L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 28 : La Cité de l'Espoir Brisé

5790 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 11:03

La compagnie s’arrêta au bord d’un grand lac dans lequel s’écoulait une cascade. Psody posa son sac à dos avec un soupir las, et s’essuya le front du bras. Les mercenaires de Ludviksson se détendirent, se rafraîchirent à l’eau claire.

 

-         Courage, les gars, d’après la carte, on y est presque.

 

Le point indiqué par la fresque de Tixoco était loin, bien plus à l’intérieur des terres. Les membres de l’expédition avaient dû s’enfoncer dans les terres, suivre un chemin difficile à emprunter sous un soleil de plomb, pendant deux jours.

 

-         T’es sûr de ton coup ?

-         J’en ai plein les bottes autant que toi, Sigurd, mais on va continuer. Plus vite on y sera, plus vite on se tirera.

-         Par les orteils d’Ulric, si au moins, on pouvait trouver un trésor !

 

Nedland leva un index autoritaire.

 

-         Ranulf, n’oublie pas qu’on ne doit toucher à rien ! Et faites gaffe aussi au décorum !

-         Comment ça ?

-         Si t’as envie de faire couler le torrent d’or, évite de faire ça contre une statue, les autochtones pourraient mal le prendre.

 

Le Halfling n’osa pas le dire à haute voix, mais au fond de lui-même, ses propres paroles l’inquiétèrent un peu. Depuis leur départ de Tixoco, il n’y avait eu aucun signe de présence des Hommes-Lézards. Et pourtant, il était fermement convaincu que leur parcours ne pouvait pas avoir pour unique obstacle un vieux prêtre. La présence d’autres indigènes était à craindre. Des indigènes qui utilisaient une magie redoutable, par-dessus le marché. Psody lui avait raconté, à sa demande, le combat qu’il avait mené contre Ko’Liñon. Cela l’amena à penser à quelque chose.

 

-         Assez traîné ! On y retourne ! ordonna le capitaine Norse. D’après les coordonnées, on n’est plus très loin.

 

Tous reprirent la marche. Nedland voulut en avoir le cœur net.

 

-         Hé, Psody ?

-         Ouais, Nedland ?

-         Tu disais que le Skink t’a balancé des chauves-souris en pleine poire ?

-         Et alors ?

-         Tu crois qu’il aurait pu faire la même chose avec les reptiles volants, sur le pont ? Tu nous avais dit qu’il y avait quelqu’un d’autre qui contrôlait ces bestioles. C’était probablement le prêtre ?

-         Hum… Je crois-pense.

 

Deux autres heures longues et pénibles passèrent. Votiak râla en se claquant la nuque.

 

-         Vacheries de moustiques ! Pour une fois, j’envie le petit rat blanc !

 

Plusieurs autres mercenaires approuvèrent. Grâce à sa fourrure, Psody était mieux protégé des attaques des insectes volants. Néanmoins…

 

-         Les moustiques, c’est rien. Le problème, c’est les tiques-puces !

-         Je vous préparerai un petit quelque chose pour les repousser quand nous serons arrivés, promit Romulus.

-         Ce qui ne devrait pas tarder à arriver, dit alors Nedland en montrant du doigt quelque chose.

 

En effet, les hommes de Ludviksson purent distinguer des constructions entre les arbres. Nedland tira d’une des poches de son gilet sa longue-vue.

 

-         Oui… ce sont bien des bâtiments comme Tixoco. On dirait qu’il y en a plus.

-         Forcément, puisqu’il s’agit d’une ville entière, répondit Hallbjörn. Tu vois du mouvement ?

-         Non. Personne, à vue de nez.

-         Alors on y va, on bivouaque à l’entrée.

 

Une petite dizaine de minutes fut nécessaire à la compagnie pour se retrouver à proximité des ruines. L’architecture était conforme aux dessins de Marco Colombo. Ces bâtiments de pierre avaient la même structure, des plates-formes de plus en plus étroites à chaque étage.

 

-         J’ai oublié le mot… Comment ça s’appelle, déjà, ces drôles de constructions ? demanda Psody.

-         Des ziggurats, répondit Romulus. On peut dire aussi « pyramide », même si ce n’est pas exactement la même chose. Une différence de forme, et de peuple. On trouve surtout les « pyramides » dans les terres d’Arabie.

-         Vous en avez déjà vu ?

-         Non, mais je sais que ce n’est pas une très bonne idée. Ces terres étaient autrefois un royaume avec une civilisation cultivée et puissante, mais elles sont désormais hantées par des hordes de morts-vivants.

-         On raconte que c’est de ce coin du monde qu’ils viennent, précisa Wor.

 

Les bâtiments qui constituaient Capatec Hanahuac étaient solides et massifs, et avaient résisté à l’usure du temps. Néanmoins, ils étaient envahis par la végétation. Des plantes, des arbres, des lianes, des tapis entiers de mousse verdoyaient sur la pierre grise. On distinguait encore quelques bas-reliefs, des statues, des décorations avec les mêmes motifs de serpents et de soleils.

 

Cette cité était grande, et s’étendait sur une importante surface. Psody compta six bâtiments autour de la ziggurat principale. Autant d’endroits attendant d’être explorés.

 

-         Ho, les gars, si vous voulez manger frais, va falloir m’apporter du gibier !

-         Excellente idée ! s’exclama Sœur Abigaïl. Ça nous changera des conserves.

 

Hallbjörn désigna une demi-douzaine de ses hommes.

 

-         Ramenez-nous quelques animaux, les autres, montez les tentes.

 

Depuis leur débarquement, les membres de l’équipage n’avaient pas pris le temps de faire un bon repas préparé avec les ressources locales. Et cette tâche était accomplie avec brio par Sigurd Kilmersson. Comme le capitaine mercenaire, il était originaire de Norsca. Cuisinier attitré de la compagnie de Ludviksson, c’était un gros homme chauve, au crâne tatoué, et au ventre énorme, empli de bière. Il savait mieux que personne que la qualité de la nourriture était primordiale pour le moral des hommes et leur efficacité, et c’est pourquoi il excellait dans les arts culinaires. Il était capable de préparer toutes sortes de plats à la fois nourrissants et agréables pour les papilles avec de multiples ingrédients, et pas forcément les plus conventionnels. Il n’en était pas moins un redoutable guerrier, et mettait volontiers dans la marmite ses victimes animales les plus comestibles chassées par ses soins, ou ceux de ses compagnons. Il releva la tête en distinguant le jeune Skaven Blanc. Celui-ci était devant lui, et se tortillait les doigts un peu nerveusement.

 

-         Je peux aider, maître Sigurd ?

 

Le gros homme fit une moue sceptique.

 

-         Désolé, le rat blanc, mais je n’ai pas envie de te voir mettre des poils ou les bestioles qu’il y a dedans dans ma tambouille.

-         Oh… Je… je comprends.

 

L’expression déçue de Psody intrigua le cuisinier, et l’attendrit un peu. Il ne voulut pas le congédier trop durement. Il continua avec un petit sourire :

 

-         Par contre, si tu veux vraiment te rendre utile… tu peux aller me chercher du bois mort, pour le feu.

-         Tout de suite, maître Sigurd !

 

Et le petit homme-rat se précipita vers les arbres, impatient de ramasser des branches. Le cuisinier se tourna vers son capitaine.

 

-         Ben dis donc, c’est bien la première fois que je vois un rat géant aussi serviable !

-         Je t’avais bien dit qu’il n’était pas comme les autres, non ?

-         Ouais…

 

*

 

Le repas fut une bénédiction. Les hommes de Ludviksson avaient trouvé des cochons sauvages, d’énormes bestiaux gras au poil dur. Nedland, de son côté, s’était adonné à la cueillette. Lors de son précédent voyage en Lustrie, il avait appris à reconnaître les fruits comestibles des immangeables. Pendant une grande heure, les membres de l’expédition se régalèrent, et une fois de plus la bière circula. Prudent, le petit homme-rat s’abstint d’en boire.

 

Quand le déjeuner fut terminé, Hallbjörn décida de faire une pause pour une sieste réparatrice. Tout le monde se reposa, à l’exception du Skaven Blanc et du prieur. Ce dernier emmena Psody un peu à l’écart, à l’abri des regards. Il demanda au petit homme-rat de se déshabiller, puis lui badigeonna le corps d’une lotion claire destinée à débarrasser sa fourrure des insectes. Bien entendu, il laissa au Skaven Blanc le soin de s’occuper des endroits les plus sensibles. Une fois l’opération terminée, Psody attendit au soleil pour se sécher, avant de repasser sa chemise, son manteau et son chapeau.

 

Une fois les deux hommes de religion revenus, le capitaine parla ainsi à ses hommes.

 

-         Je vais faire un tour des lieux avec Romulus, Nedland, Tomas, Abigaïl et le petit rat blanc. Vous autres, préparez-vous gentiment, on viendra vous chercher une fois que nous saurons où vraiment commencer les recherches. Restez seulement sur vos gardes, on ne sait jamais ce qu’il peut y avoir ici.

 

Les mercenaires acquiescèrent, et rassemblèrent leurs affaires tout en restant détendus.

 

 

-         Incroyable-extraordinaire… murmura Psody.

 

Au fur et à mesure que le petit groupe progressait à travers la cité, ils découvraient de leurs yeux tout ce que Marco Colombo avait décrit dans ses carnets de voyage. Il y avait ça et là des reliquats de murailles avec des bas-reliefs taillés à l’effigie de lézards et de serpents. Tomas devina sous la végétation luxuriante de multiples chemins pavés suivant un tracé précis et ordonné. Il s’approcha d’un bâtiment partiellement éventré, jeta un coup d’œil par un trou béant dans la paroi de pierre poreuse, et fit signe aux autres de le rejoindre.

 

-         Venez voir !

 

Tous se rassemblèrent près de l’édifice.

 

-         N’approchez pas trop, tout ceci n’a pas l’air très stable.

-         Qu’est-ce que tu as vu-trouvé, Tomas ?

-         Ceci.

 

L’intérieur du bâtiment semblait sobre, le sol carrelé, et une dénivellation nette et délimitée par des briques de couleur différentes laissaient supposer que cette pièce abritait autrefois un bassin. Ce bassin rectangulaire était profond de deux pieds, et des marches permettaient d’y descendre.

 

-         Et c’est quoi, ça ? demanda le Norse.

-         Les Hommes-Lézards sont ovipares, et se reproduisent à la façon des batraciens, répondit le scribe de Verena.

-         Hein ?

 

Hallbjörn était décontenancé par la réponse savante du jeune Tomas. Sœur Abigaïl expliqua :

 

-         Les Hommes-Lézards pondent des œufs. Ils les mettent dans des bassins pleins d’eau avec des algues, jusqu’à leur éclosion.

-         Ah… et avant ?

-         Je parie qu’ils n’y prennent aucun plaisir ! ironisa le petit Skaven Blanc qui se rappela les moqueries des Norses sur les rapports intimes.

-         Vu le caractère émotionnellement détaché de ces créatures, c’est plus que probable, répondit Tomas, sans percevoir le second degré dans la voix de Psody.

-         On continue. Contournons la pyramide centrale.

 

Les six explorateurs reprirent leur chemin. Psody était tout à l’arrière. Il marchait lentement, les yeux grands ouverts, pour pouvoir trouver quelque chose. Un indice, une image qui pût lui rappeler l’une ou l’autre des visions qui avaient hanté ses nuits depuis des mois. Aussi, il ne se rendit pas compte que les autres s’éloignaient de plus en plus de lui. Il n’y pensa d’ailleurs plus du tout au moment où son regard tomba sur une petite construction. Le petit homme-rat resta interloqué. Ce bâtiment avait quelque chose de différent. Les couleurs des motifs réalisés par les mosaïques n’étaient pas les mêmes que sur les autres. Il contempla encore quelques secondes les fresques, lorsque son cœur bondit dans sa poitrine.

 

Le signe du Rat Cornu ! Même à l’envers, je le reconnais !

 

Le triangle constitué de trois lignes entrecroisées apparaissait bel et bien sur le bas-relief juste au-dessus de l’unique porte d’entrée. Aussitôt, son sang bouillant d’impatience d’adolescent le poussa à partir à l’aventure, l’excitation occulta en lui toute prudence.

 

Il y a quelque chose là-dedans, j’en suis sûr. Une fresque en queekish, peut-être un artefact que j’aurais vu…

 

Au-delà du seuil de la grande ouverture carrée, il y avait un petit couloir en pente. Les rayons de lumière qui se faufilaient par les interstices entre les pierres fatiguées étaient suffisants pour permettre au jeune Skaven Blanc d’y voir assez clairement. Ce n’était qu’un unique couloir, long d’à peine cinq yards, et qui débouchait sur une petite antichambre. Quand Psody s’y engagea, il s’arrêta net, et sentit chaque poil de sa fourrure se dresser.

 

Cette antichambre était carrée, et constituée de pierres sombres. Au centre, il y avait un grand trône de roche noire, probablement de l’obsidienne, pensa Psody. Mais ce qui retenait toute sa pensée se trouvait sur ce trône.

 

C’était un corps. Un cadavre assis ici depuis une éternité, si l’on en croyait les nombreuses toiles d’araignée entremêlées çà et là dessus. Il n’était pas possible de voir son visage, car il était recouvert d’un masque de métal jaune et brillant. L’instinct de Psody comprit immédiatement de qui il s’agissait, même si son intellect lui hurlait le contraire.

 

Cuelepok !?!

 

C’était impossible, impensable. Le dissident Skaven Blanc avait disparu en pleine jungle des centaines d’années plus tôt. Comment s’était-il retrouvé ici, et dans cet état, aussi entier ? Et pourtant, en regardant mieux, Psody vit d’autres détails qui ne firent que confirmer cette théorie : il portait un manteau constitué de plumes d’oiseau qu’on devinait très colorées sous l’épaisse couche de poussière grisâtre. Ses mains et ses pieds étaient visibles, ils appartenaient bien à un Skaven, et la fourrure qui recouvrait ses membres découverts était de couleur blanche. L’extrémité d’une longue queue annelée était enroulée autour de sa cheville droite. Quand il releva les yeux vers la tête du corps, Psody vit même deux cornes droites qui saillaient de ses tempes et qui glissaient le long de son masque rond.

 

Le masque. En se concentrant sur cet objet, Psody sentit soudain quelque chose. C’était très faible, très lointain, mais bien là. Un flux magique émanait de cet artefact, tel un léger parfum d’encens. Et soudain, sans comprendre ni savoir pourquoi, il eut la certitude que le masque d’or lui était destiné. Plus il y réfléchissait, plus ça lui paraissait être l’explication de ses visions. Lui, Psody, devait récupérer le masque de son illustre prédécesseur, et l’utiliser pour faire quelque chose qu’il estimerait juste. Un miracle, un exploit, une revanche, quelque chose comme ça.

 

Mais pour cela, il fallait d’abord le retirer à son propriétaire.

 

Il fit un pas en avant, entra dans l’antichambre. Son pied émit un léger froissement sur le pavé. Il tendit l’oreille, attentif au moindre bruit, au moindre mouvement… il n’y avait rien.

 

J’espère que je ne commets pas un sacrilège-sacrilège !

 

Psody approcha de plus en plus lentement. Enfin, il se tint debout pile devant le corps sans vie de Cuelepok. Il tendit les mains. Ses doigts tremblaient. Il saisit délicatement le masque d’or massif, et tira très doucement. Des craquements résonnèrent dans l’antichambre. Le Skaven Blanc frissonna, mais tint bon. Il serra les dents, et souleva l’ornement. Ses tympans furent encore secoués par d’autres crépitements, puis d’un seul coup, le masque était entre ses phalanges. Il baissa les bras, et fut soudain immobilisé, hypnotisé, envoûté.

 

Malgré le temps, le visage de Cuelepok était relativement entier. Ses traits étaient reconnaissables pour qui l’avait vu de son vivant, ou au cours d’une vision. Même sa fourrure blanche avait été à peu près conservée. Ses deux orbites étaient braquées vers lui, comme si, à travers le temps, l’ancien patriarche Skaven Blanc regardait directement son visiteur des deux billes noires desséchées qui constituaient les reliquats de ses yeux. C’était un regard terrible, à la fois chargé de reproche, et d’admiration. Du moins, ce fut ainsi que Psody l’interpréta.

 

Non… Ce Skaven Blanc est mort depuis une éternité !

 

Soudain, le Skaven Blanc sentit tout son pelage se hérisser quand il vit la mâchoire inférieure du cadavre s’abaisser lentement. Il entendit également un vague souffle rauque sortir du plus profond de la gorge desséchée par le temps. Halluciné, il distingua alors une lueur dorée émaner peu à peu des globes oculaires du patriarche.

 

 

Les Humains et le Halfling avaient remarqué la disparition de leur camarade Skaven Blanc. Revenus sur leurs pas, ils s’étaient séparés en deux groupes, Hallbjörn et Nedland d’un côté, Abigaïl, Tomas et Romulus de l’autre.

 

Le capitaine Norse grommela entre ses dents.

 

-         C’est pas vrai ! Qu’est-ce qui lui a pris de s’éloigner, comme ça ?

-         Il a peut-être été retenu par quelque chose ? J’espère qu’il n’est pas tombé dans un trou ou bien sur un autre de ces…

 

Ils sursautèrent quand ils entendirent un crissement suraigu émaner de l’intérieur d’un des bâtiments. Le capitaine mercenaire repéra instinctivement l’origine du cri. Ils se précipitèrent vers l’escalier du mausolée. Nedland empoigna son arquebuse, tandis que le Norse brandit son marteau. Faisant fi de toute prudence, ils traversèrent à toute allure le long couloir sombre, dévalèrent les marches moussues, et s’arrêtèrent net.

 

Psody était sur le sol, inanimé. Il serrait fermement contre sa poitrine un masque d’or massif, au pied d’un trône de pierre volcanique.

 

-         Psody ? Psody ?

 

Nedland s’agenouilla, et donna quelques petites tapes sur la joue du Skaven Blanc. Hallbjörn fut plus expéditif, et lui flanqua une violente gifle. L’effet fut immédiat.

 

-         Aïe !

-         C’est bon, Hallbjörn ! Psody, ça va ?

-         Oh, ma tête… sortez-moi de là, vite !

 

Le Norse souleva Psody, le remit debout et passa son bras par-dessus sa nuque. Une minute plus tard, ils étaient dehors. Romulus, Tomas et Abigaïl étaient là, et eurent l’air soulagé de revoir les trois camarades sortir indemnes.

 

-         Qu’est-ce qui s’est passé ?

-         Je… je…

-         Psody, qu’est-ce qui t’est arrivé ?

 

Le Skaven Blanc ferma les yeux, pour revisualiser tout ce qu’il venait de vivre. Tout excité, il expliqua :

 

-         C’est Cuelepok !

-         Hein ?

-         Dans ce caveau, il y avait Cuelepok !

 

Romulus sentit un frisson mêlant excitation et angoisse lui électriser l’échine.

 

-         Vous voulez dire qu’il était là-dedans ?

-         C’est n’importe quoi, prieur ! Le texte de Tixoco disait qu’il avait disparu dans la jungle.

-         Les choses sont peut-être plus complexes encore, capitaine.

-         Prieur, Nedland pourra vous le confirmer, il n’y avait personne ! Le caveau était vide quand on a ramassé le petit rat blanc.

-         Non. Il était là. La preuve :

 

Psody brandit le masque d’or.

 

-         C’était sur lui. Son cadavre était assis sur le trône et portait ce masque.

-         Je te le répète, le trône était vide, petit rat blanc ! grogna Hallbjörn.

-         Pas quand je suis entré. Mais quand je lui ai pris le masque, le cadavre… a repris vie !

-         Et qu’est-ce qu’il vous a fait ? demanda Sœur Abigaïl avec inquiétude.

-         Il… il a simplement dit quelque chose, directement dans mon esprit. Après, c’est flou, j’ai dû m’évanouir.

-         Il est peut-être tombé en poussière à ce moment-là, suggéra Tomas.

-         Ou alors, tu as rêvé, tout est dans ton petit crâne de rat, et il n’y a jamais rien eu d’autre que ce masque ! ricana le Halfling.

-         Possible, Nedland. Et pourtant, j’ai bien entendu sa voix.

-         Il vous a dit quelque chose de particulier ? demanda Romulus.

-         « Fais ce que voudras ».

 

Soudain, le visage du mercenaire s’empourpra en un instant. Il saisit le petit Skaven Blanc à la gorge, et le plaqua contre un mur.

 

-         Petit crétin ! J’avais dit que personne ne devait toucher à quoi que ce soit !

-         Aïe ! Arrête !

-         Je vais faire de toi une descente de lit !

 

Romulus, Abigaïl et Tomas conjuguèrent leurs forces pour obliger le Norse à relâcher sa prise. Celui-ci, furibond, aboya vers le jeune homme-rat :

 

-         Tu vas tous nous faire massacrer avec tes conneries !

-         Non… attends… c’était…

-         Hallbjörn, relâchez-le !

-         Laissez-le respirer, vous allez le tuer !

-         C’est voulu !

-         Arrête… il… le voulait !

-         Quoi ?!

 

Hallbjörn desserra le poing, et Psody tomba par terre, à genoux. Pendant qu’il reprit péniblement son souffle, le Norse demanda :

 

-         T’es sûr ?

-         Je… je te jure… tout s’explique. Il m’a fait voir toutes ces choses… uniquement pour… que je récupère… ce masque. J’en suis certain. Je le sais.

-         Comment peux-tu le savoir ?

 

Le petit homme-rat releva la tête, et ses yeux roses se firent brillants quand il fixa le capitaine mercenaire sans ciller.

 

-         C’est la magie du Warp, Hallbjörn. Cuelepok m’a vraiment parlé. Je l’ai entendu aussi clairement que je t’entends, et j’ai vu son visage comme je te vois. Et quand je dis qu’il voulait-voulait que je prenne son masque, j’en suis sûr !

 

Le Norse allait répondre avec pragmatisme, mais l’expression chargée de certitude du petit Skaven Blanc le stoppa. Psody se releva, et rajusta ses vêtements.

 

-         Et si ça énerve les Hommes-Lézards ? grommela encore Hallbjörn.

 

Il se tourna vers Nedland.

 

-         Ils vont être fâchés, j’imagine ?

-         Ben… Je serais tenté de dire oui, mais d’un autre côté, ça ne colle pas. Si c’était vraiment Cuelepok dans ce mausolée, qu’est-ce qu’il faisait là ? Si on en croit l’histoire racontée dans le temple de Tixoco, il a été complètement évincé du peuple des Slanns. D’ailleurs, tous les Skavens sont les ennemis par excellence des lézards. Alors pourquoi avoir construit une tombe pour lui ?

-         Si ça se trouve, les Slanns ne savent même pas qu’il est ici ? se demanda Abigaïl.

-         Enfin, ça m’étonnerait un petit peu, quand même. T’es sûr que c’était bien lui ?

-         Absolument certain, Nedland.

 

Hallbjörn se calma complètement. Il eut même un petit rire.

 

-         Revenir se cacher là d’où il s’était enfui ! Ce Cuelepok ne manquait pas de culot !

-         Il a dû penser que personne ne penserait à chercher ici, pensa à haute voix le prieur de Shallya. Il devait être trop blessé pour survivre plus de quelques jours, alors il est revenu mourir ici, une fois la cité vidée.

-         C’est pas le premier rat géant venu qui ferait… quoi ?

 

Nedland dégaina en un éclair son arquebuse. Psody sentit son oreille pivoter par réflexe. Un curieux bruit résonnait dans le lointain. Cela ressemblait à une longue plainte, ou un barrissement.

 

-         Qu’est-ce que c’est que ce bruit ?

 

Le capitaine Ludviksson écarquilla les yeux et saisit prestement son marteau.

 

-         Nom d’un troupeau d’élans en chaleur ! Votiak !

-         Quoi ?

-         C’est la corne de Votiak ! Il a des ennuis ! glapit Nedland.

 

Le Norse partit en courant vers le campement, immédiatement suivi par les autres. Les armes bondirent en main, et le petit homme-rat entendit le capitaine pester dans sa langue natale.

 

Sûrement pas des politesses-gentillesses !

 

Il sentit son angoisse lui nouer encore les tripes, inquiet de voir le Norse mettre sa menace contre lui à exécution.

 

 

Au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient de la ziggurat centrale pour se rapprocher du bivouac, ils entendaient les chocs des épées, les halètements des guerriers, ainsi que d’étranges sons ressemblant à des sifflements et des coassements.

 

Les Humains avançaient rapidement, et le Halfling était entraîné à la course, mais le petit Skaven Blanc s’essouffla. Il ralentit, et s’appuya contre un arbre, pour reprendre sa respiration. Le bruit d’une furieuse bataille retentissait au loin, par-dessus le tambourinement du sang dans ses tympans. Il regarda tout autour de lui, et vit que les autres l’avaient déjà distancé. Il se maudit de ne pas être capable de courir aussi longtemps.

 

J’ai beau mener une vie « plus saine », ça ne fait pas de moi un athlète-athlète !

 

Il eut soudain comme une impression bizarre. Plus précisément, il sentit une présence hostile non loin de lui. Il ne sut l’expliquer, mais il était sûr que quelque chose se tenait à proximité, et l’observait. Il regarda dans toutes les directions, mais ne vit rien.

 

Et pourtant…

 

Pourtant, il le savait, il n’était définitivement pas seul, malgré les apparences. Encore une fois, il ouvrit ses grands yeux roses et scruta les environs. Rien de rien. Il n’y avait que les arbres, et le vent qui soufflait dans les feuilles et agitait les branches. Il entendait les cris, le choc des armes, ce qui l’énerva davantage. Soudain, il sentit son cœur bondir dans sa poitrine.

 

Qu’est-ce que… Non ! Il n’y a rien que cette grosse branche !

 

C’est alors qu’il distingua une curieuse ondulation sur cette branche. Comme si l’écorce de cette branche avait frémi de l’intérieur. Il plissa les yeux, pencha la tête, et soudain, comprit que ce n’était pas une branche d’arbre, mais…

 

Une brûlante sensation lui traversa le cou. Il porta la main à sa gorge, tâta quelque chose de fin entre ses doigts. Il tira, et vit qu’il serrait entre son pouce et son index une sorte de fléchette longue comme un doigt, dont la pointe était enduite d’une mixture jaune. Une seconde plus tard, il gisait sur le dos, ébloui par les rayons du soleil qui filtraient à travers la canopée.

 

Par le R…

 

Le monde entier se renversa autour du petit homme-rat. Il eut de plus en plus de mal à respirer. Peu à peu, il n’y eut plus rien d’autre qu’un froid glacial qui étreignit son corps en glissant rapidement le long de ses veines. Il distingua la forme vague d’un Skink aux yeux plus globuleux encore que ceux de Ko’Liňon penché sur lui.

 

Ses écailles… les couleurs… elles… changent ?

 

Quelque chose se mit à le tirer par les pieds, et le sifflement de satisfaction de la créature fut la dernière chose qu’il emporta dans les ténèbres.

Laisser un commentaire ?