L'Enfant Terrible du Rat Cornu
Une véritable marée grouillante et couinante se massait autour de la clairière. Les Skavens jaillissaient par centaines de terriers, émergeaient çà et là tout autour de la citadelle. Ils étaient animés d’une folie meurtrière, avaient l’écume aux lèvres et grattaient le sol des longs ongles pointus de leurs pattes arrière. Tous étaient maladifs, couverts de robes crasseuses et de bandages maculés de fluides corporels. Plusieurs d’entre eux brandissaient une bannière avec trois planches clouées en triangle.
Tous se dirigeaient vers une grande cité bâtie tout en pierres. Sur ses murs, les Hommes-lézards se défendaient avec acharnement. Malgré leur nombre réduit par rapport à leurs adversaires, ils résistaient efficacement. Les plus petits d’entre eux utilisaient arcs et javelines pour repousser leurs assaillants, tandis que les plus grands frappaient à grands coups de gourdin les hommes-rats qui grimpaient sur les remparts.
Assez curieusement, d’autres Skavens se battaient aux côtés des Hommes-lézards, contre les Skavens malades. Ils étaient bien différents des envahisseurs : en meilleure santé, habillés avec les mêmes plumes et colifichets que ceux des reptiles bipèdes, ils utilisaient les mêmes armes, et combattaient avec une passion plus visible encore.
Un petit Homme-lézard fit un geste vers la masse grouillante d’hommes-rats, et poussa un bref coassement, signe qui traduisait son inquiétude. Et pour inquiéter un habitant de Lustrie, il en fallait vraiment beaucoup.
Et ce qui se dressait devant la cité était une vraie source d’inquiétude. C’était un homme-rat aux proportions gargantuesques. Il mesurait environ vingt pieds de haut, si l’on ne comptait pas ses immenses cornes recourbées vers l’avant et sa longue queue annelée et charnue. Il portait pour tout ornement des lanières de tissu autour des poignets, sa peau nue était couverte de scarifications formant des signes cabalistiques grossiers, entre autres le triangle du Rat Cornu. Par endroits, des pépites de malepierre brute étaient incrustées dans sa chair, et luisaient faiblement, créant d’étranges reflets qui ondulaient sur ses muscles. Il serrait entre les serres de sa main gauche une vouge de dix pieds, dont les deux lames étaient recouvertes de paillettes de malepierre. Il irradiait de ses deux yeux une incommensurable méchanceté.
Le Skaven Blanc aux tempes cornues écarquilla les yeux, et s’abrita derrière un créneau. Il cria de toutes ses forces :
- Verminarque ! Verminarque !
Il savait parfaitement à quoi s’en tenir, bien qu’il n’eût jamais vu autrement que dans ses cauchemars. D’après ce qu’il avait appris sur les Skavens restés fidèles à leur mode de vie, les plus grands champions – généralement guère plus d’un par génération – se voyaient investis à la suite d’un coup d’éclat d’un pouvoir octroyé directement par leur dieu impie. Ces champions se transformaient alors en Skavens cornus géants, à l’intelligence, à la force et aux pouvoirs quasi divins. Ils étaient alors appelés à vivre dans le plan d’existence d’où venaient la magie Skaven et les autres démons, jusqu’à être sollicités par un Prophète Gris le temps d’une bataille décisive. On les appelait « Verminarques », et ils étaient considérés comme des incarnations du Rat Cornu.
Et l’un d’entre eux courait de toute la vitesse de ses deux puissantes pattes arrière tout droit vers la citadelle ! Il poussa un rugissement plus tonitruant que le plus violent des ouragans en brandissant sa vouge. Les Skavens qui galopaient à ses côtés couinaient d’une rage redoublée.
Sur le rempart, le Skaven Blanc réfléchissait à toute vitesse. Les quelques Skavens près de lui étaient épouvantés.
- Maître, que pouvons-vous faire ? gémit l’un d’eux.
- Nous battre de toutes nos forces, Pelui. Ils sont nombreux, mais nous aussi, et contrairement à eux, nous avons l’avantage du terrain.
- Oui, mais cet horrible monstre ? Le Verma… Virmi…
- Verminarque. C’est l’incarnation de leur dieu. Si seulement Xarkish était là !
L’un des jeunes Skavens éclata en sanglots. Il se jeta aux pieds du Skaven Blanc, et brailla :
- Grand Prêtre, je ne veux pas mourir !
- C’est normal, tout le monde a peur de mourir au moins une fois dans sa vie.
- On ne peut rien contre eux ! Ils sont trop forts !
- Torak, les Slanns ont toujours résisté aux Xa’Cota. Et nous allons les y aider. Nous défendrons notre cité ! Regarde, ils tiennent bon.
Le Skaven Blanc avait raison. Les Hommes-lézards criblaient de flèches les hommes-rats, et ceux qui parvenaient aux murailles étaient rapidement éliminés par les grands guerriers lézards.
Cela ne redonna pas du courage aux Skavens pour autant. Pelui se tourna vers le prêtre.
- C’est vraiment affreux, Grand Prêtre !
- Ce n’est pas la première fois que tu prends les armes, Pelui.
- Oui, mais jusqu’à présent, c’était contre les Elfes corrompus, les non-vivants ou les démons ! Or là… je n’ai jamais dû me battre contre mes frères de race ! Les Slanns sont trop sages pour se battre entre eux, ils ne savent pas quel mal ça peut faire !
Le Skaven Blanc posa une main rassurante sur l’épaule de Pelui.
- Pelui, n’oublie jamais que les Slanns sont des exceptions. Tous les autres peuples se battent entre eux. Les Elfes affrontent leurs traîtres. Le pays des Humains est divisé en petits royaumes qui se font perpétuellement la guerre. Les Orques passent leur vie à se battre contre tout le monde, y compris et surtout eux-mêmes.
- Comment le savez-vous ? Il n’y a pas d’Orques ou d’Humains, ici !
- Les Slanns sont omnipotents, ils sont capables de voir à distance. Et Xarkish m’a déjà accompagné dans ce genre de méditation. Et j’ai vu. C’est malheureux, mais beaucoup de peuples s’entretuent. Et surtout, surtout, rappelle-toi que tu n’es pas comme eux !
Le Skaven Blanc s’adressa à tout le groupe.
- Ce sont des Xa’Cota, des fous furieux qui vénèrent un dieu haineux et qui ne cherchent qu’à corrompre ou détruire tout ce qu’ils peuvent ! Vous êtes les enfants de Sotek, le Dieu du Soleil ! Notre devoir est de les empêcher de réduire à néant tout ce que nous avons construit pendant toutes ces années !
- Utilisez la magie, Grand Prêtre ! supplia Torak.
- Je ne peux pas ! Kroak m’a formellement interdit de l’apprendre !
L’énorme créature était maintenant à quelques yards de la muraille. Elle brandit sa vouge, et aussitôt un éclair vert crépita vers les guerriers sur le rempart. La foudre éclata, et tout un pan du mur explosa dans un grand fracas.
Le Skaven Blanc avait eu le réflexe de se jeter à terre, mains sur la tête. Il entendit alors quelque chose, un bruit de frottement métallique. Il ouvrit les yeux, et vit un petit objet rouler dans sa direction. C’était un globe gros comme son poing. Il reconnut un porte-bonheur habituellement rangé précieusement dans une salle spéciale, porté par un guerrier seulement en cas de bataille. Ce globe, il le savait, était constitué d’or massif.
De l’or massif, doré comme le soleil. Cela donna une idée au prêtre.
Au point où on en est… je peux peut-être me fier à Sotek !
Le Skaven Blanc tendit prudemment la main vers le globe, le ramassa délicatement, et se concentra. Il voulut ressentir la pureté de l’or, le matériau préféré des dieux des Hommes-lézards. Et, à son grand étonnement, il éprouva bel et bien quelque chose. Le globe se mit à chauffer entre ses doigts, et à briller. Il le leva en direction des cieux, et murmura quelques mots dans l’ancienne langue des Hommes-lézards. Le globe s’embrasa d’un éclat doré qui se refléta dans les deux yeux de l’homme-rat. Il brandit la boule lumineuse au-dessus de sa tête, et cria d’une voix amplifiée par l’énergie magique :
- Sens la fureur du Dieu-Soleil !
Un rayon doré jaillit du globe, et frappa directement le Verminarque en plein front. Celui-ci poussa un rugissement de douleur tellement puissant que plus personne n’entendit rien d’autre l’espace d’un instant. Le rayon lumineux brûla immédiatement l’épiderme de la créature. Au fur et à mesure que la lumière passait sur tout son corps, elle fondit à une vitesse incroyable. En quelques secondes, elle se retrouva à genoux, incapable de se tenir debout.
Ce spectacle déstabilisa aussitôt tous les Skavens malades qui s’arrêtèrent net. Quand l’énorme créature ne fut plus qu’une masse de chair informe et tremblotante, ils détalèrent de tous les côtés.
Avant d’expirer, le Verminarque redressa une dernière fois la tête, et le Skaven Blanc entendit très distinctement une voix tonner dans son esprit :
- Je te retrouverai, misérable traître ! Un jour, toi, ou l’un de tes héritiers, subirez la colère de Skarnagoth, soixante-troisième champion du Rat Cornu !
Tels furent les derniers mots prononcés par le Verminarque. Sa carcasse putride finit de se dissoudre, ne laissant plus qu’une grande flaque verdâtre et malodorante.
Les Hommes-Lézards s’empressèrent de sortir de leur abri, équipés de torches allumées. Ils se dispersèrent, et mirent le feu aux nombreux cadavres de Skavens malades. D’autres restèrent à l’intérieur pour soigner les blessés, aidés par leurs alliés Skavens. Poussé par la curiosité, le prêtre Skaven Blanc sortit, voulut approcher de ce qui restait du démon Skaven. Il se tint cependant à quelques pieds de distance, l’odeur l’empêchait d’approcher davantage.
C’est alors que le son d’une trompe retentit au loin. Il se redressa, l’œil étincelant d’espoir.
Enfin !
Les renforts étaient là. Même si les Xa’Cota avaient été mis en déroute, leur assistance serait plus que bienvenue, aussi bien pour prodiguer les soins que pour éliminer les fuyards qui pouvaient encore rôder dans les environs.
Une minute plus tard, une petite armée d’Hommes-Lézards approchait de la clairière. Le prêtre Skaven Blanc éclata d’un rire soulagé en voyant celui qui était à la tête du bataillon : c’était un grand crapaud à la peau nue et luisante d’humidité, qui bougeait difficilement sur deux jambes minces qui ployaient sous son poids. Il portait une cape faites de plumes multicolores, et une coiffe ornementée.
Le Skaven Blanc courut vers l’énorme homme-crapaud, et se jeta dans ses bras.
- Enfin ! Sotek soit loué, je n’y croyais plus !
- Mon ami ! J’arrive trop tard ! Je suis vraiment désolé.
- Ne t’en fais pas ! On a tenu bon. Les pertes sont minimes, et notre cité est sauvée !
- Tu as fait des miracles.
- Je n’étais pas seul. Les autres ont cru en moi, et se sont défendus avec conviction !
- C’est toi qui as vaincu le Verminarque. Tu étais le seul à pouvoir le faire, en mon absence. Les dieux se sont vraiment penchés sur toi quand tu es venu au monde ! Je le savais dès l’instant où je t’ai vu pour la première fois.
L’Homme-crapaud repoussa sa cape, révélant une arme qu’il portait au côté. Il la tira de sa ceinture. C’était une sorte de bâton pourvu d’une épaisse lame plate taillée et sertie de pointes d’obsidienne. Le Skaven Blanc écarquilla les yeux quand il vit son interlocuteur la lui tendre.
- Prends-le.
- Non, je ne peux pas ! Je n’en suis pas digne !
- Si, tu l’as bien méritée.
- Cette arme est sacrée ! Elle a reçu les enchantements des prêtres Slanns !
- Ton cœur est Slann, quoi que pensent les autres. N’oublie jamais ça. Même si mon père était une grenouille et le tien un rat, nous sommes frères !
« Nous sommes frères. »
« Nous sommes frères. »
« Nous sommes frères. »
Cette phrase revint trois fois de suite tel un écho dans l’esprit du jeune homme-rat quand il reprit conscience. Psody releva la tête et ouvrit grand les yeux. Puis il fit la grimace.
Ouille, ma tête !
Il s’extirpa de la tente en marchant à quatre pattes. Une fois à l’air libre, il inspira un bon coup. Peu à peu, les autres membres de l’expédition se levaient, certains allèrent à la rivière s’asperger de l’eau sur le visage et le torse.
- Bonjour ! s’exclama Nedland Grangecoq en approchant de l’homme-rat.
- Aïe ! Oh…
- Ben alors ? T’en fais, une tête !
- Nedland… qu’est-ce qui s’est passé ? Je me suis pris des coups de bâton sur le crâne-ciboulot sans m’en rendre compte ?
- Ah, ça, mon gars… voilà ce qui arrive quand on n’a pas l’habitude de se biturer ! rit joyeusement Nedland.
- C’est vrai, t’as pas l’air très vaillant ! remarqua Hallbjörn Ludviksson.
- C’est comme si le malerail dont me parlait Diassyon était en train de me traverser la caboche !
- Vous retiendrez la leçon, dit alors Romulus. Boire de l’alcool est agréable sur l’instant, mais si vous ne faites pas attention, ça provoque des réactions désagréables ! Vous tâcherez de ne pas trop boire, la prochaine fois !
Psody eut alors une expression tellement dépitée que le prieur ne put retenir un petit rire attendri. Il fouilla dans son havresac et en sortit quelques herbes.
- Je vais vous préparer quelque chose. Allez donc vous passer de l’eau sur le visage, ça vous rafraîchira.
Pendant que le petit homme-rat se débarbouilla dans la rivière, Romulus fit chauffer un peu d’eau sur le feu. Il mélangea les herbes quand l’eau fut bouillante, et versa l’infusion dans un gobelet. Peu à peu, les autres membres de l’expédition émergeaient du sommeil l’un après l’autre, et sortaient de leur tente. Le jeune Skaven Blanc se rassit à ses côtés.
- Buvez, ça vous fera du bien.
- Merci, prieur.
- Oh, nous sommes plus proches, maintenant. Nous sommes partis ensemble à l’autre bout du monde en compagnie d’une bande d’aventuriers professionnels, de mon point de vue, cette expérience crée des liens. Appelez-moi donc Romulus !
- Bien, si vous voulez… Romulus.
Entre les deux grandes tentes, on en avait dressé une petite pour Sœur Abigaïl, seule femme du groupe – bien qu’elle fît tout pour ne pas laisser sa féminité être un obstacle, il y avait tout de même des limites. Psody vit la prêtresse s’en extirper, et s’étirer.
Hallbjörn rejoignit les deux hommes de religion en courant. Sa posture et son souffle haletant laissaient supposer qu’il n’était vraiment pas l’air rassuré.
- Que se passe-t-il, capitaine ?
- Il y a un truc pas clair, prieur !
Romulus, Psody et Abigaïl suivirent le capitaine. Il les amena jusqu’à la toile sous laquelle les hommes avaient rassemblé le matériel de l’expédition. Derrière le grand paquet, en direction de la jungle, une longue lance était plantée dans le sable. Quelque chose ballottait au vent au bout de l’extrémité à l’air libre. Nedland Grangecoq observait attentivement les alentours avec sa longue-vue. Psody sentit chaque poil de sa fourrure se hérisser.
- Par le Rat C… euh, je veux dire, fichtre ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
Il avait cru voir des fruits de couleur claire, hélas il n’en était rien. Les trois objets pendouillant à la lance étaient des crânes. Le pire pour le petit homme-rat fut de reconnaître la morphologie des siens.
- Des crânes de Skavens, murmura Romulus.
- Ils… vous croyez que…
- Malheureusement, oui. Vous aviez raison, hier soir, maître Grangecoq. Ils savent déjà que nous sommes là, et tiennent à nous en informer.
Tomas, le clerc de Verena, pencha la tête sur le côté pour mieux examiner les crânes.
- Hum… Ces os ont l’air plutôt anciens. On sait s’il y a des Skavens, ici ?
- Il y a très longtemps, le Clan Pestilens a débarqué ici et a pu emporter de nouvelles maladies jusqu’à l’Empire. Les Moines de la Peste ont été chassés par les choses-froides. Je ne sais pas s’il y a beaucoup de Skavens ici aujourd’hui. Nous avons appris à craindre les choses-froides, et généralement, nous n’allons jamais chez elles. Il peut y avoir quelques Skavens qui viennent de temps en temps, mais généralement, ce sont des exilés. Il n’y a plus de cité Skaven permanente. Je crois.
Psody enfonça son chapeau sur sa tête, et déclara avec un air bravache.
- Les choses-froides ont trop peur de nous, sinon elles se seraient montrées ! Avec vous, je n’ai pas peur ! Vous êtes les meilleurs-meilleurs ! On va trouver Tixoco !
- Bien parlé ! approuva Votiak. Il en a dans le pantalon, le petit rat blanc !
- Même s’il n’en porte pas ! s’exclama l’un des mercenaires.
Il y eut un éclat de rire, que le capitaine Ludviksson rompit en s’adressant à toute la compagnie.
- Bon, d’après notre carte, on en a pour quelques heures de marche, pas beaucoup plus. Moins ça prendra de temps, mieux ça sera pour tout le monde, on est d’accord. Seulement, vous l’avez vu, la nuit tombe très vite, et dans cette jungle, on ne va plus rien voir. Donc, dès que la nuit tombe, on bivouaque, où qu’on soit.
- Si on est à Tixoco à ce moment, c’est là qu’on stoppe ?
- Ouais.
- Mais c’est leur territoire !
- La forêt aussi, sauf qu’au moins, dans le temple, on n’aura pas toute la végétation pour nous gêner.
- Il y a autre chose, expliqua Nedland. Le soleil se lève très tôt dans ce coin du monde, et la température monte très vite. L’avantage, c’est que le chemin jusqu’à Tixoco longe la rivière. On ne manquera donc pas d’eau. Suivez donc la consigne : buvez chaque fois que vous en avez envie, et même si vous n’avez pas soif. On se dessèche à toute vitesse, surtout quand on fait de la marche à travers la forêt.
Le capitaine Ludviksson toussa.
- Quelques-uns d’entre nous vont rester là pour surveiller la Determinazione. Wor, Sigurd, vous serez à la tête du groupe que je vais constituer.
Le Norse désigna quelques hommes. Environ un quart de la compagnie resta sur la plage. Les autres rassemblèrent leurs affaires, et se mirent en route.
Nedland, habitué des longs chemins en terre inconnue, tenait la carte recopiée par Félix Jaeger. Il y avait un chemin naturel qui serpentait entre les arbres, mais la végétation se faisait de plus en plus dense, et bientôt le groupe dut s’arrêter. Les hommes sortirent alors des armes tranchantes pour dégager leur route. Ludviksson confia alors à Psody une courte épée. Nedland coupait les lianes souples avec un curieux instrument : c’était une sorte de lame large et plate à l’extrémité incurvée, fixée au bout d’un manche. Quand l’un des plus jeunes volontaires de la compagnie lui demanda ce que c’était, il répondit qu’il avait acheté cet objet, cette « machette », au cours de son voyage précédent. Cet outil était très efficace.
Ils avancèrent ainsi pendant trois bonnes heures. Pendant tout ce temps, les mercenaires allèrent de surprise en surprise. Les plantes exotiques, les oiseaux multicolores au chant mélodieux, le coassement des grenouilles énormes qui paressaient au bord de la rivière, le parfum des fleurs énormes, étaient autant de nouvelles découvertes. Puis, le bruit de la rivière s’amplifia. Le terrain semblait monter. Un peu plus loin, ils virent une petite falaise haute d’une dizaine de yards, du haut de laquelle la rivière s’écoulait en cascade. Ludviksson ordonna la halte.
- Ned, on est encore loin ?
- Non, mais il va falloir grimper, maintenant. D’après la carte, le temple est au sommet d’une crête au-delà de cette chute d’eau.
- D’accord. Je vais partir en avant avec toi, Abigaïl, Romulus et Psody, histoire de voir discrètement ce qui nous attend. Les autres, quand on aura atteint le temple, on viendra vous chercher. Si on voit des lézards, on revient également.
- Et si les lézards vous repèrent les premiers ? demanda Tomas.
- Autant limiter les risques, au moins ici vous pourrez les voir venir, et à cinq, on fera moins de bruit.
Le capitaine mercenaire se tourna vers le doyen de son bataillon.
- Votiak, je veux que tu prennes le commandement jusqu’à mon retour. Si on donne aucun signe d’ici une heure, envoie quelqu’un vérifier qu’on n’ait pas d’ennuis. Si c’est vous qui vous faites attaquer les premiers… tu sais quoi faire.
Votiak acquiesça de la tête, et tapota le cor ouvragé sculpté dans une énorme corne de quelque créature des Désolations du Chaos accroché à sa ceinture. Le capitaine, le guide Halfling, les deux gens d’église et le petit Skaven Blanc s’engagèrent sur le chemin montant.
Le sentier montait de plus en plus rudement. Les arbres se raréfiaient, et les cailloux se faisaient de plus en plus gros. Ils marchèrent une petite demi-heure, quand ils arrivèrent devant un gouffre.
- Mince ! Et maintenant ?
Romulus tendit la main.
- Regardez, capitaine Ludviksson.
Un peu plus loin en aval, il y avait un pont, fabriqué avec des planches nouées le long de solides cordages. Quand ils s’en approchèrent, ils réalisèrent que la construction n’était pas en très bon état. Quelques cordes étaient effilées, et certaines planches semblaient vermoulues.
- Heureusement que nous ne sommes pas trop chargés, ce pont n’a pas l’air solide.
- Comme vous dites, ma sœur. Je suis le plus léger, le plus leste, je vais y aller.
Comme personne n’émit d’objection, le Halfling s’engagea prudemment sur la passerelle. Il fit quelques pas, éprouva la solidité de la construction, et avança plus franchement. Comme il ne se passa rien de fâcheux, Psody le suivit, talonné par Romulus et Ludviksson. Sœur Abigaïl ferma la marche, la lance brandie.
Le pont tanguait légèrement sous les pieds nus du jeune homme-rat.
C’est long-long !
En effet, cette passerelle s’étirait sur près d’une centaine de yards. Et quand il baissa les yeux, il avala sa salive en voyant le gouffre profond d’une distance deux fois plus importante. Soudain, un cri terrible le fit sursauter.
- Attention, droit devant ! s’écria Nedland en empoignant son fusil.
Les cinq compères virent trois créatures voler dans leur direction. Psody crut d’abord qu’il s’agissait d’oiseaux de proie, mais quand ils se rapprochèrent, il comprit qu’il n’en était rien. Pas de plumes, pas de bec de corne, seulement des écailles.
Des lézards volants ?!
Qui s’apprêtaient à plonger sur eux ! Nedland visa, et son arquebuse gronda. La détonation se répercuta sur les murs de la falaise, et se mêla au crissement du lézard volant qui dégringola en contrebas.
Le deuxième lézard ailé battit des ailes, provoquant une forte poussée d’air qui déstabilisa Psody. Le petit Skaven Blanc eut le réflexe de s’agripper à deux mains à l’une des cordes. C’est alors que son regard croisa directement celui de la créature volante.
Et pendant un instant, le temps sembla s’arrêter. Un court instant, suffisant pour le jeune homme-rat pour comprendre qu’il ne voyait pas le regard d’une créature qui défendait son territoire. Il y avait autre chose, une autre présence plus intelligente, plus sournoise.
Il n’eut pas le loisir d’en voir plus. Sœur Abigaïl s’avança à ses côtés, et brandit sa lance en avant. Le volatile aux ailes membraneuses s’empala sur la pointe d’acier. Il grinça bruyamment en brassant l’air de plus en plus furieusement, puis il finit par s’immobiliser. La templière le décrocha de son arme d’un coup de pied.
- Qu’est-ce que c’était ? demanda Ludviksson à Romulus.
- Je n’en sais rien ! Marco Colombo n’a pas beaucoup parlé de la faune dans ses carnets de voyage.
- Attention ! glapit Psody.
Le troisième reptile volant revint à la charge, une lourde pierre entre les serres. Le Halfling avait à peine eu le temps de recharger son arquebuse. Il visa, se concentra deux secondes, et pressa la gâchette. La créature fut frappée au cou, et lâcha son caillou qui décrivit un arc vers le pont. Psody fit prestement un pas de côté, et la pierre s’abattit à un cheveu de son pied gauche. Le Skaven Blanc ne fut pas touché, mais le choc fit un grand trou dans la passerelle qui se mit à dangereusement tanguer.
Le jeune homme-rat perdit l’équilibre. Il tenta de se stabiliser en battant des bras, en vain. Hallbjörn se précipita vers lui, mains tendues en avant. Il vit le petit Skaven Blanc tomber dans le trou en poussant un cri déchirant. Ses mains se refermèrent sur quelque chose de charnu : la longue queue annelée de Psody. Celui-ci était tête en bas, les vêtements retroussés sur le visage, et criait à la fois de panique et de douleur.
- Au secours ! À l’aide !
- Bouge pas, petit rat blanc !
- Aïe ! Ouille ! J’ai mal ! Je tombe !
- Tenez bon, Psody, on va vous remonter !
Le prieur courut à son tour vers les deux compères, mais il posa le pied sur une planche vermoulue qui s’enfonça sous son poids. Heureusement pour lui, il ne traversa pas complètement le pont, sa jambe s’enfonça jusqu’au genou. Il était cependant coincé.
Hallbjörn serra les dents. Il vit les anneaux roses de la queue de Psody glisser entre ses gants lentement mais sûrement. Il tira, tira. En dessous, le petit homme-rat releva la tête, et se mit à murmurer quelques syllabes que le Norse ne comprit pas. Soudain, il disparut complètement. Hallbjörn sentit ses doigts entrer en contact dans un claquement sec. Il écarquilla les yeux.
- Par les crocs d’Ulric ! Non !
- Quoi ? Il est tombé ? s’exclama Romulus, toujours coincé.
Le Norse se traîna jusqu’au bord du trou, craignant de voir le corps du jeune Skaven Blanc dégringoler dans l’abîme, mais il ne vit rien.
- Vacherie ! Où est-il ?
- Je suis là, Hallbjörn !
Nedland, Hallbjörn, Abigaïl et Romulus tournèrent de concert la tête vers l’autre côté du pont. Tous les trois sentirent leur figure s’allonger de quelques pouces quand ils virent Psody, debout sur la terre ferme, en train de leur faire de grands signes des deux mains. Le capitaine se releva et rejoignit le petit Skaven Blanc, pendant que Nedland aida le prieur à dégager son mollet.
Incrédule, le Norse se tint devant l’homme-rat, tendit la main, et mit une petite claque sur sa joue poilue.
- Hé !
- Ouais, t’es bien réel. Mais comment t’as fait ça ?
- Je vais te le dire quand les deux autres seront là. Tout va bien ? demanda-t-il par-dessus l’épaule du mercenaire.
Romulus et Nedland arrivèrent près de leurs camarades, tout aussi surpris que le Norse.
- Alors, quel était le truc ?
- Facile, Romulus : les Skavens sont des lâches, ils ont une magie de lâche. Les Prophètes Gris apprennent à se téléporter, pour sauver leur peau si le danger devient trop grand pour eux. Et vous, ça va ?
Romulus retroussa son pantalon. Le tissu avait encaissé le plus gros du frottement, et les planches n’avaient laissé que quelques traces rouges sur sa peau.
- Trois fois rien, ça va passer. Je vais quand même appliquer une pommade. Dans ce pays, une blessure peut pourrir très vite.
Ce disant, il fouilla dans son sac pour y trouver son baume. Le Halfling s’était éloigné, et contemplait l’horizon en marmonnant dans sa barbe :
- Bizarre, bizarre…
- Quoi ? demanda Hallbjörn.
L’éclaireur se tourna vers le mercenaire.
- Je trouve bizarre qu’on se fasse attaquer comme ça par ces animaux.
- On n’a pas eu de bol, c’est tout ! Ils passaient par ici pendant qu’on passait par là. C’est le hasard.
- M’étonnerait que ces piafs écailleux aient fait ça par hasard !
- Peut-être qu’ils voulaient simplement défendre leur territoire ? suggéra Romulus.
Nedland secoua négativement la tête.
- J’ai déjà affronté ces bestioles, prieur. Elles construisent leur nid dans les montagnes, bien en hauteur. Or, les montagnes les plus proches sont déjà bien loin !
Il montra l’horizon du doigt.
- Regardez ces pitons, là-bas. Ouais, regardez, elles tournent en rond, et s’y posent. C’est là qu’elles crèchent.
- Pourtant, trois d’entre elles viennent juste de tenter de nous balancer dans le vide ! grogna le Norse.
- Non, pas eux, murmura Psody. Quelqu’un d’autre. J’ai senti de la magie. Quelque chose contrôlait ces animaux.
- Vous pensez qu’il y a un lanceur de sorts dans le coin ?
- C’est possible, Sœur Abigaïl.
- Assez parlé, on continue ! décida le capitaine mercenaire.
Ils reprirent la marche, de plus en plus motivés.
Un quart d’heure plus tard, les cinq compères marchaient sur un petit plateau dégagé. Quelques arbres formaient une arche naturelle, sous laquelle passait un petit sentier. Nedland ricana.
- Regardez, nous sommes arrivés !
En effet, entre les arbres, se dressait la forme sombre d’un petit temple. Construit en pierre grise, il mesurait une vingtaine de pieds de haut. Deux statues représentant un serpent se dressaient de part et d’autre d’un petit escalier qui menait à une ouverture.
- Je ne vois rien, constata Nedland.
- Personne, en effet, ajouta Ludviksson. Et maintenant ?
- Il va falloir aller chercher les autres, restés à la cascade, expliqua Romulus.
- Allez-y, je reste ici, dit alors Psody.
Les trois Humains et le Halfling le regardèrent, surpris.
- Euh… est-ce raisonnable ?
- Tu l’as dit, Hallbjörn. Il n’y a personne. Par contre, il faudrait peut-être que je vérifie s’il n’y a pas encore des traces magiques. Pour cela, je dois méditer, et me concentrer.
- Vous êtes sûr ? Et si quelque chose d’autre arrive ? demanda Sœur Abigaïl.
- Je vous rejoindrai au plus vite. Je ne vous servirais à rien en vous raccompagnant, alors qu’ici, je peux déjà commencer à analyser le terrain.
Les autres se regardèrent, puis acceptèrent. Ils rebroussèrent chemin, tandis que Psody s’assit sur l’herbe, jambes croisées, puis ferma les yeux.
Il médita, laissa son esprit vagabonder une petite dizaine de minutes. Quand, enfin, il sentit qu’il était prêt, il releva les paupières, se remit debout, regarda tout autour de lui et invectiva :
- Je sais que t’es là ! Je sens ton odeur ! Montre-toi !
Un bruissement de feuilles retentit à sa gauche. Les immenses branches de fougères s’écartèrent, laissant apparaître une singulière créature. Cet être se tenait debout sur ses deux pattes arrière, et semblait à peine plus grand que le petit homme-rat. Son aspect général était celui d’un lézard : une peau couverte de petites écailles bleu sombre, de petites griffes noires au bout de ses doigts et ses orteils, une tête au long museau reptilien fendu de deux longues narines et deux énormes yeux qui jaillissaient plus qu’à moitié de leur orbite. Ces deux globes bougeaient nerveusement par à-coups, indépendamment l’un de l’autre, ce qui rendait son regard encore plus troublant. L’individu portait un collier de métal cuivré, de nombreux bracelets autour de ses poignets et ses chevilles, une petite sacoche en cuir tanné à la hanche, et un totem à tête de serpent taillé dans un morceau de bois se dressait dans son dos, attaché entre ses omoplates. Il prenait appui sur le manche d’un trident constitué de trois pointes de corail attachées à un long manche.
Pour la première fois de sa vie, le petit homme-rat était face à un Homme-Lézard. Il sentit une peur, au plus profond de lui-même, une peur qu’il n’avait jamais ressentie, quelque chose de très lointain, et pourtant familier. Un signe de la mémoire collective de son peuple, ou un avertissement de son dieu, il ne sut le dire. Il se concentra sur d’autres petits détails : de nombreuses cicatrices apparaissaient çà et là sur ses écailles, une longue queue ondulait sous son pagne, et sur sa tête paraissait une sorte de surplus de peau qui semblait être une prolongation de la peau de son visage, une crête qui ondula brièvement.
Psody décida cependant de ne pas se laisser déstabiliser. Il défia du regard l’être-lézard. Ce dernier ne remua pas un cil, mais pourtant, une voix grave résonna dans la tête du Skaven Blanc.
- Tu es bien loin de chez toi, enfant du Rat Cornu. Qui es-tu ?
D’abord surpris par ce mode de communication, le petit homme-rat répondit à voix haute :
- Je suis Psody. Et toi, tu es une chose-froide, un ennemi de mon peuple.
- Pour commencer, ne m’appelle pas « chose-froide ». Le sang des Skinks coule dans mes veines.
- Le sang des… quoi ?
- Les Skinks. Sache que chez nous, il existe plusieurs lignées différentes, et que celle des Skinks est celle qui entend le mieux la parole des dieux, et des prêtres-mages de la lignée des Slanns, nos dirigeants. Je suis un prêtre du dieu Sotek. Je suis Ko’Liňon. Que viens-tu faire ici ?
- Ça ne te regarde pas, chose-froide ! cracha le jeune Skaven Blanc avec agressivité.
Instinctivement, le petit homme-rat retrouva la fierté arrogante des Prophètes Gris, pour mieux dissimuler ses craintes. Le prêtre Skink ne réagit pas physiquement. En revanche, Psody ressentit une chaleur désagréable commencer à émaner de lui.
- Tu t’apprêtes à entrer sur un territoire sacré pour mon peuple. Alors, ça me regarde.
- Je veux juste voir quelque chose. Je regarde, puis je m’en vais.
- Non. Tu vas faire demi-tour et quitter cet endroit.
- Mais…
- Tout de suite.
La voix grave dans son esprit s’était faite très autoritaire. Psody sentit son cœur battre très fort. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas été confronté à un individu qui lui paraissait ouvertement hostile, après des semaines passées dans la quiétude chaleureuse de la famille Steiner. Il sentit ses frustrations guerrières se réveiller, et son poil se hérisser. Il jeta un regard méprisant vers le prêtre.
- Va te faire tanner !
Et il se tourna fermement vers le sentier, puis avança d’un pas décidé. Le Skink siffla bruyamment, et planta son trident d’un geste fulgurant juste devant le petit homme-rat qui bondit en arrière. La voix du Skink retentit encore.
- Tu es un Xa’Cota. Ta présence seule est un sacrilège.
- Lâche-moi ! Je t’ai dit que je veux juste vérifier un truc !
- Il n’est pas question que je te laisse aller plus loin, même pour « vérifier un truc » ! Tu ne comprends pas ? Tu n’as pas le droit de passer ! Ici, c’est notre territoire, et seuls les enfants de Sotek peuvent aller plus loin dans cette direction !
Le Skink retira son trident de la terre d’un coup sec, et ses yeux roulèrent, et remuèrent encore une fois indépendamment l’un de l’autre, d’une manière plutôt perturbante. Psody sentit que cet individu était probablement âgé, mais gardait également une certaine vigueur physique et un esprit alerte. Il insista encore.
- J’ai juste besoin de regarder une fresque dedans ! Après, je m’en vais, promis-juré ! Je sais que c’est un temple ! Je suis un prêtre, je respecte le sacré !
- Un Xa’Cota, respecter quelque chose ? Ridicule. Et tu en sais déjà trop. Je devrais te faire disparaître tout de suite. Plus tu en sauras sur ce qui se trouve derrière moi, moins tu auras de chances de repartir vivant. Pourquoi t’obstiner autant ?
Ko’Liňon ouvrit la bouche, et sa crête se déploya en un large éventail de chair écailleuse, faisant paraître sa tête bien plus grande. Psody ne se laissa pas impressionner. Il se mit à taper du pied.
- Les tiens ont fait beaucoup de mal à un Skaven Blanc qui m’a confié une tâche importante. Or, pour comprendre, je dois absolument voir les fresques qui sont dans Tixoco ! Enfin, c’est quand même pas un crime !
- Je te l’ai déjà dit : ce temple est interdit. Tout spécialement aux petites vermines cornues trop curieuses !
L’insulte finit de mettre le petit homme-rat en colère.
- Mon dieu m’a clairement ordonné d’aller dans ce temple !
- Et le mien m’ordonne tout aussi clairement de t’empêcher d’y entrer. Maintenant, je te le dis pour la dernière fois amicalement : fais demi-tour, et quitte cette clairière. Si tu t’obstines, je serai contraint de te faire partir par la force.
Le Skink semblait fermement déterminé. Psody serra les poings de rage. Il poussa un profond soupir, et tourna les talons. Il fit trois pas vers le campement, mais se retourna brutalement en tendant la main. Un éclair verdâtre jaillit de ses doigts. Ko’Liňon n’eut que le temps de se jeter en arrière pour éviter l’attaque, de justesse. Il fit encore rouler un œil en guise de signe de surprise quand il vit le visage tordu de colère du Skaven Blanc. Celui-ci cracha :
- J’ai traversé des milliers de lieues, et j’ai laissé derrière moi quelque chose de trop précieux pour que je me dégonfle devant un vieux lézard gâteux ! J’entrerai dans ce temple, et si pour ça je dois te tuer, alors je vais le faire !
Et il tira son épée courte de sa ceinture, l’air bien décidé à s’en servir. Le prêtre Skink fit frétiller sa crête, et prit son trident à deux mains.
- Très bien, qu’il en soit ainsi.
Psody ne lui laissa pas le temps de dire ou faire quelque chose de plus. Il bondit en avant avec un cri strident, et abattit son épée courte vers le Skink. L’Homme-Lézard esquiva, et dans le mouvement fit glisser la lame le long du manche de son trident, et tapa de l’extrémité de la tige de bois le dos du petit Skaven Blanc. Psody couina de douleur, et roula dans l’herbe. Il se releva d’un bond, se retourna, et tendit de nouveau trois doigts en avant. Une autre étincelle verte crépita vers l’Homme-Lézard. Cette fois, Ko’Liňon leva une main, et la foudre se dissipa en un instant sur sa paume.
- Les habitants de Lustrie ont développé leur magie, eux aussi.
Et il claqua des doigts. Le jeune homme-rat fléchit ses jambes, prêt à réagir à la moindre attaque frontale, lorsqu’un choc violent sur l’arrière de la tête le déséquilibra. Il eut à peine le temps de se retourner, et vit une nuée de chauve-souris foncer droit sur lui. Affolé, il battit des bras, faisant des moulinets avec son épée courte. Quelques chiroptères tombèrent au sol, mais beaucoup laissèrent de petites lacérations sur ses vêtements et dans sa fourrure. Il glapit de douleur, mais se rendit compte qu’il avait oublié son principal adversaire. Immédiatement, il plongea sur le côté, juste à temps pour éviter un coup de trident.
Déjà la bande de chauve-souris revenait dans sa direction. Psody se releva, marmonna quelques paroles en queekish, et prit son inspiration. Il souffla vers les mammifères volants, et au contact de l’air, son haleine se changea en un puissant nuage vert. L’effet fut immédiat, les chauves-souris se dispersèrent, certaines s’écrasèrent dans l’herbe, empoisonnées.
- Personne-rien ne va se mettre en travers de mon chemin ! ricana Psody avec un sourire mauvais.
L’Homme-Lézard fit tournoyer son trident, et le planta dans la terre. Trois vagues d’énergie filèrent vers le petit homme-rat en creusant trois sillons parallèles. Elles explosèrent à quelques pas de Psody. De gros éclats de caillasse meurtrirent le jeune Skaven Blanc sur tout le corps. Un caillou plus gros que les autres lui écrasa le nez. Il gémit en percevant l’odeur du sang lui infecter les narines, et sentit des larmes aiguës lui monter aux yeux. Sa vision se troubla, mais il pouvait encore distinguer Ko’Liňon. Le Skink avait toujours le trident planté en terre, et levait à présent les deux mains, comme pour invoquer une des puissances de son dieu. Une violente montée d’adrénaline l’enflamma de la pointe de ses cornes jusqu’au bout de la queue.
- Ah, cochon ! Je te tuerai !
Il se précipita vers l’Homme-Lézard, l’épée prête à frapper de nouveau. Ko’Liňon fit pivoter son bassin, et dans le mouvement sa queue écailleuse fendit l’air comme un fouet. Psody abattit son épée courte et la trancha net, l’envoyant valser à quelques pieds de l’Homme-Lézard. Celui-ci ne cria pas, n’exprima aucune douleur, ni colère. Psody écarquilla les yeux en voyant que l’appendice coupé continuait à tressaillir sur le sol. Trop interloqué par ce spectacle, il ne vit pas l’Homme-Lézard fouiller dans sa musette. Le prêtre en tira une poignée de graines, qu’il jeta aux pieds du petit Skaven Blanc. En un clin d’œil, une flopée de lianes souples et fermes poussèrent, et fouettèrent l’air en direction de Psody. Le jeune homme-rat vit les pousses s’enrouler autour de ses bras et ses cuisses à une vitesse hallucinante. En moins de trois secondes, il était complètement immobilisé, bras et jambes écartés. D’autres entraves naturelles enserrèrent son cou.
Ko’Liňon retira du sol son arme, et contempla son prisonnier.
- Bien. Maintenant, ne bouge plus.
L’Homme-Lézard recula de quelques pas, brandit son trident, et leva les yeux vers le ciel. Le jeune Skaven Blanc sentit ses glandes répandre une forte odeur de panique. Il tira, poussa, gigota de toute son énergie, mais plus il bougeait, plus les liens se resserraient autour de ses membres. Des flots de sueur glissèrent autour de ses grands yeux roses écarquillés. Il n’espérait pas la moindre pitié de la part du prêtre Skink.
Ko’Liňon rebaissa les yeux vers lui, saisit fermement à deux mains son trident, et courut vers Psody. Il poussa un sifflement strident, et plongea son arme en avant.