Le Gardien de Cristal

Chapitre 1 : Le Gardien de Cristal

Chapitre final

7165 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 05/11/2024 18:58

Joyeux Noel à @fahliilyol, à qui je dédie cette histoire écrite dans le cadre du Secret Santa 2024 de forum Fanfictions.fr. Elle entre aussi dans le cadre du défi “Briser la Glace” de décembre-novembre de la même année. Bonne lecture ! 






— Calmez-le, commandant ! Vite ! Lancez-lui un sort de contrôle mental !


— Je ne peux pas ! C’est un golem, il n’a pas d’esprit ! Revenez ici !


Des arcs électriques grondaient, sautaient, jaillissaient vers les pins, percutaient les branches qui éclataient en échardes fumantes. Le sol desséché, fissuré, n’était plus que cendre noires. Seul un cercle de coquelicots et d’herbes folles fleurissait encore sous les pieds de Nelerien, là où sa magie de protection leur permettait encore d’exister. Bombardée d’éclairs, sa barrière vacillait. Il tomba à genoux.


— Dégage de là !


Son nez saignait. Ses mains tremblaient. Mâchoires crispées, il défiait le visage du golem. Mais l’espace d’un instant, juste avant que tout n’explosa, Vatasha aurait juré que son regard avait dévié sur elle.


Nelerien disparu dans un torrent de foudre, engloutis par le fracas du tonnerre.


— Nelerien !


Elle toussa. La fumée l’étouffait. La main de Velaryon, pressée contre son épaule, l’empêchait de bondir au secours de son compagnon.


— On tue d’abord de ce truc, comprit ? On s’occupera de Nelerien ensuite. Je peux compter sur vous ?


Vatasha se contorsionna comme une anguille. Elle échappa à la poigne du commandant et dressa la tête par-dessus le mur de l’escalier où tous deux avaient eu le temps de trouver refuge. Nelerien gisait là, pêle-mêle au milieu de la végétation calcinée du parc. Son cœur se serra. Le commandant l’attira violemment à couvert.


— Vatasha ! aboya-t-il.


Vatasha tressaillit sous le fouet. Le regard de Nelerien s’évapora de son esprit.


— Oui, commandant. Allons le tuer


Elle n’avait plus la force de lancer le moindre sort. Même l’épée, le heaume et la cuirasse qu’elle invoquait en combat par-dessus sa robe s’était dissipée. La magie s'était tarie en elle, mais elle allait le tuer.


La maçonnerie branlante du palais en ruine tremblait sous les lourds pas du golem. Son visage de cristal poli, lisse et dépourvu de traits, les cherchait. Quoiqu'aveugle, il les voyait. Il approchait. Sans se presser.  


Pour gagner du temps, les deux agents se glissèrent le long du mur, escaladèrent les blocs effondrés de l’escalier de manière à garder un pan de ruine entre eux et lui.


— Une idée, chef ? C’est la première fois que je vois ce genre de golem.


L’embuscade n’avait pas marché. Ils lui avaient jeté tout leurs sorts pour à peine l'érafler. Et quand le gardien s'était lassé de de laisser le Thalmor s'amuser, il avait répliqué et pratiquement oblitéré les ruines en réponse.


— Regardez, sa peau ressemble aux cristaux de pierre de welkynd. Les ayléides ont dû le construire pour résister à la magie. Il faut plutôt le briser physiquement.


— On y va à l'épée ? J'ai épuisé en vain toute ma magie, je n'ai plus la force de conjurer de nouvelles armes.


— Nelerien est hors-combat et je suis trop vieux pour ces conneries. Vous avez vu la taille de ses poings ? L’un de nous va mourir si on s’approche. Il nous manque un guerrier, un vrai… Où est Aurane quand on a besoin de lui ?


Le golem balaya d’un revers du bras un pilier qui se dressait sur son chemin. Les blocs de marbre cyclopéens s’écroulèrent dans un panache de poussière immaculée. Il escalada les pierres encore roulantes, qui se désagrégèrent sous ses pas.


— On est coincé quoi qu’il arrive...


— Alors je vais faire diversion. C’est Nelerien qui a les potions de magie dans son sac, allez en boire une. Rappelez-vous, Vatasha : pas de sorts directs, ça ne sert à rien. Vous savez quoi faire.


— Un gros ?


— Le plus gros possible, s’il vous plaît.  


Velaryon épousseta les pans de son manteau noir brodé d’or que la mousse qui tapissait les murs avait souillé de tache vertes et humides. Il dégaina son sabre et bondit de sa cachette.


Le golem stoppa. Son armure d’argent luisait impeccablement, gravée de runes et de motifs aviaires, chef d'oeuvre d'artisanat ayléide. Le déluge de sort que les trois agents lui avaient déversé trois bonnes minutes durant, dans l'espoir de prendre par surprise cette chose à la sortie de son réveil, n’avait guère eut pour effet que d’en nettoyer la mousse et le lierre qui l'avait tapissé au fil des âges. Sa grosse tête de cristal vert, vaguement humanoïde, atteignait le sommet des derniers pins encore debout. Elle pivota, suivit les mouvements du commandant qui courait de pilier en pilier, dans la direction inverse de là où Nelerien était tombé.


Vatasha serra les dents. La foudre éclata dans un fracas assourdissant, mais elle s’y attendait.


Maintenant !


Veleryon s’en sortirait. Elle devait lui faire confiance.


Vidée de sa magie, une légère ivresse embrumait l’esprit de Vatasha. Elle couru. Elle était faible, fatiguée et surtout, humiliée. La vue de Nelerien, étalé dans son armure dorée sur le sol calciné, la fit accélérer. La silhouette inerte de Nelerien se grava dans sa rétine et tout le reste s'estompa. Elle se concentra sur elle, couru encore Ses jambes ne pesaient rien, volaient.


Vatasha se jeta à genoux auprès de lui. Elle ignora son regard vide, les horribles brûlures en forme de racines tordues qui défiguraient sa chair. Ses doigts palpèrent son cou, trouvèrent le poul.


Il vivait. Au loin, un pilier explosa.


Vatasha ferma les yeux un instant. Inspira. Expira. Trouva le rythme parfait. En un instant, les battements de son cœur s’apaisèrent.


Voilà. Plus de faiblesse. Seulement la perfection. Au travail.


Elle trouva les potions dans le sac de Nelerien, comme l’avait prédit Velaryon. Vatasha en déboucha une, huma le bouquet comme elle l’aurait fait d'un grand vin et l’avala d’une traite.


Pouah… Le liquide gluant se déversa dans sa gorge. Il contenait du sucrelune pour en adoucir le goût, mais Vatasha força à grand-peine son visage à conserver un masque impassible au long de la dégustation. Le sucre n’améliorait guère l’amertume et, au contraire, rendait la mixture sirupeuse. Elle collait aux dents comme pour les dissoudre, si astringente que la langue de Vatasha s’empâta dans sa bouche. Elle jeta au loin la fiole vide.


Son estomac protesta vivement. Des crampes le torturaient encore lorsque ses muscles s’emplirent peu à peu d’une chaude vibration. Son esprit s'aiguisa, son champ de vision s'élargit. Elle prit conscience de milliers de petits détails, de milliers de petits mouvements de la réalité qu’elle captait, maintenant sortie de sa torpeur, dans son infinie subtilité. La magie brûlait en elle, familière et réconfortante. Vatasha redevenait Être.


La foudre vaporisa Velaryon. Vatasha ne s’émut pas. Ce n’était pas le vrai, juste une illusion, un leurre pour mener le golem loin d’elle et de Nelerien. Enfin, elle l’espérait.


Elle concentra plutôt la magie dans le bout de ses doigts. Elle traça un cercle dans l’air, dessina ses transversales et la rune d’Oblivion. Sa voix s'éleva en daedrique et le voile qui séparait Nirn des Domaines Extérieurs s’effilocha. Le cercle de runes brillait au milieu du vide et la surface en son centre ondula comme un miroir liquide dans un bruissement de soie froissée.


Vatasha puisa davantage d’énergie au plus profond de son corps pour agrandir encore le portail et fusionner deux réalités qui pourtant se repoussaient. Une odeur d’ozone envahit ses narines. Le portail irradiait maintenant d’une lueur pourpre. Une main gelée et difforme jaillit de ce trou trop étroit pour elle.


Ses phalanges, des fragments de glace de la taille d’un bras humain, agglomérés les uns autres formèrent une serre crochue qui balaya l’air devant le portail. Elle frappait à l’aveugle.


Un vent glacial frappa Vatasha de plein fouet. Sa peau se hérissa, mais elle ne recula pas. Elle se tenait juste hors de portée de la main dont les doigts tâtonnaient pour l’atteindre. Le bras poussait, s’étirait, limité par la taille du portail qui retenait la fureur de la créature à laquelle il appartenait de se déchaîner sur le premier être vivant rencontré.


Vatasha imprégna ses paroles de magie et prononça les mots qui liaient à sa volonté les choses venues d’ailleurs. La main s’apaisa, soumise, mais non vaincue. Elle se retira lentement.


Vatasha manquait de temps. Elle l’autorisa à se manifester sur ce monde.


Le portail enfla. La créature referma ses doigts algides sur les rebords et poussa comme pour l’élargir de l’intérieur, jusqu’à ce que le cercle soit assez grand pour faire passer une jambe, puis une autre, puis un corps massif de glace pure, dure comme l’acier. Une tête disproportionnellement petite en ornait le sommet, percée de deux minuscules échardes bleues pour les yeux. Elle ouvrit sa gueule béante, plantée de rangées de stalactites tranchants et poussa un hurlement guttural. Une tempête de glace tourbillonnait dans les jardins.


Le portail se referma derrière l’atronach haut comme six Vatasha. À peu de chose près autant que le golem, qui s’inquiétait maintenant de ce qui se passait par ici.


Le corps du daedra obéissait, mais son esprit, enchaîné à l’esprit de son invocatrice, luttait contre une volonté qui n’était pas sienne. La magie de Vatasha s'échappait en flot constant, formait un filet qui sans cesse luttait pour rattraper une puissance qui lui échappait.


Dominer l’atronach drainait toute son énergie, toute son attention. Vatasha réussit pourtant l’exploit d’en réserver une fraction de côté, juste assez pour hâtivement tracer un nouveau cercle, une nouvelle rune. La réalité se déchira comme un voile de soie et une chaîne d’ébonite jaillit de l’Oblivion, fondit comme un serpent sur l’atronach au bord de la rébellion. Les maillons hérissés de clous se refermèrent autour de son cou et s’enfoncèrent dedans. La glace chuinta, fissura. Vatasha agrippa l’autre bout de la chaîne et libéra toute sa puissance dominatrice dans ce catalyseur.


Le libre-arbitre de l’atronach éclata en morceau. Sa volonté s’effaca dans le vent, soufflée comme une bougie au milieu d’une tempête.


Vatasha avait gagné : « le plus gros possible » lui appartenait désormais.


Le golem ayléide avait abandonné Velaryon. Alerté, il traversait les friches calcinées du jardin pour revenir vers elle de son pas lent. D’une main, Vatasha tenait la laisse de sa créature. De l’autre, elle pointa le gardien du doigt.


— Détruis-le, ordonna-t-elle en daedrique.


L’atronach rugit. Il s'élança vers le golem, au pas, au petit trot puis en grand galop. Ses pas semaient un sillage de givre.


Le golem marchait toujours, sans se presser. Son visage cristallin, dépourvu de traits, n’affichait ni peur, ni aucune autre expression. Mais il avait trouvé un adversaire à sa mesure. Il leva les bras, projeta un faisceau de foudre.


L’éclair frappa la poitrine de l’atronach, vaporisa des esquilles de glaces qui voltigèrent dans les cieux. Il se contenta de dresser ses troncs d’arbre de bras en croix devant lui, d’endurer et d’avancer comme si de rien n’était.


La foudre se mêla aux bourrasques gelées qui émanaient de son corps. La tempête grondait, sifflait, le tonnerre se mélangeait aux tourbillons de neige qui engloutissait le jardin.


Les deux titans se rencontrèrent au milieu de ce chaos. Vatasha aperçut une tête, devina un poing. Les furieux rugissements de l’atronach jaillissaient par intermittence du hurlement du blizzard qui vrillait ses oreilles. Le sol tremblait. La chaîne qu’elle tenait en main secouait avec force. Elle avait libéré du mou, mais peinait à la retenir.


Velaryon se jeta à ses côtés, recouvert de la tête aux pieds de sang, d’herbe, de boue et de poussière de marbre. Ses lèvres s’agitèrent dans le sifflement du vent sans que le moindre son ne franchît ses lèvres.


Vatasha se tapota l’oreille. Le commandant soupira. Ses doigts s’agitèrent et aussitôt, sa voix résonna directement dans son esprit.


— Bien joué ! Comment va Nelerien ?


— Il est vivant, il va s’en sortir. Maintenant, trouvons-nous la sortie ?


— Non, nous ne rentrerons pas sans finir la mission. On va mettre Nelerien en sécurité et l’accomplir tant que le golem est occupé.


.— Entendu. Je vais libérer mon atronach, il retiendra le gardien assez longtemps pour nous permettre de…


La tempête s’apaisa. Le vent retomba, le tonnerre cessa. Les derniers flocons retombèrent mollement sur l’épaisse chape immaculée qui recouvrait à présent les jardins du palais. La chaîne ne bougeait plus.


Le golem ayléide se dressait, debout sur les restes de son adversaire, réduit à l’état de fragments de glaces brisés. Il tenait la tête fracassée dans son poing, qu’il réduisit à l’état de poussière en serrant ses doigts cristallins.


L’atronach n’avait même pas éraflé le golem. Si, un peu. Tout juste avait-il cabossé sa cuirasse et ébréché son épaule. Rien qu’une minuscule, ébréchure, un insignifiant éclat arraché à son corps qui scintillait dans la neige, au milieu des arbres consumés. Il était sinon aussi intact qu’à son réveil et tourna la tête vers eux.


Vatasha blêmit.


— Par les Huit…


— Prenez Nelerien. Partez. Je vais le retenir.


— Mais…


— Partez.


Veleryon la repoussa en arrière. Il se leva, dressa les bras devant lui et invoqua une barrière protectrice, qui n’avait pas une fraction de la puissance de celles que déployait Nelerien.


Vatasha attrapa le corps de son camarade inanimé et le chargea sur ses épaules. Elle ramassa son épée, son bouclier. Elle tourna les talons, ralentie par le poids de son fardeau. Le mur le plus proche où se mettre à couvert se profilait au loin. Trop loin. Son dos se crispa. L’image des poings du golem pesait sur elle. Elle se les imaginait, tranquillement ajuster ces cibles faciles, ces intrus qui osaient troubler son sommeil et la tranquillité du palais qu'il gardait à travers les âges.


La foudre gronda, assourdissante. Mais quand le silence retomba, Vatasha était toujours vivante.


Le commandant…


Elle se retourna d’un bond.


Il était vivant lui aussi. Une barrière se dressait entre lui et le golem. Trop vaste, trop puissante pour qu’il en fût l’auteur. Et une femme lévitait au-dessus de Velaryon. Vêtue d’une courte robe blanche et or, de bas noirs et de bottes, elle portait un bâton orné d’un croissant et d’une gemme écarlate. Ses cheveux immaculés flottaient derrière elle dans le vent. Coiffés en deux longues couettes, ils dévoilaient une paire d’oreilles pointues, comme les leurs.


Velaryon leva la tête vers l’intruse :


— Ce golem est immunisé à la magie, l’informa-t-il, bien trop soulagé de recevoir de l’aide pour s’étonner de ce sauvetage impromptu.


— Je vois, répondit-elle. Dommage que je n'ai pas de guerrier-protecteur avec moi. Heisen n’en aurait fait qu’une bouchée.


— Même l’atronach invoqué par mon agent l’a à peine éraflé, et il mesurait neuf mètres de haut.


— L’éraflure, c’est celle sur son épaule ?


Une nouvelle série de sorts lancés par le golem volèrent dans leur direction. Les barrières de l’elfe inconnue s’allumèrent devant chacune de leur trajectoire et les interceptèrent sans peine. Velaryon hocha la tête :


— Nous n’en savons pas assez au sujet de cette chose pour l’affronter efficacement. Le mieux à faire serait d’opérer une diversion pour le semer, si vous n’y voyez pas d’inconvénient. Ça nous permettrait de nous glisser plus bas dans les ruines pour accomplir notre, euh… mission.


— Non, il faut toujours nettoyer complètement un étage de ses dangers avant de s’aventurer dans la suite du donjon. C’est la base de l’aventure. Je ne connais pas cette créature non plus. C’est excitant, on devra trouver nous-même le moyen de la détruire. Je vais vous aider, faites-moi confiance.


Velaryon consulta Vatasha du regard, qui haussa les épaules. Ce n’était guère le moment de discuter. Il soupira.


— Je suis le commandant Velaryon, officier du Thalmor. Voici mon lieutenant, Vatasha et nous avons un agent blessé, Nelerien. Nous sommes ici en mission officielle pour le Domaine Aldmeri. Considérez vos compétences comme réquisitionnées, madame ?


— Frieren. Je m’appelle Frieren.


Le golem approchait, stoïque.


— Je vais faire diversion, suggéra Frieren. Vatasha, emmenez votre compagnon en sécurité. Velaryon, essayez de me ramener cet éclat que vous avez réussi à arracher de son corps. J’aimerais l’examiner.



Avant que Velaryon ne pût répondre, elle s’éleva plus haut encore dans les cieux et contourna le gardien. Il pivota sur lui-même pour l’observer, sans pour autant tenter de nouveau de la bombarder d’éclairs.


Malin, il comprenait que ça ne servait à rien.


Son bras se déploya soudain dans la direction de Vatasha et Nelerien, sans même viser. Un éclair jaillit. Frieren opposa aussitôt une barrière depuis l’autre bout du champ de bataille, mais dans le même moment, le golem arracha le chapiteau d’une colonne qu’il jeta sur l’elfe en plein vol.


Elle ne bougea pas. Elle ajusta le roc de son bâton et le vaporisa avant qu’il ne la percute. Elle lança un sort identique dans la foulée, droit sur le golem, qui le percuta de plein fouet.


Le corps cristallin de la créature scintilla d’une pâle lueur verte et le rayon grossit et ricocha vers Frieren, mais percuta la barrière qu’elle dressa devant elle à la dernière seconde.


— Je vous l’avais dit, hurla Velayron. Il est immunisé à la magie !


— Je devais vérifier. Ramenez-moi cet éclat.


Vatasha n’avait pas traîné. Elle atteint le bord du jardin et sauta derrière un muret pour déposer Nelerien sous l’escalier, où elle et Velaryon avaient trouvé refuge plus tôt pendant le combat. Elle posa le doigt devant ses lèvres, soulagée de sentir un faible souffle effleurer sa peau.

.


D’abord, elle extirpa une nouvelle fiole de potion de magie du fond de sa besace. Elle la déboucha, loucha sur la mixture visqueuse, ferma les yeux, prit une grande inspiration et l’avala cul-sec. Vatasha déploya toute la force de sa volonté pour forcer les muscles de son visage à ne pas se déformer contre son gré.


Une douce chaleur se répandit à travers ses muscles et son esprit, à peine plus agréable que les brûlures qui tapissaient sa gorge et son estomac.


Elle allait finir malade si ça continuait.


Elle reprit son travail, dégagea le heaume qui emprisonnait les longs cheveux blonds de son camarade. Elle retira les pièces de son armure, là où sa peau dorée était le plus gravement brûlée. Ses doigts s’acharnaient sur la boucle d’une sangle quand elle sentit ceux de Nelerien se refermer dessus. Elle s'arrêta un instant.


Vatasha émit une pensée et une dague se manifesta dans sa main. Elle découpa avec les vêtements collés à la chair suppurante, secoua la tête de désarroi. Elle n’était que piètre guérisseuse, au contraire de Nelerien. Quelle poisse.


Heureusement, sa sacoche contenait quelques potions de soin parmi celles de magie. Vatasha en piocha une, arracha le bouchon.


Au milieu du jardin, quatre ou cinq Velaryon harcelaient le golem, s’attiraient ses foudres sans qu’il ne pût déterminer lequel d’entre eux était réellement le commandant. Frieren entretenait le doute et les protégeaient tous également de ses barrières depuis les cieux, mais s’abstenait de riposter magiquement.


Le golem scintilla soudain de vert. Son poing se dressa, il se retourna et frappa dans le vide non loin de lui, près des restes épars de l’atronach brisé qui commençaient à fondre.


Velaryon réagit juste à temps. Il sortit de son invisibilité, dissipa les illusions de lui-même et celles qui masquaient ses traces de pas dans la neige et concentra toute sa magie pour soulever le tronc noirci d’un pin foudroyé, qu’il opposa à la gigantesque masse de cristal qui s’abattait sur lui à pleine vitesse.


Le bois éclata et des échardes le frappèrent de plein fouet, mais le coup dévia. Velaryon resta debout, le nez en sang. Il projeta les restes de son bouclier improvisé au visage de son adversaire et déguerpit sans demander son reste. Il courut droit vers la cachette de Vatasha et Nelerien, bombardé dans sa course d’éclairs que Frieren interceptait dans son dos.


Vatasha se serra, lui fit de la place quand il sauta à ses côtés et n’attendit pas qu’il le demandât pour lui tendre une potion de magie, qu’il but jusqu’à la lie.


— Il en reste beaucoup ? haleta-t-il.


— Une seule.


Frieren vint se poser devant eux.


— Il arrive, attention. Avez-vous le cristal ?


— Le voici.


Velaryon ouvrit sa paume, dans laquelle brillait un éclat pur de cristal vert pâle, parcouru de reflets turquoise et iridescents. Il irradiait de magie. Ça ressemblait bel et bien aux pierres de welkynd qu’affectionnaient les elfes de jadis, mais Vatasha ne voyait rien de plus à en dire.


Frieren le prit et l’examina avec attention. Son visage neutre n’affichait aucune expression, seulement une profonde concentration, tandis que les pas du golem se rapprochaient.


— Vous lui avez jeté beaucoup de sorts ?


Velaryon grommela :


— On s’y est mis à trois.


— J’ai complètement épuisé ma magie juste avec quelques sorts offensifs, particulièrement dévastateurs, avoua Vatasha, sans réussir à l’achever avant qu’il ne riposte.


— Et je détecte en vous une importante quantité de mana…. Je comprends mieux, maintenant !


— Comment ça ?


— Il a emmagasiné le mana de vos sorts et il le restitue en le démultipliant. Pour chaque sort lancé contre lui, il peut en lancer un autre proportionnellement plus puissant.  


Vatasha se couvrit la bouche d’horreur.


— Et nous avons passé pas moins de cinq minutes à le charger à ras bord…


Velaryon déplia un mouchoir, nettoya son visage de la crasse qui le souillait et épongea ses plaies. Il jeta un regard par-dessus le muret pour voir le golem s’approcher. Il les dominait de toute sa hauteur.


— Nous n’avons donc ni les moyens de le détruire physiquement, ni les moyens de le détruire magiquement. Esquivons-le, il n’est pas trop tard pour trouver notre chemin au cœur des ruines.


— Au contraire, fanfaronna Frieren. Vous n’avez pas remarqué ? Ça nous offre le moyen de le détruire facilement.


Frieren s’éleva dans les cieux et se dressa face au gardien. Elle pointa vers lui son bâton.


— Zoltrak.


Un rayon de magie jaillit vers le golem et le frappa de plein fouet. Sa peau cristalline scintilla de vert et le faisceau, plus gros et large qu’avant, rebondit vers Frieren.


Elle dressa une barrière pour l’intercepter, mais pas une barrière habituelle : au lieu de simplement bloquer le sortilège, elle l’amplifia et le renvoya vers le golem.


Les mêmes causes produisirent les mêmes effets : le golem scintilla et le sort ricocha, démultiplié en taille et en intensité.


Frieren n’était qu’une fourmi face au rayon de désintégration qui avançait vers elle à toute vitesse, pourtant elle dressa à nouveau sa barrière qui le fit repartir en sens inverse, si massif que maintenant, le golem lui-même apparut minuscule. Il frappa le gardien et le sol autour de lui, englouti dans une vague de destruction qui rebondit encore, plus vite, plus puissante, plus massive vers Frieren, s’intensifia encore et revint, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne fût possible de distinguer les rayons allers des rayons retours au milieu du cratère qui avalait le jardin et de la tempête de désintégration qui avalait le cratère.


Tout cessa soudain après quelques secondes. Une explosion finale secoua les ruines saturées de poussière, qui retombaient dans un gouffre sans fond creusé au cœur des entrailles de la terre. Aucun débris n’encombrait cette blessure, propre et nette. Le jardin, les ruines, le sol, tout ce qui se trouvait sur le chemin du sortilège, tout cela s’était tout bonnement volatilisé.


Quant au golem, il n’en restait plus que quelques poussières de cristal, qui retombaient en pluie de paillettes vertes sur cette désolation.


Frieren atterrit aux côtés de Velaryon et Vatasha, médusés, qu’elle avait pris soin d’enfermer dans une bulle de barrière protectrice avant son offensive. Elle épousseta sa robe, lissa ses couettes.


— Et voilà, nous pouvons avancer dans la suite du donjon.



****



Du bout de son bâton, Frieren produisait à la fois la lumière qui les guidait dans les couloirs des ruines et guidait le corps assoupi de Nelerien, qui flottait devant elle comme soulevé par un crochet invisible à sa ceinture.


Il avait brièvement repris connaissance peu après la destruction du golem, lorsque Vatasha avait glissé entre ses lèvres le contenu d’une potion de soin. Mais jugé trop faible par Velaryon qui souhaitait en finir le plus vite possible avec cette maudite mission, le commandant lui avait jeté un sort pour le replonger dans le sommeil.


— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?


Son visage était propre maintenant, quoique contusionné. Ses cheveux et ses vêtements aussi, nettoyés de toute trace de poussière, sang et humidité. Et repassés, par-dessus le marché ! Frieren connaissait aussi des sorts qui faisaient la lessive. Vatasha en avait profité, mais n’avait pas encore eu le temps de se remaquiller.


— Le golem utilisait la mana emmagasinée pour relancer les sorts et les amplifier. Les sorts de foudre, de glace et de toutes ces choses étaient incapables d’endommager sa structure. Il pouvait donc se permettre de les absorber et d’attendre pour les restituer bien plus tard dans le combat. Il n’en allait pas de même pour un simple sort de désintégration qui par nature, est conçu pour annihiler la matière. Il ne pouvait l’absorber, sous peine d’être détruit. Il devait donc le réfléchir immédiatement et consommer un peu de sa mana en réserve pour se faire, démultipliant au passage les effets du sort. Quant à moi, je faisais de même en retour, si bien que je lui renvoyais une version plus puissante encore du sort de désintégration qui menaçait de la détruire. Le voilà donc forcé de consommer une quantité proportionnelle de sa mana pour le réfléchir, et ainsi de suite. La puissance du sortilège augmentait à chaque fois, ainsi que le coût en mana nécessaire pour le relancer, tout deux de manière exponentielle. Lorsque ce coût est devenu trop élevé pour le mana qu’il lui restait en réserve, il n’a pas pu le réfléchir et a absorbé la désintégration, qui l’a détruit de l’intérieur.


— Mais à ce petit jeu, remarqua Vatasha, vous risquiez de tomber vous-même la première à court de mana ? Le golem avait absorbé l'équivalent complet de ma réserve de mana et une bonne partie de celle de Nelerien et aussi du commandant.


— Oui, c’était donc sans risque.


Le petit groupe ne rencontra aucune menace dans les couloirs en ruine, en partie éventré par le combat, qui s’étalaient sous les ruines. Tout au plus croisèrent-ils quelques squelette isolé qu'elle et Velaryon pourfendirent sans difficulté.


— Que faites-vous ici ? interrogea le commandant alors qu’il rengainait son sabre.


Frieren bailla :


— J’aide la Guilde des Mages : pour en être officiellement inscrite comme membre, elle m’a demandé de lui rapporter quelque chose de ces ruines.


— Mais la Guilde des Mages a été dissoute. Elle n’existe plus.


— Ah ? C’est embêtant. Toutes ces organisations magiques, qui n’arrêtent pas de se créer et de disparaître, on s’y perd à la fin. J’imagine que l’Empire l’a remplacée par une autre, il faut s’inscrire où, par ici ?  


— Il y a le Synode, le Collège des Soupirs, quelques organisations indépendantes, énuméra Velaryon. Mais l’Empire ne domine plus Tamriel. Cette province n’en fait plus partie. Et nous sommes en guerre contre lui.


— Ah bon ?


— Mais depuis combien de temps n’avez vous pas mis le nez dehors ?


— La Guilde des Mages m’avait envoyée par ici, mais sur le chemin, j’ai fait un petit détour par la forêt pour ramasser des plantes. C’était pendant la grande invasion démoniaque.


— La Crise d’Oblivion ? Mais c’était il y a deux cents ans !


— Quelques petites années, quoi. Mais vous devez me comprendre, vous êtes des elfes vous aussi. Le temps n’est pas une entrave pour nous.


— Non, mais c’est une arme qu’il nous faut contrôler. C'est lui qui nous donnera la victoire sur les hommes.



Cette déclaration de Velaryon jeta un blanc sur la discussion et ils continuèrent d’avancer en silence, jusqu’à ce que Vatasha le rompe :


— Vous savez, j’ignore qui était votre commanditaire de la Guilde des Mages, mais je doute qu’il attende encore ce que vous étiez censée lui rapporter pour votre quête.


— Ce n’est pas grave, il parait qu’un livre de sort très rare se cache ici. J’aimerais le trouver pour ma collection.


Velaryon objecta, le menton dressé en toute majesté pour mieux jauger de haut cette elfe bien menue sa race. :


— Nous sommes ici au nom du Thalmor, à la recherche des secrets ayléides enfouies dans ces ruines et agissons sur les ordres directs de Sa Seigneurie, le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire. Je ne crains que malgré votre aide précieuse, nous ne soyons obligés de revendiquer tous les trésors de ce palais pour les remettre entre des mains compétentes.


— Je ne souhaite pas vous déranger. Mais j'aimerais beaucoup apprendre ce sort.



Une grande salle cernée de colonnes se profila devant eux. De nombreuses étagères de métal ouvragé en garnissaient l’espace, effondrées pour la plupart. Leur contenu sans dessus dessous s’étalaient en tout sens sur le sol, jonché d’une épaisse couche de rouleaux de parchemins effrités et poussiéreux. Une pâle lumière verdâtre baignait cette atmosphère d’une aura de mystère, que Vatasha aurait bien plus savouré si elle n'émanait pas de pierres de welkynd aux sommets de piliers, en tout point identique à la matière dans laquelle était taillé ce maudit golem gardien.


— Les archives du palais. Nous y voilà.


Velaryon se baissa, ramassa un antique parchemin, le parcourut du regard. Vatasha se promena parmi les étagères, caressa de ses doigts les volumes cassants qui les garnissaient. Des romans, devinait-elle en déchiffrant les mots à demi effacés qui s’y étalaient. De grandes épopées guerrières, des histoires d’amour…


Voilà qui plairait à Nelerien.


Il reposait dans un coin de la pièce, sur un lit improvisé de vieux livres moisis. Il dormait comme un bébé. Et ne se réveillerait pas tant que Velaryon n’aurait pas levé le sort. Dommage…


Vatasha admira les colonnes finement ouvragées, les jeux de lumière sur les reliefs, les artistiques enluminures des inestimables vélins qu’ils foulaient du pied. Il aurait aimé découvrir cet endroit.



— Des romans… partout des romans, grommela Velaryon, qui jeta un manuscrit par-dessus son épaule avant d’en retirer un autre au hasard d’une étagère voisine. On n’a pas fait tout ça pour des romans…


— J’ai trouvé ! s'exclama Vatasha. Des ouvrages sur les techniques de forges ayléides ! Il y là le secret de fabrication de leurs armes, les formules alchimiques de la composition de leurs alliages. Toute une étagère sur ce sujet.


Velaryon jubila :


— On emporte tout. On fera le tri plus tard.


Vatasha ouvrit un portail qui donnait sur une poche miniature de l’Oblivion, à travers lequel ils jetèrent par brassées entières tous les parchemins qu’ils trouvaient.


— Attendez, pas celui-là ! s’écria Frieren qui se jeta sur Vatasha et lui retint le bras alors qu’elle s'apprêtait à lancer un volume dans cet espace de stockage. C’est la formule que je cherche !


— Qu’est ce c’est ? s’inquiéta Velaryon, suspicieux.


— L’antique formule qui change le beurre doux en beurre salé. Elle est très rare.


Vatasha interrogea le commandant du regard. Il poussa un très long soupir.


— Je suppose que vous pouvez le prendre…


Frieren sauta de joie et Vatasha la laissa lui arracher le grimoire des mains. L’elfe, avide, s’allongea à même le sol pour entamer la lecture.


Quelques dizaines de minutes plus tard, les archives entièrement vidées affichaient un visage neuf. Vatasha referma le portail de son plan d’Oblivion miniature, qui en revanche débordait à présent. Il ne restait plus que le précieux grimoire de Frieren, qu’elle rangea dans sa valise. Tout était prêt pour repartir. Ils l’avaient bien mérité.


— Et ce coffre, là ! On a oublié de l’examiner.


Frieren désigna un coffre massif en bronze, posé au fin fond d’une alcôve.


— C’est normal : c’est un piège.


— C’est ce qu’affirme aussi ma détection de mana. Mais vous savez, ce sort n’est fiable qu’à 99%...





****





Le gazouilli des oiseaux, le doux souffle du vent berçait les oreilles de Nelerien. La bise caressa son visage. Il frissonna, entrouvrit les yeux et les referma aussitôt. Le soleil l’éblouissait.


Non, ce n’était pas le soleil. Où était-il ?


Il les ouvrit de nouveau, lentement. Ce qu’il avait pris pour le soleil était en réalité le visage de Vatasha. Le véritable soleil, lui, se reflétait dans ses cheveux et sur sa peau dorée pour venir l'éblouir. L’espace d’un instant, son regard se perdit dans ses yeux, dorés eux aussi, penchés sur les siens.


— Chef ! Il se réveille !


— Que… qu’est-ce qu’il s’est passé ?


Nelerien se redressa. Une douleur lancinante traversa ses muscles. Il gémit.


Il se trouvait au milieu des jardins du palais en ruine. Il se rappelait du golem, des pins en feu, de sa barrière qui cédait. La peur, la mort, la fumée, une montagne de cristal nimbée de foudre.


Les ruines, les colonnes, les statues de marbre blanc. Elles étaient là. Pas la fumée, ni les pins et encore moins le golem. Mais Vatasha était là, assise, et sa robe noir et or se déployait comme une corolle au milieu d’un champ de milliers de fleurs bleues.


— Le golem est mort ! Une mage formidable l’a désintégré, avec une bonne partie du palais dans le processus !


Hébété, Nelerien jeta un regard circulaire. Les idées peinaient à se remettre en place dans son crâne.


— J’ai l’impression que vous vous moquez de moi. C’est vous, la mage formidable ? Vous l’avez vaincu, Vatasha ?


— Non, je vous assure ! Frieren, elle s’appelle. On a accompli la mission avec elle, elle a trouvé le sort qu’elle cherchait et un coffre l’a avalé. Après, on est ressorti, mais comme on trouvait dommage de laisser un cratère au milieu des ruines, elle l’a bouché et a remis les pierres en place. Mais j’étais triste que le jardin ait été détruit, il était beau quoiqu’un peu sauvage. Alors elle a fait apparaître un parterre de fleurs pour le remplacer, regardez ! C’est une belle magie, non ?


— Vatasha…


— Oui ?


Elle glissa une fleur bleue dans ses cheveux. La bouche de Nelerien s’ouvrit pour prononcer les mots que lui soufflait son cœur, mais d’autres paroles sortirent de ses lèvres.


— J’espère que le commandant ne sera pas trop sévère à mon sujet dans son rapport… J’ai été un fardeau pour vous pendant toute la mission.


Un jour, il lui avouerait ce qu’il pensait vraiment d’elle. Un jour, mais pas maintenant. Après tout, l’un comme l’autre étaient elfe : Ils avaient tout le temps du monde devant eux.






ÉPILOGUE :





Le palais de Haute Ascendance dominait de ses terrasses les flèches d’or et les dômes de verre de la cité d’Alinor. Les arbres s’alignaient dans le jardin du perpétuel printemps. Leurs troncs ouvragés se déployaient en motifs géométriques, leur feuillage taillé sous forme de statues végétales. Rien ne dépassait.


Le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire contempla la perfection de leur ramure, ravi de n’y trouver nulle feuille de la mauvaise teinte, nulle branche déformée, nul insecte indésirable. Le gazon s'étendait, impeccablement taillé. Aucun brin d’herbe irrégulier ne troublait le regard : les jardiniers les mesuraient chaque jour un par un pour s’en assurer.


Parfait, parfait. Tout était parfait. Le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire admira au sol le reflet de sa propre perfection. Parfaitement parfaite. Nulle feuille morte ne souillait les pavés de jade de l’allée, polis comme des miroirs.


Ce visage ciselé, ce regard pur, cette démarche altière. Voilà ce qui faisait des fils d’Aldméri de véritables dieux vivant. Ce n’était qu’en s’élevant vers cet idéal que l’on pouvait frôler le divin. Un jour, oui, un jour… atteindre enfin l'apothéose, dans un monde entier nettoyer de toute imperfection.


Il songea à sa femme, qui avait accouché l’autre jour de leur huitième fils. Mais comme six autres avant lui, celui-ci était venu au monde accablé de bien trop de défauts : les cuticules de ses ongles étaient légèrement irrégulières. Il avait fait tuer l’enfant, bien sûr. Mais sans doute sa tendre épouse n’était-elle point étrangère à ce malheur. Tant d’imperfections risquaient peut-être de la contaminer. Il avait vu dans son regard la tristesse lorsqu’on lui avait pris l’enfant des bras. Cette émotion trahissait une faiblesse inconvenante. Non, son sein ne pourrait plus engendrer la perfection de nouveau. Il faudra envisager de l’éliminer, elle aussi, le monde s’en porterait mieux.


Ah, comme il était doux d'être parfait, de corps comme d’esprit et d’œuvrer pour que cette perfection se répandît dans le monde.


— Votre Seigneurie monsieur le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire, voici par la présente votre sereine collation.


Un serviteur, parfaitement vêtu, approchait de sa démarche parfaitement mesurée, calculée pour éviter de salir tant le sol que les semelles. Il marchait au centre de l’allée à parfaite équidistance des bordures et portait un plateau d’argent poli, garni de mets artistiquement disposés.


Il ne fallait rien de moins que soixante-quinze ans d’études et de pratique pour apprendre à porter un plateau de cette auguste manière.


Parfait, parfait.


Le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire attendit que le serviteur s’arrêtât devant lui, opéra une révérence et n’acheva le long protocole qu’exigeait une telle situation.


Du caviar d’yeux d'ortolans, du vin de perle, du pain-aux-cent-douze-épices-et-cent-treize-herbes et une petite motte de beurre. Quel luxe, quelle précieuse délicatesse ! Ah, il n’y avait que la civilisation altmer pour savourer un tel subtil raffinement !


Le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire se servit une cuillerée de caviar et se beurra un toast, non sans respecter l’exquise étiquette que requérait cette action. Il entrouvrit la bouche de 6,3° (pas plus), ferma les yeux aux 7/9éme (pas moins) , tira la langue de 3,4 millimètres et mordit dans son toast de caviar sans faire tomber la plus petite miette.


Quelle horreur ! Le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire vomit tout (de la manière exacte dont l’exigeait l’étiquette)


— Mais ce beurre est doux ! Garde !


Une statue d’oiseau doré se mit en mouvement à l’autre bout de la terrasse. Il s’avérait qu’il s’agissait d’un soldat vêtu d’une armure en forme d’oiseau doré qui se tenait jusque-là parfaitement immobile.


— Je croyais que l’on avait envoyé une expédition à la recherche du sort qui transforme le beurre doux en beurre salé ? Qu’en est-il ?


— Nos agents sont revenus, Votre Seigneurie monsieur le vice-protomagistère pseudosublimissime par intérim. Mais il n’ont rien trouvé de tel : seulement des secrets oubliés de forge magiques et des formules alchimiques d’alliages inconnus.


— Qu’est-ce donc que ces fariboles ? Bazardez-moi tout ça ! Qui dirigeait l’opération ?


— Le commandant Velaryon, Votre Seigneurie monsieur le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire


Le vice-protomagistère pseudosublimissime intérimaire secoua la main avec un dédain parfaitement étudié.


— Ah, lui… Eh bien, bloquez son avancement. Et mettez le à l’avenir sur des opérations ingrates. Une mission suicide, par exemple.











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