L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 16 : Une leçon de sciences surnaturelles

8882 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 10:32

Diassyon se réveilla en un sursaut. Il avait mal partout. Des gémissements, des respirations rauques retentissaient autour de lui. Il releva lentement les paupières. Il se trouvait dans une grande salle à peine éclairée par quelques rayons de lumière. Il faisait très chaud. Ses pupilles s’habituèrent rapidement à la pénombre, et peu à peu, il reconnut tout autour de lui la plupart des Skavens qui étaient avec lui. Il n’en restait plus qu’une vingtaine. Certains étaient encore inconscients, étendus sur la terre poussiéreuse, d’autres s’étaient rassemblés en petits groupes, et attendaient, les yeux écarquillés d’angoisse. Il prit appui sur ses mains pour se redresser, et se rendit compte que ses camarades d’infortune et lui-même étaient tous nus comme des orvets.

 

-         Mais… qu’est-ce que c’est que ça ?

-         Diassyon ? demanda la grosse voix de Chitik.

-         Frère ? Tu es là ?

 

Le Skaven Noir s’approcha, et le serra dans ses bras, soulagé.

 

-         Diassyon ! Enfin, t’es réveillé-réveillé ! Ca va ?

-         J’ai connu pire, mentit le Skaven brun. Et toi ?

-         Bien-bien, mais on est dans le crottin !

-         C’est quoi, cet endroit ?

-         J’en sais rien. Ils nous ont capturés et enfermés.

-         « Ils » ? Qui ça ? Oh, non ! Les choses-bizarres !

 

Il y eut un gémissement grave non loin de lui. Diassyon distingua une autre Vermine de Choc, assise par terre, la tête dans les mains. Chitik murmura :

 

-         C’est Rool. Il est très triste. Briach était comme un frère pour lui.

-         Et Furghân ?

-         C’était un lâche et un crétin-idiot ! glapit Rool. Pas digne d’être Grande Dent !

-         Il a raison, grogna Chitik. Avec un chef plus doué, on ne serait pas là !

 

Le Skaven brun se gratta la tête, et considéra la triste situation. Ils étaient donc une vingtaine de Skavens, vraisemblablement prisonniers dans une immense cellule circulaire, au plafond bas. Le mur était constitué d’épaisses pierres cimentées, à l’exception d’à peu près un quart de sa circonférence, fait de solides barreaux. Il n’était pas possible de voir entre les barres de fer, car un lourd rideau de toile pourpre était tendu de l’autre côté, et était trop loin pour qu’on puisse l’atteindre. Derrière le tissu, on pouvait entendre de légers frottements et des grognements. Au milieu du plafond, on avait creusé un grand puits circulaire. C’était là d’où venait la lumière. On pouvait voir le ciel à travers une grille.

 

Le Skryre eut une inspiration. Tout ce qu’il fallait faire, c’était grimper le long de cette cheminée, pousser la grille pour l’enlever et filer.

 

-         Sortons d’ici !

-         Pas la peine, j’ai essayé, murmura Chitik. Trop lourd-lourd.

 

Diassyon baissa la tête en soupirant. Il balaya de nouveau la cellule d’un regard, et ne repéra pas un certain Skaven. Il demanda d’une voix tremblante :

 

-         Où est Moly ?

 

Personne ne répondit. Le jeune Technomage insista.

 

-         Chitik, où est Moly ?

-         J’en sais rien !

-         Il n’était pas avec nous dans la cage ?

-         Personne, ni entré, ni sorti, renifla Kapish, l’un de ses tirailleurs.

-         Ils ont massacré-liquidé tous les Pestilens !

-         Quoi ?!

 

Diassyon pivota en un éclair vers celui qui venait de parler. C’était un Skaven d’une taille et d’une constitution relativement semblables aux siennes. Son pelage était châtain, et comportait quelques taches, notamment une tache claire sur l’œil gauche, et une tache de fourrure sombre sur l’œil droit. Le Maître Mutateur Skilit l’avait appelé Tôrkh, et avait fait de lui un dresseur de rats-ogres. Comme la plupart des Skavens de sa condition, il préférait de loin être dans le rôle du dominant que dans celui du dominé, et cette captivité le rendait vraiment grognon. Il darda un regard furibond vers le Technomage.

 

-         Ils ont laissé en vie les moins blessés-meurtris. Ils vont vouloir nous torturer, et faire ce qu’ils ont fait aux Skavens au village. Il reste quelques Moulder, quelques Skryre, des Guerriers des Clans, et deux Vermines de Choc. Mais je les ai vus exterminer-anéantir les Moines de la Peste.

-         Moly… ! Tu l’as vu mourir ?

-         Non. Mais sois réaliste, Diassyon ! Pas de raison qu’ils l’aient épargné !

 

Le Skaven brun crissa de colère, et renversa d’un coup de poing un Guerrier des Clans. Il bondit en avant, agrippa les barreaux à deux mains, et aboya :

 

-         Ouvrez ! Sortez-nous de là !

 

Un bruit de rideau glissant sur une tringle retentit. La lumière inonda la cellule. Le Skryre recula et cligna des yeux. La paroi à barreaux de leur cage donnait sur une sorte d’arène circulaire d’une centaine de pieds de diamètre, au sol recouvert de sable. Plusieurs choses-bizarres – de grotesques esclaves mutants bardés de clous et de crochets – passaient le balai. Diassyon montra quelque chose du doigt.

 

-         Regardez !

 

De l’autre côté de l’arène, une double porte s’était ouverte, laissant entrer une très étrange créature. Cela ressemblait à un énorme cloporte. Par-dessus son corps pourvu de dizaines de pattes cliquetantes, il avait une énorme carapace carrée, mesurant six pieds de long, bordée d’une demi-douzaine de tentacules charnus. Il s’arrêta, et se redressa en tournant lentement sur elle-même. Tous les Skavens dans la cage couinèrent et sifflèrent. La carapace était lisse et solide, et quelqu’un était allongé dessus. C’était Moly. Complètement nu lui aussi, il était solidement maintenu sur la corne par quatre des tentacules de la bête enroulés autour de ses poignets et ses chevilles.

 

-         Moly ! s’écrièrent les deux Skavens liés à lui par le sang en se jetant simultanément sur les barreaux.

 

Le Moine de la Peste ouvrit lentement les yeux, et vit ses frères.

 

-         Chitik ? Diassyon ?

-         Tiens bon, frère ! cria la Vermine de Choc. On va te sortir de là ?

 

Mais comment ? songea le Technomage Skryre.

 

Les esclaves reculèrent alors, en s’agenouillant. Quelqu’un d’autre venait d’entrer dans l’arène. C’était une chose-homme, qui dégageait cependant une impression inhabituelle, et plutôt dérangeante. Ce mâle était de taille moyenne, avait une fourrure crânienne noire plutôt courte, tirée vers l’arrière. Il avait des sourcils relevés, un long nez pointu, un menton en galoche, et de petits yeux noirs profondément enfoncés dans leurs orbites. Il portait une blouse grise par-dessus des chausses vertes, et des gants de cuir. Ses vêtements étaient maculés de sang.

 

Il s’arrêta près de la créature-chevalet, jeta un bref regard au Skaven prisonnier, et dit en queekish d’une voix chargée de dégoût :

 

-         Ce rat géant est vraiment affreux à regarder ! Même en cadeau comme descente de lit, je n’en voudrais pas !

 

Le Skryre écarquilla les yeux en voyant mieux le Pestilens. Il glapit :

 

-         Qu’est-ce que tu lui as fait ?

-         Moi ? Rien du tout ! répondit la chose-homme en riant. Je ne l’ai pas encore touché. Il était déjà dans cet état-là.

 

Diassyon et Chitik réalisèrent que pour la première fois, ils voyaient entièrement leur frère. Sans ses bandages, sa robe, sa capuche et tous ses autres artifices, il apparaissait tel qu’il était vraiment : un Skaven misérable, aux membres et à la poitrine maigres mais au ventre boursouflé par la maladie. Sa fourrure courte pelait par endroits, des croûtes de sang et autres fluides desséchés maculaient ses poils, de répugnantes grappes de bubons émergeaient ça et là sur sa peau glabre, des lacérations crevaient son pelage, et suintaient encore de liquides putrides. L’une de ses jambes était malformée, suivant un angle tronqué. Son visage couturé de cicatrices grossièrement suturées luisait de sécrétions jaunâtres. Le Skaven Noir sentit son cœur se serrer en comprenant d’où venait la mauvaise humeur constante de Moly. Même pour un fils du Rat Cornu, il était très laid, et sans les drogues qu’il consommait largement, toutes ces misères devaient lui faire souffrir le martyr. Diassyon grimaça avec agressivité.

 

-         Et qui t’es, toi ?

-         Qui je suis ? demanda l’Humain en levant un sourcil. Cela fait des mois que vous autres ne cessez de contrarier mes projets l’un après l’autre, et tu demandes qui je suis ? Je suis Aescos Karkadourian, fidèle serviteur de Slaanesh.

 

Il approcha de la cage avec un regard méprisant.

 

-         Vous vous êtes crus plus intelligents que moi, je parie. Je savais que vos espions me surveillaient depuis déjà quelque temps. J’en ai eu assez de vous savoir perpétuellement sur le dos. Alors, j’ai décidé de vous tendre un piège en vous faisant croire que je rassemblais mes troupes dans ce village. Malheureusement pour vous, j’avais bien plus de troupes à disposition que ce que j’ai laissé croire ! Qu’est-ce que j’ai ri, quand j’ai vu votre misérable bataillon dépenser toute son énergie à massacrer les quelques malheureux régiments qui servaient de leurre !

 

Karkadourian était à présent juste devant les barreaux, à trois pas de la portée de main des Skavens. Il ricana en voyant plusieurs bras se tendre frénétiquement vers lui, brassant l’air sans parvenir à l’atteindre.

 

-         Vous me répugnez, la vermine des égouts ! Et vous répugnez mon dieu ! J’ai eu l’idée de trouver le moyen de débarrasser ce monde de votre espèce, avec tout le savoir-faire et la subtilité enseignée par Slaanesh. Bientôt, j’y parviendrai, malgré vos sabotages. Je maudirai toutes vos femelles, et vous crèverez tous les uns après les autres, l’écume à la bouche, le sourire aux lèvres et le bas-ventre en éruption ! Quant aux hommes-rats trop pourris pour copuler, je les pousserai à aviver leurs pulsions meurtrières à leur sommet, qu’ils dévorent tout ce qu’ils pourront !

 

Derrière les barreaux, quelques Skavens sifflèrent de colère. Chitik gronda, montrant ses dents. L’Humain revint vers le centre de l’arène. Son expression passa peu à peu du mépris à une espèce de gourmandise.

 

-         Il n’est cependant pas dit que je sois un esprit étriqué, et hermétique à toute contestation accompagnée d’arguments solides et de preuves. Et quand je me trompe dans mes recherches, j’accepte volontiers de reconnaître mes erreurs et d’apprendre quelque chose de nouveau.

 

Karkadourian approcha du monstre-chevalet, et se pencha vers Moly.

 

-         Tu as du cran, malgré ta pathétique apparence. Je t’ai vu te battre contre mes guerriers, et j’avoue que tu m’as impressionné. Tant d’énergie bestiale déployée ! Quel beau spectacle !

-         C’était… c’était toi, sur le cheval !

-         Hé oui ! Sois heureux, d’ailleurs, car c’est ta sauvagerie qui m’a suffisamment impressionné pour que je te laisse en vie pour l’instant. Tous tes camarades Pestilens sont morts, tu es le dernier. Tu as de bonnes capacités, et je pense pouvoir les mettre à contribution, pour autant que je te donne une petite motivation.

-         Je… je comprends pas.

-         Je suis prêt à vous laisser partir, toi et tes camarades, si tu réussis à me convaincre que ta laideur et ton animalité peuvent l’emporter sur la beauté de mon œuvre.

-         Comment ?

 

Avec un inquiétant sourire, le sorcier tendit la main vers le Skaven. Moly grinça des dents quand il sentit le contact des doigts de l’Humain sur son poitrail. Karkadourian fit tourner lentement sa main, faisant glisser ses phalanges sous la courte fourrure de son prisonnier.

 

-         Tu es un Moine de la Peste, n’est-ce pas ? J’aurais pu te proposer de travailler pour moi, si j’avais été choisi par Nurgle. Malheureusement pour toi, je sers Slaanesh, et celui-ci déteste la laideur. Il est très patient et infiniment tolérant, y compris envers ceux qui sont laids de naissance. Mais lorsqu’il s’agit de quelque chose qui défigure, étouffe et détruit la beauté existante, il est impitoyable. Tu répands la maladie, la dégénérescence. Mon dieu n’aime pas ça du tout.

 

Le servant du Chaos continuait son manège, faisant descendre lentement sa main. Le Skaven était de plus en plus troublé.

 

-         Tu es une créature intelligente, qui a été bien dressée. Néanmoins, il y a toujours un animal en toi, et j’aimerais savoir si ton conditionnement a eu raison de lui.

 

Moly glapit de rage quand le sorcier caressa un endroit particulièrement sensible de son anatomie. Il se débattit, mais le cloporte resserra l’étreinte de ses tentacules, lui broyant les poignets et les chevilles. Du sang teinta de rouge son poil crème. Il cracha de colère vers son bourreau, tenta de lui mordre le bras, sans succès.

 

-         Arrête-arrête !

-         Hé, on a beau être un serviteur soi-disant dévoué à son dieu et rien d’autre, on n’en est pas moins homme, n’est-ce pas ?

 

Moly piailla une série de crissements stridents, à tel point que tous les tympans des alentours sifflèrent. Même les esclaves mutants cessèrent de travailler pour le regarder, intrigués. Le pauvre Skaven se sentit tellement humilié qu’il se mit à sangloter. Chitik perçut sa détresse, et cela le plongea dans une grande colère. Il se jeta contre les barreaux, tendit les bras en avant et beugla :

 

-         Je vais t’arracher les bras et te les faire avaler, sorcier !

 

L’Humain retira sa main, et s’approcha lentement de la cage, un sourire fasciné aux lèvres.

 

-         Quelle force brute ! Quelle bestialité ! L’essence de la sauvagerie à l’état pur ! Comme tes ennemis et tes femelles doivent trembler à ton approche !

-         Je vais te tuer !

-         Ton tour viendra, grosse bête. Patience. Pour le moment, je voudrais jouer encore un peu avec notre ami pestiféré.

-         Que veux-tu de moi ?! couina le Pestilens.

 

Karkadourian revint vers le monstre-chevalet.

 

-         Que tu me permettes de voir si ma dernière expérience est efficace ou non.

-         Qu’est-ce que tu vas me faire ?

-         Je vais te libérer, et tester ta résistance. Si tu parviens à survivre à ce que tu vas affronter, vous pourrez tous partir sans blessure supplémentaire, je t’en donne ma parole. Si tu échoues, tu meurs, et je pourrai faire ce que je voudrai de tes camarades.

-         Je… je…

-         Ah oui, j’allais oublier de te préciser que tu n’as pas le choix, Skaven. Tu vas faire ce que je te dis, ou bien je massacre tout le monde tout de suite.

 

Le Skaven crème jeta un regard furibond vers Karkadourian. Celui-ci recula, et quitta l’arène. Diassyon cria :

 

-         Moly, si on s’en sort, je te promets que… que…

 

En vérité, il ne savait pas quoi promettre. Que pouvait-il faire pour son malheureux frère ? Pouvait-il seulement faire quelque chose ? Moly tourna la tête vers lui, et lui adressa un petit sourire triste entre ses larmes.

 

Un autre rideau coulissa. Celui-ci était situé au-dessus de la surface ronde et sablonneuse. Karkadourian apparut, confortablement installé sur des coussins. Il tenait une planche en bois sur les genoux, sur laquelle il y avait une feuille de papier, saisit une plume, et s’apprêta à prendre des notes. Il se racla la gorge, et prononça à haute voix une succession de syllabes inintelligibles. Aussitôt, le cloporte géant relâcha sa prise et rua.

 

Moly tomba et roula sur le sable, à moitié assommé. La créature se retira, et la herse retomba. Le malheureux Pestilens se releva péniblement. La tête lui tournait, il grimaça de douleur en sentant la douleur de sa jambe se raviver. Il se secoua énergiquement, et parvint à se remettre debout. Il leva les yeux, et son regard croisa celui du sorcier. Il reprit peu à peu son souffle, et sentit sa honte se muer en une rage qui embrasa son corps tout entier.

 

Karkadourian ne parut pas impressionné. Il baragouina un ordre en parlant le chose-homme, puis annonça d’une voix claire :

 

-         Nous allons à présent procéder à notre première expérience. Combien de temps pourras-tu survivre, vilaine bête ?

 

Les grilles se relevèrent, et des grognements étranges sortirent de l’obscurité. Karkadourian continua son explication :

 

-         Vois-tu, Skaven pourri, quand un serviteur des Dieux du Chaos comme moi part en guerre, il appelle des démons venant d’un autre plan d’exis… enfin bon, pour une cervelle moisie comme toi, je vais faire plus simple : je fais venir des guerriers spéciaux par la magie. Mais ces guerriers ne peuvent pas rester trop longtemps, ils finissent par disparaître au bout d’un moment, même s’ils ne sont pas tués. Alors, je me suis appliqué à prendre des créatures de notre monde, et de les changer un peu, pour qu’elles soient aussi efficaces que ces guerriers magiques.

 

Moly écarquilla les yeux en voyant entrer dans l’arène de très singulières choses… il ne sut dire si c’était des choses-hommes ou des choses-bizarres. Deux d’entre eux étaient à première vue des choses-femmes aux mamelles saillantes, sans fourrure crânienne. Leur peau était couverte de tatouages, leurs pattes arrière étaient pourvues de sabots. Des cornes de chair poussaient sur leur front. Le plus surprenant était les longues pinces qu’elles avaient au bout des bras en guise de mains.

 

Le troisième à entrer était une chose-bizarre très particulière. Elle avait un corps de chose-homme à peu près normal, entièrement engoncé dans une armure peinte en rouge, sauf la tête. Ce n’était pas une tête de chose-homme, mais celle d’un cheval au crin blanc. La chose-cheval brandissait une lourde massue garnie de pointes. La grille se referma derrière elle.

 

Les trois choses-bizarres avancèrent lentement vers le Skaven crème. Celui-ci jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Tous les autres Skavens attendaient dans la cage, les yeux fixés sur lui. En première ligne, Diassyon et Chitik étaient côte à côte, anxieux comme ils ne l’avaient jamais été.

 

Moly était seul, nu et désarmé. Le peu d’amour-propre qui lui restait avait été sérieusement mis à mal par Karkadourian. Il ne lui restait plus que sa fureur, et il était bien décidé à la déchaîner sur ses bourreaux.

 

Justement, la première chose-femme à pinces s’approcha, avec un petit rire moqueur. Elle fit un pas, puis un autre, ses sabots s’enfoncèrent lentement dans le sable. Puis elle bondit en avant avec un cri sauvage, les pinces prêtes à l’agripper. Il plongea sur le côté, pas assez rapidement. La pince dentelée de la créature lui râpa la cuisse. Le Skaven crème se remit sur pied, et sentit le sang poisseux s’écouler sur son pelage. La chose-femme ricana en faisant claquer ses pinces. Ce fut l’affront de trop pour le Pestilens. Il sentit la rage mettre le feu à ses nerfs, sa courte fourrure se hérissa, sa respiration accéléra, et de la bave moussante dégoulina de sa bouche.

 

Les deux choses-femmes avançaient en faisant onduler leurs membres fins, lentement. Derrière, la chose-cheval attendait patiemment son tour. Les deux femelles dansèrent autour de Moly, tournaient autour de lui sans s’approcher ni s’éloigner, sans se déparer de leur troublant sourire. Bientôt, il se retrouva pile entre les deux. Il ne pouvait plus les avoir en même temps dans son champ de vision, et cela le rendit nerveux. Il eut le pressentiment que celle qui se trouvait devant lui continuerait sa parade dérangeante, et que l’autre en profiterait pour lui charcuter le dos. Il fit un pas en avant vers la chose-femme, qui recula avec un petit rire. Il se retourna en un sursaut, et remarqua que l’autre chose-femme s’était rapprochée, elle. Le temps de le constater, la première femelle avança vers lui de deux pas.

 

Moly sentit le piège se refermer lentement mais sûrement sur lui. Il décida de ne pas se laisser faire. Il fit un pas vers l’une des deux femelles, elle fit un pas en arrière. Il leva la jambe pour amorcer un deuxième pas, puis se retourna brusquement. La chose-femme derrière lui avait anticipé son geste et s’était mise en position de garde. Mais le Skaven crème se montra plus malin : à peine avait-il fait mine de s’attaquer à la deuxième femelle qu’il bondit sur la première, toutes griffes dehors.

 

Même dans son triste état dû à la maladie, Moly était capable de se battre, surtout en pleine frénésie. Il laboura sans retenue les avant-bras de la chose-femme qu’elle avait tendus devant son visage. Elle grinça de rage, et balança son sabot dans le ventre du Skaven. Il fut projeté en arrière, le souffle coupé, et roula sur le sable. L’autre chose-femme sauta vers lui, les pinces prêtes à l’agripper. Il esquiva l’attaque de justesse, et glapit de douleur. La chose-femme avait emporté un petit morceau de la peau de son flanc. Il recula, son regard passant furieusement de l’une à l’autre des deux femelles.

 

Celle qui se trouvait sur sa gauche fit encore claquer ses pinces en se balançant lentement. Puis elle fit un immense saut, bras levés, pour les abattre à toutes forces sur le Skaven. Au lieu de reculer, Moly bondit en avant, tête baissée, et percuta la chose-femme au niveau de la poitrine. Il la saisit à bras le corps, et la précipita contre l’un des murs de pierre. Elle hurla quand son dos délicat heurta la paroi rugueuse. Le Pestilens lui enfonça directement les doigts dans les yeux, puis coupa court à ses cris en lui tranchant la gorge des griffes de son autre main. La chose-femme s’effondra dans ses bras.

 

Moly couina de satisfaction. Une chose-bizarre de moins ! Il reprit confiance en lui. Le combat n’était pas terminé, mais il avait une bonne chance de l’emporter ! Immédiatement, il fit face à l’autre chose-femme. Celle-ci ne souriait plus, consciente qu’elle avait affaire à un adversaire plus dangereux qu’il n’en avait l’air. Jambes fléchies, les pinces à la hauteur de sa tête, elle attendait un signe de la part du Skaven crème. L’odeur de sang frais énerva le Pestilens, qui ne voulut plus perdre de temps. Il courut vers la chose-femme en balayant l’air de sa patte aux doigts crochus. La chose-femme recula avec un mouvement de la pince, et saisit la main du Skaven au niveau du poignet. Elle espéra lui couper le bras, mais l’homme-rat fut plus rapide : il cracha un flot de salive visqueuse vers son visage. Elle se retrouva aveuglée par le fluide puant, et relâcha sa prise pour s’essuyer les yeux.

 

Moly dégagea sa main, la plongea vers le ventre de la chose-femme. Ses griffes déchirèrent la chair violacée et tendre. Curieusement, la créature ne cria pas aussi fort que les choses-hommes faisaient habituellement. Mais ça ne changea rien pour Moly. Le bras enfoncé dans les entrailles de la chose-femme, il farfouilla à toute vitesse, et sentit entre ses doigts quelque chose de mou et d’élastique. Il tira de toutes ses forces. Cette fois-ci, la femelle poussa un cri strident, alors que le Pestilens lui arrachait toutes les entrailles. Elle s’écroula.

 

Moly sentit des acclamations et des applaudissements monter à ses oreilles. Il jeta un coup d’œil vers la cage. Pas de doute, ses camarades, surexcités, l’encourageaient comme jamais ils ne l’avaient fait. Le Skaven crème sentit une vague de plaisir lui parcourir le dos. C’était une sensation plaisante, grisante, même. Jamais ça ne lui était arrivé ! À cette heure, il était vraiment important. Ses camarades, ses frères comptaient sur lui, il était leur unique espoir de sortie, leur vie dépendait directement de sa réussite ! Comme c’était excitant ! Ils n’allaient pas être déçus !

 

Justement, la chose-cheval s’approchait à son tour, prête à écraser le Skaven de sa massue à pointes. Le Pestilens sentit son museau se froncer. Celui-là allait être plus dangereux. Il était grand, presque plus grand que Chitik, sa lourde armure de fer semblait solide, et quand il fit des moulinets avec sa massue, l’arme siffla bruyamment dans l’air. L’acolyte était bien décidé à ne pas se laisser toucher par ce redoutable outil.

 

Les deux combattants tournèrent lentement l’un autour de l’autre, chacun évaluant l’autre du regard. Moly voulait pousser la chose-cheval à faire un faux mouvement en faisant quelques brefs sursauts, mais l’autre ne s’y laissa pas prendre.

 

Dans la cage, les deux frères échangèrent un regard inquiet. Tous deux avaient applaudi deux fois plus fort que les autres en voyant l’incroyable performance de leur cadet, mais ils avaient compris que cet ennemi-là était bien plus redoutable que les deux femelles à pinces. Chitik, habitué au corps à corps, jaugea rapidement la chose-cheval. Elle paraissait musclée sous son armure, et bien plus difficile à renverser. Rouer cette créature d’une multitude de petits coups rapides ne suffirait probablement pas, et Moly, même au summum de sa fureur, n’était pas assez costaud pour vaincre par la force brute.

 

Le Skaven crème oscillait la tête de gauche à droite, de plus en plus largement, puis se mit à danser d’un pied sur l’autre. La chose-cheval resta impassible, se contentant de fixer le jeune homme-rat, sans broncher. Moly cessa de bouger, comprenant que sa tentative ne marchait pas.

 

Aussitôt, la chose-cheval balança de haut en bas sa massue. La tête cloutée s’abattit sur le sol, souleva un nuage de sable là où se trouvait le Skaven un instant plus tôt. Sans ralentir, la créature frappa encore, et encore, et encore, en long, en large. Chaque mouvement brassait l’air, chaque coup était sans doute mortel.

 

Moly était un Skaven, un vrai Fils du Rat Cornu, et comme tous ceux de son espèce, il était bien plus vif que la plupart des autres créatures. Il parvenait à esquiver les attaques de la chose-cheval, mais tout ceci commençait à le fatiguer. Lorsqu’il sentit la boule d’acier écraser le bout de sa queue, il couina de douleur, et bondit vers l’arrière.

 

Il saisit son appendice caudal à deux mains, et regarda son extrémité. La douleur et l’horreur lui arrachèrent encore des larmes, quand il vit que le dernier pied de sa queue était complètement broyé, réduit en une sanguinolente purée. Il jeta un regard chargé d’éclairs de rage vers la chose-cheval, et crissa de toutes ses forces, impatient de laver l’affront. Il courut en faisant un cercle autour de la chose-cheval, lui sauta dessus et lui mordit le bras. Il eut une mauvaise surprise en sentant l’acier rouge résister à ses incisives. En effet, les dents des Skavens étaient normalement suffisamment acérées pour perforer les armures des choses-hommes, lui-même avait déjà vu l’un ou l’autre de ses frères accomplir cette prouesse. Or, ses dents toutes émoussées n’étaient pas assez coupantes, ou bien la chose-cheval portait une armure faite d’un matériau trop solide. Il resta ainsi accroché à l’avant-bras de la chose-bizarre qui lui décocha un solide coup de poing au museau.

 

Moly fut projeté en arrière. Il glissa sur le dos, et roula, roula, jusqu’à se retrouver sur le ventre. Il entrouvrit lentement les yeux, et crut flotter au milieu d’un tourbillon d’étincelles. Son nez n’était plus qu’une boule de douleur ensanglantée. Ses tempes bourdonnaient si fort qu’il entendait à peine les cris apeurés des Skavens le supplier de repartir au combat. Il se releva, secoua la tête, renifla bruyamment, et grinça de rage. Il décida de jouer le tout pour le tout.

 

Le Skaven crème courut dans la direction opposée à son adversaire, prit appui sur le mur, et fonça en avant deux fois plus vite. Puis il fit un immense saut, jambes tendues en avant, et percuta la chose-cheval de plein fouet au niveau du torse. La chose-cheval encaissa le coup, bien solidement campée sur ses jambes. Surpris par une telle résistance, le Skaven crème tomba sur le dos, aux pieds de la chose-bizarre. Il n’eut pas le temps de réagir, cette fois. Il sentit sa poitrine comprimée par une force irrésistible. Il releva la tête, et vit l’énorme jambe de la chose-cheval pile sur son cœur. Il essaya frénétiquement de la repousser, en vain.

 

La chose-cheval écrasa sa botte ferrée sur le sternum de l’homme-rat. La douleur surpassa l’adrénaline, et se fit rapidement insupportable. Moly hurla – du moins, il essaya, mais n’émit qu’un râle étranglé. La chose-cheval leva lentement son arme. Le Pestilens vit dans son œil briller une petite lueur de réjouissance maléfique. Son adversaire se délectait de sa peur de mourir. Il se débattit avec l’énergie du désespoir, mais le pied de la chose-cheval ne bougea pas. Soudain, par réflexe, il parvint à contracter le bon muscle, et envoya sa queue fouetter le dos de la chose-cheval. La pointe de son appendice claqua sur son oreille. Elle sursauta en portant la main à sa tempe, coupée dans son élan. Cela suffit au Skaven crème. Il taillada le jarret de la chose-cheval de ses griffes. Puis, sentant la pression de la botte se relâcher, il la saisit à deux mains et poussa de toutes ses forces. La chose-cheval tomba en arrière et atterrit lourdement sur son postérieur avec un renâclement surpris.

 

Moly n’allait pas laisser passer une telle opportunité. Il bondit sur la chose-cheval, en lui enfonçant les pouces dans les narines, la plaqua au sol et la mordit au cou de toute la puissance de ses mâchoires. Immédiatement, la peau se déchira, les veines rompirent, le sang gicla. Mais le Pestilens ne relâcha pas pour autant sa prise. Il tira, il arracha, il déchiqueta. La chose-cheval hennit de douleur, tenta de le repousser, mais toutes ses forces filaient par la blessure béante. Bientôt, la chose-cheval resta allongée sur le sable rouge de sang, et ne bougea plus.

 

Ce ne fut qu’au bout d’une longue minute que Moly cessa de s’acharner sur la chose-cheval. Il releva la tête, son museau, sa bouche, son cou et sa poitrine étaient rouges et poisseux. Il regarda Karkadourian, et souffla furieusement dans sa direction. Le sorcier, qui ne laissa pas paraître la moindre émotion, se contenta d’applaudir lentement.

 

-         Compliments, Skaven. Tu as détruit en quelques minutes le résultat de plusieurs mois de travail. Mais je ne t’en tiendrai pas rigueur. Après tout, cela démontre ce dont un seul des tiens est capable quand il est acculé, et je tâcherai d’en tenir compte pour mes futures expériences. Tu te débrouilles bien. Voyons maintenant ce que tu es capable de faire contre quelque chose que j’ai préparé spécialement à ton attention. Ceci sera ta dernière épreuve !

 

La grille du fond coulissa de nouveau. Une silhouette gracile entra dans l’arène. Tout le monde se tut. Moly se retrouva littéralement pétrifié par ce qu’il vit.

 

Devant lui se tenait un Skaven. Il avait le museau fin, le crâne rond, la morphologie délicate. Aucun vêtement ne couvrait son corps à la fourrure teintée de tons bleus et roses. D’étranges symboles cabalistiques étaient tatoués à l’encre bleue sur son ventre et son abdomen. Il y avait quelques signes qui le désignaient comme étant une aberration digne des laboratoires du Clan Moulder – une grosse pince en guise de main droite, la queue se terminant par un dard de guêpe.

 

Sans comprendre pourquoi, Moly se retrouva complètement subjugué par cette apparition. Il trouva ce Skaven particulièrement plaisant à regarder. Mais pourquoi ? Il n’était clairement pas naturel, et jamais aucun Skaven n’avait autant attiré l’attention du jeune Pestilens. Peut-être était-ce sa démarche gracieuse ? Ses membres délicats ? Sa taille aux hanches arrondies qui ne demandaient qu’à être pétries sous ses doigts ? Il y avait encore autre chose qui en émanait… l’odeur ! Oui, cette odeur enivrante, délicieuse… jamais Moly n’avait respiré un tel parfum. Le Moine de la Peste secoua la tête. Il n’allait pas laisser cet étrange Skaven lui affoler les sens !

 

La créature avança encore de quelques pas, et émit de petits gloussements aigus. Une mélodie particulièrement aguicheuse, qui électrisa davantage la colonne vertébrale du jeune homme-rat. Elle dandina de la croupe, puis balança lentement le bassin d’avant en arrière, sans cesser de sourire ni de glousser.

 

En regardant plus attentivement, Moly eut un choc qui le laissa bouche bée.

 

Une femelle !

 

Du haut de son siège, Karkadourian jubilait.

 

-         Eh bien alors ? À quoi joues-tu, Skaven ? Tu as massacré deux femmes sans la moindre hésitation ! Et celle-là ? Ah ! Serait-ce parce qu’elle a une longue queue et de grandes dents, comme toi ?

 

Le Pestilens ne savait pas du tout quoi faire. Hé oui, les Pestilens de Brissuc étaient tenus à l’écart des reproductrices, à cause de leurs maladies. Une fois au sein du Clan, ils devaient renoncer définitivement à ce plaisir afin de ne pas risquer de contaminer les procréatrices. En temps normal, les drogues les aidaient à oublier leurs pulsions. Mais le Skaven crème était en état de manque, et ressentait pleinement l’influence des hormones de la femelle, dont il découvrait la fragrance.

 

La pondeuse sourit davantage, comme elle avait conscience de l’état d’affolement du jeune Moine de la Peste. Elle ronronna, et s’approcha encore. Quand elle ne fut plus qu’à un souffle de Moly, elle se lécha les babines. Elle était presque aussi grande que lui, et beaucoup plus assurée. Elle leva alors la main gauche et la fit glisser le long de son épaule. Gracile, délicate, son contact provoqua en lui une véritable tempête d’émotions.

 

Non, non ! Les femelles ne sont… que pour les Skavens méritants ! Et jamais pour les Pestilens ! Je suis si moche, si mal fichu ! Aucune pondeuse ne pourrait fabriquer des petits Skavens sains avec moi !

 

Et pourtant, la créature ne semblait pas du tout indisposée par sa laideur. Elle prit avec une infinie douceur sa main droite, et la dirigea lentement vers sa poitrine. Moly eut le souffle coupé lorsqu’il sentit les formes moelleuses et fermes de la femelle onduler sous ses phalanges. Il lui sembla même percevoir les battements de son cœur. Sans cesser de glousser, elle continua à guider sa main sur son corps. Puis elle se colla contre lui.

 

-         J’avoue que j’ai un peu extrapolé, l’ami, continua Karkadourian. Connaissant les Skavens, je doute que vos filles aient la liberté de jouer la carte de la séduction. Alors, je me suis appuyé sur les charmes des démonettes pour lui inculquer l’art de la parade amoureuse. J’espère que ça ne te dérangera pas ?

 

Bouche bée, les yeux exorbités, Moly vit la reproductrice ouvrir légèrement la bouche. Sa langue était fourchue comme celle d’un serpent, et ses incisives étaient pointues tels des crochets à venin. Il sentit sa queue s’enrouler progressivement autour de sa jambe malformée. Alors, il poussa un beuglement désespéré, et repoussa fermement la femelle d’une pression de la paume sur le museau. La pondeuse tomba sur l’arrière-train. Elle se stabilisa en posant les pattes avant sur le sable. Loin d’éprouver la moindre douleur, elle se fit plus attractive encore. Elle releva le bassin, et le fit onduler, sans cesser de rire.

 

-         Ah, bravo ! Belle exemple de galanterie ! ricana le sorcier de Slaanesh.

 

Moly se sentait de moins en moins motivé. Les moqueries de la chose-homme le firent douter de sa sincérité.

 

Va-t-il vraiment tenir sa promesse ? Son dieu est le plus trompeur de tous les dieux des choses-bizarres.

 

Et voir la femelle ainsi offerte à lui, cuisses écartées, avec ce regard langoureux et ces petits couinements aguicheurs, son parfum enivrant, les couleurs bariolées de sa fourrure teinte, faisait bouillonner son cerveau et son bas-ventre. Il n’avait pas affaire à un vieux Diacre aux idées dérangeantes, mais à une créature merveilleuse, de plus en plus désirable.

 

Et c’est la première fois qu’on me laisse approcher une pondeuse !

 

-         Tu as peur de lui refiler tes maladies ? demanda Karkadourian. N’aie crainte, j’en ferai une autre. Elle est toute à toi ! Amuse-toi tant que tu veux avec !

 

Elle continuait à remuer le bassin, toujours avec ce petit rire… C’en fut trop pour le Skaven.

 

Il va tous nous faire tuer. Autant que j’en finisse comme ça !

 

Il se laissa finalement submerger par cette idée. Il ne voyait plus qu’une invitation à un délice sans doute mortel, mais de toute façon, il n’avait plus rien à perdre. Il expira un bon coup, et relâcha ses épaules. Il fit un pas vers la femelle, puis un deuxième. Dans la cage, tous les Skavens paniquèrent.

 

-         Moly, non !

-         Fais pas ça, elle va te tuer-tuer !

-         Tu vas tous nous faire mourir !

-         Étripe-la ! Massacre-la !

 

Moly ne voyait rien d’autre que la reproductrice à ses pieds, et seul le son de ses halètements parvint à ses oreilles. Il s’accroupit, et avec un glapissement aigu, se jeta sur elle. Elle s’allongea de tout son long et éclata de rire quand il la couvrit.

 

Le jeune Moine de la Peste était enchanté. Peu à peu, l’excitation parvint à son paroxysme. Rejetant la tête en arrière, il poussa un rugissement guttural d’une puissance surprenante. Il n’avait jamais eu l’idée d’une telle explosion de plaisir. Saillir la pondeuse fut une expérience tellement extatique qu’il en oublia complètement sa souffrance. Tout son être n’était plus qu’un irrésistible enivrement, et ce fut à peine s’il sentit le dard de l’étrange créature se planter dans sa nuque avant de s’évanouir.

 

-         Moly ! Non, Moly ! gronda Chitik.

 

Les autres Skavens hurlèrent de panique et de désespoir, voyant leurs chances de s’échapper mourir avec le Pestilens. Diassyon, en revanche, ne réagit pas, tellement choqué par ce qu’il était en train de voir.

 

-         On dirait que nous avons un perdant ! déclara Karkadourian avant d’éclater de rire.

 

Le Skryre détourna la tête quand il vit son frère se relâcher comme un pantin, maintenu par l’aiguillon de la femelle démoniaque. Avec un rire strident, elle le repoussa de ses pattes arrière. Puis elle se redressa, plaqua au sol le Pestilens, lui mordit le cou et déchiqueta sa poitrine de sa pince.

 

*

 

Une heure plus tard, le calme était revenu dans la grande cage. Plus aucun Skaven ne disait le moindre mot. Tous n’avaient plus qu’une seule certitude : celle de mourir dans cette cage, ou pire, entre les mains de ce savant fou. Les plus belliqueux d’entre eux étaient les plus choqués. Leur fierté de mâle dominant en avait pris un coup. Comment une femelle, une vulgaire reproductrice, faible, stupide et même pas naturelle, avait pu assassiner un vrai Skaven qui avait exterminé trois choses-bizarres coup sur coup une minute auparavant ? C’était impossible ! Même le Rat Cornu n’aurait jamais pu permettre une telle ânerie ! Et pourtant…

 

Chitik, plus concentré sur les combats que sur la misogynie intrinsèque des Skavens, se repassait le combat en tête encore et encore. Lui avait compris que Moly s’était laissé faire. D’une manière ou d’une autre, la pondeuse l’avait piégé. Il se souvint alors de Skahl du Clan Moulder, son autre frère mort de la même façon, bien des lunes auparavant. Karkadourian avait fait des progrès. Autant il avait été facile pour la Vermine de Choc de résister à la tentation de s’accoupler avec la reproductrice de Niklasweiler, autant celle-là semblait bien plus dangereuse. Et si le sorcier de Slaanesh réussissait à en créer d’autres ? Un régiment entier était capable de rendre fous tous les Guerriers des Clans à portée. D’abord, ils se battraient tous entre eux pour pouvoir jouer avec les femelles, puis les survivants mourraient de plaisir entre leurs cuisses.

 

Un bruit très désagréable interrompit les pensées du Skaven Noir. Au-dessus de la cellule, quelqu’un se mit à jouer de la flûte. Chitik sentit sa fourrure se hérisser. Pour les Fils du Rat Cornu, la flûte était un instrument de musique lié à de sinistres anecdotes, notamment celle du flûtiste charmeur de Skavens qui, disait-on, avait ensorcelé tout un contingent de Skavens et les avait poussé à se noyer dans un fleuve grâce à sa musique. Selon leurs croyances, le son d’une flûte portait malheur. La simplicité d’esprit de Chitik le rendait très superstitieux. Il leva la tête vers la grille du plafond.

 

-         Arrêtez ça, c’est affreux-affreux !

 

Le son de flûte s’arrêta, un petit rire narquois retentit, et la musique reprit, plus forte, plus enjouée. Le Skaven Noir couina de colère. Il ramassa un crâne qui traînait dans le sable et le lança de toutes ses forces en l’air. Le crâne se brisa en mille morceaux contre l’acier de la grille. Encore une fois, la musique cessa, il y eut un petit soupir impressionné, et des pas s’éloignèrent.

 

 

Diassyon n’avait pas prêté attention. Assis sur le sable, les deux mains jointes sur son museau, il était bouleversé comme jamais il n’avait été. L’annonce de la mort de Psody l’avait déjà bien attristé, mais il n’avait pas eu à supporter le spectacle de ses derniers instants. Cette fois, c’était différent. D’abord, il avait perçu pleinement le désespoir de son frère en le voyant nu et sans défense, et ne s’en était toujours pas remis.

 

Si seulement il avait bien voulu me parler, me dire ce qu’il avait sur l’estomac… J’aurais peut-être pu l’aider à se sentir mieux !

 

Ensuite, il avait été témoin de sa tragique disparition. Ce n’était pas seulement triste, c’était aussi insensé. En effet, il ne savait pas ce qu’il devait ressentir. De la peine ? Pour un Skaven qui n’avait pas su se défendre contre une vulgaire pondeuse ? Non, selon la mentalité des Fils du Rat Cornu, il ne le méritait pas. Mais Diassyon avait assumé depuis longtemps le fait d’avoir des opinions différentes, et pour lui, Moly était bien plus qu’un Skaven parmi d’autres. Ces derniers mois, il y avait eu un lien spécial entre eux, le même qui l’unissait à Chitik, et qui l’avait rattaché autrefois à Psody. D’autre part, les petites misères perpétuelles du Pestilens avaient pris fin, et ses dernières sensations avaient été les plus agréables de toute sa vie. Il était sans doute plus heureux là où il était désormais. Était-ce triste ? Et puis, pouvait-il y avoir une plus belle fin que de mourir d’un plaisir extrême ?

 

La trappe s’ouvrit au-dessus d’eux. Une voix cria :

 

-         Régalez-vous, les rats !

 

Plusieurs quartiers de viande moisie tombèrent de l’ouverture, au centre de la cave. Attiré par l’odeur, Diassyon se leva, voulut approcher, hésitant cependant en avançant prudemment un pied. Il recula en toute hâte lorsqu’un poids mort s’abattit dans un grand bruit sur le tas de nourriture avariée. Le Skryre tomba à genoux et gémit lamentablement en voyant qu’il s’agissait du cadavre mutilé de Moly. Le pauvre Pestilens n’avait plus qu’un trou béant et ensanglanté en guise de poitrine, et son cou portait les traces de morsures et piqûre de la maléfique pondeuse. Sans la moindre pensée de prudence par rapport aux maladies, il serra contre lui le corps de son frère et lui caressa amoureusement la tête.

 

-         Hélas, hélas, pauvre Moly ! Que le Rat Cornu soulage à jamais ta douleur !

 

Ses camarades Skavens conscients le regardaient drôlement. Une telle compassion était très inhabituelle pour ce peuple qui n’avait normalement que faire des liens du sang. Pour eux, une fois le jeune Pestilens mort, il n’était déjà plus digne de leur intérêt. Peut-être que le Skaven brun perdait la raison à son tour ?

 

Le jeune Technomage poussa un gémissement plus triste encore lorsqu’il vit l’expression du Moine de la Peste. Le Skaven crème avait les yeux fermés comme s’il dormait, les traits détendus, et un immense sourire de soulagement étirait ses lèvres.

 

-         Oh…. Oui ! Tu vois, frère… tout est tellement plus agréable, tout paraît plus beau… quand on sourit.

 

Chitik posa une main réconfortante sur son épaule. Le cadet tourna le museau vers son aîné.

 

-         Dis-moi que Karkadourian va très vite rejoindre son dieu par nos soins !

-         Quand nous serons sortis d’ici, nous reviendrons avec des renforts, mon frère. Et à ce moment-là, nous ne partirons pas sans le cœur-cœur de ce sorcier !

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