Entre le blanc et le noir

Shiro s'assit lentement sur sa chaise, son bentô dans les mains. Kiri se pencha vers elle et vociféra encore une fois :

-Bah Shiro-chan tu bouffes que ça ?

-C'est bon, ça va, s'il te plaît, Kiri-chan...

Son amie reprit un air sérieux et lui demanda:

-Bon, qu'est-ce que tu as aujourd'hui ?

-Rien. Je n'ai rien.

La vision du cadavre d'hier passa devant ses yeux et elle eut un haut-le-coeur. Kiri la regarda, inquiète, avant de s'excuser auprès d'elle.

-Désolée, Shiro-chan, mais je vais devoir y aller.

Shiro hocha la tête, tout en tentant de réprimer son envie de demander à son amie ce qu'elle pouvait bien faire de ses midis.

Depuis qu'elles se connaissaient, elle n'avaient pas passé un seul repas de midi ensemble. Shiro avait toujours mangé seule, sur le toît. Et non, ça ne le dérangeait pas. Elle avait peur que si elle se rapprochait plus de la brune, elle mourrait par sa faute. Elle ne voulait pas la mêler à ses affaires, il en était hors de question.

Après tout, Kiri allait peut-être manger avec un ami. Et boire un café ensuite. Kiri adorait le café, comme la prunelle de ses yeux. Elle en buvait matin, midi et soir. Comme si elle en avait besoin pour vivre. 

Shiro posa son bentô à ses côtés, et s'allongea sur le sol froid en croisant ses bras derrière sa tête. Elle allait clairement devoir agir. Elle ne pouvait laisser la situation telle qu'elle était plus longtemps. Elle devait faire quelque chose pour empêcher les meurtres de ces immondes monstres. Tout en réfléchissant, elle reçut une goutte de pluie sur le nez. Puis les gouttes ne s'arrêtèrent plus, la jeune fille aux cheveux blancs dut se réfugier sous un abri pour éviter de se retrouver trempée.

"On dirait que ce ciel pleure...", se fit-elle la réflexion.

***

-Hééééééé Shiro-chan ! On rentre ensemble ?

Elles habitaient à côté l'une de l'autre depuis leur jeunesse. Et jamais Kiri ne l'avait vue rentrer avec son immense faux, chose étrange. Ou peut-être l'avait-elle vue mais n'y avait pas fait attention ? Shiro se posait fréquemment la question.

-Oui.

Son amie se plaça à ses côtés, sourire aux lèvres.

-Qu'est-ce que tu as ?

-C'est pas souvent qu'on rentre ensemble. Soit on ne finit pas en même temps, soit t'as des trucs à faire.

Des trucs à faire. Comme débarasser le monde des goules, pour donner un exemple.

-Alors je suis contente pour une fois qu'on rentre ensemble !

-C'est pas si exceptionnel.

-Mais si !La brune réfléchit un instant ; et s'écria :

-Ah ! J'ai oublié mon livre !

Et elle retourna dans le collège en courant. La jeune fille aux cheveux blancs soupira. Et voilà qu'elle allait devoir attendre devant un collège où toute personne qui passait la relookait comme si elle était un spécimen particulièrement étrange et fascinant à cause de ses cheveux blancs comme la neige. En même temps, Kiri avait bien le droit de l'abandonner, c'était comme une petite vengeance personnelle pour toutes les fois où son amie l'avait lâchée au restaurant ou autre part.

L'albinos s'adossa au mur pour attendre l'autre. Elle allait devoir attendre longtemps, elle le voyait venir à 10km. La brune était toujours longue quoi qu'elle fasse. Elle sortit l'Oeuf de la Chèvre Noire, par Sen Takatuski. Elle adorait ce livre, elle avait l'impression de se retrouver dans le fils de la criminelle. Elle était un monstre, elle aussi. Un semi-monstre mais un monstre quand même. 

-Est-ce que tout va bien ?

La voix masculine et relativement grave la fit sursauter. 

-Ah-Ah, oui, merci.

Le garçon roux lui sourit.

-Ne reste pas trop longtemps ici, c'est dangeureux si jamais des goules traînent dans les parages.

La jeune collégienne hocha la tête, et jeta un coup d'oeil derrière lui, apercevant un jeune homme aux cheveux aussi pâles que les siens, un cache-oeil sur l'oeil gauche.

Il remarqua qu'elle l'obesrvait et il baissa la tête. De quoi avait-il peur ?

-Allez Ken, on y va ?

Le blanc aquiesca, les yeux toujours fixés au sol.

-Fais attention à toi !, lui cria le roux tout en s'éloignant.

Enfin, quelqu'un ne l'avait pas dévisagée comme si elle était une bête sauvage dans un zoo. On l'avait regardée normalement, sans dégoût ou pitié dans les yeux. On l'avait regardée comme une personne normale ! Comme si rien ne différait des autres chez elle ! Elle aurait presque pu pleurer tellement elle était heureuse. Elle se sentait humaine, et non semi-goule. Elle se sentait humaine ordinaire.

Pour quelques éphèmères instants. Quelque chose bougea dans les fourrés, attirant son attention. Elle saisit immédiatement son pistolet, soulevant par cette occasion sa longue jupe sans prêter attention aux gens autour.

Elle scruta attentivement l'endroit d'où provenait le bruit, et relâcha sa garde en voyant que rien n'y était. Et voilà son sentiment de banalité brisé.

Au loin, le jeune homme aux cheveux blancs tourna la tête, comme poussé par un sixième sens étrange.

Et pu voir Shiro pistolet à la main, avant que la pensée qu'il ne lui fallait plus jamais l'approcher ou il se ferait tuer lui traversa la tête.

Il pouvait presque voir l'immense montagne de cadavres sous le poids duquel elle ployait sous ses pieds.

***

Kiri agita la main en signe d'au revoir, tout en souriant. Shiro lui fit un rapide geste et rentra chez elle.

Brrr, elle gelait.

Elle referma rapidement la porte et monta le chauffage avant d'enlever toutes les couches qu'elle portait.

-Bon, qu'est-ce que je mange ce soir ?

Elle avisa son placard ouvert, et s'exclama comme d'habitude :

-Du riz.

Kuro vint se frotter contre ses mollets et la jeune fille se baissa pour le caresser.

-Je n'ai pas faim, soupira-t-elle.

Elle s'assit sur le canapé crème et alluma son téléviseur. Elle tomba sur les informations.

-Une goule a encore frappé au centre-ville de Tokyo. Le malheur s'abat encore une fois sur la ville.

Elle écouta seulement d'une oreille distraite le flot d'informations que crachait les enceintes et se reconcentra dans son livre.

Son téléphone sonna. Elle pesta contre celui qui la dérangeait pour une fois qu'elle avait un moment tranquille.

-Allô ?

-Allô ? Shiro ?

-Oui, c'est moi.

-On a besoin de toi immédiatement, on a des goules en fuite au quartier voisin !

Elle ne prit pas la peine de répondre, elle raccrocha et utilisa ses capacités hors du commun pour bondir au premier étage sans prendre l'escalier et attraper sa faux. Elle sauta par la fenêtre, retombant allègrement au sol. Ce n'était pas tomber du premier étage qui allait l'égratiner. Elle se mit à courir de toutes ses forces, soulevant des gerbes de neige sur son passage.

Elle l'aurait. Elle ne laisserait plus un seul innocent mourir bouffé par une de ces horribles choses.