Initiales JH : Young Blood

Chapitre 6 : Ex-agents temporels

Chapitre final

2162 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 24/12/2019 10:40

CHAPITRE VI : Ex-Agents Temporels


Note de l’auteur : un Jack plus âgé mais toujours entier, passe récupérer John dans un aéroport, et se souvient de la façon dont ils ont quitté l’Agence suite aux événements relatés au chapitre précédent.

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JACK HARKNESS


Quand il le revit là debout devant lui, les mains dans les poches, avec son petit sourire narquois à la bouche et son air impatienté au fond des prunelles, le cœur de Jack se dilata d'aise, comme s'il pouvait enfin se détendre pour la première fois depuis des semaines. Pendant qu'un employé des douanes faisait sortir Hart de ce qu'ils baptisaient pudiquement la salle d'attente et qui avait une bonne tête de garde-à-vue, Jack signa les papiers nécessaires, fit tamponner ce qu'il fallait où il fallait. Il plia les documents et les lui tendit pour qu'il les conserve avec lui, car il en aurait sûrement besoin pour circuler.

John les avait empochés les yeux mi-clos sans rien dire, même pas un merci. Mais son sourire avait été étrange et secret. Il n'avait pu le serrer contre lui que le temps d'une trop brève et démonstrative ultra virile accolade dont il s'était vite arraché parce qu'ils étaient sous les yeux moralisateurs des Velquashis bien-pensants. Juste le temps de sentir la trace ténue d'un parfum de femme. Laquelle ? se demandait Jack, dévoré de curiosité.

Quand ils étaient jeunes, il avait défié Jon de sortir avec des femmes – peut-être dans le fol espoir qu'en découvrant ce qu'il ratait, il lui ficherait un peu la paix… Jack était presque sûr que son insatiable admirateur n'avait accepté qu'en imaginant que c'était juste le prix à payer pour obtenir ce qu'il voulait : une nuit entière avec lui. Au bout du compte, son plan avait fini par fonctionner, mais avec des années de retard, par contre…

Dans les couloirs bondés de l'astroport, tout en louvoyant entre les usagers en direction des sorties, Jack hésitait. Il ne savait pas quoi lui dire ni comment démarrer une conversation où il aurait eu l'air inquisiteur que John détestait. « T'étais où ? T'as fait quoi ?... ». Cet accord entre eux était établi de longue date. Même si cette règle plus ou moins tacite remontait à l'époque où ils étaient tous les deux jeunes et incertains de leur avenir comme de leur longévité, elle ne semblait pas sujette à une quelconque réévaluation de la part de John.

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Ne jamais tenir l'autre pour acquis.

Il se souvenait bien comme ça l'avait rassuré au début, quand il s'était trouvé aux prises avec cet homme si spécial qui le trouvait beau et qui le lui disait ouvertement. Jack reconnaissait qu'il avait eu du mal à le cerner, car il était capable de passer sans transition de la camaraderie la plus potache aux chicaneries fraternelles, des vannes féroces aux caresses les plus suaves et les plus osées. Tout avait été tellement enivrant avec lui à force de collectionner les premières fois.

Assez naïvement, de prime abord, Jack s'était d'abord dit qu'il ne pourrait que détester le contact d'un autre homme. Comment aurait-il pu en être autrement ? Jusqu'alors il n'avait eu aucun problème à coucher avec une femme, sans éprouver pour elle rien d'autre que du désir. Paradoxalement, alors qu'il n'avait pas l'impression d'être physiquement attiré par lui, il avait réalisé qu'il avait pourtant envie de passer du temps avec, que ce soit pour parler, déjeuner ou pour s'entraîner. Peut-être parce qu'il se sentait seul à l'époque dans cette nouvelle vie qu'il avait pourtant voulue et qu'il avait simplement besoin d'un ami.

Mais plus, il passait de temps avec lui, plus il percevait la souffrance latente de John en dépit de ses efforts pour la cacher. Peut-être aussi que le retentissement intérieur de cette première mission exaltante, dangereuse et folle, avait été trop fort. Il avait réalisé assez tôt qu'il avait des sentiments complexes pour cet homme sans doute forgés dans le creuset de la mort rodant sur leurs talons, et que c'était ces sentiments qui l'avaient poussé à accepter peu à peu son contact, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

Avec le recul, il voyait combien c'était cette expérience-là qui avait nourri sa patience envers Ianto bien des années plus tard. Parce qu'un jour, il avait été à sa place. A la fois jeune, flatté de voir ce qu'il inspirait, effrayé par ses propres sentiments, chamboulé par ses sens qui semblaient se ficher complètement de savoir d'où venait le plaisir.

Jack était à peu près persuadé qu’il y avait quelque chose à sauver chez John. Peut-être parce qu'il trouvait que ça ressemblait à un miracle improbable qu'on s'intéresse vraiment à un petit campagnard comme lui… Car si John se comportait généralement comme un parfait crétin avec tout le monde, la façon qu'il avait eue de lui faire sentir qu'il avait droit à un traitement de faveur, n'avait pas été le moindre des catalyseurs pour le jeune orphelin qu'il était toujours, quelque part au fond de lui. John lui avait toujours donné l'illusion qu'il lui montrait sinon son vrai visage, du moins un qu'il lui réservait tout spécialement.

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C'était il y avait si longtemps maintenant. Précisément, la veille de son reconditionnement, précédant son départ effectif de l'Agence Temporelle. Interrogé sur les raisons de cette partialité, John s'en était justifié avec un bougonnement un peu gauche :

« Hey, tu as essayé de me sauver… En pure perte, mais je suppose que ça compte quand même. »

John était persuadé que l'effacement de sa mémoire allait le tuer symboliquement. Ils savaient l'un comme l'autre qu'ils n'avaient aucun moyen d'échapper à ce qui était prévu, et le futur ex-agent temporel lui avait d'ailleurs dit qu'il n'avait pas l'intention d'être un fugitif.

Le dernier soir, ils s'étaient isolés et réfugiés dans une alcôve nocturne assez grande pour deux. John avait niché sa tête sur son épaule reposant à moitié sur sa poitrine, un bras posé en travers. Leur dernière nuit, il voulait juste qu'ils la passent ainsi : simplement côte-à-côte. Peut-être craignait-il que Jack ne tente quelque chose de trop fou s'ils se quittaient sur une étreinte fiévreuse et désespérée.

« Je ne vais pas te le redire Boeshane, mais… si après tu me recroises un jour, lui avait-il fait promettre, n'essaie rien. Ignore-moi, ça vaudra mieux. Le toubib m'a averti de ce que ça pouvait me faire, de ce que je pouvais devenir… Alors, s'il te plaît, si tu me revois : te pose pas de questions. Abrège mes souffrances et colle-moi juste la balle qui m'attend depuis Kridivine ».

Il se souvenait bien qu'il avait essayé de protester mais John lui avait d'autorité fermé la bouche pour l'empêcher de parler, en continuant :

« Je pourrai peut-être me souvenir de toi, mais… je ne sais pas quelle forme ça prendra. On m'a dit que les souvenirs récents sont les premiers à partir dans la grande lessive tandis que ceux qui sont associés à des émotions fortes perdurent… Alors je ne sais pas ce que ça peut donner… Mais ces quelques semaines supplémentaires que tu m'as permis de vivre avec toi, je crois qu'elles te vaudront bien cinquante ans de crédit-karma » avait-il souri en hochant la tête comiquement pour essayer d'atténuer la solennité et la tristesse du moment. « Personne n'avait jamais fait ça pour moi. Personne n'a été assez fou et assez sûr de lui, pour me défier comme tu l'as fait et sur un plan aussi personnel… Dommage qu'on n'ait pas eu plus de temps, toi et moi. Mais c'est comme ça, pas vrai ? Les meilleures choses ne durent jamais ».

Tout ça, c'était si vieux, pourquoi y repensait-il ?

Parce qu'il sentait cette odeur légère et florale sur lui qui lui rappelait les défis joueurs qu'ils se lançaient ?

Parce que ça lui rappelait fatalement les autres fois où il avait dû lui dire adieu ?

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Ils étaient devenus amants peu de temps avant son reconditionnement. Bien que John ait su jouer la carte du temps qui manquait et de leur séparation imminente, Jack n'avait jamais regretté de s'être ouvert à celui qu'il était à ce moment-là.

Et sans doute que cela lui avait permis de tenir… face à ce qu'il était devenu après l'opération.

La première chose que Jack avait décidée quand il avait eu sa première perm' après des mois, ça avait été de ne surtout pas suivre le conseil de se tenir à l'écart et de se mettre à le rechercher. Oh, il avait prié maintes fois pour le retrouver. Un jour, il avait entendu cette phrase – peut-être même de la bouche du Docteur qui l'avait dite à Rose, la fois où ils avaient visité ensemble les ruines de Troie… – la tragédie, c'est quand les dieux exaucent vos prières inconséquentes.

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Donc les dieux l'avaient exaucé et il avait retrouvé l'ex-agent sous le nom de John Hart. Si au moment de leur première rencontre il avait cru que ce serait difficile de se résoudre à l'aimer, ça n'avait été rien à côté de ce que lui avait réservé la seconde… Pourquoi s'était-il imposé de vivre ça ? Pourquoi n'avait-il pas écouté et tourné le dos à cette créature sauvage et en colère que le charcutage malpropre de son cerveau avait produite ?


Peu de temps après ça, il avait filé sa dem' de l'UTA et lui avait collé au train – souvent plus que littéralement d'ailleurs. Il aurait aimé être sûr que tout ça n'avait aucun rapport avec sa culpabilité persistante d'avoir lâché la main de son jeune frère pour courir plus vite pendant les bombardements de la Péninsule.

John n'avait pourtant pas grand-chose en commun avec Gray et ça s'était tristement vérifié par la suite. S'était-il juste dit dans un coin de sa petite tête que celui-là, il allait le sauver coûte que coûte ? Le fait qu'ils soient amants compliquait certes considérablement son schéma secret de rédemption purement fraternelle. Pour lui, Gray était Gray et John était John, ce qu'il ressentait pour les deux était différent quoique fort, et il avait voulu croire qu'il restait un espoir pour John…


Un idéal tellement naïf et si dangereux qui avait culminé pendant sa visite à Cardiff !* John ensauvagé ne fonctionnait plus qu'avec une logique viciée. Il n'avait eu aucun problème à tirer dans le ventre d'Owen, ni à empoisonner Gwen. Il n'avait pas hésité non plus à le balancer lui-même du haut d'un immeuble, ce qui lui avait valu de finir la colonne bousillée sur un malencontreux banc public.

Plus tard, alors qu'il découvrait que Jack Harkness était un homme difficile à tuer, John parvenait à lui dire qu'il l'aimait juste avant de le canarder à l'arme automatique…


Jack n'avait pas compris tout de suite qu'il ne faisait qu'exécuter les ordres déments de Gray qui avait barre sur lui et les moyens de le faire exploser instantanément s’il n’obéissait pas. Le bouquet ça avait été quand John avait été forcé de creuser une tombe et de l'y enterrer vivant.

Ce n'était pas la moitié d'une souffrance que de voir ces deux hommes-là ligués contre lui, le vouer à un enfer éternel. La revanche de Gray pour avoir été abandonné enfant et réduit en esclavage et réduit en esclavage par des aliens, c'était de l'enterrer sous Cardiff, à deux millénaires de là, tandis que l’amoncellement des sédiments le recouvriraient et empêcheraient qu’on le retrouve jamais...

Après la première pelletée de terre, pourtant, au moment où tout espoir l'avait déserté, celui qu'il avait aimé et voulu sauver, s'était permis à l'insu de Gray un minuscule acte délibéré de rébellion qu'il avait su déguiser pour que le petit frère fou ne se doute de rien… Il avait jeté sur lui une bague dont la pierre était très radioactive et l'avait fait passer pour un geste narquois et mauvais qui ajouterait encore à son inconfort. Gray n'y avait vu que du feu. A sa grande honte, Jack aussi.


Ce n'est que des siècles plus tard, quand l’institut Torchwood l'avait sorti de terre qu'il avait enfin compris ce que John avait tenté de faire pour lui…

 

FIN

 


* Note : ces événements sont relatés dans l'épisode final de la saison 2 de Torchwood.

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