The memory game sung
Kaito suivait sa guide en traînant du pied. Ils ne faisaient que marcher sans rencontrer quoi que ce soit de changé. Un élément du décor, une personne, un phénomène… Rien de tout cela n'est apparu. Il ne faisait que suivre des yeux le mouvement régulier des bottes de Miku qui foulaient le sol. Il commençait sérieusement à s'endormir en marchant quand la jeune fille s'arrêta et qu'il se cogna contre son dos. Il recula de deux mètres, la distance minimum de sécurité qu'il avait fixée depuis qu'il avait fait la connaissance de la nouvelle Miku. Celle-ci donna un coup dans une chose invisible. Kaito avait l'impression qu'elle tapait dans le vide, en soupirant continuellement. Puis il vit des grésillements comme produisaient les télévisions du monde réel qui essayaient désespérément de trouver le signal. Puis apparut plus nettement une forme carrée qui finalement se transforma en ascenseur bleu ciel, intrus dans la plaine.
Miku appuya sur un bouton clignotant et les portes s'ouvrirent dans un fracas métallique. Elle y monta et observa le jeune homme qui montrait une certaine méfiance à la suivre:
- Tu comptes rester ici jusqu'au déluge ou tu veux te faire bouffer par un virus???
Depuis tout à l'heure il analysait la situation dans laquelle il se trouvait. Nul besoin de réfléchir à quelque chose qui n'avait pas de sens, ou alors purement informatique et la seule qui aurait pu l'aider, c'était Luka. Elle n'était pas là alors il devrait se contenter de sa guide. Il n'éprouvait pas de peur ni de méfiance mais une certaine retenue. Avancer lui permettrait-il de retrouver ses autres amis??? Devait-il rester dans la plaine où il y avait des chances que les autres y soient tombés aussi??? Avancer ou rester, telle était la question. Il ne pourrait pas revenir en arrière quel que soit son choix. C'était vraiment un jeu complexe. Il décida de se montrer froid tout en suivant sa guide, pour lui montrer qu'il n'y avait pas qu'elle qui pouvait dicter les règles. Miku était une AiDe plutôt autoritaire et capricieuse, il fallait bien l'avouer. Après les péripéties dans la plaine, il avait décidé de ne plus se laisser dépasser par ce monde mystérieux et même d'avoir toujours une longueur d'avance sur sa partenaire.
L'ascenseur grinça affreusement quand il entama sa descente sous la terre, cela risquait d'être mortellement ennuyeux. Pour passer le temps, il valait mieux collecter des informations.
-Que voulais-tu dire par "me faire bouffer par un virus", fit-il sur un ton qui se voulait détaché.
-On appelle cet endroit la salle d'attente. On a appris avec l'expérience que beaucoup d'étrangers à ce monde atterrissaient souvent ici. Puis on a aussi fait face à de nombreux virus. Au départ, notre cité et cet endroit étaient reliés par un simple espace facilement franchissable, un passage rapide pour nos ennemis. Alors, tu vois, via la machinerie souterraine, on a créé un espace temps, une autre dimension entre les deux pour plus de sécurité. Maintenant, c'est le travail des AiDes de venir chercher les "patients" ou de détruire les nuisibles. Je n'ai pas pris ma faux pour désherber…
Elle s'était calmée quand elle était rentrée dans la cage d'ascenseur et avait expliqué sur un ton neutre en grattant une saleté sur la lame de son arme comme si elle était habituée à débiter ces phrases.
-La machinerie souterraine??? Lui demanda-t-il, les sourcils froncés.
-C'est un peu le centre de notre monde. La grande machine qui régit tout et sur laquelle les hommes n'ont qu'un minuscule contrôle. C'est elle qui fait naître et mourir tout en gardant l'équilibre des vivants. C'est elle qui fait pousser la végétation, qui crée de nouveaux éléments et surtout qui produit notre plus grande richesse, rare et chère, principale source de commerce dans la cité-capitale: la voix.
Elle s'était assise sur le sol en inox, la faux adossée contre le mur près d'elle. Kaito avait décidé d'en faire autant.
-La machine a même donné carte blanche aux hommes pour contrôler seulement certains de ses paramètres, comme l'espace et le temps et comment se rendre d'un monde à l'autre. Eh bien quelquefois, ça plante. On aurait pu simplement utiliser une porte spatio-temporelle au lieu d'utiliser cette vieille machine mal huilée qui à servi aux premiers hommes.
Cela l'agaçait particulièrement. Ses yeux se fermèrent dans une expression d'énervement. Elle se craquait les doigts dont les articulations blanchissaient, et tapait le bout du pied dans un tintement insupportable. Kaito plaqua son poing sur son genou pour lui intimer d'arrêter, ce par quoi elle lui répondit par un coup de poing en direction de sa tête qu'elle manqua de peu. Ils s'immobilisèrent ensuite dans leurs coin pour se calmer. L'ascenseur continuait inlassablement son périple sous la terre.
-Tu dis qu'il y a une dimension à traverser, non??? Alors pourquoi on va sous terre, fit l'homme aux cheveux bleus.
-Plus on s'enfonce sous la terre plus il est facile de trouver des portes spatio-temporelles ouvertes et sécurisées, fonctionnant grâce à l'énergie de la machinerie.
Soudain, ils s'arrêtèrent brusquement et les portes s'ouvrirent dans un frottement crissant. Ils étaient arrivés dans une grotte souterraine où il y avait de faibles lumières, produites par des lampes accrochées au plafond rocheux. Miku s'enfonça dans les ténèbres vers un mystérieux phénomène. Un rectangle flottant dans les airs, semblant être le centre de l'obscurité de l'endroit, comme s'il aspirait la faible lumière environnante. On aurait dit qu'il renfermait un néant noir aux reflets violacés, se mélangeant dans une spirale infernale qui donnait la nausée et ne renfermait qu'un silence oppressant.
Miku y enfonça le manche de sa faux, aussi grande qu'elle, qui parut plonger dans une surface d'eau, où apparurent des cercles concentriques à son contact. Une lumière brûlante, comme un rayon de soleil, venait de faire son apparition et éclaira les entrailles de la porte dans laquelle Miku entra entièrement. Kaito mit son index sur la surface invisible qu'avait percuté Miku et sentit une étrange matière glacée. La grotte contrastait parfaitement avec la plaine, le "graphisme" comme l'atmosphère qu'ils dégageaient respectivement. Il se décida de mettre son bras entier en affichant une moue désagréable, avançant lentement vers l'encadrement. En avalant sa salive brusquement, il se jeta dans, il en était sûr, l'entrée d'un autre monde, un nouveau niveau du jeu. Tout paraissait trop simple et il n'avait croisé qu'un seul et unique de ses amis qui semblait avoir déjà vécu pas mal de temps dans ce monde.
Après un long moment dont il ne garda aucun souvenir, comme une perte de connaissance temporaire, il émergea d'un trou brutalement et il fut comme projeté contre un sol dur et agrémenté de cailloux piquants qui lui écorchèrent les joues et les paumes. Il se releva péniblement en jurant et chercha Miku du regard. A la place de l'AiDe, il vit un magnifique spectacle. Il se trouvait sur un piton rocheux, en hauteur. Il vit en contrebas et même quelquefois au niveau de ses yeux, d'immenses îlots de terre, décorés de végétation luxuriante se mariant avec des bâtiments au design surprenant qu'il n'aurait jamais imaginé à Tokyo. Pourtant le plus curieux, c'est qu'aucun bruit n'en émanait, seul des échos de voix se faisaient entendre, de légers chuchotements perdus dans le silence prenant, aucun chant d'oiseaux, aucun bruissement de feuilles ou même de sons plus humains. Il remarqua en dessous de lui, le plus gros îlot flottant dans un ciel bleu azur, dans une brise fraîche et des nuages réels. Celui-ci supportait une grande ville, un amas de maisons plutôt anciennes totalement différentes des bâtiments récents environnants. Trônait au milieu de ces habitations se rassemblant en une spirale qui plus elle évoluait, plus elle prenait de l'altitude, un immense palais, qui se composait de remparts d'un blanc étincelant et d'une tour immense, gardienne de la cité.
Il sentit qu'une forme percutait son épaule pour le devancer, et à la vue de mèche bleues, il n'eut pas de mal à reconnaître sa partenaire et se félicita de ne pas s'être décroché la mâchoire devant ce spectacle qui le fascinait.
-Nous sommes arrivés à "White décibel", La cité-capitale de notre monde. Tu verras, c'est très bruyant, on dirait qu'ils aiment faire du bruit et casser les oreilles des gens.
Il ne voyait pas où se trouvaient les sons qui étaient sensées lui casser les oreilles. Son amie entendait-elle des voix et mènerai une guerre dont elle ne comprenait pas le sens juste sur l'ordre des saints??? Il se retint de rire après avoir eu une vision de Miku en armure rouillée montée sur un âne et confirmait au peuple qu'elle était la sauveuse Jeanne d'Arc alors que ceux-ci lui lançaient des tomates infectes.
Il se secoua la tête pour chasser ces images de son esprit. Miku le prit alors par le poignet et l'entraîna alors avec elle pour… Sauter directement de l'endroit où ils étaient perchés vers la capitale juste en-dessous. Il se retint de crier, de peur de gaspiller toute la voix utilisable en une semaine pour un son qui n'avait pas d'utilité à part peut-être de ne pas mourir de crise cardiaque et d'évacuer le stress avant de toucher le sol. Il sentit d'abord qu'il tombait en chute libre, compressant la main de Miku qui, à son grand étonnement, se mit à rire aux larmes, un rire cristallin, sonore, franc et bien réel dans ce monde de fiction qui renforça Kaito dans la certitude qu'il avait bien en face de lui sa véritable amie. Soudain, comme un saut en parachute, il se sentit retenu par une couche d'air et la descente fut plus lente et… agréable à souhait. Sa partenaire lui prit l'autre main, tout sourire et ils se retrouvèrent face à face, le vent leur fouettant le visage. Ils tournaient sur eux-mêmes et leurs cheveux opéraient des vagues dans la pression de l'air. Il vit le regard de Miku changer pendant un dixième de seconde, comme si quelque chose la tracassait, qu'elle se souvenait d'un ancien détail puis reprit son expression normale.
La jeune fille aux longues couettes sentait qu'elle pouvait faire confiance à ce jeune homme qu'elle avait le sentiment de connaître, peut-être d'une autre vie. Après de longues minutes à planer ils sentirent que la descente reprit une vitesse plus soutenue et Miku se réceptionna parfaitement, pieds joints, les bras écartés pour conserver son équilibre. Kaito, au contraire, fit carrément un plat sur un sol de pierre qui par il ne savait quelle miracle, adoucit sa chute. Il se releva tant bien que mal en suivant les mouvements de la longue jupe fendue de Miku, qu'il avait le sentiment d'avoir à moitié retrouvé à White Décibel.
Le sol sur lequel il s'était littéralement écrasé était en fait une immense pierre gravée d'étranges sillons comme on en trouvait sur les puces électroniques. Tout paraissait naturel mais certains détails rappelaient le monde informatique dans lequel il était plongé. L'immense pierre était entourée de galeries voûtées, protégées par d'immenses arcades, le tout réalisé dans une pierre d'un blanc immaculé. Il se précipita à l'ombre du bâtiment, sur les pas de Miku, évitant de paraître trop envoûté par le paysage qui l'entourait.
A son grand étonnement, le bruit était partout présent, les oiseaux, les humains, les animaux, les bruits d'objets se fracassant, se percutant ou chutant au sol. Tous ces sons, ils ne les avaient pas perçus sur le promontoire rocheux. Alors qu'il marchait, des mélodies insolites parvinrent à ces oreilles, des souffles ou des frottements d'instruments inconnus qui allaient parfaitement ensemble. Il se sentit sourire en étant si proche de sa passion et en la redécouvrant. Il percevait aussi des chuchotements, tous types de voix, des éclats de rire mais aucune chanson, pas même un fredonnement. Sans paroles, la musique lui paraissait un peu fade. Il sentait aussi que certains sons étaient superflus, il n'aurait pas su dire pourquoi. Miku se rapprocha de lui sans qu'il ne s'en rende compte, souriant à moitié:
-Je sais ce que tu te demandes, nous n'avons entendus que des voix étouffées tout à l'heure et en arrivant ici il y a un changement radical d'ambiance. C'est parce que tous les îlots flottants sont entourés d'une si épaisse couche d'air, que le son a du mal à en sortir. C'est aussi pour le préserver et pouvoir le réutiliser par la suite. On va tout t'expliquer."
"On", "réutiliser les sons", il ne comprenait pas le langage de Miku. Il se mettait même à penser qu'il était en voyage plutôt que dans un ordinateur. Des tas de questions restaient sans réponses. Où étaient ses autres amis? Comment faire pour retourner à Tokyo? Pourquoi Miku paraissait-elle avoir toujours vécu ici? Avaient-ils recommencés leur vie après l'avoir oublié?
- Tiens, Miku, je voudrais savoir, tu ne vi…
Soudain, il sentit qu'il percutait un corps qui s'affaissa à terre. Il s'excusa avant de poser son regard sur la jeune fille qu'il venait de percuter. Menue, frêle, les yeux caramel et une longue queue de cheval blonde sur le côté, la jeune fille se frottait la tête, un peu perdue. Il la connaissait, une vocaloid faisant partie du monde réel, vivant aussi à Tokyo avec sa propre bande: Akita Neru. Elle était la plus grande fan de Miku qu'elle considérait comme son idole inconditionnée. Il lui tendit la main qu'elle saisit sans hésitation et se hissa sur ses fines jambes. Elle n'était pas seule, suivie d'une jeune femme plus grande et plus résistante, à la queue de cheval basse d'un gris argenté et aux pupilles écarlates. Elle semblait peinée pour un rien et avait de grosses cernes sous les yeux. Yowane Haku était tellement dépressive que même le changement de monde ne l'avait pas affectée plus que ça.
-Haku, Neru c'est bien vous???
Les deux jeunes filles se regardèrent d'un air interloqué. Apparemment, c'était bien elles. Il sentit qu'on le tirait en arrière par l'écharpe sans entendre la réponse de ses deux interlocutrices. Miku s'excusa et l'éloigna vers une grande porte en bois sculpté à l'extrémité de la galerie, qui déboucha sur une rue pavée entourée de maisons plus ou moins récentes, de galeries couvertes, de commerces et de végétation disséminée ça et là.
-Miku, tu n'as plus ta faux???
Elle lui montra un petit pendentif en forme de carte sim noire, sûrement la forme de repos de l'effrayante arme. Ils se promenèrent dans le dédale de rues et de ruelles et Kaito lui demanda si elle connaissait les deux autres vocaloids croisées après leur atterrissage.
-Ouais, ce sont de toutes nouvelles AiDes qui sont chargées de surveiller les départs et les arrivées sur l'îlot principal. Tu avais l'air de les connaître, et j'ai l'impression que ce ne sera pas les seules.
Ils continuèrent à marcher d'un pas rapide sur des pavés inégaux jusqu'à une habitation sur deux étages, dont la façade parsemée de poutres apparentes rappelait un labyrinthe. Au-dessus de la porte du rez-de-chaussée, une grosse enseigne plantée de clous, preuve des vaines tentatives pour bien la placer, et de sillons remplis de poussière indiquait en lettres aux couleurs défraichies:
"Cartes DS: Destroy the Silence"
Par réflexe, Kaito sortit la carte que lui avait offerte Miku et fit automatiquement le rapprochement. Miku le comprit et l'entraîna à l'intérieur à sa suite. Elle cria:
-Y a quelqu'un??? Si tu veux pas te retrouver au chômage, t'as intérêt à te pointer vite fait, j'ai besoin de toi.
Les deux jeunes gens entendirent des feuilles de papier glisser doucement et enfin les "boum" incessants et rapides de talons sur un escalier en bois. La pièce dans laquelle ils se trouvaient était sombre seulement éclairée par l'ouverture. Il y avait un grand bureau tout au fond, grand et large et derrière lui des centaines de tiroirs allant jusqu'au plafond. Devant lui, un grand vide ou plutôt un bazar sans nom qui épargnait tout de même une sorte d'allée poussiéreuse qui allait jusqu'au comptoir. Sur le côté gauche, Kaito vit une grande porte d'où s'échappait… des braises en suspension??? Il sentit aussi une chaleur envoutante et une odeur âcre de brûlé. Sur le côté droit, une volée de marches inégales s'enfonçant dans les étages. Toute une palette de nouveaux bruits devaient naître tous les jours dans ce monde, se disait intérieurement le vocaloid. Il ne croyait pas si bien dire, sachant qu'il était chez un fabricant de voix.
-Oui, oui j'arrive, fit une voix agacée appartenant sûrement à une petite fille.
Elle avait descendu les marches quatre à quatre, ses cheveux blonds et courts flottant derrière elle. On voyait derrière des verres de lunettes protectrices, un peu comme celles des anciens aviateurs, une paire de prunelles d'un bleu profond. Elle était toute petite et émanait d'elle une fraîcheur purement enfantine. D'ailleurs Kaito eut un haut-le-cœur en la voyant de près, à la lumière. A la place du nœud blanc noué en oreilles de lapin qu'elle avait habituellement sur la tête, elle l'avait attaché autour du cou, comme un foulard de cow-boy. Elle avait néanmoins un grand casque audio doré sur les oreilles. Sa tenue était simple, bien que munie de protections en cuir.
C'était bien elle: Rin Kagamine.