Tomb Raider : Sur les traces de Carter Bell

Chapitre 1 : Une nouvelle inquiétante

2961 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 01/03/2018 17:54

Londres, un an après l’accident. Une semaine des plus banales allait prendre fin et les vacances de Pâques approchaient à grand pas. Là, dehors, les passants se pressaient dans un flot perpétuellement continu et n'avaient pas du tout bonnes mines. Il faut dire que l'ambiance dans le pays était particulièrement houleuse, comme toujours. Les marchands de journaux éprouvaient une certaine lassitude de voir accrochés à leur vitrine les derniers hebdomadaires à scandales, tous imprimés de la photographie baveuse mais à la fois reluisante de Tony Adler et sa coupe iroquoise, dont le portrait était désormais placés sous un slogan célèbre : "À bas la politique du gouvernement !". Un esprit en contradiction avec les paroles du jeune homme alors quelques années plutôt. Ses frasques d'enchanteur avaient bernés la presse locale sans l'ombre d'un soupçon : "Le nouveau William Pitt", "Un Premier Ministre révolutionnaire !". Personne ne tarissait d'éloges sur ce gourou de la politique. Mais la population, elle, ne s'y prêtait guère plus, peut être au début. On y jetait un regard vide de sens pour se donner une image extérieure, celle d'un citoyen s'intéressant à la vie de sa communauté. Mais dès lors, la fourmilière dévastatrice parcourait les lieux sans attendre son dû. En réalité, cette morne population n'attendait qu'une seule chose : pouvoir prendre congés et partir loin d'ici.


D'ailleurs, en fin de soirée, le temps était capricieux. Une pluie glaciale s'abattait avec effroi sur la ville, laissant les avenues et ruelles sombres, désertes. Seule la Lune, si lointaine dans les cieux amenait une douce lueur pleine de clarté qui se fondait habilement entre les différents patelins de la capitale. Les lampadaires lumineux jouaient les individualistes au fur et à mesure que les entrailles de la cité s'ouvraient aux rares voitures. Les routes étaient parsemées d'arbres imposants et débordants, de feuilles qui semblaient étouffer tous ceux qui osaient s'aventurer dans le coin.


        Cette nuit-là, nombreux étaient ceux qui empruntaient les raccourcis et chemins étriqués dissimulés entre grandes forêts et bas-fonds de la ville. Les plus courageux pouvaient apercevoir sur la route d'une cavée boueuse un embranchement menant tout droit vers un manoir colossal. Celui-ci se dressait tel un monstre, un géant que l'on ne pouvait éviter. Dessiné tout en largeur, de marbre et de pierres, il offrait aux visiteurs une belle surprise ; ces derniers s'abandonnaient à de grandes rêveries. La partie centrale du bâtiment, composé d'immenses arches découpées dans la dalle, délimitait un corps massif, écrasant le terrain et la nature autour de lui. Les ailes gauches et droites, dont les murs étaient constitués de pavés rouges faisaient étrangement allusion à de grands bras, capables de brasser le sol avec une puissance inouïe. Enfin, le clocher surplombant la structure à deux étages donnait vie à cet étrange abri, il en faisait sa tête, son cerveau, son esprit. Cette demeure était donc finalement plus qu'une simple maison, elle avait une âme mais surtout dégageait un grand frisson dans le dos de ceux qui se risquait à la contempler. De plus, un énorme portail en argent délimitait le domaine, empêchant quiconque d'accéder sans autorisation à cette invraisemblable demeure. Finalement, seule la verdure qui entourait le foyer donnait un soupçon de sérénité.


        En examinant avec détails les lieux, nous pouvions apercevoir dans la pénombre une fenêtre éclairée et à travers elle, une fine silhouette dont la stature aurait pu séduire n'importe qui instantanément. Les mains sur les hanches et le dos courbé, elle semblait prendre la pose et examiner les environs. Son immobilité impressionnante faisait d'elle un spectre. Par moment, son visage apparaissait comme un flash aux yeux de tous, illuminé par des éclairs foudroyant le ciel dans un vacarme assourdissant. Les longues déchirures blanches laissaient alors transparaitre une certaine nervosité dans le regard de la jeune femme, et ce à chaque fois que le grand fracas revenait.


         Oui, il n'y a pas de doute, cette nuit-là n'était la bonne pour personne. Lara Croft, tremblait de tout son chef. Silencieuse mais pas moins absente, elle guettait la nuit et les carrioles, mais semblait surtout vouloir flairer quelque chose, attendre une révélation, un signe. La tentatrice avait en effet bien des préoccupations en tête en cette fin de soirée.


« Combien ? »


        La voix de Miss Croft résonna distinctement dans la pièce.


« Ahem... on est pas, enfin... On se fait peut être des illusions, Lara... »


         L'archéologue sentit une main se poser sur son épaule mais elle se délivra immédiatement de ce poids par un brusque volte-face.


« On a assez perdu de temps comme ça, finissons-en, par pitié. Combien de jours ?! » finit-elle par exulter, en égrenant chacun de ses derniers mots.


         Sa voix n'était plus déployée qu'à outre-mesure, tremblante sur certaines syllabes et de loin rendue stigmatisée par les derniers événements. Son allure hautaine avait disparu le temps d'une fraction de seconde, donnant seulement l'image d'une jeune femme en perte de moyens et loin de ses mimiques habituelles de bourgeoisie.


         Un homme d'une quarantaine d'années environ se leva dans la pénombre lunaire, se dévoilant du fond de la pièce au parquet boisé décharné par l'usure. Caché derrière de longs cheveux gras disposés en bataille derrière un cou mutilé par les cicatrices rougeâtres de la jeune adolescence, Patrick Lambertson avait tout l'air d'un homme négligé. Géologue de renom dans le cercle privé des britanniques, il avait rejoint l'équipe de Carter il y a quelques années lorsque celui-ci l'avait engagé pour une expédition extrême dans la région turque de la Cappadoce à la recherche d'une tombe cachée dans la nécropole de Gorëme. Célibataire endurci mais travailleur passionné, Patrick vivait pour son job, il s'agissait même là de son unique raison d'exister. Abandonné par sa mère qui ne pouvait l'élever seule, il fut placé dans une famille d'accueil et dû très vite apprendre à se débrouiller par ses propres moyens. Cela laissa en lui des séquelles irréversibles qui le conduisirent dans une profonde dépression. Empli d'une mélancolie profonde, coincé entre un passé qu'il ne cessait de renier et un présent qui le faisait souffrir, ce pauvre homme n'avait pris goût à rien, dans l'immédiat à l'alcool qu'il côtoyait chaque soirée dans un bar, oubliant ses problèmes le temps de quelques heures offertes par la nuit noire. Mais un soir, c'est plongé dans ses cocktails qu'il rencontra Bell, ce charmant afro-américain aux yeux noisette qui compris immédiatement la détresse dans son regard. Patrick, qui ne s'imaginait pas que quelqu'un puisse l'aider et le comprendre lui, ne tarda pas à écouter son interlocuteur. Mais l'archéologue se prit d'empathie pour ce jeune homme, il vint ensuite tous les soirs le rejoindre et convint son nouveau compagnon de partir avec lui en expédition pour reprendre sa vie en main. Ce voyage changea radicalement sa vie, Lambertson se sentit à nouveau respirer, comme un souffle à l'intérieur de lui ayant rafraîchit ce qu'il était.


« Tout juste 3 semaines. Depuis, plus rien » murmura ce dernier d'une voix douce et honnête.


Lara fixait les invités en tentant de contrôler son souffle. Une femme d'une trentaine d'année était assise confortablement sur un sofa rouge soyeux face à l'aventurière, les jambes repliées sur les coussins, le menton reposant sur les mains. Emily était ingénieur des travaux publics dans le pays et collaborait avec Bell sur sa connaissance stupéfiante et précise des bâtiments. Joueuse par nature, elle avait abordé Carter lors d’un séminaire archéologique et avait tout de suite adhérée à sa personnalité ambitieuse et charmeuse. Les deux étaient même tombés sous le charme l’un de l’autre pendant un moment, mais leur relation restait à l’heure actuelle, toujours aussi ambigüe. Curieuse mais un brin immature, la blonde avait néanmoins une volonté de fer et son habituelle jovialité pouvait remonter le moral de n’importe qui. Mais, tout comme Lara, son visage donnait maintenant une expression alarmante reflétant une agitation intérieure arrivée à son paroxysme.

« Quelque chose est arrivé à Carter » abdiqua-t-elle au bout de quelques secondes, comme si elle ne pût se retenir de lâcher cette vérité dont personne ici ne voulait s’avouer.

Lara se mit à faire les cents pas de manière transversale dans son salon. Son ombre défilait devant la fenêtre et répétait le même parcours machinal.

« Avez-vous prévenu la police ? interrogea-t-elle, soucieuse.

- Non, bien sûr ; on voulait te mettre en premier au courant… ainsi que les parents de Carter. Ils aimeraient bien te voir d’ailleurs » répondit Gary.


Gary était un pirate informatique et meilleur ami de Carter depuis l’université. Ce garçon était, sans moqueries, un brin dérangé. Il portait d’affreuses chemises de couleur vives, et sa calvitie précoce au milieu du crâne formait sur sa tête deux cornes de cheveux bouclés si bien qu’il était difficile de le prendre au sérieux tant il avait l’apparence d’un chimiste fou. Mis à part cela et sa personnalité efféminée bien à lui, il était celui des trois qui connaissait le mieux Lara par l’intermédiaire de Bell et il savait également que la jeune femme, malgré toute l’amitié qu’elle avait pour l’archéologue aurait du mal à repartir à l’aventure, les traumatismes de son accident d’avion étant encore souvent d’actualité à travers des cauchemars et des crises de panique.

« Carter… Carter m’avait à peine parlé de cette expédition. J’ai du mal à croire qu’il ait pût disparaître d’une telle façon, sans laisser de trace, ce n’est pas son genre, supposa l’aventurière. Nous devons faire quelque chose.

- Mais toi… »

Un certain malaise s’était soudainement installé dans la salle. Les trois amis regardaient la jeune femme, emplis d’yeux compatissants qui voulaient tout dire. Mais Lara ne voulait pas qu’on ait de la pitié pour elle, pour ce qu’elle avait vécu en Himalaya.

        « On va se crasher !... Farringdon ! »


        Les éclairs extérieurs s’étaient transformés en mauvais flashs, Lara repassait les images de son accident, des décombres, du corps sans vie de l’équipage et de son fiancé, mais aussi des longs jours qu’elle avait passé ensuite… Ces évènements qui faisaient d’elle une miraculée, une survivante, des choses qu’elle n’avait encore jamais conté à personne, pas même à Carter. Et pourtant, durant ces trois semaines à essayer de survivre, elle avait compris qu’elle était l’élue de sa génération, destinée à être la plus grande aventurière au monde. Alors non, ce soir, elle n’avait pas peur de partir, elle avait peur de se dévoiler, d’accepter son destin de pilleuse de tombes qu’elle voulait à tout prix chasser de son esprit depuis un an. Sa famille l’avait lâchement abandonnée, déshéritée, et avait proféré d’innombrables mensonges à son encontre qui l’avaient profondément touchée.


        « Ma pauvre fille, tu n’es rien… C’est ta faute s’il est mort… ta faute… ta faute ! »


« Lara ?


- Je, je dois y aller, bafouilla Lara avant de se retirer précipitamment sous la crédulité de ses amis. »

Lara monta se réfugier dans sa chambre. Ces souvenirs étaient trop durs à revivre, pour ce qu’ils avaient engendrés et pour ce qu’elle était devenue maintenant. En rentrant à Londres, elle avait passé une période très sombre de sa vie, jusqu’à avoir l’envie de tout arrêter, une fois. Oui, l’impénétrable Lara Croft avait eu des moments noirs. Une larme coula sur sa joue tandis qu’elle admirait ses doubles pistolets dans la vitrine en verre accrochée au mur. L’archéologue n’arrivait même pas à se regarder, elle avait honte de se voir si faible. Quand elle releva la tête, elle sursauta de surprise en apercevant Lambertson dans le reflet, juste derrière elle.

« Est-ce que tout va bien ? questionna l’homme par assurance.

- Parfaitement, je reviens à vous dans une minute, bafouilla l’aventurière en cachant ses larmes pour ne pas montrer sa tristesse.

- Vous savez, je n’ai pas eu une enfance facile non plus. Ma mère m’a abandonné dès ma naissance… J’ai enchainé les familles d’accueil, les échecs scolaires. J’ai cru ne pouvoir jamais me relever, faire quelque chose de bien dans ma vie. Et pourtant, regardez où j’en suis aujourd’hui.


Ces dernières paroles eurent le don de faire souffler Lara sur un ton moqueur. Au moins, elle retrouvait le sourire.

« Pourquoi ? Ce n’est pas vrai ? répondit-il en souriant également tandis que son interlocutrice ne le regardait pas.

- J’ai eu une enfance… on ne peut plus coquette. Primée au collège pour filles de Wimbledon, puis au pensionnat de Gordonstoun, je suis aussi allé en Suisse, fait du tir, de l’escalade, du ski, battant même les plus grands champions, parcourue le monde au cours de bon nombres de voyages, ai travaillé avec l’éminent professeur Werner Von Croy, et par-dessus le marché, j’étais une fille pourri-gâtée qui avait tout sans demander.

- Mais vous avez eu un accident qui vous a traumatisé, mis plus bas que terre, ce n’est pas rien…

- J’aimerais ne pas m’éterniser sur le sujet si vous le voulez bien. »

Il touchait un point délicat.

« Je connais votre passé, je me suis renseigné sur vous. Votre famille vous a rejeté après ce crash, elle ne comprenait pas votre envie, votre destin d’être une aventurière. Vous avez été déshéritée et bafouée…

- S’il vous plait… lâcha-t-elle dans un sanglot à peine perceptible. »

Patrick s’approcha d’elle pour lui mettre une main sur l’épaule.

« Écoutez-moi bien Lara, vous n’avez besoin de personne. Après ce que vous avez vécu, enduré, vous savez tout comme moi que vous êtes faite pour le monde sauvage et naturel. Vous êtes une aventurière dans l’âme, à l’intérieur comme à l’extérieur. »

Pour la première fois, l’archéologue tournait la tête vers lui. Ses joues étaient roses et ses yeux embués.

« Je pourrais être l’aventurière que je veux, si le monde est contre moi alors je peux aller me réfugier dans une grotte dès maintenant. Je suis une femme forte, mais les gens sont tellement cruels, je veux de la reconnaissance, je veux que l’on voit en moi une pilleuse redoutable, une Tomb Raider.

- Oh, croyez-moi, vous aurez une grande carrière. Mais si vous voulez reprendre confiance en vous, vous devez vous lever, respirer un bon coup et allez sauver le monde, ou vous pouvez rester là à vous morfondre comme une pauvre fille. Du nerf, mademoiselle ! »

Lara sourit. Il avait de toute évidence raison.

Dans la bibliothèque, les deux autres collègues de Carter attendaient avec inquiétude le retour des deux. Qu’allait faire Lara ? Allait-elle accepter de s’allier à eux pour sauver leur ami ? L’attente était longue et les espérances encore douteuses… Mais celles-ci se résolurent quand ils virent arriver l’aventurière suivie de Lambertson, d’un pas décidé.

« Je pars pour le Cambodge dans une semaine », annonça-t-elle au groupe et à son majordome Winston qui venait d’arriver.

Cet élan de victoire rassura tout le monde, de grands sourires se dessinaient sur les bouches de Patrick et d’Emily tandis que Gary échappa un cri de soulagement.

« Winston, joignez la compagnie de jet pour une réservation ce jeudi, et je veux le meilleur pilote. Gary, faites-moi un compte rendu du parcours de Carter depuis son arrivée au Cambodge jusqu’à sa disparition, je veux son retracement GPS en détail. Patrick, Emily, il faut m’équiper pour ce voyage. Je veux des armes, mitraillettes, fusils à pompes, un sac à dos, une tenue sur mesure, pourrez-vous m’avoir ça dans les temps ?

- Bien sûr ! répondirent-ils en cœur. »

La jeune femme se rapprochait à nouveau de la fenêtre. Les fracas du monde ne dévoilaient plus un spectre apeuré et fragilisé par son passé, mais une combattante prête à tout et esquissant même un sourire au coin des lèvres. Lara Croft était de retour. 


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