Talbot

Chapitre 1 : Talbot

Chapitre final

Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:34

La porte à double battant s’ouvrit à la volée sur Russell Edgington, fulminant de rage. Les gardes étaient déjà postés ci et là dans le hall d’entrée, attendant patiemment l’arrivée de leur maître. Ils n’avaient pu arrêter le fuyard, bien trop habile, bien trop rapide pour eux.

      -   Où est-il ? vociféra Edgington la bouche encore barbouillée de sang. Où est-il ? répéta t-il plus fort. Il agrippa un  de ses hommes au passage, en quête d’une réponse.

L’homme ne répondit rien, terrorisé par son maître. Russell savait pourtant, il avait senti le lien se rompre promptement.

       -   Dans le bureau mon sire, s’éleva une voix quelconque en arrière-plan.

Il se dirigea vers la pièce richement meublée. Elle était faiblement éclairée : ce qui ne l’empêcha pas de noter la présence de Talbot, ou du moins de ce qu’il en restait. Un tas de chair et de sang gisait sur le sol sombre.  

 Edgington poussa un soupir.

       -   Talbot, Talbot, sanglota t-il tout en s’agenouillant pour rassembler les restes de son amant.

Son costume était  maintenant maculé de ce sang qu’il aimait tant, de ce sang qu’il avait goûté autrefois. Des larmes écarlates bordaient ses yeux, dégoulinant lentement sur son visage.

       -   Non, non, non…Talbot, Talbot, Talbot !  sanglota t-il de plus belle, d’une voix à présent plus audible.

 La chair sanguinolente collait au sol, Russell se débattait avec. Tournant la tête à demi, son regard fut attiré par le trou béant laissé dans une vitrine - vitrine où étaient entreposées nombre de reliques précieuses : trophées de guerre, trésors volés qu’il aimait admirer.

Seule la couronne du chef viking avait disparue. Cela n’avait plus beaucoup d’importance, néanmoins il ne mit pas longtemps à faire la relation avec Eric Northman. Talbot aurait péri pour cette stupide relique ?!

Comment avait-il pu ignorer si sottement l’intérêt que le grand blond avait suscité pour son trésor ?  Edgington avait pourtant lu dans ses yeux quelque chose d’intense, qu'il n’avait pas saisi sur le moment, quand il l'avait aperçue, là, sur son présentoir. Northman et cette relique viking étaient liés.

Le shérif de la zone 5 était peut-être habile, mais il n’allait pas l’être pour longtemps : personne ne s’attaquait à Russell Edgington, roi du Mississipi, vampire de 3000 ans. Être aussi présomptueux relevait de l’effronterie ! Sans doute Northman cherchait-il à abréger sa misérable existence… 

Talbot était le seul point faible du vieux vampire : en le liquidant, le viking lui avait lancé une attaque personnelle. Peu importait la raison, plus jamais il ne profiterait de la compagnie de son jeune amant, qu’il avait abandonné sciemment aux bons soins du shérif.

La culpabilité l’assaillit. Son concubin lui avait pourtant déjà reproché à de nombreuses reprises, en 700 ans de vie commune, de le délaisser au profit de ses affaires, de sa collection, de ses petites manigances...

Edgington était habitué à ses crises de jalousie à répétition, qui pimentaient aussi leur quotidien. Bien sûr, il lui arrivait souvent, au passage, de perdre quelques trésors dans la bataille.

Talbot était bien plus précieux que ses affaires, que cette collection, que ses propres ambitions… 

Russell poussa une longue plainte avant de s’affaler dans l’épaisse flaque de sang.

       -   Ses derniers instants seront les plus terribles, susurra t-il à ce qu’il restait de son amant.

Désormais, Edgington n’avait plus rien à perdre. Du revers de la main, il essuya ses larmes de sang  et s’empara d’un drageoir en cristal pur, qui datait de la Renaissance Italienne, dans lequel il disposa délicatement les morceaux de chairs écarlates.


       -   Ah, ah, ah ! Tu quitterais tout… ce luxe pour le vieux fou que je suis ?

Le vampire fit de grands gestes de la main pour désigner les appartements de son jeune amant. Tout y était décoré avec goût : les étoffes aux tons chauds étaient épaisses et soyeuses, les meubles travaillés et sertis de pierreries, les cristaux dorés à l’or fin...

       -  Talbot, sois raisonnable ! Et puis même si je le voulais, je ne pourrais t’arracher à tout ce faste ! Il fait parti de   ce que tu es.

       -  Je n’ai que faire de tout ce luxe, je ne veux qu’être avec toi ! Et puis je m’ennuie ici !

Il fit cette moue qu’Edgington aimait tant : son amant était bien trop capricieux, certes, mais il avait ce quelque chose d’exceptionnel qui l’attrayait tant. Il était évident pour lui aussi qu’il ne pourrait se passer de lui.

        -  Tu n’es qu’un enfant trop gâté !

        -   Et toi, un vieil égoïste !

        -   Ce que j’ai à te proposer est loin d’être fastueux, ma bourse est bien maigre. Je ne peux hélas que te proposer une vie de bohème.

        -  Je n’ai que faire des richesses, emmène-moi avec toi… Partons cette nuit !

Le vampire partit d’un rire franc et se mit à arpenter la pièce de long en large, à vitesse modérée - pour ne pas effrayer le jeune humain – cherchant ses mots. Talbot était d’un tempérament colérique, il n’était pas aisé pour son aîné d’éviter leurs disputes incessantes.

        -  Je n’ai l’intention de partir nulle part… pour le moment.

        -  Dans ce cas-là, je partirai seul.

Russell leva les yeux au ciel, Talbot reprit :

        -  Ma vie n’est pas ici. Je refuse de rester plus longtemps dans cette cage dorée, d’épouser une femme de quelque ascendance bourgeoise, il fit la grimace. Cela ne me ressemble pas. Je pars avec ou sans toi, mais je pars tout de suite dans tous les cas !

Il entreprit de rassembler quelques affaires sur sa couche en vue de sa fuite.

        -  Tu es tellement doué pour la tragédie, Talbot…

L’intéressé renifla de mépris, le vampire stoppa pour lui faire face.

        -  Tu n’en mourras pas ! Tu pourrais aimer une femme, ou même qui te demande de l’aimer ?! Certaines sont presque supportables. Penses-y.

         -  Assez ! Russell, tu m’insultes ! Je ne le pourrais pas et tu le sais fort bien ! J’abandonnerai tout pour toi, et toi… toi tu me rejettes comme si je n’étais rien !

         -  Pas de scène, je t’en prie, soupira t-il en se passant la main sur le visage.

         -  J’en ai assez que tu me prennes pour un gamin ! Je te préviens : cette histoire va mal finir !

Talbot se prit la tête dans les mains et poussa de petits gémissements aigus, se laissant tomber sur un siège. Edgington se massa les tempes tout en conservant son air affable ; en réalité il bouillonnait de colère. Cependant les siècles lui avaient appris à ne rien laisser paraître : il ne craquerait pas.

         -  Tu me fais du chantage ? questionna t-il, après un long moment de silence.

         -   Non, ce n’est pas du chantage, c’est une promesse ! objecta le jeune homme sur un ton de défi, bondissant du siège.

         - Qu’est-ce que cela signifie exactement ? s’entendit-il prononcer d’une voix légèrement modifiée par une angoisse naissante, qu’il essayait en vain de dissimuler.

Le jeune grec tourna la tête pour mieux dissimuler le sourire triomphant, qui s’affichait déjà sur son visage. Rien ne lui avait échappé. Il décida néanmoins de se murer dans le silence pour faire durer un peu le plaisir. Talbot aimait les disputes – et il n’en était pas à son premier coup d’essai - puisqu’elles leur permettaient aussi de longues retrouvailles tumultueuses. Russell se dirigea vers la couche de son amant d’un pas résolu, l'y entraînant, et entreprit de le consoler comme il se le devait. Le jeune homme le repoussa d’abord, et le regarda d’un air sévère.

           -  Tu sais ce que je veux…

           -  Soit, alors.

Avec un sourire satisfait, il se laissa aller contre le corps froid du vampire, tout en lui laissant un sentiment de dominance.

La nuit suivante, ils partirent côte à côte vers de nouveaux horizons. Il n’y a rien que Russell ne pouvait refuser à Talbot, rien. L’avenir leur promettait bien des surprises pourtant…

Sans un sou en poche, ils s’engagèrent tous deux en tant que mercenaires. Edgington avait l’expérience du combat, sa condition vampirique lui offrant largement de quoi briller sur le champ de bataille. Talbot, lui, fournissait beaucoup d’efforts qui ne payaient pas toujours. En outre, il ne supportait ni la crasse environnante, ni les odeurs pestilentielles qui se dégageaient aussi bien des cadavres que des vivants.

Russell l’avait pourtant mis en garde : Talbot était un homme de goût, tôt ou tard son raffinement l’aurait rattrapé… mais plutôt tôt que tard. Il poussa un long soupir, dépité même d’admettre que son amant avait eu raison. Que pouvait-il bien faire maintenant qu’ils étaient là ? Il n’était pas question de retourner de là d’où il venait, d’abandonner celui qu’il aimait, de s’unir à une femme.  Il gémit, ce qui suscita la curiosité du vampire.

            -  Talbot ? l’encouragea t-il d’un regard interrogateur.

            -  Rien.

Edgington l’attira dans un coin reculé du camp, doucement mais fermement, et croisa les bras autour sa poitrine.

            -  J’attends.

            -  Tu vas attendre longtemps alors, répondit Talbot, sarcastique.

            -  Tu sais comme je peux être patient. Je ne bougerais pas d’ici tant que je ne serais pas ce qui te chagrine.

            -   Rien ne me chagrine !

            -   À d’autre ! Pourquoi t’emportes-tu de la sorte alors ?

            -  Je ne m’emporte pas.

            -  Tes mains tremblent.

            -   Non, elles ne tremblent pas du tout.

            -  Talbot ! Vas-tu enfin me dire ce qu’il y a, s’emporta le vampire d’une voix forte.

Quelques hommes tournèrent la tête en leur direction, se détournèrent rapidement alors que Russell leur lançait un regard noir. Il y avait bien plus que de la fraternité – comme ils l’avaient annoncé – entre les deux hommes. Edgington, jeta de nouveau un regard à son amant, l’incitant à parler, qui ne répondit pourtant rien.

             -  Oh, j’y suis… tu regrettes c’est ça ? Tu regrettes de m’avoir suivi, ajouta t-il tristement.

             -  Bien sûr que non.

Il prit le visage du jeune homme entre ses mains, l’obligeant à le regarder.

             -  Dis-le moi.

Talbot soupira, il eut le regard fuyant les premières secondes, puis le fixa enfin.

             -   Je m’ennuie.

             -   Quoi ?! s’esclaffa le vampire, soulagé. Tu t’ennuies ? 

             -   Oui. Et… ne sens-tu pas l’odeur de ces charognes ? ajouta t-il plus hésitant.

             -   Ah, ah, ah, ah… si fidèle à toi-même ! Tu sais bien que seul ton bonheur m’importe.

Un large sourire s’épanouit sur le visage du jeune grec. Dans quelques jours, ils partiraient pour l’Italie. Talbot y retrouverait un semblant de vie, il pourrait enfin se glisser dans des vêtements propres, oublier l’odeur du sang et de la mort.

Edgington, lui, était soulagé que son amant ne se soit pas encore lassé de lui, soulagé aussi d’avoir évité une nouvelle scène.

Néanmoins, il devrait être plus prudent pour subvenir à ses besoins à lui. Ici, il pouvait se nourrir à la barbe de tous : personne n’avait prêté attention aux marques de crocs laissées sur les victimes. En voyage, il devrait trouver des humains assez téméraires pour errer de nuit, des ivrognes peut-être ou des pillards…

Trois longs jours passèrent pour Talbot. Les nuits étaient bien sûr plus attrayantes, cependant au petit matin il se réveillait toujours seul, Russell ayant mystérieusement disparu, comme à son habitude : ce qui l’irrita prodigieusement, encore. Plus vite, ils quitteraient le camp, plus vite son amant serait à lui, et à lui seul. Il se demandait avec quel autre homme, il pouvait bien fricoter le jour. Ses interrogations sempiternelles provoquaient encore de nouvelles disputes. Edgington éludait toujours le sujet, prétextant qu’il avait à faire le jour, qu’il devait subsister. Ce qui n’était qu'un demi mensonge.

Le quatrième jour, au crépuscule du soir, le camp fut attaqué. Le vieux vampire n’avait rien vu venir, il n’avait pas senti la peur ni la douleur de Talbot quand la lame lui avait transpercé la poitrine, n’ayant jamais eu encore le privilège de goûter son sang.

A la nuit tombée, quand il sortit des entrailles de la terre, l’odeur de fumée l’avertit que quelque chose d’anormal c’était produit. D’une vitesse surnaturelle, il se dirigea vers le camp en feu où gisait encore son amant. Il était mal en point, sa respiration inconstante était l’un des indicateurs qui annonçaient sa mort prochaine. Une large tâche rouge teintait sa poitrine.

Alors, le vampire s’agenouilla près de lui, le jeune homme sembla le reconnaître, il voulut se redresser un peu. Russell lui intima de rester en place d’un geste de la main, il porta son propre poignet à ses lèvres, arracha sa chair  - d’où s’échappait déjà le liquide rougeâtre – avant de le coller contre la bouche du mourrant.

Avant de sombrer totalement dans l’inconscience, le jeune homme avait absorbé assez de sang pour guérir de la blessure, qui aurait dû être mortelle. Edgington se pencha au dessus de son bien-aimé et  lécha son sang dont il se nourrit avec délectation.

Quelques jours plus tard, il consentit à procéder à la transformation de Talbot, qui n'avait cesser depuis de leur harceler pour devenir son semblable.  Ainsi, il ne risquerait plus de le perdre si bêtement, ainsi ils seraient ensemble éternellement.


Edgington se dressait face au Fangtasia, lieu de toutes les débauches vampiriques, où il espérait trouver Northman, puisqu’il en était le tenancier.

Bientôt, il s’abreuverait de son sang jusqu’à la dernière goutte, avant de l’exterminer, non sans avoir mis son établissement à feu et à sang. Personne ne pourrait le stopper, Russell Edgington était bien plus rapide que tous les vampires réunis à dix kilomètres à la ronde... bien plus fort aussi et surtout il n’avait plus rien à perdre.

Des hauteurs, il dominait le petit groupe qu’il identifia clairement comme officiant pour la Ligue Américaine des Vampires. Une blonde se détacha du groupe pour se diriger vers une limousine : Nan Flanagan porte-parole officiel de l’A.V.L.

Ainsi donc, ils protégeaient ce fumier !

       -   Talbot, Talbot… regarde, il approcha l’urne cristalline de son visage avant de reprendre. La Ligue Américaine des Vampires protège Northman. Ooooh Talbot, je te jure qu’ils vont payer pour ça, mon bien-aimé. Je vais les faire souffrir, il détacha ses derniers mots, un sourire satisfait aux lèvres.

 Il déposa un baiser sur le drageoir cristallin. Edgington serait désormais incontrôlable.

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