Terreur d'un autre temps

Chapitre 1 : Terreur d'un autre temps

Chapitre final

3800 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 14/09/2022 22:05

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le Lieu Sacré - (septembre octobre 2022).


A l’aube des temps, trois déesses descendirent des cieux : Din, la divinité de la force ; Farore, la divinité du courage ; Nayru, la divinité de la sagesse. Din modela la terre grâce à ses pouvoirs de feu. Farore créa la vie, les animaux et les végétaux. Enfin, Nayru apporta la prospérité : ordre, loi, science, magie… Du chaos naquit ainsi le monde. Leur entreprise terminée, les trois astres repartirent aux cieux, sous la forme de figures d’or aux ailes de fée. Ainsi le royaume d’Hyrule fut fondé.


               « Mais monsieur, ça fait cent fois que vous nous la racontez, cette histoire !


               — Ah, ah, ah ! Mon petit, si tu l’as retenue, cela signifie que tu n’es pas venu à l’école pour rien.


Le garnement fixa le professeur d’un regard interrogatif, sans un mot. Simultanément, le clocher de la ville sonna cinq coups et la fin du cours.


               — N’oubliez pas de revoir la partie sur l’élevage des poules les enfants !


               — Allez, au stand de tirs !


               — Allons plutôt voir la fille du ranch !

               

               — Je dois aider mon père à la menuiserie… »


Les élèves, alertés par le battement de cloches, ne donnèrent guère d’attention aux paroles du professeur et s’enfuirent chacun de leur côté. Cependant, l’un d’eux restait assis à son bureau de bois, immobile.


               « Ancel, as-tu une question pour moi ?


Le garçon écarta la frange blonde de devant son œil droit, puis redressa ses lunettes rondes de l’index.


               — Monsieur, dites… Vous croyez qu’on peut voir des déesses ?


               — Eh bien… Si tu pries assez, peut-être !


               — Trois fois par jour, ça ira ?...


               — Ah ah, certainement ! Comme les enseignements le veulent. Mais Ancel, mon petit, sache que les déesses sont toujours là, quelque part. Elles veillent sur Hyrule.


               — Sur moi aussi ?


               — Sur toi aussi ! Et sur moi. Sur ton papa et sur ta maman, sur les animaux et sur les plantes aussi. Les déesses nous protègent.


               — Woah… lâcha-t-il les yeux brillants et la bouche pendante.   


               — Alors, je suis sûr que tu n’auras aucun mal à t’endormir ce soir ! Bien, il est temps de quitter la classe.


               — Oui, monsieur ! Au revoir !


               — Et n’oublies pas de réviser l’élevage des poules ! ... »


Avertissement inutile : il n’y avait déjà plus personne dans la salle. L’enseignant ayant rangé ses affaires regardait son élève filer vers la place du marché. Il bombait le torse en arborant un large sourire, se remémorant une nouvelle fois les raisons qui l’avaient poussé à enseigner. « Il ne devrait pas avoir de problème pour le test de demain… » songea-t-il avant de fermer la porte de l’établissement et de rentrer chez lui.


Sur le chemin, il entendait les rires des enfants dans les divers bâtiments de jeux de la ville. Lancer de missiles teigneux, stands de tir et autres animations festives rythmaient le quotidien du bourg. Les adultes, quant à eux, désertaient souvent ces lieux faute de temps : il y avait bien assez à faire pour assurer la vie et la sécurité des habitants. Arrivant devant sa maison de pierre brute, l’instituteur toqua deux fois, posa son chapeau sur le porte-manteau à l’entrée, puis sa valise au pied dudit meuble ; comme tous les jours depuis huit ans.


               « Chéri, tu es rentré ? s’exclama Elicia, tournée vers les fourneaux au fond de la pièce.


               — Peut-être, peut-être pas…


Il s’approcha d’elle et lui baisa tendrement la joue.


               — Eh !


La cuisinière eut le réflexe de rapprocher son menton de son épaule avant de se retourner pour envoyer un rictus malicieux à son amant.


               — J’en conclus que tu es rentré, Lanz.


               — Je suis rentré, Elicia. »


Après de douces salutations, l’homme partit se laver puis, enfin propre, les deux citadins s’assirent autour de la table de pierre au centre de la seule pièce vivable de la maison. Une large cocotte de fonte trônait elle-même au centre de la table, abritant en son sein un ragoût de cocottes (celles-ci, animales) encore bouillonnant. Le fumet s’en dégageant emplissait bientôt l’ensemble du lieu, à ne pas s’y tromper : les cuisses tendres trempant dans la ratatouille s’effilaient comme du beurre. Lanz, pourtant chétif, engloutissait son repas, profitant de la cuisine. Soudain, il s’arrêta et jeta ses yeux émeraude sur sa compagne.


               « Elicia…


               — Oui ?...


               — Tu… Ne te moque pas, d’accord ?


               — Je vais essayer… souligna-t-elle les sourcils froncés, connaissant son interlocuteur.


               — Crois-tu aux déesses, Elicia ?


Elle reposa la cuisse qu’elle tenait dans la main, se mettant à rire puis, d’un toc, frotta son petit nez pour se dissimuler maladroitement.


               — Eh ! Tu avais dit que tu ne te moquerais pas !


               — J’ai dit que j’essaierais, Lanz, précisa-t-elle tout en réfléchissant. Pour être honnête avec toi, je ne sais pas. A-t-on jamais vu une déesse dans cette ville ? Qu’y a-t-il au-delà des plaines ? Les gens n’osent pas s’aventurer dehors, c’est trop dangereux.


               — Mais, imagine !... Ce monde alentour, les cocottes que nous mangeons, les loups qui nous attaquent, tout ce qu’il y a au-delà de la cité… Quelqu’un l’a forcément créé, si ce n’est pas nous ! Les peuples que nous voyons dans les livres, les trésors que recèle le désert Gerudo : je suis persuadé que tout cela existe.


Elicia écoutait, une main soutenant son menton. Elle ne changerait sûrement jamais ce garçon, pour le mieux.


               — Un élève t’a posé une question, n’est-ce pas ?


               — Que… Pas du tout ! Bref, je divaguais. Il est temps de finir cette ratatouille, ou je ne serai pas digne de devenir ton époux ! »


Sur ces mots, la jeune femme rougit en émettant malgré tout quelques pensées tendrement moqueuses à l’égard du concerné. Cela dit, ils terminèrent leur repas dans le calme puis, une fois la table débarrassée, le couple s’engagea dans diverses activités de soirée avant d’aller se coucher.


Ancel se trouvait dans une sorte de temple. Il était debout en son centre, se tenant sur une plateforme hexagonale. Au fond de la salle, un autel surélevé bénéficiait de trois emplacements, dirigés vers l’entrée. Les cavités semblaient pouvoir accueillir des artefacts. D’un coup, les piliers se mirent à bouger. Le sol en fit autant. L’enfant courut se cacher derrière l’autel. Une créature composée d’os uniquement sortit de la structure mouvante, le cherchant du regard. Inlassablement, seconde par seconde, elle se rapprochait, brandissant une longue épée usée. Le gamin recroquevillé tremblait de tout son être lorsqu’il décida d’appeler à l’aide.


               « Maître, maître !... »


Les échos lointains paraissaient venir d’un autre monde, mais ils se rapprochaient.


               « Maître ! Maître ! »


Les enfants frappaient à la porte ! Extrait de son sommeil, Lanz mit quelques minutes à réaliser qu’il venait de faire un cauchemar. La sueur dégoulinant de ses joues confirmait son impression. Cependant, la porte tremblante face aux coups des élèves n’était pas un rêve. Ils frappaient avec insistance le bois craquelé en gémissant le titre de leur professeur. Se rendant compte de la situation, Lanz enfila des habits rustiques, s’essuya dans la hâte et alla ouvrir.


               « Allons, les enfants, que peut-il bien se passer en plein milieu de la nuit ?


               — Monsieur, c’est Ancel ! Il est allé au temple du temps, sauf qu’un méchant l’a suivi !


               — Un méchant ?...


               — Il a fait mal aux gardes !


               — Aux gardes ?... Calmez-vous, expliquez-moi plus lentement. »


La petitesse de la place et du bourg rendaient les explications inutiles. Même les écoliers le savaient : ils attrapèrent la manche de leur enseignant puis le tirèrent vers l’entrée du village, non sans son consentement. Pleinement sorti de son sommeil, il réalisa alors ce qui était en train de se passer. Les deux gardes solidement équipés gisaient au sol, méconnaissables. Par réflexe, Lanz cacha de ses mains les yeux des enfants, avant de réagir en conséquence.

               

               « Dites-moi, à quoi ressemblait le méchant ?! s’empressa-t-il de crier.


               — Il… Il avait un cheval tout noir et une grosse armure.


               — Un cheval… noir ?!


               — Oui… même le cheval avait une armure.


               — Bon sang…


               — C’est grave, maître ?... répliqua l’un des membres du groupe mimétiquement.


               — Ecoutez-moi : retournez chez vous et restez-y. C’est pour le mieux.


               — Mais…


               — Et restez-y ! insista le professeur en pointant son index vers eux. »


Les garnements se regardèrent à tour de rôle, les visages fermés et les mains recroquevillées. Finalement, ils écoutèrent les instructions et tournèrent leurs talons vers la destination indiquée. Quant à Lanz, son instinct le portait directement vers le temple du temps. Il n’y avait aucun doute… Un cheval noir, une armure lourde… Ce ne pouvait être que Ganondorf, le roi des voleurs. C’est ainsi qu’on surnommait le chef de la tribu Gerudo, une tribu de hors-la-loi vivant dans le désert du même nom, dont la fierté résidait dans l’agilité, la force et le succès. Un être qu’il ne fallait pas sous-estimer, ne serait-ce que pour son rang.


Le pas hésitant, mais vif, le jeune amant passa devant la fontaine du marché puis tourna dans l’angle au magasin de potions. Après un escalier de trois ou quatre marches se dessinait devant lui le temple du temps. Ses trois tours de façade pointaient fièrement vers le ciel, mettant en avant la partie centrale qui s’élevait plus haut encore que ses deux compères, à une trentaine de mètres du sol. La voûte de l’entrée, entourée de deux fenêtres aux vitraux géométriques, était marquée en son centre d’un symbole à trois triangles d’or encastrés les uns aux autres : la Triforce.


A l’intérieur du temple, Ancel tremblait, caché derrière l’autel. Ni les piliers, ni le sol ne bougeaient, mais un être imposant et effrayant venait de pénétrer dans l’enceinte, assis sur son cheval. Peu lui importait de fouler du pas de sa monture cet endroit sacré : il n’avait pas besoin de la bénédiction des déesses. Ou plutôt, s’il en avait besoin, il saurait la voler lorsque le moment serait venu. Sa peau verdâtre et sa musculature imposante, surplombées d’une armure noire aux motifs élégants et incrustés de pierres précieuses, ne laissaient aucun doute. Son apparence-même criait : « je suis le roi des voleurs !... Et je serai bien plus encore. » S’avançant vers l’autel, un pas d’animal après l’autre, il observait calmement les trois cavités attendant leurs artefacts. Savait-il qu’Ancel se cachait juste derrière ? Le voyait-il ?... L’enfant dont les bras encerclaient les jambes avait la tête enfouie dans l’enchevêtrement ainsi créé. Le silence bientôt brisé le fit légèrement sursauter.


               « Ah… Le pouvoir des déesses. »


               La monture s’arrêta devant l’autel. L’être posa le pied à terre en caressant l’animal qui s’immobilisa. Il sortit l’épée du fourreau attaché à sa jambe.


               Pendant ce temps, Lanz arrivait devant l’entrée du temple. A raison, il hésitait à y pénétrer, palpant son pouls. A la mesure d’une grande inspiration, il ferma les yeux, puis dégagea de ses poumons un soupir équivalent. Enfin, il pénétra dans l’enceinte du temple. De l’autre côté, Ancel se collait contre la pierre froide de l’autel. A chaque nouveau mouvement de Ganondorf, il se serrait un peu plus contre le fond, s’assurant une cachette plus sûre. Etait-ce seulement utile ou nécessaire ?...


               Lanz se figea sur le seuil intérieur. La figure se tenant devant lui, au fond du temple, au bout des huit piliers porteurs, dépassait tout ce qu’il avait pu voir dans les livres. Ou plutôt, elle faisait exactement honneur à ce qu’il avait pu lire. Pour un homme comme lui, si chétif, le chef de la tribu Gerudo semblait irréel. Ses deux mètres de hauteur, sa musculature imposante et les dorures plantées dans son armure noire le faisaient paraître non pas seulement comme un roi des voleurs, mais également comme une incarnation du malin-même. Ah ! Qu’aurait donc à faire un tel être de deux insectes ?... Qu’il les ait remarqués ou non, Ganondorf empoigna fermement son épée, qu’il dirigea vers le fond du temple. Ses deux mains tenant la garde reculèrent lentement. Lanz observait la scène, immobile. Il l’immortaliserait plus tard sur papier, selon ces mots :


               « Le géant, planté devant l’autel, fit un mouvement de recul. Il n’eut guère besoin de monter sur la plateforme : ses seules mensurations suffisaient à ce qu’il atteigne sa cible – le mur au fond du temple – sans même s’en approcher. Lorsque son lent mouvement de recul atteignit son paroxysme, l’épée aux dimensions indécentes accéléra soudain vers l’avant. Le coup d’estoc ainsi créé permit à la pointe de la lame de percuter avec une force exceptionnelle le mur du bâtiment. L’onde de choc me fit reculer, que je me trouvasse à l’autre bout de la pièce n’y changea rien. Ganondorf lui-même se vit déstabilisé, sa jambe gauche décollant du sol pour venir le percuter de nouveau un mètre en arrière, faisant trembler l’enceinte. Il expulsa un souffle puissant en pivotant vivement la tête sur le côté, frappant le sol de sa jambe droite — cette fois intentionnellement —. Incroyable ! Malgré le bruit sourd et cinglant, malgré la puissance du coup, le mur du temple du temps n’avait pas une égratignure ! Cette scène-là resterait à jamais gravé dans ma mémoire. »


Le jeune Ancel lui-même s’était arrêté de trembler. Ou plutôt, il s’était figé les yeux écarquillés. Il ne cherchait plus à se cacher, ni même à fuir : son temps à lui s’était arrêté, comme isolé du monde. Le roi des voleurs rangea son arme et prononça ses paroles :


               « Peuh ! Si les déesses ne m’ouvrent pas les portes du Saint-Royaume, j’y pénétrerai par ma seule ruse. »


On disait en effet que les portes du Saint-Royaume se trouvaient au temple du temps ; et que dans le Saint-Royaume se trouvait le secret d’une puissance incommensurable. Etait-ce donc ce qu’était venu chercher le roi des voleurs ?... Insatisfait de son entreprise, l’être marchait à présent vers la sortie du temple, à côté de son cheval. Il écrasait de ses bottines de fer la plate-forme centrale, qui arborait également le symbole de la Triforce, sans s’y intéresser. Lanz s’écarta naturellement de l’entrée, se positionnant sur le côté de la voûte. Ganondorf passa près de lui, mais il n’osa pas lui jeter le moindre regard, ni même à sa monture qui le dépassait déjà largement. Le roi des voleurs fit de même : il avançait sans lui porter la moindre attention, puis traversa le seuil de l’entrée comme si l’enseignant n’avait jamais été là. Les jambes du jeune homme lâchèrent prise, le faisant chuter à terre. Il était vivant. Il avait survécu à sa rencontre avec Ganondorf. L’émotion se dispersant, le professeur se souvint soudain de sa raison ici : son élève.


La source de malin disparue, Ancel se releva seul. Sa petite tête dépassait à peine de l’autel surélevé, mais Lanz ne manqua pas de le remarquer. Il s’approcha de lui pour le rassurer, or le regard du garçon scrutait le temple et ne donnait guère d’attention au maître d’école. Il les scrutait sans discontinuer, ces murs blancs immaculés, ces piliers énormes, et cette Triforce qui trônait en son centre ; que ce soit en plein jour ou au milieu de la nuit, le temple du temps restait infaillible. Revenant à lui, l’enfant daigna finalement adresser une pensée à l’homme qui lui tendait la main. Il écarta maladroitement sa frange blonde et plongea dans les pupilles de son interlocuteur, comme possédé.


               « Les déesses veillent sur nous.


               — Oui, Ancel. Elles veillent sur nous. »

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