Un sorceleur spécial

Chapitre 8 : Guerre

1839 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 06/11/2024 17:10

"Crépitement."


Je regardais la flamme du feu de camp, les pensées perdues dans le souvenir d'un rêve récurrent, troublant, où Cintra brûlait. Plus les jours passaient, plus j'étais convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un simple cauchemar. La visite de cet homme aux yeux de chat, aussi énigmatique qu'effrayante, semblait bien plus qu'une coïncidence.


Et s'il disait vrai ?


"Non, ce n'est pas possible," murmurai-je, tentant de me convaincre moi-même. Alors que j'étais en pleine réflexion, je sentis une tape sur mon dos. La brusquerie de ce geste me tira soudain de mes pensées.


"Comment ça va, Aiden ?" demanda le commandant d'un ton calme mais chargé de bienveillance.


"Je vais bien, commandant, ne vous inquiétez pas," répondis-je, même si l'inquiétude me rongeait de l'intérieur. Autour de nous, certains soldats priaient en silence, d'autres murmuraient des mots d'encouragement à leurs compagnons. Mais sur chaque visage, la peur se lisait, perçant les sourires crispés.


"Et vous, commandant... n'avez-vous pas peur ?"


Un rire profond et sans détour résonna dans le camp. "Peur ? Bien sûr que non ! La mort est une vieille amie," répondit-il avec un sourire ironique.


J'esquissai un léger sourire, mais le doute persistait. "C'est vrai, vous êtes d'Ard Skellig, n'est-ce pas ?"


"Oui," répondit-il avec une fierté mêlée de nostalgie. "J'ai appris là-bas que pour vraiment vivre, il faut défier la mort. Chez nous, la mort n'est pas crainte, elle est accueillie. Mais cette fois, c'est différent. J'ai des êtres chers à protéger. Une femme, qui m'a appris ce que signifie aimer, et un fils qui a hérité de ma fougue." Ses yeux brillaient d'un éclat de tendresse. "Pour eux, je n'ai plus peur de mourir, car en protégeant ce qu'on aime, la peur se transforme en force. Et toi, Aiden ? N'as-tu pas quelqu'un à protéger ?"


Je sentis ma gorge se nouer. "Je… " Avant que je puisse finir, il éclata de rire.


"Voyons ! Tout le monde sait que la princesse est celle que tu veux protéger !"


Les autres soldats éclatèrent de rire. Mon visage chauffa sous leurs regards, mais le commandant savait comment alléger l'atmosphère. Un instant, les rires masquaient l'angoisse qui flottait dans le camp. Une fois le calme revenu, le commandant posa une main ferme sur mon épaule et me fixa d'un regard plus grave.


"Aiden, écoute-moi bien. J'espère que tu ne connaîtras jamais les dilemmes auxquels j'ai été confronté. Mes décisions… je les ai prises pour le royaume, en suivant mon devoir. Mais parfois, la nuit, les cris de mes hommes me hantent. Des soldats envoyés au combat en sachant qu'ils marchaient vers leur mort… Ce poids-là, personne ne peut l'effacer."


Il s'arrêta un instant, comme si un souvenir douloureux le traversait. "Alors, si un jour tu te retrouves à cette place, demande-toi bien quel genre de chef tu veux être. Sacrifieras-tu tout pour le royaume, ou choisiras-tu ceux que tu aimes en premier ?"


"Et… y a-t-il un bon choix ?" demandai-je, la voix incertaine.


"Chacun doit trouver sa propre réponse," répondit-il. "Les deux sont difficiles, mais aucun n'est mauvais."


Il me tapota l'épaule avec douceur. "Allez, rentre te reposer. Nous avons besoin de forces pour demain."


Je hochai la tête, mes pensées agitées. Tandis que je marchais en direction de ma tente, des flocons de neige commencèrent à tomber. Je levai la main pour en attraper un, observant sa délicatesse avant qu'il ne fonde. Et soudain, une douleur vive me traversa la tête.


"Argh…"


Ma vision se troubla. J'étais dans une salle du trône sombre, lugubre. Devant moi, un roi agonisait sous l'effet d'un poison, tandis qu'un homme en armure s'approchait de lui. "Le roi est mort, vive le roi," murmura-t-il d'un ton froid. À cet instant, ses yeux rencontrèrent les miens.


"Aquila, défenseur de l'Hirondelle…" Sa voix résonna comme un présage. "Je ne pensais pas te voir ici, mais il semble que le destin en ait décidé autrement." Avant qu'il ne puisse terminer, je fus arraché de cette vision.


Je me retrouvai devant ma tente, tremblant, le souffle coupé. "Qu'est-ce que c'était…" Je secouai la tête pour chasser l'image. La peur m'étreignait encore alors que je me glissais dans ma tente, épuisé, me laissant emporter par un sommeil tourmenté.


Je me réveillai à la tombée de la nuit, appelé par le commandant pour une fête. La reine nous avait fourni des provisions, une manière de nous rappeler que cette nuit pouvait être la dernière. Autour du feu, les soldats chantaient, riaient, savourant chaque instant comme un trésor éphémère.


Mais je quittai la fête plus tôt, sentant le poids de la journée qui nous attendait.


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Le lendemain, le commandant me convoqua de nouveau. "Aiden, tu resteras à mes côtés durant la bataille. Pas de première ligne pour toi."


"Pourquoi ? Je veux me battre avec eux."


"Parce que je veux que tu observes. Tu apprendras bien plus ici. Et… la princesse me tuerait si je te mettais en première ligne," dit-il avec un sourire.


Je me préparai silencieusement, mais une inquiétude sourde m'envahissait. En observant la carte, je remarquai une ouverture entre les plaines. "Commandant, ce passage… il est surveillé ?"


"Pas nécessaire. C'est le passage des Hurlements. Il est dit qu'un loup-garou y rôde. Rien ne devrait passer par là."


J'acquiesçai, bien que quelque chose me dérangeait. Nous rejoignîmes ensuite le champ de bataille, et le commandant harangua ses hommes, sa voix forte et claire. "Soldats ! Aujourd'hui, nous combattons pour l'avenir de Cintra ! Pour notre peuple, nos familles !"


Les soldats répondirent d'un cri collectif, leurs voix résonnant dans la vallée.


Le premier assaut ennemi fut repoussé sans difficulté, mais une ombre gigantesque surgit dans le ciel, projetant une explosion de flammes. Les cris de douleur et l'odeur de chair brûlée emplirent l'air. Mes jambes se figèrent, mon estomac se retournait face à l'horreur. Et, comme une vague mortelle, les cavaliers ennemis nous attaquèrent par les flancs. Le champ de bataille devint un enfer de flammes et de sang.


Soudain, une silhouette fonça vers moi, une épée levée. Par pur instinct, je brandis mon arme et, en une fraction de seconde, le tranchant rencontra sa cible. L'homme tomba à genoux devant moi, le sang coulant de sa gorge, son regard empli de peur et de douleur se posant sur moi. Mon souffle s'accéléra, un goût amer d'horreur emplissant ma bouche.


"Je…" Un frisson de dégoût me traversa, et j'eus envie de détourner le regard, de tout oublier. La culpabilité me serra la poitrine, oppressante. "Désolé…" murmurais-je d'une voix brisée, mais ses yeux se fermaient déjà.


Je détournais les yeux du corps étendu, mes mains tremblant. La violence, la brutalité de l'acte, et la peur de cette réalité m'engloutissaient. Mais la voix du commandant m'arracha à mes pensées.


"Gamin ! Ecoute ! Tu dois partir. Prends un cheval, va prévenir la reine et la princesse de fuir."


Je m'accrochai à ses mots, reprenant mes esprits. "Et vous, commandant ?"


"Je reste. Fais ton devoir, va !"


Hésitant un instant, je montai en selle, jetant un dernier regard au commandant. "Hue !" Le cheval partit à toute vitesse vers la capitale. C'était à moi de la protéger maintenant.


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Le commandant observa Aiden s'éloigner avant de se tourner vers ses capitaines.


"Alors, dernière bataille, commandant ?" demanda l'un d'eux.


"Oui," répondit-il avec un sourire triste. "L'honneur d'un guerrier est de se battre pour ce qui compte." Il lança son cheval vers l'armée ennemie, murmurant ses derniers mots dans le vent : "Pardonne-moi, Camille… et toi aussi, Lucas. Votre père part avant vous."


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"Merde."


Nous étions en pleine course, poursuivis par les cavaliers ennemis, leurs flèches sifflant dans notre dos comme des cris de mort. Chaque sifflement semblait se rapprocher un peu plus, comme si la fatalité elle-même nous talonnait.


"Aiden, va prévenir la capitale. Paul et moi, on va les retenir."


"Quoi ? Non, je peux pas vous laisser !"


L'un des hommes, John, me regarda intensément, son regard empreint d'une résolution froide mais étrange pour quelqu'un que je connaissais à peine. "Écoute, le commandant voyait quelque chose en toi. Honore sa dernière parole. Sauve celle que tu dois protéger et deviens la personne qu'il pensait voir en toi."


Ces mots, aussi forts soient-ils, étaient prononcés par un homme qui n'avait jamais partagé avec moi plus que quelques échanges de camp. Ce sacrifice, ce détachement m'écrasaient. Je sentis mes yeux se brouiller alors que je regardais John et Paul se préparer à se retourner pour affronter nos poursuivants, sachant pertinemment qu'ils ne survivraient pas.


"Puissions-nous… nous retrouver," murmurai-je d'une voix éraillée, serrant les rênes de mon cheval, le cœur serré de tristesse et de culpabilité.


John esquissa un faible sourire. "T'inquiète pas, gamin. Vis ta vie." Puis, dans un geste rapide, il tira son épée, et lui et Paul se retournèrent pour engager les cavaliers ennemis.


Le bruit des épées s'entrechoquant résonna derrière moi, mêlé aux cris et aux grognements de la bataille. Une trouée s'ouvrit dans le chaos, mais alors qu'un instant de répit semblait se profiler, je vis un archer du camp adverse encocher une flèche, la dirigeant droit vers ma poitrine. J'avais l'impression que chaque fraction de seconde ralentissait, que le moment s'étirait, cruel et impitoyable. Le trait fusa, impitoyable, et malgré mes réflexes, je savais que je n'aurais pas le temps de l'esquiver.


Non, je dois tenir… je dois tenir cette promesse !


À cet instant, mes yeux s'embrasèrent d'une étrange lueur, et je sentis un frisson me parcourir de la tête aux pieds. Quelque chose au plus profond de moi s'éveilla, une énergie noire et puissante qui explosa, émanant de moi comme une vague brûlante. L'instant d'après, je me sentais léger, presque comme si je flottais hors de moi-même, hors du danger.


Sous les yeux ébahis de nos poursuivants, une explosion d'énergie verte fendit l'air, et l'archer disparut, emporté comme une ombre balayée par la lumière.


Reprenant mes esprits, je sentis mes mains trembler légèrement sur les rênes. Mon cœur battait à un rythme effréné, mais je n'avais pas le temps de comprendre ce qui venait de se passer. Serrer les dents, avancer… cette pensée fut tout ce qui m'importait.


Alors que je continuais ma course vers la capitale, je laissai derrière moi les cris de John et Paul, ainsi que les restes d'une culpabilité amère, gravée dans ma mémoire comme une cicatrice nouvelle et vive.

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