Vipère au pied

Le rez-de-chaussée de la tour est encombré de tous les objets dérobés par la bande de la Vipère : Des tapis et des tissus enroulés, des tonnelets de vin, de la vaisselle, des tableaux, des belottes de laine bariolées, des sabots, des outils… En fil indienne, le groupe se déplaçait entre les énormes piles de bric-à-brac.

En entrant dans le bâtiment, Maja éprouvait un soudain mal de tête. Elle connaissait ce symptôme, la présence d’un Nexus de magie alignée sur l’énergie élémentaire de Terre. Le médaillon du sorceleur s’agitait, Wyn comprit que l’endroit était traversé d’énergie magique.

L’escalier en colimaçon menait à un étage consacré à l’armement. Des râteliers de lances et d’épée, des mannequins d’entraînement, des arcs et des carquois de flèches. Tout cet attirail permettait d’équiper une troupe d’une cinquantaine de combattants. La Vipère avait l’intention de monter en puissance peut-être en prévision d’un assaut sur l’île de Beren.

Ils grimpaient au troisième étage, le centre de commandement de la brigande. Deux longues tables étaient chargées de plans et de cartes de Velen et de la contrée de Beren. Il y avait un dais en bois précieux au dessus d’un magnifique trône ancien, similaire à la peinture aperçue chez Messire Odon. Trois coffres renforcés se trouvaient derrière le trône dont l’un d’eux était grand ouvert. Dans un coin de la salle, un lit étroit à baldaquin et une lourde armoire ouverte dévoilant quelques habits masculins, de voyage et de cours. Il y avait une repose armure vide à côté du lit. Un épais rideau dissimulait l’entrée d’un escalier en ruine colmaté par de la maçonnerie récente. Malencontreusement pour le groupe, la salle était vide d’occupant, point de Vipère.

Le groupe se mettait à chercher des indices. Dagreed et Maja se plongeait dans la lecture des cartes. Des tracées et des croix avaient été rajoutées sur les cartes, très sûrement des renseignements sur les convois de marchandises et les fermes à piller. En étudiant, une carte détaillée de l’île de Beren, la Vipère réfléchissait à un débarquement en force puis à un assaut au petit matin sur le village de pêcheurs. Il y avait des plans de réhabilitation du château familial, un maître artisan maçon avait estimé le montant des travaux à cent mille orins. Davo crochetait les serrures des deux coffres, il contenait des objets de valeur, bijoux, pièces de monnaies, orfèvrerie sûrement le butin le plus précieux réservé à Elvire de Beren. Le coffre ouvert était vide.

Délia découvrait un passage secret, le fond de la grande armoire était amovible et donnait sur un étroit conduit avec une échelle permettant de descendre dans les profondeurs de la tour. En aplomb de l’échelle Maja lançait un sortilège lumineux, la petite boule de lumière lévitant descendit le long du conduit. La boule lumineuse s’arrêtait au fond du conduit, Davo évaluait la descente à quarante mètres. Il fut le premier à descendre suivi de Wyn puis de Maja et de Dagreed. Malheureusement avec son handicap, Délia ne pouvait plus suivre. Elle était très amère et décidait de descendre un à un les deux coffres précieux afin de rester aux côtés des blessés sur le parvis de la tour.

L’échelle débouchait dans une étroite salle creusée dans la roche. De là, il y avait un unique tunnel qui descendait en pente douce. La migraine de Maja augmenta quelque peu d’intensité et le pendentif du sorceleur s’agita un peu plus. D’un geste fluide et d’une courte parole magique de Maja, la boule de lumière vint à suivre les moindres pas de Davo.

Davo ouvrait la marche sabre au clair. Le long tunnel tournant débouchait sur une curieuse caverne. Toutes les parois de la grotte étaient tapissées de cristal de roche. Les cristaux de roche ressemblaient à du verre de couleur verte, avec des faces prismatiques et se terminant par une pyramide. La lumière se reflétant sur ce verre donnait un caractère magnifique, féérique et irréel à la salle caverneuse. Toute chose prenait une coloration verte pâle assez perturbante.

Taillé dans la pierre, il y avait un long autel et une de petite forge. L’autel était encombré de tout un fatras indescriptible de matériel alchimique couvert d’une épaisse couche de poussière. La petite forge semblait inutilisée depuis des siècles. Un creuset et tout un outillage d’orfèvrerie rouillé prenait la poussière. Le centre de la salle était occupé par une scène en pierre verte. Toute la surface de celle-ci était ciselée d’étranges formes géométriques. De curieuses volutes de chaleur semblaient émergées de la pierre elle-même. Derrière cette scène se trouvait une grande statue d’homme lézard, assurément un Vran, un des peuples primaires qui peuplaient cette terre avant même l’arrivée des nains, des elfes puis des humains. Selon les contes, les Vrans ont disparu du Continent depuis deux mille ans. Certaines rumeurs racontaient que les derniers d’entre eux se seraient réfugiés au-delà des Montagnes Bleues. L’étrange humanoïde portait une robe de magicien et ouvrait ses bras en signe de bienvenue ou de prière.

Au milieu de la scène, un guerrier accroupi, semblant en médiation se leva lentement réalisant une lente passe d’armes avec son sabre de cavalerie brillant de runes magiques verdâtres. Il portait une armure Rédanienne d’hallebardier de couleur verte. Sous l’armure, on pouvait discerner une vague silhouette féminine, une fine poitrine, une taille de guêpe et des hanches dessinées. Sa tête était dissimulée sous casque intégral en acier vert. Son cimier s’apparentait à un serpent prêt à frapper, dévoilant ses crocs.

• Je réclame l’Ordalium ! Le combat judiciaire ! émit la guerrière androgyne d’une voix assourdie par son casque.
• Salutations à toi, La Vipère ! rétorqua Davo tout en approchant de la scène, en étant très vigilant.
• Je suis Elvire de Beren, châtelaine légitime de Beren et vengeresse sous le nom de la Vipère, répliqua Elvire.
• Tu réclames un duel judiciaire, un combat de nobles alors que tu n’es qu’une vulgaire assassine et brigande sans honneur, répondit Wyn en approchant de l’estrade en pierre.
• Je suis de sang bleue et je réclame un combat judiciaire, elle pointa son sabre en direction de Maja.

Maja fut quelque peu désappointée.

• J’accepte ce duel judiciaire mais en vertu de mon inaptitude martiale, je nomme un champion pour me représenter comme l’Ordalium le prévoit, répliqua Maja d’une voix forte. Davo et Wyn se tournèrent vers Maja attendant l’ordre de sa part… A vous de choisir mes deux champions ? Davo et Wyn se regardèrent. Davo fit une courte génuflexion, faisant comprendre à Wyn qu’il avait la main. Wyn fit un geste d’acceptation, avec un franc sourire, il était enchanté de combattre la Vipère.
• Je relève ton défi, La Vipère ! répondit Wyn tout en grimpant sur la scène en pierre.
• Sorceleur n’utilise point tes Signes et des fioles contre moi !
• Pour une brigande sans foi ni loi, je ne devrais pas tenir compte de cette requête ! Mais je suis joueur, je n’utiliserai point de Signe ou de potions… Wyn sortit son épée d’acier de Mahakam. Que le duel à mort commence !

Les deux combattants se toisèrent de part et d’autre de la scène. D’un geste de leur lame, ils se saluèrent puis se mirent en posture de combat. Elvire faisait tournoyer sa lame lentement devant elle, le mouvement était quasi hypnotique. Wyn se plaçait en posture défensive, attendant le coup venir. Elvire lançait une attaque de pointe forte et véloce en direction du plexus de Wyn. Le sorceleur l’esquivait d’un pas de côté fulgurant et donna un puissant coup d’épée sur la lame de la Vipère pour la déséquilibrer davantage. Les lames vibrèrent mais la combattante avait de la poigne, elle ne lâchait pas prise. D’un coup de poignet, elle plaçait sa lame en défense.

Wyn partit à l’attaque en réalisant plusieurs attaques rapides en essayant de viser les bras et poignets de son adversaire. Elvire parvint à parer chaque coup mais du sérieusement reculer au bord de la scène. Elle reprit l’initiative en attaquant de taille en direction des jambes de Wyn. Il para prestement chaque coup en réalisant des petits sautillements pour éloigner ses genoux de la lame adverse. Puis, Wyn réalisa une petite roulade couplée à un coup bas de taille vers les jambes. Elvire para le coup de justesse, son heaume lui avait partiellement occulté la frappe. Elle fut déstabilisée, elle reçut un coup puissant sur le casque qui le fit voltiger dans la salle. Son visage dur à la garçonne se dévoila d’un coup. Une ecchymose bleuie à vue d’œil sur la joue, elle expectora de la salive ensanglantée au sol.

Elle repartit à l’attaque alors que Wyn réalisait un vif pas de côté. Malheureusement, il ne fut pas suffisant, la lame du sabre mordit l’avant bras de Wyn les glyphes magiques de l’arme pulsèrent. Le sorceleur sentit immédiatement l’action d’un poison magique irradié de sa blessure. Un sourire carnassier se dessina sur le visage austère de la Vipère. Wyn recula et agita son bras blessé qui semblait s’endormir…

• De nouveau, je vois là l’agissement d’une lâche, émit Wyn en serrant ses dents. Malencontreusement pour toi, ton fiel n’a que peu de prise sur mon organisme mutant…

Il repartit à l’attaque en tenant sa lame à deux mains. Il enchaîna des attaques puissantes, Elvire peinait à deux mains de les parer. Voulant reprendre l’offensive, elle lança une puissante attaque tournoyante bien mal lui en pris, Wyn feinta en se baissant vélocement et plongea sa lame dans le ventre de la Vipère. Profitant de la force de son adversaire, la lame de Wyn s’enfonça jusqu’à la garde et perfora le dos d’Elvire. Le coup était mortel. Elvire s’écroula en tenant de ses mains la lame de son adversaire. Wyn lâcha prise et recula.

Le sorceleur toisait sans ciller son adversaire. Elvire le regarda dans les yeux, hoqueta un filet de sang et ses yeux se fermèrent quand la vie quitta son corps. Wyn mit un genou à terre, le poison magique semblait plus fort qu’il ne l’avait présumé. Dagreed se hissait prestement sur l’estrade et réalisa un garrot au niveau du coude pour ralentir l’avancée du poison. Maja le suivait et se penchait sur le sorceleur couché au sol en proie à un mortel malaise. Maja psalmodiait un sortilège en apposant ses mains sur la blessure empoisonnée.

• Vite, il faut transporter Wyn hors de la salle. Les énergies magiques du lieu entrent en pamoison avec l’effet magique empoisonné décuplant sa puissance délétère, répondit Maja en commençant à soulever maladroitement le sorceleur. Davo et Dagreed le soulevaient et le portaient le plus rapidement possible hors de la caverne.

Une fois dans le couloir, Maja relança le sort en opposant ses mains sur la plaie. Elle prit un furieux coup de fatigue, Davo dut la soutenir.

• C’est bon, le poison est en cours de sublimation curative. J’ai modifié la polarité de la toxicité ésotérique. Wyn va survivre, je sens son organisme mutant à l’œuvre… Par contre, je ne sens plus mes jambes… Laissez-moi m’allonger pendant une bonne demi-heure. Davo ôtait prestement sa cape et la plaçait sur Maja comme une couverture.

Dagreed vérifiait le pouls erratique de la magicienne et lui fit respirer une potion de sels fortifiants. La Hanse du Lys sortait gagnante de l’épreuve. La Vipère au pied… Elle était tombée et Elvire de Beren avait quitté la scène politique au propre comme au figuré.

Une fois remis, le groupe retournait dans la caverne. Caché derrière la statue de Vran, ils découvraient un gros sac en cuir. Il contenait des parchemins, un cartable fermé à clé et des petites potions. Maja étudia les croquis anciens décrivant précisément l’artéfact magique avec des commentaires en langage ancien. L’auditoire s’approcha pour écouter Maja traduire avec lenteur le laïus s’y reportant. L’artéfact émettait un gaz magique incolore et inodore sur cinq cent mètres de diamètre. La dispersion magique se réalisait en moins d’une minute. L’exhalaison émise avait un pouvoir fantasmagorique de suggestion massive. Tout être humain respirant le gaz devenait hyper sensible psychologiquement, très manipulable et influençable. Il existait une préparation qui permettait de s’insensibiliser à la suggestion de masse. La recette de cet onguent était jointe aux notes. L’artéfact avait été façonné par un mage elfe (son nom n’était pas indiqué) pour transformer les envahisseurs humains en une population servile et laborieuse. Par chance pour l’humanité, cela n’avait pas dépassé le stade de cet unique prototype. Le commentaire s’achevait sur le code en glyphes pour activer l’artéfact. A la lecture de ces informations angoissantes, le groupe décida de garder l’artéfact secret même de Foltest, il n’apparaîtrait pas sur le rapport et resterait dans les mains de Maja. Même celle-ci s’engagea à ne pas en parler au chapitre de magie.

Les préparations alchimiques contenues dans des éprouvettes en verre disposaient d’une petite étiquette en langue commune indiquant « Panacée anti-contrôle mental.» Une fois crocheté, le cartable contenait des lettres manuscrites cryptées, cela intéresserait les agents du renseignement de Foltest. Pour Dagreed, la preuve de la collusion de la Vipère à la Rédanie se trouvait dans ses missives codées.

Après une transe méditative d’une bonne heure, Wyn avait assez récupéré pour retourner à la surface. La Hanse retrouva Délia et Alix. La mort de la Vipère plongea la demi-elfe dans une vive euphorie. Le retour jusqu’aux barques allait être plus compliqué, le transport des blessés demeurait une priorité. Les coffres chargés de biens précieux furent cachés et enterrés dans le sous-bois pour récupération ultérieure. La tour regorgeait de matériel, le petit groupe élabora des brancards, transborda les blessés et pris la route vers la plage.

Le chemin de retour fut épuisant mais se déroula sans problème. A la nuit tombée, ils dressèrent un campement pour passer la nuit près des braques. Au petit matin, ils partirent pour l’île de Beren. Gaël n’avait pas repris connaissance, son état bien que stable était préoccupant. Pour les autres, Dagreed avait réalisé des préparations analgésiques afin de calmer la douleur des blessures.

La Hanse du Lys fut accueillie en héros sur l’île de Beren. Ils durent raconter en détail leur combat et la fin d’Elvire de Beren alias la Vipère. Le quatuor fut ramené sur le Continent puis ils partirent tous les quatre vers Wyzima. Ils avaient un rapport détaillé à faire au margrave… Mais ceci demeurait une autre histoire…