Change

« L’autre jour j’ai cru voir un type voler, mais c’était une mouette.

Ouais ben c’était moi la mouette.

Quoi qu’est-ce qu’il y a ? Mon pouvoir me permet de me transformer en piaf et de voler, j’vais pas m’en priver.Ah c’est le mot « type » qui vous dérange ? Mince ça peut se comprendre ça, désolée. C’est vrai que je suis une gamine de quatorze ans en vrai. Anima la justicière, Anna en civil. ‘Fin « justicière », disons que je débute. Mal, en plus. »

- Cool ton intro, Simon ! Par contre qu’est-ce qui te fait dire que je débute mal ?

Mon auteur, Simon, 15 ans (de son pseudo samwise_gamgee), leva les yeux de son ordinateur portable et  me lança un regard noir.

- Ah parce que pour toi éveiller au Warpzone Project la super vilaine la plus dangereuse depuis Eve Bones est un début glorieux ?

Et merde, il venait de marquer un point là.

- Bon, ok, ok, continue ton résumé, j’ai rien dit, m’empressai-je de répondre à mon camarade de classe.

Simon se remit à tapoter sur son clavier, la mine sombre.

«  J’ai malancontreusement… »

- Ca s’écrit avec un E… ok je me tais.

Mon taciturne auteur venait de me faire une tronche du style arrête-de-faire-ta-grammar-nazi-ou-je-te-bute. Il me fixa de son regard-lazer pendant une dizaine de secondes avant de revenir à son écriture. J’eus un petit sourire coupable.

Je m’éloigne un peu de sa table et m’appuie contre le radiateur, levant les yeux au ciel. Résignée, je regarde Simon tambouriner sur ses touches. Il va charcuter son ortho exprès, maintenant c’est sur.

Ce mec est juste pas possible. Il a aucun pouvoir, il peut rien faire contre moi si jamais je décide de me transformer en tyrannosaure pour rigoler, et d’un  simple regard il m’intimide. ‘Fin si ça se trouve il en aura un de pouvoir, dans quelques années. Tirer des rayons d’énergie avec ses yeux lui ressemblerait bien. Niark. Ce mec est juste trop fort.

Mes pensées furent interrompues par Simon, qui s’était tourné en ma direction sur sa chaise avec une petite quinte de toux pour re-signaler sa présence.

- Ha t’as fini ? Super !

Impatiente, je me penchai vers son écran, où la page Word était toujours ouverte. Je passai le début avec la mouette, l’ayant déjà lu, pour arriver à la suite.

« J’ai malAncontreusement (il l’a quand même mis en gras ET en souligné. Il est vraiment pas croyable ce mec) causé l’apparition d’une nouvelle menace pour toute la communauté super-héroïque, et j’ai vraiment pas fait exprès !

Mais pour que vous compreniez un peu mieux mon histoire, en supposant qu’elle vous intéresse vraiment, il faudrait revenir quelques jours en arrière.

C’était un jeudi et comme chaque jeudi, on avait musique de 16h à 17h au collège. Comment ça vous vous en foutez ? Restez deux lignes j’ai pas encore fini ! Nan mais.Laurent Gilles, le crado de la classe, c’était dit que son remix de « Ma petite est comme l’eau » (dont je vous épargnerais les paroles) plairait plus à la prof que l’original.

Le mec aux lunettes et au casque, qui était entré par effraction par la fenêtre presque aussitôt, ne semblait pas de cet avis.

- Comment OSES-tu souiller les classiques de la chanson avec ta voix de puceau et tes paroles insultantes ? Rah tu vas payer !

Là, même si vous n’étiez pas un super-héros, vous pigeriez direct que ce mec n’est pas un enfant de chœur. Ce mélomaniaque comptait réellement exploser le collège.

Mon tout nouveau pouvoir (datant de deux semaines seulement) était assez bourrin tout en ayant multiples facettes, la transformation en mouette n’étant bien entendu pas la seule de mon répertoire. Heureusement que j’ai une capacité de réflexion rapide.

Le « défenseur du quatrième art » (l’architecture il me semble, mais osef) semblait contrôler le son. Aussitôt arrivée à cette conclusion, je me transformai en boa pour me jeter sur le binoclard. Surpris par mon intervention, il n’a rien trouvé de mieux qu’essayer de m’attaquer avec des vagues sonores, sans penser au fait que les serpents sont sourds.

Ravie de mon effet de surprise, je me mis à siffloter l’air de Trololo avec ma langue fourchue. Eh, combat contre le crime ou pas, faut pas oublier de s’amuser non plus !       Sauf que j’ai sous-estimé la force naturellement surnaturelle du bad guy. Il arrivait peu à peu à se débarrasser de mon étreinte, pendant que toute ma classe, figée d’effroi, ne faisait rien pour fuir.

Les choses allaient mal. Le super vilain était manifestement plus expérimenté que moi, et passé l’effet de surprise, il n’aurait plus aucun mal à me vaincre, la durée de mes métamorphoses étant limitée. Soudain, ce fut comme si une vapeur opaque était sortie de la bouche de mon adversaire. Prise au dépourvu, je repris ma forme humaine. Mes yeux s’écarquillèrent lorsque je vis Mary, une anglaise, nouvelle dans l’école et depuis peu  ma meilleure amie, qui tirait ce cordon blanchâtre vers elle. Elle murmura à ce qui ressemblait à une pelote d’ADN : « Go away. »

La substance se replaça dans la bouche du mélomane, et celui-ci, comme en transe, sauta par la fenêtre du deuxième étage. Et puis rien. Le collège était sauvé.

Je vais essayer de faire vite pour achever ce chapitre, je sais que vous ne les aimez pas longs, bande de feignants.Mon mentor était arrivé une minute plus tard pour effacer la mémoire de ma classe et réparer les dégâts. Elle  avait également révélé à une Mary absolument ravie qu’elle venait d’éveiller son pouvoir. J’étais aussi contente pour elle. Anima et Master of Puppets, le duo de super-héroïnes, ça sonnait bien, non ? Non ?

Sauf que nan. Elle préféra les méchants. J’aurais dû m’en douter en plus, c’est une fan du Joker. Et voilà que toute notre communauté super-héroïque c’est retrouvée avec une fille capable d’avoir n’importe qui sous son contrôle sur les bras. Wouhou. »

Je me tournai vers Simon, qui triturait ses mèches brunes en attendant mon verdict. Je m’avachis contre la table et dis d’une voix claire. 

- J’ai vraiment beaucoup aimé le petit « wouhou » à la fin.

Simon haussa un sourcil. Je compris ça comme « c’est tout ce que tu trouves à dire ? » et m’efforçai à trouver d’autres commentaires.

- La description du combat est bien foutue. Je ne savais vraiment pas qui de nous deux allait étrangler l’autre.

Le sourcil de Simon dépassa la monture de ses lunettes. Je me sentis un peu mal à l’aise. Ma tentative d’humour était pourrave.

- M-mais quoi ? C’pas ma faute si c’est pas mon truc l’écriture, j’peux pas en dire beaucoup !

Mon camarade de classe se passa une main dans les cheveux avant de me répondre enfin.

- Je pensais que tu verrais la situation sous un autre angle.

Ce fut mon tour de lever le sourcil, perplexe.

- Qu’est-ce que tu veux dire ?- Je veux dire que quand même, la menace Mary est réelle.- T’exagères, elle a beau être un peu tordue elle se contrôle.- Tu veux vraiment qu’on reparle de Nath’ ?

Je détournai le regard. 2-0 pour Simon.