L'Enfant Terrible du Rat Cornu

Chapitre 14 : La Ville des Lumières

9573 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/04/2020 10:17

Psody était attaché au mur de pierre du temple des choses-froides. Devant lui se tenait le Prophète Gris grand et mince que le jeune Skaven Blanc reconnut comme étant Thanquol. Celui-ci tenait un grand maillet de bois.

 

-         Maître Thanquol… hasarda Psody.

 

Thanquol, le célèbre Prophète Gris responsable de la Grande Invasion de Nuln, murmura d’une voix terrible :

 

-         Tu sais qui je suis. Tu sais ce que je peux faire. Tu sais ce que je veux.

-         Non ! Euh… Oui ! Mais… Non !

-         Tu es un élu du Rat Cornu. Tu es né pour le servir selon ses désirs.

-         Ses désirs, oui… pas les vôtres ! répliqua courageusement le jeune homme-rat.

-         Et les miens ? demanda une voix mielleuse.

 

Il sentit alors de longs doigts lui caresser le menton. Il tourna la tête, et vit Vellux, près de lui, qui le regardait avec sympathie… voire un sentiment plus profond. Mais il ne fut pas dupe.

 

-         Vous… vous m’avez tué !

-         C’est Klur qui a planté sa lame dans ton dos.

-         Sur votre ordre !

-         C’est vrai, mais je le regrette. J’ai sous-estimé ta force de caractère. Et à présent, je vois que c’était une bêtise.

-         Menteur !

-         Oh, Psody ! Après toutes ces années, tu doutes de ma parole ?

 

Psody siffla entre ses dents. Vellux s’éloigna de quelques pas. Thanquol ordonna sévèrement :

 

-         Tue Gotrek et Félix !

-         Non ! répliqua Psody avec audace.

-         Tu es sous nos ordres, tu dois nous obéir ! Tu as gagné la confiance de cette infernale chose-homme et de ce vermisseau à crête orange, je t’ordonne de les punir-punir comme ils le méritent !

-         Jamais ! Maître Jaeger seul peut m’aider à comprendre !

 

Le grand Skaven Blanc leva son maillet, et l’abattit sur la jambe gauche du prisonnier. Psody hurla en entendant un affreux craquement et en ressentant la terrible douleur conséquente. Vellux eut l’air navré.

 

-         Tu as un potentiel extraordinaire, Psody. Le Rat Cornu a placé de grandes espérances en toi ! Ne les gaspille pas bêtement chez ces choses-hommes. Les choses-hommes ne sont vraiment pas dignes d’être écoutées !

-         Félix n’est pas un sale menteur comme vous !

-         Tu en es sûr ?

-         Il a quelque chose que vous n’aurez jamais ! Ni vous, ni vous, Thanquol !

 

Thanquol écrasa le bras droit de Psody, au niveau du coude. Le jeune homme-rat crut qu’il allait s’arracher les cordes vocales à force de crier.

 

-         Inutile, Vellux. Il est trop obstiné.

-         Maître Thanquol, je sais qu’il peut voir !

-         Mais pas selon notre bon vouloir. Et pas selon l’avis du Conseil des Treize.

 

Thanquol souleva encore une fois son arme. Vellux s’affola :

 

-         C’est ta dernière chance, Psody ! Si tu tues ces deux misérables, tu gagneras notre pardon ! Tu pourras revenir à Brissuc, reprendre ta place à mes côtés, et je pourrai répondre à toutes tes questions. Je te le promets.

-         Ah oui ? Alors… répondez à celle-ci : qui est ce Skaven Blanc qui a été condamné par les choses-froides ?

 

Vellux écarquilla les yeux, puis fit une grimace de dépit. Il se tourna vers l’autre Prophète Gris, et fit un petit hochement de tête de négation. Avec un feulement rauque, Thanquol flanqua un grand coup sur la tête du jeune homme-rat.

 

 

Psody se réveilla en sursaut, avec un cri de frayeur. Tout autour de lui, il faisait sombre, tout bougeait, l’air était difficilement respirable. Il mit quelques secondes à se remémorer la situation. Il n’était plus au donjon de Gottliebschloss, mais dans une cage recouverte de planches, de plaques de bois, de pièces de tissu, dissimulée dans le plancher d’un grand char de transport de marchandises.

 

-         Tout va bien, là-dedans ? demanda la voix de Romulus

-         Ça va, répondit le Skaven Blanc. Juste un cauchemar. C’est terminé.

-         Gardez le sourire, on n’en a plus pour très longtemps.

-         Désolé si je vous ai énervé…

-         Rassurez-vous, c’est reposant d’être avec vous. On était obligés d’assommer vos prédécesseurs de drogues pour les empêcher de crier pendant tout le trajet !

-         Évitez quand même de faire ça n’importe quand, demanda Jaeger. Pour ce coup-ci, on a eu de la chance, il n’y avait personne. Mais si un garde vous entend, nous sommes tous mûrs pour la prison, et vous pour l’abattoir !

 

Psody ne répondit pas. Pouvait-il contrôler son sommeil ? Il décida de ne plus y penser. De toute façon, il avait assez dormi. Il s’assit plus confortablement – heureusement, la boîte était suffisamment grande pour qu’il ne fût pas trop gêné par ses cornes – et attendit, en essayant de faire le vide dans son esprit.

 

 

Félix Jaeger était assis à l’avant du véhicule et tenait les rênes. Le prieur Romulus était à ses côtés, et Gotrek était allongé sur le toit du chariot. Les chevaux avançaient lentement, mais ne semblaient pas énervés par l’odeur de leur cargaison particulière. Le poète, en revanche, n’était pas très rassuré.

 

-         Vous dites que ça s’est toujours bien passé ?

-         Oui, maître Jaeger. On assommait les Skavens à coups de boulettes de viande assaisonnée de somnifères puissants. Hé, c’était ça, ou le passager faisait tellement de bruit qu’il faisait peur aux chevaux, et qu’on l’entendait à des centaines de yards à la ronde ! La première fois, on a mal calculé la dose, il en est mort.

-         C’est sûr, celui-là se tient tranquille. Ah ! Ça fait plaisir de rentrer chez soi !

 

L’objectif du convoi était en vue. Déjà, les chariots, les chevaux et les piétons se faisaient de plus en plus nombreux. Romulus demanda :

 

-         Pouvons-nous nous arrêter quelques instants ? Il faut qu’on donne quelques consignes à notre invité.

 

Jaeger tira sur les rênes, et les chevaux stoppèrent leurs pas. Sur le chariot, Gotrek se releva, s’étira en bâillant bruyamment, et descendit à terre.

 

-         Vivement une bonne bière ! Je te préviens, graine d’homme, quand on aura mis ce rat dans sa niche, on vide une taverne !

-         Promis, Gotrek.

 

Le poète se pencha vers la cage. Il dégagea la partie supérieure, exposant la trappe du dessus.

 

-         Nous sommes pratiquement arrivés, Psody.

-         Ah ! Bonne nouvelle !

-         Vous voulez un peu d’eau ?

-         Je veux bien. Et… vous pouvez me passer le pot ?

 

Jaeger ouvrit la petite trappe, et la main du Skaven Blanc sortit. L’Humain lui donna une gourde, puis le récipient de fonte. Il descendit du chariot, et rejoignit le prieur qui se dégourdissait les jambes.

 

-         J’ai fait pas mal de choses inhabituelles, dans ma vie, beaucoup ont été considérées comme hérétiques, mais ça… ça dépasse tout !

-         Une fois que nous serons à Altdorf, vous pourrez partir quand bon vous semblera, maître Jaeger. Vous connaissez notre but, vous prenez des risques en ce moment, au point où vous en êtes, ça ne fera pas de différence.

-         Je sais, mais ce petit homme-rat m’intrigue. Je ne pensais pas dire ça un jour, mais son histoire me touche. J’ai hâte d’en savoir plus sur lui.

-         Pour ce que j’ai pu voir, je suis sûr qu’il est beaucoup moins maléfique que les autres. Il est très jeune, il ne peut pas avoir l’esprit assez tordu pour nous mener en bateau. Je crois vraiment qu’il peut nous apporter des réponses, et qu’il est sincère.

-         Puisse Sigmar vous donner raison, prieur !

 

Les deux hommes repartirent vers la charrette.

 

-         Vous avez fini ?

 

Jaeger vit le pot de fonte remonter. Il le prit, ferma la trappe, redescendit du chariot et alla le vider dans le fossé. Il vit alors quelque chose qui capta son attention quelques instants. Il regagna le chariot.

 

-         Psody ?

-         Oui ?

-         Je vais ouvrir un peu plus la trappe. Passez votre tête, et regardez droit devant vous.

 

L’Humain fit coulisser la trappe, et la tête du jeune Skaven Blanc sortit lentement. Ses yeux étincelèrent, alors qu’il était bouche bée.

 

-         Ouaouh ! Mais… qu’est-ce que c’est ?

-         C’est Altdorf, ma ville natale.

 

Devant le chariot, le chemin descendait vers un vallon où se déployait une gigantesque cité entourée de remparts. Elle semblait véritablement immense, et grouillait d’activité. De nombreux panaches de fumée sortaient des cheminées, des tuiles et des ardoises de toutes les couleurs créaient un patchwork éblouissant sans être criard. Certains bâtiments se distinguaient par leur taille et leur forme. Une rivière la traversait de part en part.

 

-         C’est grand !

-         Eh oui ! C’est la plus grande ville de l’Empire, et probablement une des plus grandes jamais construites par les Humains.

-         C’est encore plus grand que Marienburg !

-         Oh, vous êtes allé à Marienburg ?

-         C’est là que j’ai su où vous trouver.

 

Le poète eut un léger frisson en réalisant l’efficacité des réseaux d’informateurs de l’Empire Souterrain. Le petit homme-rat s’exclama alors :

 

-         Oh ! C’est quoi, ce grand bâtiment avec la coupole ?

-         C’est le Grand Temple de Sigmar, Psody. Au cas où vous ne le sauriez pas, Sigmar est notre dieu principal, expliqua Jaeger. Il serait plus sage de ne pas vous rendre dans ce temple si vous ne voulez pas finir sur un gril !

-         Il va y avoir plusieurs règles à suivre pendant votre séjour à Altdorf, Psody, enchaîna Romulus. Pour commencer, on va vous mettre dans une cellule aménagée. Il ne faudra jamais vous déplacer tout seul, sans l’autorisation expresse du maître des lieux ou de moi-même. Si vous tentez de vous échapper, nous serons obligés de vous couvrir de chaînes. Le maître des lieux a décidé de vous faire confiance, il ne faudra pas trahir cette confiance, sinon tout sera rompu.

-         Euh… d’accord.

-         Je sais que tout ira bien. Moi, j’ai confiance. Autre chose, pendant que j’y pense : il ne faudra jamais recourir à la magie de manière poussée, ni vous présenter devant un mage impérial. Ces gens ne sont pas tellement aimés. On sait qu’ils sont nécessaires pour lutter contre les ennemis de l’Empire, mais ils inspirent la crainte.

-         Ah oui ? Chez les Skavens, les sorciers font peur-peur, mais chez vous aussi ?

-         Généralement ce sont des individus distants, fiers et jaloux de leurs pouvoirs et des mystères qui en découlent. Ils ne supportent pas la concurrence. Si un mage venait à vous rencontrer, soyez sûr qu’il irait immédiatement vous dénoncer !

-         Bon, nous devons y aller, reprit Jaeger.

 

Psody hocha la tête, comprenant ce que l’Humain voulait dire. Il regarda une dernière fois vers Altdorf, et se rassit dans la cage. Romulus referma la trappe.

 

-         Allez, tenez bon, nous sommes presque arrivés. Mais à partir de maintenant, vous ne devez plus prononcer le moindre mot jusqu’à ce qu’on vous ouvre. Nous allons passer au milieu des rues principales. Normalement, personne ne devrait sentir votre odeur ou vous entendre respirer. Plus une parole. D’accord ?

-         D’accord.

-         On va devoir franchir plusieurs postes de gardes, continua le prieur, à l’attention des deux autres compères. Normalement, tout devrait bien se passer. Notre couverture a toujours marché, et en plus, cette fois, nous n’avons pas le risque d’avoir la « cargaison » se mettre à hurler.

-         N’oublie pas que notre sécurité à tous dépend de toi, le raton ! maugréa Gotrek. Si tu nous mets dans le pétrin, je te tue ! Compris ?

-         Compris… répondit le Skaven Blanc d’une toute petite voix.

 

Durant toute l’heure suivante, Psody n’eut pour horizon que le fond de la caisse, mais son ouïe et son odorat furent assaillis par une foultitude de nouvelles sensations. Plus il se représentait le chariot approchant de la ville, plus il entendait des voix. Des Humains en majorité. Il saisit des bribes de conversation sur le climat, la hausse de taxes, il perçut un début de dispute entre deux roturiers au sujet d’un étalage mal agencé, il entendit quelques mots vantant la beauté d’une femme prononcés avec passion, et ses oreilles tiquèrent au bruit de sabots claquant sur les pavés. Et son nez lui décrivait les situations aussi clairement que s’il se promenait à pied au milieu de la foule. Les parfums foisonnaient. Des fruits frais, de la sueur, du purin, de l’eau d’égout (odeur ô combien familière), des animaux de tout poil...

 

Plusieurs fois, le chariot s’arrêta et le petit homme-rat entendit des hommes demander avec autorité un droit de passage. Chaque fois, le prieur Romulus déclinait son identité, et les hommes inconnus invitaient Jaeger à reprendre la route d’une voix plus rassurée. Le dernier arrêt fut plus long, car le prieur eut besoin de montrer un sceau pour franchir le poste de garde. Psody comprit qu’ils étaient dans le quartier où vivaient les personnes les plus influentes en écoutant la conversation entre le poète et le prieur.

 

-         Votre ami habite près du palais impérial ?

-         En effet, il est issu d’une ancienne famille noble. Lui n’a plus de titre, mais il s’en moque, il lui reste l’argent.

-         Et qu’est-ce qu’il fait, dans la vie ?

-         Il est marchand. Il exporte des biens en Estalie, en Bretonnie et en Tilée, et importe d’autres produits de ces pays.

-         Mon père aussi était commerçant, et mon frère a repris le flambeau familial. Je me demande s’ils ont déjà eu l’occasion de se rencontrer ?

-         Votre famille est dans le commerce ?

-         Principalement les tissus et la laine.

-         Et vous n’avez jamais participé à l’entreprise familiale ?

 

Ici, Jaeger laissa passer quelques instants avant de répondre :

 

-         C’est un sujet douloureux, prieur.

-         J’ai compris, inutile d’en dire plus. Je vous prie de m’excuser. Tournez à gauche, nous y sommes.

 

Le chariot continua sa route, s’arrêta le temps qu’une porte fût ouverte, et s’arrêta finalement complètement.

 

-         Et nous voilà enfin.

-         Tu parles d’un voyage, graine d’homme ! J’ai une de ces soifs !

-         Ah, voilà notre hôte.

 

Une voix grave, un peu bourrue mais enthousiaste s’exclama :

 

-         Romulus, mon ami !

-         Bonjour, Ludwig !

-         Alors, tu as fait bon voyage ?

-         Excellent, merci.

-         Et voici donc le fameux Félix Jaeger, et maître Gotrek Gurnisson ! C’est un immense honneur de vous recevoir en ma demeure !

-         Tout l’honneur est pour moi, mon sieur, répondit Jaeger.

 

Gotrek n’ajouta rien, il se contenta de roter. La voix bourrue ordonna :

 

-         Amenez-le dans la chambre sécurisée.

 

Plusieurs paires de bras soulevèrent la boîte, et la transportèrent péniblement. Psody n’osa dire le moindre mot, et serra les dents en supportant les cahots tant bien que mal. Il se cala fermement dans un coin de la caisse.

 

-         Bien, Romulus, parle-moi donc un peu de notre nouvel hôte.

-         Ma foi, tu risques d’être surpris !

 

Le petit Skaven Blanc n’entendit pas la suite de la conversation. Il comprit qu’on le descendait le long d’une pente jusqu’à l’étage inférieur d’un édifice. Quelques cliquetis caractéristiques d’ouverture de porte, puis la boîte fut posée sur un sol dur, et ne bougea plus.

 

Psody entendit parler les porteurs :

 

-         Sûr que c’est vivant, là-dedans ?

-         Sans doute, sinon on ne se serait pas donné tout ce mal.

-         Ouais, je l’entends respirer.

 

Le jeune homme-rat sursauta, et retint son souffle. Le deuxième porteur grommela :

 

-         J’espère qu’il ne va pas tout nous dégueulasser ! La dernière fois, il m’a fallu passer la brosse pendant trois jours rien que pour la pisse !

-         Fais gaffe, il pourrait t’entendre.

 

Plusieurs paires de bottes résonnèrent dans la pièce.

 

-         Je devrais peut-être lui ouvrir, maître ? suggéra Jaeger. Je suis celui auquel il se fie le plus, il vaudrait mieux qu’il soit accueilli par un visage connu ?

-         Faites donc.

 

Le Skaven Blanc distingua l’ombre du poète par les interstices entre les lattes de la caisse. Celui-ci, penché en avant, tritura la serrure, tourna la clef. Le panneau latéral bascula, et le poète dit d’un ton engageant :

 

-         Vous pouvez sortir, nous sommes arrivés.

 

Avec circonspection, Psody s’extirpa de la cage à quatre pattes, puis il se releva et considéra la situation. Il se trouvait dans une grande pièce bien éclairée par différents soupiraux. Devant lui se tenaient Gotrek, Jaeger, Romulus et un troisième Humain.

 

Celui-ci était vraiment remarquable. Physiquement, il était déjà impressionnant. Très grand, plus que ne l’était Gottlieb, et aussi très large. Son embonpoint, son teint rougeaud traduisaient son affection pour la bonne chère, mais on devinait quelques muscles encore solides sous la peau de ses bras et de ses épaules. Ses cheveux étaient châtain, tirant sur l’auburn, et étaient noués sur sa nuque. Il avait une tête ronde, et une énorme moustache éclatait sous son nez camus. Il portait des habits d’étoffes lourdes, sertis de nombreuses décorations brodées, un collier brillant, et ses doigts boudinés étaient couverts de bagues serties de pierres précieuses multicolores. Il paraissait vraiment gigantesque par rapport au jeune homme-rat. Il fit un geste vers l’unique porte.

 

-         Merci, messieurs, vous pouvez disposer.

 

C’était bien le personnage qui avait accueilli le convoi, avec son timbre bourru et enjoué. Quatre serviteurs transportèrent la cage à l’extérieur de la pièce. L’Humain richement habillé se tourna vers Psody.

 

-         Bonjour, mon jeune ami. Bienvenue chez moi. Je suis Ludwig Hieronymus Albrecht Steiner von Kekesfalva, et je suis très content de vous rencontrer.

 

Un sacré choc pour le Skaven Blanc, qui n’avait jamais vu un Humain lui parler aussi cordialement.

 

-         Heu… merci… maître… comment ?

-         Steiner. Ludwig Steiner, ça suffira. Désolé de vous avoir imposé ce trajet dans ces conditions, mais vous avez compris que c’était le seul moyen de vous amener ici sans trop de risques pour nous tous.

-         Oui, bien sûr, maître Steiner.

-         Il ne s’est pas plaint une seule fois pendant tout le voyage, précisa Romulus.

-         Très bien ! Je suis sûr que nous pourrons nous entendre. Pas comme les autres.

 

Une nouvelle fois, Psody éprouva quelque chose qu’il n’avait jamais senti. Il se trouvait face à un personnage à l’air influent chez les Humains. Il s’était attendu à trouver un individu sévère, aigri et hautain, un peu comme son ancien maître. Or, il émanait de cet homme-là une sorte de majesté, quelque chose d’indéfinissable qui le poussait à le respecter sans condition, tout en ayant envie de lui faire plaisir. Comme avec Dame Katel, en plus fort. Maître Steiner représentait certes une autorité, mais une autorité bienveillante, et pas la tyrannie incarnée par Vellux. Aussi, c’est avec humilité qu’il répondit, avec les mains dans le dos tel un enfant timide :

 

-         Je… je vous promets de me bien me tenir.

-         J’en suis convaincu. Le prieur Romulus m’a parlé un peu de vous, et de votre séjour à Gottliebschloss. Vous le savez, j’ai placé beaucoup d’espoirs en vous pour ce qui est d’apprendre des choses sur les Skavens.

-         Je vous parlerai, si ça ne met pas ma vie en danger-danger.

-         Je puis vous assurer que tant que vous respecterez nos règles, vous serez traité avec dignité et respect. D’après mon ami, vous êtes un être intelligent et sensible, il est normal qu’on vous considère comme tel. Si vous le voulez bien, nous pourrons commencer notre étude demain matin. Et si vous m’aidez à poursuivre mes recherches, je vous aiderai à poursuivre les vôtres. Romulus m’a dit que vous aviez vos problèmes, mais que vous n’osiez pas en parler. J’espère que nous pourrons arranger ça, d’une façon qui vous conviendra. En attendant, nous allons maintenant vous laisser vous reposer. Je reconnais que cet endroit n’est pas le palais de l’Empereur, mais nous espérons que cela vous soit suffisamment vivable.

-         Ce sera vraiment très bien, monseigneur. Je n’ai jamais eu de chambre aussi grande ! Il y a des protections runiques autour de cette pièce, je les sens.

-         Eh, il faut tout de même que je garde un minimum de précautions, vous ne pensez pas ? J’ai un bon a priori sur vous, mais il vaut mieux attendre un peu avant de vous faire pleinement confiance. En fait, ce sera à vous de nous prouver que vous êtes quelqu’un de bien, et de gagner cette confiance. Cela fera partie des règles de votre séjour à Altdorf, dans mon domaine. Montrez-vous humain, je vous verrai comme un Humain. Faites la bête, et je vous traiterai comme une bête. Et plus vous pencherez d’un côté ou de l’autre, plus vous aurez droit au traitement approprié. Est-ce bien compris ?

 

Steiner avait parlé d’un ton calme, mais ferme. Cela dérouta un peu le jeune Skaven.

 

-         Euh… parfaitement compris, monseigneur.

-         C’est aussi pour les gens qui vivent dans mon domaine que je le fais, continua Steiner d’une voix plus douce. Je ne veux pas qu’ils aient trop peur de vous. Ils ont déjà vu d’autres gens de votre espèce, mais vous êtes le premier Skaven Blanc à venir ici, et ça les inquiète un peu. En outre, je ne peux pas vous laisser circuler n’importe où pour l’instant et prendre le risque de vous laisser faire des bêtises. Pour notre sécurité à tous, vous allez devoir rester dans cette pièce quelque temps.

-         D’accord, répondit Psody en baissant la tête.

-         Parfait.

 

Jaeger leva la main.

 

-         Maître Steiner, nous allons prendre congé, Gotrek et moi.

-         Ouaip ! J’ai besoin de me rincer le gosier !

 

Psody eut un coup au cœur.

 

-         Vous… vous me quittez ?

 

Le poète s’accroupit, afin d’être à la hauteur du petit homme-rat, et lui dit d’une voix rassurante :

 

-         J’ai plusieurs affaires à régler, je vais profiter de mon séjour à Altdorf. Écoutez, ne pleurez pas, je suis sûr que vous serez bien ici. Vous allez passer quelques jours avec le prieur et maître Steiner, vous allez travailler et discuter avec eux, entre hommes de savoir, ça va sans doute vous faire beaucoup de bien. Et puis, pendant ce temps-là, il n’y aura pas une petite voix furieuse au fond de vous qui vous chuchotera de m’attaquer ! Je ne vous abandonne pas. Je reviendrai dans quelques jours, une semaine au maximum.

-         C’est… promis ?

-         Je ne sais pas comment ça marche chez les Skavens, mais ici, la confiance fonctionne dans les deux sens. Jusqu’à présent, vous avez joué le jeu, je m’engage à faire la même chose ; je reviendrai voir comment ça va pour vous, je vous le promets. Et puis, ça m’intéresse, voilà ! Je suis curieux d’en connaître davantage.

-         Je… bon.

 

Jaeger tapota amicalement l’épaule du petit homme-rat.

 

-         Allez, dans une semaine au plus tard. Soyez bien sage, faites tout ce qu’on vous demande tant que ça ne vous indispose pas, et tout ira bien.

 

Psody renifla, et hocha la tête sans mot dire. Ludwig Steiner dit alors :

 

-         Allons, il se fait tard, nous allons vous laisser vous reposer. Quand vous serez réveillé demain matin, frappez à la porte pour prévenir les gardes, je vous rejoindrai ensuite. En attendant, je vous souhaite de passer une bonne nuit.

 

Le poète se releva, les quatre hommes se retirèrent l’un après l’autre en décrochant les lanternes, le Nain en dernier, et la lourde porte se ferma. La serrure cliqueta bruyamment. La chambre était désormais dans la pénombre, seulement éclairée par la lueur d’une lampe à l’extérieur qui passait par le plus haut soupirail. C’était largement suffisant pour les yeux de l’homme-rat qui considéra les lieux où il se trouvait.

 

Le Skaven Blanc constata qu’il n’était pas dans une pièce vide : on lui avait laissé une table et une chaise, un pot de chambre en acier incassable, et un lit avec une couverture. Rien au plafond qui permette de se pendre avec les draps, et de toute façon, Psody n’avait plus la moindre envie de mourir. Il était bien trop curieux de voir comment les événements allaient tourner.

 

Bon, tant que je suis en vie-vie, les choses ne peuvent que s’améliorer !

 

Psody s’étira, bâilla, et se gratta le dos. Il vit alors sur la table une assiette en bois, avec une montagne de morceaux de fromage, tous différents. Ses yeux se mirent à briller, alors que la salive lui montait aux papilles. D’un bond, il fut sur la chaise. Il prit un gruyère, ouvrit la bouche autant qu’il put, s’apprêtant à y enfourner le fromage entier, mais il s’arrêta net. Lentement, il rapprocha la nourriture de son museau, et renifla, renifla, à la recherche d’un quelconque poison. Rien. Il fit de même avec toutes les autres parts. Il n’y avait définitivement pas la moindre once de drogue. Convaincu, il n’hésita pas davantage, et mordit à belles dents dans son morceau de gruyère.

 

En quelques minutes, il avait vidé toute l’assiette. Enfin repu, il se caressa le ventre avec satisfaction, s’appuyant sur le dossier de sa chaise. Puis il bâilla de plus belle.

 

Bien ! Il est temps d’aller se coucher.

 

En regardant vers le lit, il vit qu’on avait laissé pour lui une chemise de nuit dessus. Il se releva, retira sa robe, se dirigea vers sa couche, mais stoppa son mouvement. Il se redressa, huma l’air avec insistance. Cette fois, il avait ressenti comme une légère odeur bizarre. Pas désagréable, et pas totalement inconnue. Il lui avait même semblé entendre quelque chose. Comme un petit gloussement, un rire difficilement contenu. Mais pas moyen de comprendre ce que c’était clairement. Finalement, il haussa les épaules et décida de ne plus y réfléchir. Il enfila le vêtement finement brodé. Le contact agréable du tissu délicat le fit frissonner de plaisir. Enfin, il s’allongea dans le lit, pour se blottir sous la couverture. Il ne put retenir un long soupir extatique. Jamais il n’avait dormi dans un endroit aussi confortable. Il ne tarda pas à plonger dans un profond sommeil, sans avoir conscience que, par le petit soupirail d’évacuation des eaux, sur le côté de la cellule, près du sol, deux grands yeux étincelants le dévoraient littéralement.

 

*

 

Le lendemain matin, Psody se réveilla, en bonne forme. Il se leva, s’étira, et se secoua. Il se changea, et frappa à la porte. Le garde le plus proche envoya son collègue prévenir le propriétaire. Quelques minutes plus tard, la serrure cliqueta, la porte s’ouvrit, et Ludwig Steiner entra, un grand sac de cuir sous le bras.

 

-         Bonjour, jeune homme ! Alors, bien dormi ?

-         Oh oui, monseigneur !

 

Un serviteur posa sur la table un plateau avec une belle miche de brioche dorée, un pichet de lait et un gobelet de terre cuite, puis déposa une chaise en bois qu’il tenait de l’autre main avant de se retirer. Psody s’assit en se léchant les babines.

 

-         Mangez, buvez à votre convenance, et ne vous en faites pas pour moi, j’ai déjà eu ma part. Si vous le permettez, nous allons commencer notre étude.

-         Je suis prêt, monseigneur. Je dois éviter de parler la bouche pleine, c’est ça ?

-         À la bonne heure ! répondit le marchand en éclatant de rire. C’est vrai, j’ai remarqué que les Skavens ont tendance à manger à toute vitesse ! Mais pourquoi ?

 

Telle fut la première question à laquelle Psody dut répondre. Avec bonne humeur, il expliqua :

 

-         Chaque repas peut être le dernier, chez les Skavens. Autant manger le plus possible, et le plus rapidement !

-         Et voilà ! Vous m’avez déjà appris quelque chose !

 

Steiner s’installa à son tour, sortit de son sac une feuille de papier et son nécessaire d’écriture. Il nota la date, et les quelques premiers mots de leur conversation. Psody renifla légèrement la miche de brioche, puis en mangea une bouchée.

 

-         Bien. Pouvez-vous me parler de votre peuple, Psody ?

-         C’est pour ça que je suis là, monseigneur. Par où commencer ?

-         Eh bien, par exemple… Avant votre arrivée, en dix ans d’études, nous avons pu étudier une douzaine de Skavens. Je passerai sur le fait qu’ils étaient beaucoup moins coopératifs que vous, n’est-ce pas. Mais on a pu voir qu’ils présentaient des traits différents selon les cas. Voyez-vous, pour les Humains, les Skavens sont tous les mêmes. Mais j’ai appris à distinguer quelques différences chez eux. Des couleurs de poils, des morphologies… Vous savez que tous les Humains ne sont pas tous les mêmes, non plus ?

-         Oui, un peu… Il y en a des plus grands, certains avec la peau plus claire ou plus sombre, ça dépend.

-         Exactement. Tenez, regardez un peu.

 

Steiner posa devant le petit homme-rat un grand parchemin avec un dessin représentant un Skaven. La créature était dessinée de face, bras et jambes écartés, avec de nombreuses annotations. Tout son tronc était fendu de long en large, ce qui laissait apparaître ses organes. Rien d’étonnant aux yeux de Psody.

 

-         Notre premier sujet d’étude, commenta Steiner. Ce spécimen…

 

L’Humain se racla la gorge.

 

-         Psody, j’aimerais mettre les choses au point tout de suite. Dorénavant, quand je parlerai des Skavens, il ne faudra pas tenir compte de tout. Je risque de dire des choses déplaisantes sur eux, car ils font beaucoup de mal à l’Empire. Mais chaque fois que je dirai « les Skavens font ceci », ou « les Skavens sont comme ça », surtout ne le prenez pas personnellement. Si je dis quelque chose qui vous blesse, n’hésitez pas à me le dire. Je ne veux surtout pas vous manquer de respect.

-         Oh, c’est très gentil, monseigneur. Mais… j’ai appris à voir les Skavens à votre façon, et maintenant, ils sont aussi monstrueux pour moi.

 

Le petit Skaven Blanc vit le front de son interlocuteur se creuser de rides perplexes.

 

-         Alors vous les rejetez comme ils vous ont chassé… Je n’avais pas réalisé à quel point vous devez vous sentir seul.

-         Oh… c’est rien.

-         Vous tenez le coup, mon jeune ami ?

-         Ça va, mon seigneur. Et n’hésitez pas à parler des Skavens comme vous voulez. Ici, vous êtes le maître-maître.

-         Ce n’est pas une raison pour mal vous traiter. Bon, je disais donc, ce spécimen paraît à peu près ordinaire. On n’a rien observé de spécial chez lui. Il avait la fourrure brune, une taille un peu inférieure à la moyenne chez les Humains, et ne savait pas parler le reikspiel. En tout cas, il ne nous a rien dit.

 

Psody regarda attentivement le croquis.

 

-         Il n’avait pas d’équipement sur lui ?

-         Seulement sa tunique, une culotte volée à un paysan et un couteau.

-         Donc, c’est un Guerrier des Clans banal. Un citoyen adulte. Vous l’avez dessiné avec précision ?

-         Avec autant de détails que j’ai pu.

-         Regardez son oreille, là. Il y a des petites marques, vous les voyez ?

-         Oui, en effet. J’ai cru voir des blessures.

-         En fait, c’est une façon de nous identifier. Quand un Skaven atteint l’âge adulte, il passe une épreuve durant laquelle il montre qu’il est capable d’utiliser ce qu’il a appris. S’il réussit le test, la plus haute autorité de son terrier lui taille des petites encoches dans l’oreille gauche.

-         Et… s’il rate ?

-         Il est considéré comme une bouche inutile, et exécuté, s’il a survécu à l’épreuve.

 

L’Impérial releva la tête.

 

-         Je vois que vous avez passé cette épreuve. Qu’est-ce que c’était ?

-         J’ai… euh…

-         D’accord… Une autre consigne : ne dites que ce que vous voulez dire. Je me doute que vous avez fait des choses que nous autres, les Humains, considérerions inappropriées. La confiance, c’est aussi savoir quand écouter, et quand ne pas écouter. Si vous avez envie de parler, n’hésitez pas, mais si vous êtes trop gêné, je n’insisterai pas. Dans tous les cas, je ne vous jugerai pas.

-         Merci, mon seigneur.

-         Est-ce que vous pouvez me dire ce que signifie ce tatouage sur votre autre oreille ?

-         Hein ? Oh oui, ça ! Euh, bien sûr ! C’est mon lien avec le Rat Cornu.

-         C'est-à-dire ?

 

Le jeune homme-rat se leva, et se considéra des pieds à la tête.

 

-         Je suis un Skaven Blanc, un élu du Rat Cornu. Je porte ses signes distinctifs : ma fourrure blanche et ses cornes. Quand un Skaven Blanc naît dans un terrier, on lui tatoue sur l’intérieur de l’oreille droite la position d’un groupe d’étoiles qui apparaît dans le ciel la nuit suivante. C’est pour mieux le lier à notre dieu. Les Skavens n’aiment pas tellement le ciel dégagé, mais c’est des étoiles que le Rat Cornu tire ses pouvoirs et nous les envoie pour nous rendre plus forts.

 

Steiner posa un deuxième dessin sur la table. Le petit Skaven Blanc plissa le museau. Sur le papier, il vit l’image croquée d’un Skaven aux proportions monstrueuses. Des épaules plus larges encore que celles de Gotrek, d’immenses dents, des poils durs comme de l’acier sur le dos, une puissante musculature composaient cet être qu’il n’eut aucun mal à reconnaître.

 

-         Ça, c’est un rat-ogre. Vous avez réussi à le transporter jusqu’ici ?

-         Non, il était trop grand. J’ai dû me déplacer, mes mercenaires l’ont caché dans une ferme abandonnée. J’avoue qu’il m’a vraiment impressionné, celui-là. D’habitude, les Skavens m’inspirent de la méfiance, sans plus. Mais cette… créature était inquiétante. Aberrante.

-         Il n’est pas naturel. C’est une abomination. Enfin, vous me direz, moi aussi, pour les Humains. Mais celui-ci a été fabriqué par un Skaven. Même chez nous, ils ne sont pas considérés comme « normaux ».

-         Je crois savoir que votre peuple est divisé en « Clans », et que l’un d’eux excelle dans l’art du façonnage de la chair.

-         Vous savez des choses, monseigneur. Le Clan Moulder fabrique des machines de guerre de chair et de sang, et le rat-ogre en est une. C’est un Skaven dans lequel on a injecté un venin qui en fait… ça. Ils sont très bêtes, il faut toujours quelqu’un pour les contrôler, et dans ce cas, ils sont très dangereux. Très forts-résistants. Il a dû falloir beaucoup d’efforts pour l’enfermer !

-         Il était déjà mort, quand on l’a ramassé, sur un champ de bataille où on avait repéré des Skavens. On l’a discrètement embarqué jusqu’à cette ferme. C’est vrai que les organes internes étaient plutôt chaotiques.

 

Le petit homme-rat passa une bonne heure à analyser le dessin, et à montrer les modifications pratiquées dessus. Même sans être un Moulder, il savait reconnaître les mutations les plus évidentes. Il fut surpris de voir l’Humain l’écouter comme jamais personne ne l’avait écouté. Ce dernier ne remettait jamais en question l’un ou l’autre de ses commentaires. Puis il lui présenta un nouveau dessin.

 

-         Celui-là nous a paru particulièrement fort. Moins que le rat-ogre, sauf qu’il n’avait pas l’air « fabriqué ».

-         Hum… d’après vos notes, il avait un pelage entièrement noir. Cela l’explique. Il s’agissait d’un Skaven Noir. Ils sont désignés par le Rat Cornu pour constituer nos troupes d’élite, que nous appelons « Vermines de choc ». Ils sont nés d’une pondeuse comme les autres Skavens, mais sont beaucoup plus grands et forts de naissance. Quand ils sont adultes, ce sont les guerriers les plus costauds.

-         Ce n’est pas peu dire. On a capturé celui-ci alors qu’il était blessé, mais même dans cet état, il a fallu six mercenaires pour le maîtriser. Un vrai fauve !

-         Pas étonnant. Les Skavens Noirs sont très…

 

Psody repensa soudain à son frère Chitik. Il s’arrêta net, et posa sa main sur son front. Pendant un court instant, il se représenta la scène de la capture de ce Skaven Noir. Et si ç’avait été son aîné ?

 

-         Ça ne va pas ?

-         C’est que… oh, aucune importance.

 

Et pourtant, le jeune Skaven Blanc n’en pensa pas moins :

 

Il m’a toujours admiré, il était toujours prêt à me défendre, et je n’ai jamais rien fait pour le remercier. Et c’est bien trop tard.

 

-         Bien, on va arrêter les schémas pour l’instant. Je souhaiterais en apprendre sur les Skavens Blancs. Je n’en avais jamais vu avant vous, pas même à l’état de cadavre. Je n’ai fait que lire des livres.

-         Ils sont trop fiers pour se laisser capturer, maître Steiner. Généralement, ils se battent avec la dernière énergie, ou tentent de fuir s’ils le peuvent.

 

Le Skaven Blanc parla avec moult détails de la condition des élus du Rat Cornu. Leur statut particulier, leurs privilèges, leur habilité à entendre la voix de leur dieu et à emprunter ses pouvoirs. Ils y consacrèrent plusieurs heures, et s’interrompirent pour prendre un repas. À un moment, Steiner demanda :

 

-         Une question qui pourrait vous paraître un peu gênante…

-         Allez-y, je répondrai comme je pourrai.

-         Vos cornes… sont-elles liées à votre capacité de manipuler la magie ?

 

Psody fit une petite moue.

 

-         Non. Elles ne sont pas la cause de mon contact avec le Rat Cornu, mais la conséquence. Un jour, mon maître s’est cassé une corne, mais ça ne l’empêchait pas d’utiliser la magie, et avec le temps, elle a complètement repoussé. Nos cornes repoussent par la volonté de notre dieu, contrairement à celles des animaux. Les miennes devraient grandir encore un peu, jusqu’à atteindre leur taille maximale d’ici quelques années. Selon les Skavens Blancs, elles poussent plus ou moins vite, jusqu’à l’âge d’environ une dizaine d’années.

-         Elles peuvent donc se régénérer, mais s’arrêtent à un certain seuil, marmonna Steiner en écrivant sur le parchemin. Et donc, si quelqu’un venait à les couper… ?

-         Je pourrai toujours me servir de la magie du Warp. En fait, il y a même des Skavens qui ne sont pas Blancs et qui n’ont pas de cornes, mais qui peuvent manipuler la magie à leur façon. Pensez aux Prêtres de la Peste du Clan Pestilens, ou aux sorciers du Clan Eshin, qui ont appris à maîtriser les enchantements du Cathay – c’est bien ainsi que vous appelez le grand pays tout à l’est, n’est-ce pas ? Les Skavens Blancs sont plus réceptifs aux vents de magie, et ça passe à travers tout leur corps, pas seulement ce qu’ils ont sur le crâne. Pour me faire vraiment du mal, il faudrait me les arracher, ce qui me causerait sans doute un sacré mal de tête ! Quoi qu’il en soit, maître Steiner, je ne vous conseille pas d’abîmer les cornes d’un Skaven Blanc.

-         Ah ? Votre dieu pourrait me maudire ?

 

Le Skaven Blanc eut un petit rire, et expliqua en caressant coquettement ses cornes :

 

-         Nous, les Skavens Blancs, sommes très fiers d’afficher au monde entier la reconnaissance du Rat Cornu qui nous permet de lui ressembler un peu. Mutiler les cornes d’un Skaven Blanc est une insulte mortelle, comme pour les Nains qui ne supporteraient pas qu’on leur touche la barbe.

-         Une émasculation symbolique, en somme, ce que peu de gens apprécient, à ma connaissance.

-         Une quoi ? demanda le petit homme-rat.

 

Le marchand se racla la gorge.

 

-         Un peu comme si on vous coupait les…

-         Hein ? Oh ! Ah… oui.

 

Au loin, une cloche sonna deux coups. Steiner remua sur sa chaise.

 

-         Oh ! Je vais devoir vous laisser. On a déjà bien commencé notre étude.

-         Est-ce que… vous êtes satisfait ?

-         Vous voulez plaisanter ? En une demi-journée, j’en ai appris plus qu’en deux ans ! Si nous continuons sur cette voie-là, je suis sûr que notre collaboration sera vraiment fructueuse. Mais on ne va pas travailler toute la journée, n’est-ce pas. D’abord, c’est une activité intellectuelle plutôt fatigante pour vous, ensuite j’ai mes propres affaires à gérer de mon côté.

 

L’Humain se leva.

 

-         Samuel vous apportera votre dîner sur le coup de sept heures. Et je reviendrai demain matin à huit heures, avec le petit déjeuner. Mais j’ai quelque chose pour vous éviter de passer le reste de la journée à tourner en rond sans rien faire.

 

Il sortit de son sac un livre sur lequel le Skaven Blanc lut : « L’Empire – histoire et géographie générales ».

 

-         On achète ce livre aux étudiants qui entrent à l’université. Avec ça, vous devriez pouvoir apprendre au moins l’essentiel sur la société des Humains.

-         Oh, merci !

-         Est-ce que vous avez besoin de quelque chose d’autre ?

 

Psody réalisa alors quelque chose de fort gênant.

 

-         Euh… est-ce que… enfin, c’est peut-être trop demander, mais…

-         Allez-y, je vous en prie.

-         Puis-je… pourrais-je avoir un baquet d’eau et du savon… s’il vous plaît ? Ça fait des jours que je ne me suis pas lavé.

 

Steiner éclata de rire.

 

-         Et en plus, il est propre ! Je vous fais descendre ça tout de suite, avec des vêtements de rechange !

 

Et le commerçant quitta la cellule. Le garde ferma la porte à clef. Psody, resté seul, poussa un soupir soulagé. Pour une première journée, il ne s’en était pas trop mal sorti.

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