La magicienne aux cheveux noirs
La pluie qui tombait drue n'avait pas cessé depuis plusieurs jours, une pluie froide et perçante, déterminée à vous geler jusqu'aux os. Les nuages noirs empêchaient de déterminer si il faisait jour ou nuit mais les marécages de Velen n'était en aucun cas un lieu où se perdre, quelle qu'en soit l'heure de la journée. Outre les mares vaseuses dont certaines suffisamment profondes pour s'y noyer, la région comptait son lot de monstres aussi répugnants que mortels. Entre les noyeurs et les nekkers, la vie n'était pas facile pour celles et ceux qui vivaient près des marais. Une personne pourtant faisait fi des dangers et s'était engagée dans les eaux vaseuses tandis qu'un vent à déraciner des arbres s'était levé. Pataugeant dans la gadoue, Yennefer de Vengerberg maugréa une énième fois contre le mauvais temps, la boue qui salissait ses beaux vêtements et contre la chasse au monstre qui ne faisait habituellement pas partie de ses activités.
"Bon sang, trois jours passés dans ces foutus marécages et toujours aucun signe de cette fameuse geunaude ! À croire qu'il ne s'agit que d'un conte de bonne femme que se racontent les gens du coin ! Et Geralt qui est partit chasser on-ne-sait quel monstre alors que j'avais besoin de lui ici !"
Ses beaux yeux violets mis en valeur par un fard à paupière noir lançaient des éclairs et ses lèvres pulpeuses et vermeilles formaient une douloureuse grimace de colère et de dégoût qui n'enlaidissait en rien son magnifique visage. Ses soyeuses boucles noires tombantes en cascade jusqu'au milieu de son dos dégoulinaient d'eau et collaient à sa douce peau d'ivoire. Sous sa cape au capuchon relevé, elle était vêtue de son somptueux gilet de tissu noir richement orné au col de fourrure, au-dessous duquel se trouvait une chemise blanche suffisamment ouverte pour laisser entrevoir sa poitrine plantureuse. Son pantalon également en tissu noir était maculé de boue et ses bottes à talons en cuir noir qui sublimaient ses longues et fines jambes s'enfonçaient jusqu'au genou à chaque pas. Des gants de fourrure noire la couvrait des mains jusqu'aux coudes. Enfin, son coup gracieux était ceint d'un pendentif se terminant par une pierre d'obsidienne gravé d'une étoile. Malgré l'odeur nauséabonde qui régnait dans le marais, il était tout de même possible de sentir le doux et habituel parfum de lilas et de groseille à maquereau de Yennefer. La raison de sa présence dans les marais de Velen était toute simple : La magicienne avait entendu parler d'un spécimen rare de monstre vivant au plus profond des marécages. Les gens du coin parlaient d'une geunaude aquatique unique en son genre, possédant des facultés physiques qui dépassaient celles de ses congénères. Bien peu de gens encore en vie l'avaient aperçu et ils n'étaient disposés à en parler, obligeant Yennefer à user soit de son charme soit de sa magie pour obtenir ses informations. Pour une magicienne de son talent, cette créature représentait une source d'ingrédients inestimables pour ses futures expériences. Mais après trois interminables journées passées dans la boue, sous une pluie glaçante, elle commençait sérieusement à remettre en doute sa décision de partir à la chasse au monstre. Plus elle marchait, plus elle s'enlisait, ce qui ne faisait que l'irriter encore plus mais heureusement pour elle, de nombreux éclairs zébraient régulièrement le ciel de fer et éclairaient son chemin. Devant elle, le marécage se divisait en deux directions : une qui semblait partir vers le sud-ouest et l'autre à l'est. Yennefer s'immobilisa, hésita quelques secondes puis bifurqua vers l'est, où les arbres dénudés se faisaient plus nombreux. Grâce aux informations qu'elle avait obtenu auprès des rares personnes à avoir aperçu sa proie, elle savait que la geunaude vivait recluse dans le marais; elle avait donc décidé de s'y enfoncer profondément. La magicienne avançait avec difficulté, embourbée dans la vase et gênée par le vent qui semblait tout faire pour l'empêcher de progresser. Autour d'elle, les branches grinçaient et craquaient et les rafales portaient les hurlements de quelques animaux au loin. Sûrement un loup ou un chien perdu pensant Yennefer. Elle ne s'en inquiéta pas outre mesure car les créatures alentours n'oseraient pas s'approcher des marais, redoutant la présence du monstre. Plus elle marchait, plus elle avait la sensation que les arbres se faisaient de plus en plus nombreux et se refermaient sur elle, comme un piège sur sa victime. La magicienne aux cheveux noirs était une forte femme, au caractère bien trempé et manipulateur, elle ne se laissait pas facilement impressionner. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher d'être quelque peu mal à l'aise, au milieu d'un environnement aussi hostile. Elle savait que sa magie était très puissante mais elle se sentait vulnérable, ainsi empêtrée dans la vase. Et Yennefer de Vengerberg détestait se sentir vulnérable.
Au bout d'un long moment, le bosquet autour d'elle s'éclaircit et Yennefer constata qu'elle se trouvait à présent au milieu d'une vaste clairière inondée d'eau croupie. Au milieu de celle-ci trônait un aulne immense sans aucune feuilles accrochée aux innombrables branches qui évoquaient de longs doigts griffus. L'arbre devait mesurer environ 5 mètres de haut, pour le double de diamètre. La magicienne nota un autre détail troublant: les écorces de l'aulne était entièrement blanches. De plus, une grande puissance magique d'une nature inconnue émanait de l'arbre. À sa base, les racines s'écartaient pour former un trou noir suffisamment large pour qu'un grand poney puisse s'y glisser. La magicienne aux cheveux de corbeau comprit alors qu'elle avait atteint le cœur du marécage. Et devant elle se trouvait la tanière de la geunaude. Alors que Yennefer s'avançait vers l'arbre, quelque peu déconcertée par sa découverte, elle s'immobilisa soudain, son regard violet fixé sur le creux. Quelque chose avait bougé, elle en était sûre. Dans le trou de ténèbres, une forme massive rampait, glissait, s'extirpais de l'arbre avec une lenteur affligeante. À cause de l'obscurité, la magicienne distinguait uniquement la silhouette de la créature mais elle entendait cependant les grognements et les reniflements de celle-ci. Une fois sortie du creux, la forme se redressa de toute sa hauteur, dominant Yennefer d'au moins deux têtes. Un éclair déchira les nuages noirs et la magicienne fut pétrifiée de surprise pendant quelques secondes. Sa peau ne ressemblait pas à celle des autres geunaudes. Aussi blanche que les écorces de l'aulne, elle devait être aussi résistante que le cuir d'une wyvern. Ses bras plus musclés que ceux des n'importe quel guerrier de Skellige se terminaient par des mains capables d'étouffer un cheval et par des griffes longues d'une quinzaine de centimètres. De longs cheveux sales et verdâtres tombaient sur une face hideuse, défiant l'imagination. Ses yeux globuleux entièrement blancs fixaient Yennefer avec un mélange de fureur et de faim puis sa bouche débordante de dents tranchantes comme des lames s'ouvrit et une langue mesurant au moins un mètre de long en sortit, dégoulinante de bave. Elle poussa alors un cri digne d'une créature de cauchemar avant de se jeter sur sa nouvelle proie. Yennefer se reprit et traça un cercle d'un geste vif et habile de la main. Aussitôt, un grand éclair bleu jaillit de sa paume et frappa le monstre en plein poitrine. La geunaude s'effondra lourdement, projetant d'imposants volutes de boue puis disparut dans les eaux sombres. Le tonnerre semblait s'être tu, comme si les éléments retenaient son souffle. Après ce qui lui avait semblé être des heures de silence, Yennefer se détendit et poussa un léger soupir. Aucune geunaude, même les plus coriaces ne pouvaient survivre à un tel sort. Fière d'elle, la magicienne s'avança vers l'endroit où le monstre avait disparut avec une assurance renouvelée. Malheureusement pour elle, l'un des défauts de Yennefer étaient ses sens moins développés que la moyenne. Si son ouïe avait été plus fine, elle aurait pu entendre un mouvement étrange dans l'eau tout près d'elle. La magicienne était sûre d'elle mais elle ne fut pas aussi attentive qu'elle aurait du l'être. Brusquement, l'eau explosa et une forme massive jaillit juste devant Yennefer. Avant qu'elle eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait, une étreinte d'acier se referma sur elle et lui immobilisa les bras le long du corps. Emprisonnée par la geunaude, elle se débâtit de toutes ses forces pour s'échapper, en vain. Elle découvrit alors avec stupeur et effroi que le torse humide de la créature ne présentait pas la moindre égratignure, comme si le sort n'avait eu aucun effet. Tout en resserrant sa prise, la geunaude rejeta en arrière sa tête velue et Yennefer cru qu'elle allait refermer sa mâchoire sur sa gorge. L'instant d'après, le crâne de la geunaude alla percuter violement le front de la magicienne aux cheveux de corbeau. Ce fut comme si sa tête s'était soudainement fendue en deux. Elle poussa un hurlement de douleur qui ne fut bientôt plus qu'un faible gémissement étouffé par la fureur du vent qui avait redoublé d'intensité. Sa vision se troubla et elle ne fut bientôt plus capable que de distinguer de petites étoiles danser devant ses yeux. La magicienne étant complètement étourdie, le monstre la relâcha et elle tomba lourdement à genou dans la vase. La geunaude aurait pu en finir maintenant, il aurait été plus que facile pour elle d'ouvrir la gorge de Yennefer et de boire son sang jusqu'à la dernière goutte. Mais elle était cruelle et aimait jouer avec ses proies lorsque celles-ci étaient affaiblies. La magicienne avait les yeux mis clos, elle allait avoir beaucoup de mal à reprendre ses esprits. Le monstre l'empoigna brutalement par les cheveux et lui enfonça le visage dans la boue jusqu'au cou. Elle se débâtit, cherchant à se libérer de l'emprise de la créature mais celle-ci était bien trop forte. Au moment où elle crut sa noyade inévitable, le monstre lui sortit la tête de la vase et elle se mit à tousser et à cracher toute l'eau et la boue qu'elle avait dans la bouche. La magicienne n'avait plus aussi fière allure à présent, son beau visage et ses magnifiques boucles noires autrefois immaculées dégoulinaient de vase verdâtre. Ses vêtements luxueux étaient si sales qu'il était impossible de deviner leurs couleurs d'origine et une odeur nauséabonde avait eu raison du doux parfait de lilas et de groseilles à maquereau. Cependant, elle n'eut que quelques secondes pour reprendre son souffle avant que la geunaude ne la replonge dans la boue. Pendant ce qu'il sembla être une éternité pour Yennefer, la créature pris un plaisir malsain à la noyer lentement, l'enfonçant et la sortant de la boue à intervalle régulier. Puis, le monstre dû finir par trouver ce petit jeu lassant car il souleva brusquement la magicienne par ses boucles noires tout en se préparant à l'éventrer grâce à ses terribles griffes. Yennefer hurla de douleur alors la racine de ses cheveux la faisait horriblement souffrir et elle ne remarqua qu'au dernier moment la menace qui pesait sur elle. Au moment où la magicienne allait être transpercée, elle disparut dans un éclair violet, à la grande stupeur de la geunaude qui poussa alors un rugissement de fureur qui s'entendit à des lieux à la ronde. Un autre éclair illumina la clairière et Yennefer réapparut soudainement derrière la créature, un genou à terre. Elle toussait, se tenait la tête d'une main, elle était encore hébétée mais son regard violet brulait d'une détermination qu'aucune geunaude ne pourrait ébranler. Elle se releva, tendis la paume en avant et une boule de feu en surgit en direction de la créature. Celle-ci évita l'attaque à la dernière seconde et projeta de la boue en direction de Yennefer qui fut trop lente. La magicienne reçut la vase en plein visage et avala de la gadoue, ce qui étouffa le juron qu'elle allait crier. Elle cracha et s'essuya les yeux mais la geunaude fut une nouvelle fois plus vive. La langue de la créature siffla dans l'air et s'enroula autour de la magicienne aux cheveux de corbeaux, l'emprisonnant des épaules jusqu'aux poignets et lui ligotant les bras le long du corps. Yennefer grimaça et se débâtit tandis que la geunaude s'approchait peu à peu d'elle. Mais la magicienne n'avait pas dit son dernier mot et lança une nouvelle boulle de feu, non pas avec ses mains mais aves sa jambes. Et cette fois-ci, elle fit mouche. Le sort explosa contre le torse de la créature qui fut projetée sur plusieurs mètres en arrière et elle plongea à nouveau dans l'eau noire. Le calme revient mais le vent continuait de plier les branches des arbres, provoquants des grincements et des craquements sinistres. Yennefer garda les yeux fixés sur la surface de l'eau mais seule la pluie provoquait des remous. Cependant, la magicienne avait appris la leçon et ne se laissa pas avoir deux fois de la même manière. Elle plongea ses mains dans l'eau et généra une décharge de foudre dans la clairière inondée, tout en faisait en sorte de ne pas être touchée pas son propre sort. La surface explosa à quelques mètres seulement d'elle et la geunaude surgit en poussant un cri de douleur mêlée à de la fureur. La foudre ne semblait pas l'avoir blessée mais l'avait suffisamment ébranlée pour la faire sortir de sa cachette. Après avoir reçu de tels sorts, n'importe quelle geunaude se serait retrouvé avec les membres éparpillés un peu partout dans le marécage. Mais Yennefer fut une nouvelle fois surprise par la résistance du monstre qui portait comme seul stigmate de sa précédente attaque une marque sombre au milieu du torse. La magicienne changea de stratégie. Elle traça un nouveau sort dans les airs et aussitôt, l'eau autour des jambes de la geunaude se transforma en glace, immobilisant la créature. Puis elle leva les mains vers le ciel de fer et un grand pic de glace commença à se former au-dessus d'elle. La geunaude rugit et, comprenant les intentions, elle fit à nouveau usage de sa langue râpeuse qui agrippa Yennefer au cou. Celle-ci tressaillit, faillit perdre sa concentration mais se reprit rapidement et projeta son projectile de glace en direction de sa cible. Le pic se planta profondément dans le torse de la créature dans une immense gerbe de sang verdâtre mais ne la transperça pas comme Yennefer s'y attendais. Le monstre grogna et resserra sa prise, étouffant petit à petit la magicienne. Elle sentit sa gorge se comprimer douloureusement mais elle puisa à nouveau dans sa magie afin de pousser le pic de glace plus profondément dans le corps de la créature. Le projectile s'enfonçait lentement mais surement malgré une étonnante résistance du cuir du monstre et une importante quantité de sang maculait à présent son torse blanc. L'air commençait à manquer à Yennefer et la puanteur de la langue qui l'étranglait lui donnait la nausée mais elle continuait de plonger son projectile plus profondément dans le torse de son adversaire. Puis, le dos du monstre se déchira, le pic le traversa de part en part et la geunaude s'abattit enfin dans une immense vague de sang. Il émit quelques soubresaut avant de s'immobiliser définitivement. Yennefer reprit peu à peu son souffle avant de s'approcher en titubant vers le corps de son adversaire pour s'assurer de sa mort. Au milieu de la poitrine de la créature se trouvait à présent un trou béant et le sang vert commençait à se mélanger à l'eau noire. Ses yeux globuleux révulsés semblaient prêts à sortir de leurs orbites et sa langue baveuse pendait mollement et sans vie. Heureusement, les organes qui intéressaient la magicienne tels que le cerveau, le cœur ou le foie n'avaient pas été touchés pendant l'affrontement. Yennefer se détourna du cadavre avec une grimace de dégout puis se plia en deux et vomit. Elle vomit et vomit encore jusqu'à que son estomac soit vide après quoi elle s'assit, le dos contre un arbre pour se reposer. Elle se sentait faible et malade, probablement à cause de la quantité de vase qu'elle avait avalée. Jamais elle n'aurait imaginé qu'un combat contre un simple monstre puisse s'avérer aussi difficile. Avoir été à ce point malmenée par une créature sans cervelle était une vraie humiliation pour la magicienne aux cheveux de corbeaux, qui avait toujours fait preuve d'une grande arrogance. Elle passa ses mains sur son visage et tenta vainement d'essuyer ses boucles maculées de boue. Le plus important, c'était qu'elle avait trouvé ce qu'elle était venue cherchée. Elle pensa alors à ce qu'elle pourrait faire avec les ingrédients que lui offrait la geunaude et un sourire se dessina sur ses lèvres pulpeuses. Elle se releva et d'un geste de la main, elle invoqua un portail suffisamment large pour faire passer la créature à l'intérieur. Un bain et un bon repas chaud l'attendaient chez elle et la magicienne avait hâte de quitter ces marécages nauséabonds.
"La prochaine fois, je laisserai Geralt faire le sale boulot à ma place"