Quai n°3
Glen venait d'arriver chez lui et s'était affalé sur le canapé de son salon, une bière à la main. Une pièce plutôt vide, démunie de toute décoration et de toute chaleur. Le strict minimum. Se sentir chez lui, lui importait peu, Glen savait que dans peu de temps il partirait à nouveau. Il avait beaucoup déménagé et à chaque fois, il refusait de s'attacher que se soit à la ville, aux gens ou à son logement car il savait que le départ serait difficile. De toute façon la plupart du temps, il avait du mal à s'y sentir bien et c'est aussi ce qui le poussait à s'en aller. Alors, le weekend, lorsqu'il voyait défiler chez lui tous ces hommes ou lorsqu'il se rendait chez eux, il savait pertinemment qu'il ne les reverrai jamais. Il s'en assurait en partant de chez eux le plus tôt possible, ou bien en se levant toujours le premier chez lui, prétextant aller au travail jusqu'au soir. Et d'ailleurs, lorsqu'il rentrait, personne ne l'attendait jamais.
Pourtant un soir, un jeune homme l'avait attendu. Glen l'avait retrouvé dans la cuisine, accroupi au dessous d'une fenêtre, drogué et en plein "bad trip". Il s'était alors occupé de lui toute la soirée, celui-ci refusant catégoriquement d'aller à l'hôpital. Un grand blond type suédois, au regard bleu, terne et vitreux, appelé John. En y repensant, Glen ressentait de la nostalgie, mais surtout du dégoût et de la rancoeur. Car cet homme n'était jamais vraiment reparti de chez lui depuis ce jour. Ils s'étaient installés rapidement ensemble, après être tombés follement amoureux l'un de l'autre. Au début, tout cela ressemblait de près au bonheur qu'ils avaient espéré. Mais très vite, et au fil des mois, John rentrait de plus en plus tard, prétextant un pépin au travail. Au départ, Glen l'avait cru. Mais ensuite sa patience ainsi que la confiance qu'il lui portait, avaient petit à petit laissé place au doute et à la colère. Et un soir, alors que John venait de rentrer, puant l'alcool et la cigarette à plein nez, Glen lui avait demandé des explications. Mais à son habitude, il continuait de mentir : "J'ai eu un problème avec la voiture" ou bien "Mon patron m'a retenu à propos de tel ou tel dossier".
- Ah oui, c'est dans vos habitudes de faire la fête au boulot ? lui avait répondu Glen.
Mais voyant que John continuait de faire comme s'il ne comprenait pas, il avait ajouté :
- Tu empestes l'alcool !! Tu n'es qu'un menteur, un salaud ! Et tu sais quoi ? Des menteurs j'en veux pas sous mon toit.
John l'avait supplié, ivre, jusqu'à se rendre ridicule, après lui avoir avoué son infidélité. Agrippé au t-shirt de Glen et au bord des larmes, il s'était confondu en excuses et avait redoublé de mots doux. Mais l'autre, sous l'emprise de la colère, l'avait frappé d'un coup de poing et jeté sur le seuil avant de lui lancer toutes ses affaires au visage et de l'insulter de tous les noms. Cette dispute avait alors mis un terme à leur relation malgré les quelques tentatives de réconciliation de John qui n'avaient mené à rien.
Cependant, ils s'étaient revus quelques mois plus tard. John avait sombré de nouveau dans la drogue et l'alcool à outrance. Son teint était devenu pâle, ses cheveux avaient perdu de leur couleur et de leur éclat, et ses yeux avaient terni davantage. Il ne souriait plus, parlait peu et ses mains squelettiques ne cessaient de trembler. En plus de sa nature pessimiste, leur rupture lui avait été insoutenable. Ils avaient beaucoup parlé ce jour là. Aux côtés de Glen, John avait retrouvé un peu de réconfort malgré la douleur d'un amour perdu. Il lui avait déclaré sa flamme comme au premier jour, et s'excusant encore et toujours, il lui avait confié qu'il avait changé et qu'il voulait plus que tout retrouver sa confiance. Glen n'avait pas cédé, lui rappelant ses fautes qui l'avaient tant blessé ainsi que la crainte de s'engager et de souffrir à nouveau. Mais au moment de se quitter, il n'avait pas su repousser le baiser que John lui avait donné. Et emprisonné à nouveau dans les bras de l'homme qu'il ne pouvait se résoudre à oublier, il n'avait pas trouvé la force de résister à ses avances. Quatre mois plus tard, il avait souffert à nouveau et se maudissait d'avoir été aussi naïf. Car John n'avait pas changé et ne changerait sûrement jamais. Et après leur seconde rupture, il s'était promis de ne plus tomber amoureux, et de ne plus jamais revoir celui qui l'avait changé en un homme désabusé et incapable d'aimer à nouveau.
C'est alors que Russel était apparu sur ce quai, un mois auparavant. Dès qu'il l'avait aperçu pour la première fois, Glen avait craint le pire. Ce visage et ces yeux l'avaient touché au premier regard. Et jusqu'au jour où il s'était risqué à aller lui adresser la parole, il n'avait jamais quitté son esprit. Glen avait alors pensé que s'il le connaissait davantage, ou que s'il couchait avec lui dès le premier soir, Russel ne deviendrait plus qu'un homme comme un autre et que ces étranges sentiments auraient disparu dès le lendemain matin. "Quelle stupidité !". Car bien entendu, rien ne s'était passé comme prévu et au final, l'indifférence de sa conquête au petit matin l'avait plus affecté que réjouit. Et le lendemain de cette nuit, il n'avait cessé de penser à lui jusqu'au soir, regrettant alors son audace maladroite et trompeuse ...