Sans retour
<< Tu as quel âge ?
Je me tournai, surprise, vers Flashy. Je l'avais appelé comme ça à cause de son tee-shirt, puisqu'il ne semblait pas décidé à me donner son prénom. J'avais accepté l'invitation de la goule à la mèche violette pour venir avec eux dans l'organisation appelée "Polly" car je ne cherchais pas les ennuis et je n'avais, de toute façon, aucun endroit où aller. Nous marchions depuis tout à l'heure sur les toits des maisons, nous dirigeant dans leur repaire. Flashy me serrait de près car il ne me faisait apparemment absolument pas confiance, ce qui était pour le moins agaçant, et encore davantage du fait qu'il n'avait prononcé aucun mot jusque là. Je me détournai de lui sans lui répondre.
- Bah ! De toute façon je le saurai bien assez tôt ! renifla-t-il.
Il avait raison. Une fois chez eux je devrai sans doute retirer mon masque. Nous continuâmes à marcher sans parler.
- Tu es déjà venue dans le coin ? brisa-t-il le silence à nouveau.
Je ne le connaissais pas mais je me doutais qu'il ne posait pas cette question pour faire la conversation, nous devions sans doute arriver bientôt.
- On est pas loin de votre repaire hein? risquai-je.
Je le vis plisser les yeux. J'avais visé juste, un point pour moi.
- Quel âge as-tu ?
Cette fois-ci son ton était plus froid et insistant. Il attendait une réponse.
- Dix-neuf ans, soupirai-je, et toi ?
- Vingt-trois.
Je ne pouvais pas voir son visage sous son masque, mais j'aurai juré qu'il avait envie de ricaner. J'attendai la deuxième question avec pessimisme.
- Tu es allée à l'école ?
- Oui, dis-je d'un ton ferme.
- Où habitais-tu ?
Et voilà, c'était le début où j'allai devoir mentir. Avant qu'il ne me parle j'avais eu tout le loisir de m'inventer une histoire qui tenait à peu près debout.
- Avec ma mère en campagne, jusqu'à ce que le CCG ne nous trouve... Ils l'ont tuée puis nous ont kidnappé mon frère et moi pour le docteur Kano, il voulait mener des expériences sur nous il me semble.
Il me laissa tranquille deux minutes. Sans doute voulait-il me laisser respirer un peu après avoir été contrainte de parler des membres de ma famille récemment décédés - soit-disant. Il avait peut-être un coeur finalement.
- Comment as-tu appris à te battre ? me demanda-t-il brusquement, haussant un peu le ton.
Je n'avais pas prévu cette question !
- Mon père, il était très fort, il m'entraînait plusieurs heures par semaine.
Ouf, j'avais réussi à garder un ton dur. Flashy n'esquissa pas le moindre geste, ne dit rien, il semblait en pleine réflexion. Je crus qu'il en avait finit avec moi.
- J'ai une dernière question.
Il s'arrêta et se tourna vers moi, plongeant ses yeux dans les miens. Je le fixai également, immobile, et commençai à perdre pied.
- Comment t'appelles-tu ?
Il continua à me regarder, sans cligner une seule fois des paupières. J'eus l'impression qu'il saurait si je mentais, et mon coeur battit plus vite.
- Hide. Je m'appelle Hide. >>
Ma voix s'était cependant cassée et avait été plus douce que je ne l'avais souhaité. Flashy ouvrit les yeux un peu plus grand. Il l'avait remarqué, un point pour lui. Il se détourna de moi et nous continuâmes notre chemin, mais - et j'en étais certaine - il affichait un petit sourire moqueur derrière son masque. Nous nous étions enfoncés assez profondément dans la banlieue, où les maisons avaient laissé place à des hangars, des entrepôts. Nous entrâmes dans un bâtiment en béton grisâtre pas très esthétique, et nous nous dirigeâmes vers le fond de celui-ci. Une grande goule robuste déplaca une vieille étagère en métal, qui cachait en fait une trappe. Elle l'ouvrit, alluma une lampe torche puis disparut à l'intérieur et nous descendîmes chacun notre tour. Quand vint le mien Flashy me fit un semblant de courbette pour me laisser passer. Quel imbécile. Je reniflai avec dédain et le bousculai exprès, ce qui eut seulement l'air de l'amuser encore plus. Je descendis prudemment sur l'échelle métallique qui était un peu glissante. Qu'est-ce qu'elle était longue aussi, je crus que je n'y arriverai jamais jusqu'à ce que je distingue un point lumineux tout en bas et entende un brouhaha continu. Les battements de mon coeur s'intensifièrent, j'espérai qu'ils n'étaient pas tous froids et violents, ou encore fous. Allez Toto, courage, montre-leur que tu es une dure à cuire ! Je posai mon pied sur le dernier barreau puis atterris au sol dans une salle immense. Je ne pus retenir une exclamation tant j'étais surprise. On aurait dit un véritable petit village ! De minuscules maisons au toit plat en faisaient le contour, et je pus distinguer un semblant d'épicerie ainsi que des canapés encadrant deux télévisions. J'entendis quelqu'un annoncer notre retour, ce qui signifiait par conséquent que l'organisation était encore plus nombreuse que ce que je pensais. Nous étions déjà vingt et un. Je vis petit à petit des frimousses pointer leur nez par les fenêtres, ne portant pas de masques, puis affluer des maisonettes. Bientôt une foule nous encercla, il devait y avoir autour de cent goules, c'était impressionnant ! Ils discutaient tous ensemble et semblaient pour la plupart très unis, ce qui me rassura et m'intimida en même temps. Quatre goules aux allures étranges s'approchèrent de moi. Elles n'avaient pas un air avenant, semblaient plutôt en colère, et dès que je vis qu'elles avaient plusieurs tâches de sang sur leurs vêtements cela me suffit. Je me tournai vers Flashy, qui ne m'avait pas quitté d'une semelle et se tenait à un mètre derrière moi sur ma gauche, et me cachai dans son dos. Certes, c'était raté pour avoir l'air d'une dure à cuire maintenant, mais ces quatre goules...elles étaient terrifiantes. De ma main droite j'accrochai le tee-shirt de Flashy, et regardai par-dessus son coude. Je relevai la tête vers lui et remarquai qu'il me regardait, ahuri. Il compris ensuite mon problème en voyant les goules tâchées de sang et éclata d'un rire tonitruant, ce qui eu pour effet d'attirer l'attention générale. Je reculai, en colère contre lui, les yeux me brûlant. Je détestais être l'objet de tout les regards, et à cause de cet idiot... J'entendis les gens murmurer autour de nous, se demandant qui était la nouvelle venue. Une des quatre goule aux tâches de sang s'avança vers moi, à deux mètres, un seul, cinquante centimètres, vingt. Elle me dépassait de deux têtes, me regardait de haut et de près intentionnellement ce qui m'obligeait à tordre considérablement mon cou pour voir son visage.
<< Pourquoi es-tu ici ? demanda-t-elle.
Je sentis Mèche Violette s'approcher dans mon dos.
- C'est moi qui le lui ai proposé, Baniss.
- Je suis sûr qu'elle est tout à fait capable de répondre toute seule.
Elle soupira.
- Je décide ici, alors tu la boucles et tu me laisses faire.
Mon ventre profita de l'instant de silence qui plana deux secondes dans l'air pour gargouiller et résonner dans toute la salle. Certains pouffèrent, et je rougis sous mon masque. Je ne m'étais pas rendue compte à quel point je mourrais de faim. Il faut dire que trois bouchées ne constituaient pas un vrai repas, et Mlle Mukai m'avait de plus fait comprendre que j'aurai un appétit beaucoup plus important que la normale. Je sentis ce Baniss se tendre, et vis une veine ressortir de son front.
- Nous avons suffisament de bouches à nourrir, explosa-t-il, et nous sommes déjà trop nombreux, nous risquons d'attirer l'attention du CCG sur notre quartier !
- Nous chasserons plus loin, riposta Mèche Violette.
- Ca ne suffira plus si tu continues à prendre le moindre petit oiseau blessé sous ton aile !
- C'est ma décision un point c'est tout !
- Tu ne peux pas comprendre, ce n'est pas toi qui doit aller chasser l'homme la moitié de la semaine !
Il me faisait mal à la tête.
- En tout cas, ce qui est certain, c'est que ce n'est pas toi qui vais aller combattre les colombes, cracha-t-elle.
- Tu n'es que la sous-chef, tu dois exécuter les ordres de ton supérieur voilà tout !
Triple idiot. Je sentis la colère monter en moi.
- C'est ce que tu devrais faire aussi Baniss. Méfie-toi, grinça Mèche Violette.
Un imbécile à l'état pur, je me retenai de l'insulter. Tout du long où ils s'étaient pris la tête mon estomac n'avaient cessé de grogner, bien que plus doucement. Mais pas suffisament. Baniss se tourna à nouveau vers moi :
- Et toi la ferme, on a compris que t'avais la dalle ! rugit-il.
Ce qui eu pour effet de me faire tomber par terre. La colère grimpa les échelons à une vitesse folle, et bien que je sache que la faim en était la cause principale je m'en fichai. Je ne voulais plus qu'une chose : me défouler sur lui. Une main se posa sur mon épaule. Flashy s'était accroupi à côté de moi, affichant une mine indifférente et...ennuyée. Il me prit le coude pour m'aider à me relever, mais je me dégageai et me tournai vers lui. Après tout c'était lui qui avait éclaté de rire, ce qui avait eu pour résultat d'attirer le regard de tous sur moi. J'allai lui dire que je pouvais parfaitement me débrouiller quand il me prit par les épaules.
- Hide, calme-toi, me chuchota-t-il.
Je le regardai sans comprendre.
- Tes yeux...tes yeux sont ceux d'une goule, si les autres voient ça ils vont...
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase.
- Regardez, elle ne sait même pas se contrôler ! Qui la connait réellement ici, hein ?! Si ça se trouve elle va nous attirer des ennuis ! cria un des comparses de Baniss.
Je me redressai.
- J'ai seulement faim ! m'exclamai-je.
Je sentis une présence dans mon dos. C'était Baniss qui s'était approché de moi. Le stress d'être entourée par ces nombreuses paires d'yeux, et le rejet de certains des membres du groupe attisa ma haine. Je ne souhaitai pas rester ici plus longtemps. Mais où pouvais-je aller ?
- Il n'y a pas de place pour toi ici, je regrette, ni de nourriture.
Son air sérieux et supérieur me rendirent folle, et les gargouillements de mon estomac augmentèrent.
- Pas de nourriture ? Et toi, tu es quoi alors ? susurrai-je.
J'avais entendu parlé du cannibalisme entre goule, mais je ne l'envisageai évidemment pas sérieusement.
- Retire d'abord ton masque si tu veux me bouffer.
Si cela pouvait tourner encore plus mal que maintenant, il n'était pas question qu'ils voient mon visage.
- Je n'ai pas besoin de mes dents pour te mettre une raclée >> dis-je simplement.
Je n'avais pas fait attention au fait que les personnes autour de nous s'étaient éloignées. Mèche Violette était allée dans une maison un peu plus grande que les autres, certains étaient aussi rentrés chez eux, d'autres se pressaient dans les coins de la salle pour nous regarder. Quand à Flashy il s'était assis en tailleur pas très loin de nous et regardait notre scène avec concentration. Une goule mâle aux cheveux blancs qui devait avoir mon âge s'était mise à côté de lui et lui parlait avec entrain en riant, mais Flashy ne faisait pas attention à lui. Baniss, qui s'était éloigné pour le combat, avait remarqué que je m'étais déconcentrée et s'approcha de moi en courant. Je me retournai vers lui et le regardai dans sa course. Je regardai ses muscles rouler sous son tee-shirt, son poingt se lever et s'abattre dans ma direction. Ce que je savais, c'est que je devais éviter d'utiliser ma force car elle était supérieure à celle d'une goule "normalement constituée", et les personnes ici risqueraient de comprendre que quelque chose cloche. Le poingt de Baniss se trouvait à un mètre de moi. Si je la force n'allait pas, ça serait la vitesse. Son poingt n'était plus qu'à quinze centimètres. Je me déplaçai d'un pas sur le côté, regardai sa main frôler mon visage. Je me baissai alors et passai un bras dans son dos. Baniss se redressa, s'immobilisa, quand à moi je me trouvai derrière lui. Mais pourquoi ne bouge-t-il plus ? Il restait debout, sans rien faire. Je compris alors et reculai, riant, aux anges. J'étais allée si vite qu'il ne savait pas où j'étais et avais eu l'impression que j'avais tout d'un coup disparu. Il me regardait maintenant sans comprendre, furieux. Le voir perdre ses moyens m'avait remonté le moral, et je me sentis tout de suite un peu mieux.
<< C'est ça de s'en prendre aux plus jeunes mon grand, ça finit par te retomber dessus un jour où l'autre ! le provoquai-je.
Il avança d'un pas dans ma direction. J'agitai mon index devant lui :
- Pas de ça, la victoire est à moi.
Les autres s'étaient rapprochés, Mèche Violette vint me rejoindre ainsi que Flashy et son camarade aux cheveux blancs.
- On dirait toi quand tu embêtes Baniss, railla ce dernier en direction de Flashy, qui plissa les yeux.
Goule Blanche me plus immédiatement. Mèche Violette me prit le poignet. A son air je compris qu'elle avait deviné que ça allait se terminer à peu près de cette manière.
- Je vais te présenter le coin. >>
Elle me montra où se trouvaient les toilettes et les douches, le Café, le coin salon. Il y avait aussi une salle de réunion pour parler des problèmes, qui concernaient pour la plupart le CCG. Elle me montra également le lieu où elle habitait au cas où j'avais besoin de lui parler. J'appris que les maisons étaient en fait des chambres pour trois personnes, ce qui expliquait pourquoi les habitations m'avaient parues si petites. La salle comptait cent quarante et un habitants au total - moi comprise - et cinquante-sept chambres. Donc quarante sept étaient remplies et dix étaient vides. Chaque chambre possédait un numéro, et la trente-deuxième serait la mienne. Sans doute allai-je avoir des voisins de chambre. Mèche Violette me laissa devant la porte et s'en retourna à ses occupations. Je tournai la poignée, entrai dans la pièce. Elle n'était pas particulièrement grande pour trois, et ne comportait que deux bureau et trois lits ayant chacun une table de nuit. Deux murs avaient été peints couleur gris claire, et les deux autres étaient prunes. Sur l'un deux, à côté d'un lit, les dessins d'un enfant avaient été accrochés.
<< Bonjour ! s'exlama une voix fluette.
Une petite fille de huit ans environ aux cheveux châtains et courts se trouvait à côté de moi, me souriant de toutes ses dents.
- Moi c'est Akina, et toi c'est quoi ton nom ?
Quelqu'un fit alors irruption dans la pièce, et je reconnus la goule aux cheveux blancs.
- Aaah ! Tu me sèmes à chaque fois Akina, fit-il semblant de râler.
La petite se mit à rire et lui tira la langue. Goule Blanche me remarqua et s'approcha de moi en tendant la main.
- Salut, moi c'est Haku ! Bienvenue ! >> s'exclama-t-il avec énergie, un sourire chaleureux plaqué sur le visage.
Je m'estimai tout de suite chanceuse d'être tombée sur cette chambre.