Obstination

Chapitre 1 : Images

3143 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 22/01/2022 16:37

Assise sur la chaise la plus proche de la fenêtre, je regardais la pluie tomber comme à son habitude. Il n’était que 16 heures et déjà la nuit était tombée. C’était une après-midi de printemps glaciale, le vent agitait violemment les arbres. Près du tableau, le professeur de français semblait monologuer depuis deux heures, j’en avais perdu le fil. L’atmosphère était quelque peu soporifique et je peinais à trouver une distraction plus réjouissante que la météo de Whitehorse. La pendule paraissait laisser les aiguilles s’attarder sur chaque minute quand enfin la sonnerie retentit.


Dans un fracas assourdissant les élèves se levèrent et sortirent de la pièce. Je rassemblais mes dernières affaires et m’apprêtais à suivre le troupeau quand le professeur m’interpella, il tenait à me féliciter pour mon dernier essai sur Victor Hugo et me demanda si j’avais réfléchi aux universités dans lesquelles je souhaitais postuler à prochaine rentrée. Il était vrai que j’étais une élève brillante et que toute l’équipe du lycée souhaitait que mes ambitions soient à la hauteur de leurs attentes. Malheureusement mes propres attentes étaient elles-mêmes très limitées, je n’avais pas grand-chose à attendre de mon avenir si ce n’était redoubler encore et encore le lycée comme l’avait fait mes ascendants. Il était vrai que j’aurais pu postuler dans n’importe quelle université, de n’importe quel état et que ma candidature serait très certainement retenue, mais à quoi bon m’imposer cela ? Je me retrouverais éloignée de ma famille, au milieu d’humains tout à fait normaux alors que ma vie était tout sauf banale, je me retrouverais encore plus seule que je ne l’avais toujours été et je devrais rassurer constamment mes parents et d’autant plus mon père, sur ma capacité d’adaptation et mon aptitude à me fondre dans la masse.


Bientôt cinq ans que nous avions emménagés ici, c’était déjà la quatrième fois que nous reprenions tout à zéro depuis ma naissance. Je tachais de constamment m’acclimater à mon nouvel environnement, bien que se fut assez facile : Il faisait toujours froid, mauvais temps et nous finissions toujours dans des endroits paumer ! Cependant, je regrettais les lieux qui m’avaient vu grandir et d’autant plus Forks. Cette charmante bourgade, ses 1300 habitants, ses légendes qui n’en étaient pas... La ville avait laissé de nombreux souvenirs dans mon esprit.


Monsieur LeBlanc se racla la gorge, je m’étais perdue dans mes réflexions sans répondre à ses interrogations.


-      Oui, oui, je m’y attelle Monsieur, je vous préciserai mon projet très bientôt !


Ne lui laissant pas le temps de répliquer je le saluais et m’enfuie de son cours.

Dans les couloirs, je sentais souvent les regards inquisiteurs de mes camarades. Il était vrai que j’avais très peu socialisé depuis mon arrivée et que j’attisais ainsi leur curiosité, mais ce serait prochainement terminé, car dans deux petits mois nous déménagerions de nouveau.

J’avais néanmoins sympathisé avec quelques humains et la petite bande à laquelle je me joignais de temps à autre me faisait me sentir normale, enfin... moins anormale.

Il y avait Oscar, Quaterback dans l’équipe du lycée, c’était le type populaire par excellence, celui que l’on voyait dans toutes les séries puériles qui passait à la télévision. Un sourire ravageur, un humour tordant, les filles en était folle et lui était malheureusement fou de moi. Je me sentais un peu coupable de n’avoir jamais été assez claire à propos de mes sentiments pour lui, je suppose que j’avais apprécié être le centre de son attention des années durant, puisque nous avions passé ces dernières dans la même classe. Il ne m’intéressait pas vraiment, mais j’appréciais sa compagnie, il était drôle et réussissait parfois à ce que j’oublie mon quotidien monotone.


Il y avait également Juliette, une super camarade, son empathie, sa générosité, cette jeune personne était comme un pansement sur une plaie, elle avait toujours les bons mots, les bonnes idées. Je l’enviais souvent, car tout semblait plus facile de son point de vue.


Enfin, Annabel, elle était cette fille forte et ambitieuse que j’aurais voulu être, pleine de vie, de projets, de rêves. Elle avait voyagé partout dans le monde et avait constamment une histoire à raconter. Quand elle me dépeignait avec soin ses relations amoureuses, je vivais un peu par procuration ces chouettes années de lycée que j’aurais dû connaître. Ils m’avaient invité à skier le samedi suivant et j’avais décidé d’accepter.


Ma mère, Bella, serait contente que je sorte un peu de ma chambre et réprimerais mon père de ses pulsions protectrices qui m’isolait. Je n’étais pas certaine qu’il appréciait que je me fonde dans la masse, il avait sans doute peur que je m’attache, à la ville, à mes camarades, à des humains. Car tout dans ma vie était, je le savais, éphémère. « C’est assez égoïste pour un vampire qui avait épousé une humaine » pensais-je.


-     Ness ! Ness ! Ça va ? Tu avais disparu ! Tu viens toujours samedi ? S’enquit Annabel


-     Super ! J’ai eu pas mal de paperasse à régler ces derniers temps, mais compte sur moi cette fois !


Je devais mentir, à tout le monde, constamment. Mes absences à l’école quand la soif devenait trop forte, quand mes émotions n’étaient pas contrôlables, quand je ne pouvais pas assumer le masque. Je devais sans cesse me contenir, me discipliner dès lors que je quittais la maison.

La journée s’achevait et j’abrégeais rapidement la discussion, j’avais d’autre projet en tête que d’écouter Anna me détaillait les préparatifs de sa fête d’anniversaire, et je ne voulais pas croiser Elias, car je savais qu’il comptait m’inviter au bal de fin d’année.

Je n’avais encore décidé si j'irais. Je ne souhaitais pas faire mes adieux cette fois-ci, promettre de donner des nouvelles, de rester en contact, alors que jamais plus je ne croiserais ces charmantes personnes.


Je regagnais ma voiture et pressais l’accélérateur, le moteur vrombit et je regagnais la maison en quelques minutes seulement.

Sur le Pallier, Edward m’attendait d’un air sévère.


-     Renesmée Carlie Cullen, tes cours terminent à 16 :00, il est 16 :04 et tu es là ! L’école est à 12 km à combien de kilomètre/heure as-tu roulé pour arriver aussi vite ?


J'haussais les épaules avant d’esquiver et de prendre la direction de ma chambre. Mon père était angoissé par tous les dangers que je courrais selon lui, mais depuis que je parvenais à fermer mon esprit à ses intrusions, il était devenu quasi obsessionnel. Nous avions été proches dès ma naissance, mais notre relation s’était un peu détériorée depuis notre dernier déménagement. Ma mère était bien plus compréhensive même si tous les deux s’accordaient parfaitement quand il s’agissait de me priver du peu de liberté que j’avais.


J’enfilais mon casque et tournais le volume sonore au maximum *Christina Perry- A thousand years* ce qui ne m’empêcha pas d’entendre les pas d’Edward se rapprochait. Bella n’était pas à la maison, sinon elle lui aurait suggéré de me laisser en paix. Je n’avais pas très envie de discuter dernièrement, mais il n’en tenu compte quand il pénétra dans mon refuge et vint s’asseoir au bord de mon lit.


-     Renesmée... Ness... J’aimerais que l’on parle s’il te plaît. Bégaya-t-il.


Il prenait des pincettes pour m’annoncer notre futur déménagement, comme si je n’étais pas déjà au courant.


-      Je sais, nous partons bientôt ! Soufflais-je agacée.

-     Tu es au courant… Je suis désolé de t’infliger cela une nouvelle fois, mais les années passent et les gens vont commencer à se poser des…


Je ne le laissais pas finir sa phrase, toujours les mêmes justifications, les mêmes excuses, je n’étais pas totalement idiote.


-     Je sais tout cela, épargnes moi tes grands discours. Lui intimais-je.


-     J'aimerais que tu cesses d’être aussi renfrogné. J’ai du mal à saisir ton comportement ces derniers temps.


Son ton avait changé, je relevais les yeux, la moue plissée ?


-     À quoi tu t’attendais ? Une effusion de joie ? Je vais sérieusement devoir subir ça encore et encore ? Combien de temps ? Dix ans ? Cent ans ? Mille ans ?


Il détourna le regard, ne sachant que dire, aucune justification ne serait suffisante il le savait. Je m’en voulais d’être aussi dure, mais j’étais au bord de l’explosion depuis quelque temps. La rancœur, la tristesse s’était accumulé en moi. Je n’avais que très peu de sources de satisfaction ou de joie.


Une pensée effleura mon esprit, mais je tentais de la réfréner, sans succès. Jacob, mon unique confident, mon seul véritable ami me manquait. Je ne l’avais pas vu depuis près d’un an. Il était resté à Forks des années plus tôt, ne pouvant pas quitter la meute qui était débordée par la traque aux vampires.

Les premiers temps, il venait régulièrement me rendre visite, il m’écrivait et m’appelait quasi chaque semaine. Puis petit à petit nos conversations s’étaient espacées et je n’avais plus droit à mon unique dose de bonheur.


-     J’aimerais te voir heureuse Ness, je voudrais entendre ton rire, que tu ne m’en veuilles plus.


-      Alors laisses moi aller à Forks ! S’il te plaît. Le suppliais-je.


Je savais que ma requête avait très peu de chance d’aboutir, n’ayant pas le droit d’aller seule dans la grande ville la plus proche de chez nous. Je l’imaginais mal me laisser faire 3000 kms sans garde rapprochée. Il ne pourrait pas non plus m’accompagner ayant quitté la ville il y a 15 ans et ressemblant toujours à un lycéen.


-      Ce n’est pas possible, c’est trop dangereux ! Répliqua-t-il d’un ton ferme.


Je ne pris pas la peine de lui répondre, enfilais mon casque à nouveau et lui tournais le dos. Edward quitta ma chambre. Il n’avait pas atteint le pallier que mes larmes ruisselèrent, j’avais envie d'hurler, de tout saccagé, la déception se mêlait à la colère et ne faisait que l’accentuer. Pourquoi était-il si dur avec moi ? Je bouillonnais intérieurement et commençais à sentir une soif puissante, ma gorge brulait et aucune nourriture humaine ne pouvait me combler.

J’avais bientôt 18 ans d’existence et mon évolution physique avait quasi cessé, l’attrait pour le sang était de plus en plus puissant. J’étais peu à peu en train de me figer. Je débloquais mes pensées quelques secondes afin d’informer Edward de ma partie de chasse imminente avant de reformer un bouclier d’images mentales que j’avais appris à dresser. Il se heurtait alors à un grand tableau noir, impénétrable. Je pris la direction de la forêt dans le but d’étancher ma soif, et ne regagnait la maison qu’à la tombée de la nuit.


Bella était rentrée, sa voiture était là. Je pouvais être certaine qu’elle avait été informée des moindres détails de nos échanges, ma rage s’était un peu atténuée en chassant et je ne voulais pas faire face à plus de contrariété. Je franchissais la porte, prononçais un froid « Salut maman » quand ils me scrutèrent de la tête au pied, effrayés. Je ne compris pas directement ce qui les choquer, je dus croiser mon reflet pour se faire. J’étais couverte d’une quantité de sang impressionnante, les cheveux ébouriffés, plusieurs plaies qui n’avaient pas encore cicatrisé sur le corps et mes yeux d’un noir opaque. D’habitude, je ne traquais que des biches ou des chevreuils, ils n’étaient pas dangereux et suffisaient amplement à étancher ma soif, mais aujourd’hui j’avais perdu le contrôle et m’étais laissé emporter. Durant quelques minutes, je n’avais été maître de mon corps et je peinais à me remémorer ma partie de chasse.


-     Tout va bien ! Je dois juste me laver. Leur adressais-je.


-     Que s’est-il passé ? Tu saignes Ness ! Paniqua ma mère


Mes pensées étaient embrouillées, je n’arrivais pas à réfléchir correctement. J’avais le vertige et tout semblait flou.


-     Je ne sais pas... murmurais-je


Je me sentis faible et vacillais, les bras puissants de mon père m’encerclèrent, ma mère cria.


J’étais plongée dans les ténèbres, une multitude d’images s’entremêlaient, je revivais mes peines, mes déceptions et les pires moments de mon existence. J’essayais d’immerger de ce cauchemar, plus j’essayais de m’évader plus je m’y enfonçais. Je sentais mon corps brûlait, la douleur était indescriptible. Je voyais les visages de mes proches et entendaient leurs voix me supplier de revenir à moi, j’étais comme retenue à des kilomètres sous la terre, l’air me brulait, il m’asphyxiait. Je percevais des bribes de conversations, mais je restais comme enfermée dans mon propre corps.


 Ce supplice dura plusieurs heures, peut-être même des jours. Mes parents n’avaient cessé de se relayer à mon chevet, je sentais leurs mains glacées enlacer les miennes, ils s’excusaient sans arrêt et me suppliais de me réveiller, je percevais leur culpabilité, incapable d’immerger. Au bout d’un temps infiniment long, la douleur s’apaisa, toutefois je demeurais prisonnière. Je reconnus la douceur de Carlisle, venu en renfort, il était aussi perplexe que mes parents. Personne, et pas même moi ne comprenait ce qu’il m’arrivait. Edward me saisit la main, j’essayais de déverrouiller mon esprit puisque mon corps ne répondait pas. Il tressaillit soudainement quand il perçut mes réflexions.


-      Nous sommes là Ness, je t’en supplie ouvres les yeux.


Ils se sentaient coupable de mon état bien qu’ils n’en soient pas responsables. J’entendais sa voix et tentais de lui répondre, mais mes lèvres refusaient de s’ouvrir. Je lui transmettais alors les images qui défilaient dans mon esprit, mon don me permettait depuis toujours de partager mon ressenti sans avoir à parler. Je voulais qu’il sache que j’étais consciente et que mes membres ne répondaient pas. Ils ne savaient comment m’aider. Le flux d’images s’entrechoquait sans que j’en eusse le contrôle. Je me revoyais enfant, le matin de Noël, l'un des meilleurs jours de ma vie. Nous étions à Forks, enfin réunis après la visite des volturis qui souhaitaient nous exterminer pour avoir transgressé toutes leurs règles. Je ressentais la douceur de Bella qui me caressait les cheveux, les notes harmonieuses qui s’échappaient du piano quand Edward jouait ma berceuse. Je revoyais la bataille de boules de neige qui avait suivi, le sourire de Jacob quand nous battions Alice et Jasper, mes balades à dos de Loup géant. Les longs après-midi à la Push, la douceur de la brise.

Tous ces moments heureux se mêlèrent aux pires épreuves que j’avais traversées. Je revoyais tous les adieux, les au revoir, la solitude que j’avais endurée. Je me voyais quitter les lieux, les personnes auxquelles je m’étais attachée. Je ressentais le manque de mes repères, de Grand-Père Charlie, d'Alice et Jasper partis vivres en Europe afin de surveiller les mouvements de nos ennemis de plus près, ainsi que le manque de chaque membre de la famille, mais par-dessus tout : l’absence de Jacob.


-     Appelle-le, dis-lui de venir. Demanda Edward à Bella.


Il n’avait pas besoin de prononcer son nom tant il était évident que c’était SA présence qui m’était nécessaire. J’avais eu en grandissant l’étrange impression que mes parents avaient tout fait pour nous éloigner l’un de l’autre et qu’ils avaient réussi. Du jour au lendemain Jacob s’était détaché de moi, il était devenu distant. Depuis que nous vivions à Whitehorse, il ne venait que rarement me voir, ne m’appelait plus. Il m’avait avoué être très occupé par la meute bien qu’il pensait à moi. Apparemment ce n’était plus le cas puisqu’il ne m’avait rendu visite depuis un an. À cet instant, j’aurais souhaité pouvoir lire les pensées comme mon père, trouver une explication à son éloignement, une raison qui m’aurait fait moins de mal que penser que je ne comptais plus pour lui, que je lui ai été indifférente. Soudain, un nouveaux flots d’images m’apparut, il y avait mon père, Alice et Jacob, dans la forêt, un soir d’été. Je reconnaissais les bois de Whitehorse, c'était à quelques kilomètres de la maison. Jacob avait le visage enfoui dans ses mains, mon père mît sa main sur son épaule.


-      Tu sais que c’est ce qu’il y a de mieux à faire ! Tu as promis de la protéger ! Adressa mon père à Jacob.


-     Et je le ferais... Répondit-il


Les images cessèrent subitement, Edward avait retiré sa main de la mienne, qu’est-ce que cela signifiait ? Était-ce une hallucination ? Un rêve ? Un souvenir ? Soudain tout s’obscurcit de nouveau et je sombrais dans les ténèbres.


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