Le masque, l'art de cacher

« Et ensuite ? », lui répond t-il, entre deux souffles.

Ses cheveux entravent maintenant sa vue lorsqu'il coure, ses mèches rebelles à moitié déteintes de roux lui reviennent sans cesse au visage.

Son visage dore sous les rayons du soleil matinal, dont la peau ruissèle de sueur à cause de ses efforts.

Sa congénère, comme lui, ne semble pas en meilleur état.

Enfin, en meilleur état…

Nous parlons ici d' « état d'apparence », nous envions bien leur état physique… Un peu de sport ainsi le matin ne peut que mieux entretenir votre être !

Mae Lin tente ainsi tant bien que mal de poursuivre son ami, le rouquin à travers le parc public.

Nous la suivons sans mal, car comme vous le savez déjà, nous sommes inhumains et la chose inhumaine que nous sommes nous permet sans mal de ne pas user de nos poumons mais dès lors, l'humaine trébuche.

Elle trébuche et manque de se manger l'herbe mouillée jusqu'à que son ami intervienne à temps, une fois revenue en arrière.

Elle en profite pour répondre :

« Ensuite… Il m'a déposé chez moi.

J'ai retenu son numéro de téléphone, parce que sa carte de visite était entreposée dans sa voiture.

- Sérieusement ? Et comment tu pouvais savoir qu'il n'avait rien de louche ce mec ?

Je sais pas moi, je ne note pas le numéro de n'importe qui !

- Epargne moi tes commentaires si tôt le matin, Hide. S'exaspère t-elle.

S'il était vraiment louche, il aurait cherché à me contacter depuis, mais ça fait déjà deux semaines que cette histoire s'est passée.

- Ouais… Enfin bon, fait-il, à demi-convaincu, fais attention quand même…

Tu assez naïve comme fille alors ça m'étonnerait pas qu'il finisse par t'arriver ce genre de problèmes un jour.

- Je ne serai pas assez stupide pour que ce jour arrive.

- Ne te méprends pas ! », lui cri t-il en reprenant sa course.

Le temps nous file souvent entre les doigts et peu d'êtres humains savent le maîtriser, pour ainsi dire, quasiment personne.

Il se peut qu'un matin nous ayons le devoir de faire quelque chose. On nous dira souvent qu'il suffit d'un peu de bonne volonté pour l'accomplir mais dès lors où notre santé ne nous le permet pas, que notre état d'esprit à ce moment précis ne nous le permet pas, nous chercherons plutôt à repousser cette action à chaque fois au plus tard possible, jusqu'à en arriver souvent à la date limite.

Arrivés là, il ne nous restera plus aucune échappatoire, et nous serons obligés de le faire.

Il y a aussi ce genre de personne, celles qui, se disent aptes à anticiper ce genre d'incompétence, mais qu'elles ne nous disent pas qu'elles soient aptes à contrôler leur temps.

Entrer dans un rythme quotidien, c'est voir la vie simplement et s'en défaire, c'est chercher à vivre différemment chaque jour.

Dans la société humaine, la routine quotidienne est ce qu'il y a de plus banal, les gens vivent dedans et c'est un train de vie.

La plupart s'y sont fait, et sont capable de digérer le fait de vivre cadré jusqu'à la fin. D'autres ne supportent pas répéter sans sourciller chaque jour ou chaque semaine, selon les mêmes horaires ou le même train de vie, et peut-être que ces personnes-là sont celles qui voient le plus le temps passer.

Cela dit, en effet, à partir du moment où ce genre de personne a conscience du temps qui s'écoule, sa plus grande fureur est de voir ce temps s'accumuler tout entier.

Si votre vie rentre dans les cadres, et que vos n'ayez aucun mal à vivre selon le même plan horaire chaque jour, chaque semaine, que vous trouviez cela naturel ou non, vous ne verrez pas le temps passer. Vous aurez accepté le fait que vous mourriez un jour, un jour lointain pour vous, alors vous repousserez ce genre de pensée à chaque instant plus tard, car pour le moment vous ne pensez qu'à accomplir ce que dans votre train de vie il se doit d'être accompli.

Le temps de penser n'aura lieu d'être, car certains d'entre vous n'auront pas le temps à y consacrer ou trouveront sans doute que ce genre de chose ne mérite pas d'inquiétude, à partir du moment où c'est la base de la vie, et que si l'on ne finit pas un jour, on n'appellera pas cela « une vie ».

« Tu as vraiment écrit ça dans ton rapport ? S'esclaffe alors Hideyoshi.

Non, mais t'en as du cran ! Je n'aurai jamais osé leur envoyer ça moi, lui rétorque t-il, en agitant l'imprimé.

- Quoi ? Tu pense que ce n'est pas une assez bonne excuse ?

- Bah… Quand même, c'est pour le permis de conduire que tu prends ces cours, tu sais ça ?

- Ouais… mais bon, il se peut parfois que cela ne corresponde pas à ma plage d'horaire, lui déclare t-elle, tapotant sur sa cigarette dans le cendrier posé sur le bureau.

- Comme tu le dis, à force de tout repousser à plus tard, tu vas devoir tout faire au dernier moment, et en plus tu t'y étais engagée au départ !

- C'est vrai…

Mais il arrive que parfois, nous ayons besoin d'un « break » pour un peu de philosophie, dit Mae.

- En tout cas c'est fort ! Je me demande comment il va réagir ! »

Tous les jeudi matins, cours de conduite de dix heures à onze heures moins le quart, il fallait lui laisser un quart d'heure pour la durée du trajet, afin qu'il se rende à temps à la maison pour nourrir ses jeunes enfants.

Elle s'en fiche pas mal d'y aller, entre les cours à la fac et la fatigue qui la gagne de plus en plus quotidiennement, il y avait alors des choses à trier dans son emploi du temps, et il aura fallu que les cours de conduites y passent tout d'abord.

Hideyoshi avait décidé, depuis la disparition de Kaneki Ken, toujours injoignable, de venir rendre visite à Mae Lin ces matins-là, histoire de la divertir un peu.

Il n'est pas dupe, et nous ne le sommes pas non plus, mais en dépit de notre incompétence, il fallait bien trouver quelqu'un pour nous seconder et il n'y avait personne d'autre qui n'était mieux placé que lui pour le faire.

Aussi bien que nous, il avait remarqué que la personne qu'elle était, était justement très étrange. C'était ce qui intéressait autant de gens.

Ils sont dans sa chambre, elle et lui; et ils discutent comme ces matins-là, depuis déjà une semaine et demie.

Une chambre d'appartement bien opaque, reflétant toute ses manies, tellement propre que l'on peut s'admirer en permanence sur le carrelage.

C'est son soi-disant « allergie aux acariens » qui la pousse à entretenir ce logis si proprement, comme le dit-elle souvent, mais à notre point de vue comme à celui d'Hideyoshi, elle était plutôt …maniaque.

A demi-allongé sur le pouf d'une couleur rose pale, le regard fixé sur le plafond en bois, tandis que la jeune fille range calmement son bureau, il grogne :

« Alors… Qu'est-ce qui t'arrive à toi aussi ? J'espère que tu ne vas pas me faire le même coup que Ken, il faut que tu reviennes à la fac !

- Tu sais, il y a des choses que l'on se permet de faire, des choses que l'on doit faire, et des choses qui nous sont permises mais que l'on choisit de ne pas faire, dit-elle calmement.

- Qu'est-ce que tu as choisi ?

- « Des choses qui me sont permises de faire mais que j'ai choisi de ne pas faire », rétorque t-elle.

Je suis pratiquement certaine, que Ken-kun en a décidé de même.

- Et quelle en serait la raison ? S'inquiète alors le rouquin.

- Ca, c'est justement ton rôle, si tu es son meilleur copain… Lui dit-elle en esquissant un sourire.

De même, poursuit-elle, il y a l'avenir, les conséquences et le destin.

- Umf, souffle t-il à nouveau, et quelle est la différence ?

- L'avenir et les conséquences dépendent toutes deux de causes, d'actes, de choix.

Le destin est prémédité.

- Pourquoi le destin serait-il différent ?

- Parce qu'on ne choisit pas le destin, le destin, c'est ce qui dicte ta vie, alors que l'avenir est la conséquence de ce que tu choisis.

- Autrement dit, selon toi, qui a un destin, qui n'a pas d'avenir ?

C'est n'importe quoi ! Rétorque t-il à nouveau, en riant.

- Oui, parce que le destin, ça n'existe pas. Personne n'a de vie dictée à l'avance !

- En effet… Mais je ne vois toujours pas où tu veux en venir Mae, dit-il.

Pourquoi tu me dis tout ça ?

- Je sais pas.

Admettons, dit-elle avant de reprendre une bouffée de cigarette, que tu sois né de parents merveilleux, tous deux au summum de leur carrières, toutes deux réussites.

Et toi, leur unique enfant, tu as le devoir, en toi, tu le sens, de devoir faire mieux ou autant que tes parents, car c'est ce que tous les gens qui te connaissent attendent de toi.

C'est comme si ton destin était déjà tracé, car la vie que ton entourage attend que tu mènes devra être scintillante et pleine de succès.

Mais si toi, tu ne le veux pas vraiment ?

Est-ce qu'une personne de ce genre d'après toi pourrait-être capable d'aller à l'encontre de ce qu'on lui prédit à sa place ? »

La fumée qu'elle expire parcourt de près les murs, ces murs d'un blanc presque trop pur, comme si elle incarnait une âme, une âme que justement ces murs emprisonnent.

Il penche légèrement la tête de côté, et d'un regard intense que celui lance à son interlocutrice, il tente alors d'intercepter le sens de sa philosophie.

« Eh bien… Je ne pense pas, s'il n'y réfléchi pas et qu'il trouve que c'est normal de faire comme ses parents alors il le fera…

Mais… - Hésite t-il en tortillant d'un geste nerveux une mèche de ses cheveux.

Mais si jamais ce gars ne s'entend pas avec ses parents et qu'il n'aime pas du tout ce qu'ils font dans la vie, alors j'imagine qu'il essaiera de faire tout ce qui est en son pouvoir pour ne pas suivre le « chemin déjà tracé », enfin de ce que ses vieux lui ont « prédit à sa place », comme tu dis.

Enfin… C'est ce que je pense, rajoute t-il à voix basse après quelques secondes de silence.

- Ouais… C'est ça, c'est aussi ce que je pense…» Lui répond Mae en rajoutant grand sourire.

A cet instant précis, la chambre s'emplit de tant de fumée qu'Hideyoshi manque de recracher ses poumons tellement il s'étouffe.

Mae se lève donc d'un bon et coure ouvrir la fenêtre de sa chambre.

Nous avons énormément de chance, nous autres, d'être de simples spectateurs insensibles à ces déjections dans l'air et nous avons mal au cœur de voir à quel point cela affecte le jeune étudiant japonais.

« Aaaaah !

Mais il faut jamais fermer la fenêtre quand tu fumes, tu sais ?!

J'ai vraiment cru y passer là ! Cri alors le rouquin.

- Excuse-moi, quand je ne dors que cinq heures par nuit, je ne pense pas forcément à tout !

- Bon ça va… » Dit-il en soupirant nerveusement.

Ses yeux noisette plongent alors dans les yeux noirs de Mae.

Une vingtaine de secondes se volatilise et nous apercevons dans les pupilles de ces yeux une lueur intense.

Les yeux se plissent et tous deux laissent évacuer de leur corps un fou rire mutuel, se rendant compte de la stupidité de leurs actions.

Et nous, nous observons, assis en tailleur sur le bureau, les deux amis s'affaler sur le parquet, riant aux éclats.

Tout en essayant de trouver l'air nécessaire à ses poumons, il halète, et tente d'enfouir son envie de rire à nouveau alors il demande en se calmant :

« …Mais…Pourquoi tu m'as raconté tout ça en fait ? »

Cette fois l'atmosphère s'atténue et tandis que le silence commençait à gagner la pièce, celle-ci lui répond, en reprenant son sérieux :

« Je pense que c'est un peu le cas de Ken-kun…

- Comment ça ? Demande le japonais, perplexe.

- Tu connais bien Ken non ? Tu sais très bien ce qu'il a vécu dans son enfance.

- Ouais… Mais toi… T'es au courant aussi ?

- Ouais… Murmure t-elle.

Il décrivait sa mère comme quelqu'un de si exemplaire et je pense que c'était vraiment son cas. Ken ne disait-il pas l'admirer ?

- Si.

Il me disait souvent que sa mère était quelqu'un de super gentil.

« Il vaut mieux être blessé que de blesser les autres », c'est ce qu'elle lui avait dit apparemment, et c'est ce qu'il me dit souvent.

- C'est ça…

Je pense qu'une des raisons pour laquelle il ne se montre plus, c'est qu'il a du lui arriver quelque chose après l'accident. – Reprend Mae.

Et après… Il a du remettre en question ses propres valeurs.

- C'est à dire ? Demande Hide.

J'ai du mal à voir où tu veux en venir…

- C'est à dire que, peut-être…- dit-elle avant de se faire interrompre.

- Peut-être…

Ouais !

Il a peut-être rencontré des gens ou je ne sais pas quoi, mais quelque chose fait qu'il est actuellement en train de se remettre en question et cela l'empêche de vivre comme avant !

Il est donc peut-être dans le cas où il penserait que ce que sa mère lui a apprit n'était pas si exemplaire et qu'il faudrait peut-être qu'il emprunte un autre chemin que le sien dans la vie, c'est ça que tu voulais m'expliquer ? Déclare Hideyoshi, en fixant le plafond de la pièce.

- Oui… Mais on ne peut pas savoir ce qu'il vit si on ne va pas le voir ni l'aider. Dit-elle doucement.

Après ce qu'il a vécu… N'importe qui serait déstabilisé.

- T'as raison Mae-chan, il faudrait qu'on arrête de rester là sans rien faire…

Tu sais quoi ? – s'exclame t-il.

On va le retrouver ce petit gars et je suis bien décidé à le ramener à la fac ! »