétique lorsqu'il s'agissait de célébrer. Les Chanteguerre n'étaient pas non plus les derniers à provoquer les autres clans, faisant l'objet de vives remontrances, car Kosh'harg se tenait en Nagrand, considérée comme une terre sainte. Toute effusion de sang ou acte de violence y était donc prohibé durant le festival.
Orgrim dût même refuser plusieurs outres de vin que lui tendait un Grommash légèrement éméché, histoire de ne pas être trop embrumé au lever du jour.
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La plupart des Chanteguerre dormaient encore, ronflant bruyamment suite aux festivités qui avaient duré jusque tard dans la nuit.
Les oiseaux chantaient les louanges d'un bel hiver qui déclinait, laissant place aux bourgeons prêts à éclore aux premiers rayons du soleil.
Keera et Orgrim firent leurs adieux à Grom, ainsi qu'à Ethrok qui, visiblement, peinait à émerger.
- Tu as trop bu, le sermonna Keera. Ne les laisse pas t'inciter à la débauche.
- Je crois que c'est la première fois que je bois autant, désolé Na'an, s'excusa Ethrok.
Orgrim lui avait expliqué que le terme « Na'an » pouvait signifier un lien de parenté, ou un rapport de tante à neveu, comme chez les humains. De par son lien avec sa mère, Tula, Keera représentait une figure plutôt maternelle pour le jeune orc, et un adulte proche.
- Soyez prudents, les prévint Grom.
- Comme toujours, assura Orgrim qui l'épaula. Quant à toi, Grom, ne sois pas ton propre démon, dit-il un rictus aux lèvres.
Grom lui rendit son sourire sinistre, et se tourna vers la princesse qu'il épaula également :
- Keera, Orgrim est comblé à tes côtés. Pour cela, et pour ta loyauté envers les nôtres, sache que tu pourras toujours compter sur les Chanteguerre.
- Je serai toujours loyale envers mes amis, assura-t-elle en souriant. Je n'oublie pas ce que tu as fait pour Bazol et moi, Grom. Je comprends maintenant combien accepter une étrangère est contraire aux habitudes des orcs. Et pourtant, tu nous as accueillis, un orc blessé et une femelle étrange brandissant le nom de Marteau-du-destin.
Elle posa sa main sur la sienne, déjà posée sur son épaule. Cette scène toucha Marteau-du-destin, rejoint par Ethrok qui lui aussi observait la scène.
- Chef de guerre, Nakur et moi allons bientôt prendre la route. Nous trouverons ceux d'entre nous qui refusent de rallier Rend et formerons un nouveau clan, annonça Ethrok.
- Tes parents seraient fiers de toi, dit Orgrim. Sois fier de tes racines et bats-toi avec honneur.
- Je ferai honneur à ma lignée, à la Horde, et à mon Chef de guerre, affirma le jeune Rochenoire en bombant le torse.
Tout en s'éloignant aux côtés de Keera, Orgrim jura :
- Un jour, les orcs cesseront de se cacher et vivrons fièrement dans leur cité imposante et crainte de tous. En attendant, prions les Ancêtres pour les humains qui croiseront notre route et retourneront auprès des leurs.
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Affublés d'une longue cape de cuir dont le capuchon cachait leur identité, Keera et Orgrim s'approchaient du point de rencontre proposé par Hermand. Les vapeurs émergeant des marécages se réchauffaient, tandis que quelques cadavres de gnolls jonchaient les rives suite au passage du couple.
Plus loin, ils pouvaient apercevoir un campement au pied de la montagne. Ils s'arrêtèrent néanmoins là où ils avaient laissé Hermand la dernière fois. Keera demanda au vent de lui confirmer qu'il s'agissait bien de leur ami quand ils furent rejoints par un petit homme barbu :
- Z'avez point changé ma foi, rit Hermand en les voyant. Z'avez l'air en form' !
- Tout comme toi, Hermand, se retourna Keera surprise. Contente de te revoir.
Elle lui serra la main, puis le nain la tendit vers Orgrim qui le regarda d'un air déconcerté.
- La poignée d'main c'est pour dir' bonjour, promit Hermand devant la mine hésitante de l'orc.
Orgrim empoigna alors la main du nain et la serra fermement. Hermand répondit à son empoignade virile en serrant à son tour. Il semblait heureux de les retrouver.
Jetant un œil alentours, Hermand leur proposa de le suivre jusque sa tente.
Sous la tente, des objets très étranges étaient disposés sur une table de bois. Son équipement d'archéologie était rangé en biais contre un pan de la tente, près de sa couche.
Hermand les accueillit :
- N'hésitez pas à vous trouver un' place dans c'bourbier, l'temps qu'j'prépar' un'tit' r'montant.
Keera et Orgrim s'assirent donc sur une sorte de toile tendue au sol. Même assis, Orgrim était bien plus grand qu'Hermand. Tous deux scrutaient leur environnement, et Keera demanda avec une certaine impatience :
- Tu as pu retourner chez toi, Hermand ? Tu as appris des choses ?
Hermand se tourna vers eux, leur offrant un pichet de bière naine qu'ils acceptèrent. Il s'assit en face et répondit :
- 'me suis rendu chez l'père Futalenfer, un collègue de confiance, à qui j'ai parlé d'toi, princesse. Lui aussi est très intrigué.
- T'a-t-il donné quelques pistes ? s'enquit Keera qui n'avait pas encore touché à son pichet.
- En réalité, i'pense à plusieurs choses, mais sans grand' certitude. À Forgefer, y'a d'vieux manuscrits qu'il est parti r'garder pour vérifier un truc qu'il a en tête, en rapport 'vec tes yeux. Ça l'a fait penser à une légende.
- Quelle légende ? demanda Keera.
- Celle d'une race antique prov'nant du nord et qu'avaient les yeux ambrés. L'pote doit m'rejoindre chez moi, à Loch Modan. J'tiens un'tite masure d'l'aut' côté d'la montagne. Vous y s'rez en sécurité.
- Tu veux qu'on te suive jusque chez toi ? l'interrogea Marteau-du-destin.
- Z'êtes pas plus en sécurité ici qu'chez moi, j't'assure mon gars, reprit Hermand. Et j'peux appeler des griffons pour l'voyage. J'ai l'sifflet d'un pote Marteau-hardi.
- Bon, et quand partirions-nous ? s'enquit Keera.
- Quand vous voulez les gars, on s'ra mieux chez moi qu'ici ent' les gnolls et les Sombrefers.
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Le voyage leur prit plusieurs jours. Il fallut quelques haltes, le temps que le griffon d'Orgrim reprenne son souffle, peu habitué à un tel poids, bien que Keera et Hermand transportaient le marteau-du-destin pour alléger son fardeau.
Loch Modan était belle et verte, et Hermand prit la peine de les faire survoler le Loch, énorme lac qui traversait la contrée, majoritairement habitée de nains.
Hermand logeait dans une petite maison située derrière les montagnes à l'est de Thelsamar, la capitale de la région. L'endroit semblait tranquille, comme l'avait fait remarquer le nain.
Arrivés à bon port, ils laissèrent partir les griffons et marchèrent en direction de la « masure » d'Hermand. Orgrim se demanda alors s'il allait pouvoir s'installer dans un logis si petit.
La maison, entièrement faite de briques, était de forme ronde et partiellement enfoncée dans la montagne. Le toit était plat et recouvert de verdure.
- L'toit l'est bien bas, mais y'a la place pour trois, assura Hermand qui regarda Orgrim s'affaisser pour entrer.
- Trop étroit pour y dormir à trois, si tu veux mon avis, dit Orgrim.
- Nous pourrions plutôt dormir sous une tente à côté de ta maison, Hermand, suggéra Keera.
- C'est comme vous voulez, acquiesça le nain qui s'affairait déjà à fouiller dans sa besace. Bah, fait' comm' chez vous.
En réalité, l'intérieur de la maison était plus spacieux qu'elle n'y paraissait de l'extérieur. Divisée en deux pièces, la pièce de vie comprenant table, tabourets et une sorte de secrétaire rempli de livres et de parchemins. La chambre composait la seconde pièce.
Le couple fit un tour d'horizon de l'intérieur, puis Orgrim demanda :
- Que chasses-tu dans les parages ?
- L'ours noir principal'ment, sauf si tu préfèr' l'rampant, dit Hermand la mine dégoûtée.
- Rampant ? répéta Orgrim.
- D'gross' araignées velues et venimeuses, faut vr'ment avoir faim !
- Va pour l'ours noir, valida Orgrim qui sortit de la maison, un couteau à la main. Tu m'accompagne O'nosh ?
- Pourquoi pas, se laissa tenter la princesse.
- Fait' just' gaff aux troggs des environs, les prévint Hermand. Sont hargneux.
- Moins hargneux que mon marteau, garantit Orgrim.
Puis ils quittèrent la maison à la recherche du gibier promis.