Dans les profondeurs de Mzinchaleft

Chapitre 1 : Dans les profondeurs de Mzinchaleft

Chapitre final

5381 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 31/12/2023 19:14

Dans les profondeurs de Mzinchaleft


Les deux lourdes portes dorées se refermèrent dans un bruit sourd derrière Mjoll – surnommée « la Lionne », s’il vous plaît – tandis qu’elle s’aventurait dans ce lieu jusqu’alors inconnu pour elle. Au-dessus d’elle, la neige qui recouvrait le plafond fondait peu à peu, et des gouttes s’écrasaient à intervalles irréguliers sur ses cheveux brun clair, presque blonds. Ses pieds, par chance protégés par des bottes épaisses et rembourrées, baignaient dans l’eau. Le bruit du vent, dont le souffle parvenait à passer par le mince espace sous les portes, l’assourdissait.

Alors qu’elle s’enfonçait toujours plus, un nouveau son remplaça le précédent et agressa ses oreilles : celui de la vapeur, qui émanait en volutes blanches d’un gros, d’un énorme tuyau doré sur sa droite. Lorsqu’elle posa sa main en partie gantée dessus, la chaleur du métal lui arracha un cri et elle la retira dans l’instant.

Quel étrange lieu, songea-t-elle en même temps qu’elle poursuivait son exploration, le bruit de ses pas contre le sol de pierre se répercutant contre les parois. Çà et là se dressaient de hautes colonnes qui reliaient le parterre au plafond, et il lui arrivait de revoir ces gros tuyaux à la couleur dorée, dont elle ignorait la fonction précise. Elle remarqua aussi des charrettes de bois encore en bon état, ainsi que de grands pots de couleur ocre avec des anses de part et d’autre, mais vides de tout contenu, et même une lanterne, à l’intérieur de laquelle brûlaient deux bougies.

Sur le chemin, elle croisa deux bandits, qui jugèrent intelligent de s’attaquer à elle. Elle en avait déjà rencontrés, en cherchant l’accès à ces ruines, et bien plus nombreux. En bonne Nordique, elle les avait massacrés jusqu’au dernier en quelques secondes à peine, leur sang tachant encore sa peau et son armure.

Ceux-là ne lui causèrent aucun problème ; l’un d’eux, qu’elle identifia comme un Rougegarde en remarquant la peau foncée de ses bras nus, puis comme un homme en entendant sa voix lui proférer des insultes, se rua vers elle. Aussitôt, elle reprit sa longue épée à la lame translucide – qu’elle avait rangée dans son fourreau après son précédent combat –, dont le tranchant suffisait à dissuader les plus téméraires, et serra entre ses mains le long pommeau doré et orné. Sa fidèle Sinistrale, ou Tranchedur comme l’appelait son fabriquant, ne la quittait jamais.

L’autre tenta de lui porter un coup avec sa dague d’acier émoussée, mais elle l’esquiva avec aisance et attaqua à son tour ; il essaya de parer à l’aide de son bouclier, mais elle frappa, encore et encore, le bruit du fer contre le métal résonnant avec une force incroyable contre les parois.

Au bout de quelques secondes, son adversaire, déstabilisé et étourdi par ses coups, lâcha sa protection, qui tomba dans un bruit sourd au sol. Profitant de cette vulnérabilité, elle le décapita sans pitié ; sa tête, équipée d’un casque de fer, alla cogner contre le mur avant de rouler au sol et de s’arrêter près d’un tas de terre et de gravats. Elle récupéra l’or, et reprit sa route, déterminée à mener son expédition jusqu’à son terme.

Pourquoi explorer des ruines appartenant à cette ancienne civilisation elfique que représentaient les Dwemers, ces êtres à l’intelligence parmi les plus avancées de Tamriel, et peut-être même de tout Nirn ? Pourquoi celles-ci plus que d’autres, Mjoll l’ignorait, et pourquoi pas, après tout. Ce qu’elle savait, c’était qu’elle vivait pour l’aventure. Née à Markarth, de parents Nordiques banals et sans aspirations, elle n’avait jamais supporté cette ville et l’avait quittée dès qu’elle avait été en âge de le faire. Sa vie ne se résumait qu’aux voyages, en Bordeciel et dans d’autres régions du continent, et elle n’était revenue dans sa terre natale que peu de temps auparavant, et encore, contrainte à cela par le décès de ses parents. Fait regrettable ; sa mère avait été attaquée par un loup en cherchant des herbes non loin de la ville, et son père avait été assassiné par une personne inconnue – les rumeurs affirmaient qu’il s’agissait de la Confrérie Noire, mais la jeune femme les balayait d’un revers de main. De ce groupe d’assassins autrefois craint et influent ne restait aujourd’hui plus rien, ce ne pouvait être eux.

Dans le fond, elle s’était attendue à une telle fin pour ses géniteurs. Des gens frêles qui ne savaient pas manier une arme ni se défendre ne survivaient pas longtemps, dans ce monde. Sovngarde leur sera plus doux que la vie. Elle espérait qu’une place les attendait, là-bas, même s’ils n’étaient pas des guerriers, et qu’elle les y retrouverait une fois son heure venue.

Ces pensées accaparaient toujours son esprit alors qu’assise sur une chaise de bois, à la chaleur agréable d’un feu, elle savourait un gigot de chèvre accompagné de légumes tout juste sortis du pot suspendu au-dessus des flammes. Sans doute le repas que le bandit de tout à l’heure avait escompté manger, et pas seul, si elle en croyait les deux sacs de couchage qu’elle distingua à la lueur des lanternes. Elle abandonna la viande ; l’odeur de renfermé de cet endroit – Mzinchaleft, de ce qu’on lui avait dit – lui portait au cœur, et si l’acolyte traînait dans le coin, elle devait se préparer à le recevoir.

Et la rencontre arriva bientôt : au bout du couloir qu’elle empruntait, Mjoll aperçut une silhouette. Par prudence, elle se cacha derrière une large colonne de pierre, guettant sa proie, qui ne la remarqua pas car elle évoluait à une distance assez lointaine de l’endroit où se trouvait la chasseresse. Cette dernière regretta de ne pas savoir bien manier l’arc. Si je maîtrisais cet art, j’aurais pu l’abattre d’une seule flèche.

Se lamenter ne servait à rien, alors elle avança avec prudence, veillant à agir dans le silence et la discrétion, car malgré son titre impressionnant, un faux pas lui coûterait la vie.

Rien ne payait mieux que l’observation : elle nota le carquois dans le dos de son opposante, ainsi que l’arc qu’elle tenait entre ses doigts. Il faudra faire attention, songea-t-elle, les yeux rivés sur sa cible.

Elle lui sauta dessus au moment où cette dernière s’y attendait le moins. D’abord, elle visa les mains, qu’elle trancha d’un coup d’épée, arrachant à sa victime un hurlement terrifiant de douleur dont elle se délecta. En quelques secondes, elle acheva l’autre en plantant plusieurs fois sa lame dans diverses parties de son corps, malgré les supplications de la Bosmer en face d’elle, s’il fallait en croire les marques sur ses joues. Un râle rauque et puis plus rien, la fin.

Comme avec le Rougegarde, elle ne récupéra que l’or, quoiqu’elle hésitât un instant à prendre un ou deux vêtements de fourrure de l’autre, mais, encore une fois, se surcharger l’handicaperait au lieu de l’aider.

Laissant le sang de l’Elfe couler entre les dalles crasseuses, elle suivit le chemin qui descendait. Autour d’elle, que de la pierre, dure et froide, un peu comme elle, songea-t-elle.

… Non, elle espérait qu’elle offrait une image plus avenante aux autres, quand même. Mais quels autres ? Elle était fille unique, n’avait plus de parents, et plus de famille non plus. Et des amis, encore moins. Restaient tous les autres, mais se souciait-elle vraiment de l’impression qu’elle renvoyait à de parfaits inconnus ? Pas le moins du monde.

Le froid devint plus insistant tandis qu’elle arrivait au bas de la pente, passant sous une impressionnante rangée de stalactites. À vue de nez, elle jugea que leur taille atteignait celles de deux hommes. Si l’un d’eux me tombe dessus, il signe mon arrêt de mort. Cette pensée ne l’effraya pas ; elle ne dressait là qu’un simple constat, et il en fallait plus pour qu’une Nordique comme elle cédât à de simples émotions.

La neige recouvrait en partie le sol et la roche autour d’elle. Sa respiration, que trahissaient les petites volutes blanches qui s’échappaient à intervalles plus ou moins réguliers d’entre ses lèvres, se stoppa lorsqu’elle entendit une voix au timbre masculin s’élever non loin.

—    … Ça me permettrait de racheter ma prime… de revenir en ville en homme libre !

 Encore des brigands ? Ils pullulent par ici !

Collée contre la paroi, elle dégaina à nouveau dans un silence absolu son épée, compagne favorite, dont le sang des adversaires de ses précédents combats maculait les bords aiguisés. Les gouttelettes d’eau des stalactites qui fondaient lui tombaient dessus, et elle réprima un frisson lorsque l’une d’elle glissa le long de sa joue puis de son cou jusqu’à s’infiltrer sous ses vêtements, suivie de plusieurs autres.

De là où elle se trouvait, elle remarqua un grand espace sur la droite, dont deux gros pylônes aux motifs étranges symbolisaient l’accès. Celui qui parlait lui tournait le dos – erreur fatale. Non loin de lui, elle distingua deux tonneaux et un coffre de bois.

Ses doigts se resserrèrent sur son arme. Elle ne pouvait s’approcher plus sans attirer l’attention. Si elle souhaitait profiter de l’effet de surprise, c’était maintenant ou jamais.

—    La victoire ou Sovngarde ! hurla-t-elle à pleins poumons en se ruant vers son opposant.

La cible se trouvait avec un acolyte, et, en plus, ils maîtrisaient la magie, ce qui ne l’arrangeait pas, mais il était trop tard pour renoncer. Elle grommela en manquant de se prendre un violent éclair violet issu d’un sortilège qu’elle ne connaissait pas, et en contra un autre grâce à son épée. Acheter un bouclier représenterait un bon investissement, songea-t-elle en esquivant une nouvelle attaque.

La femme, au contraire de l’homme, lui apparut moins bien équipée, puisque ne portant que de la peau et de la fourrure, alors elle décida de commencer par elle. La hors-la-loi lui balança quelques sorts, dont un qui atteignit Mjoll au niveau de l’épaule, qui poussa un cri de douleur, sans pour autant perdre son objectif de vue. Elle crèverait comme une chienne si elle commençait à pleurnicher sur un malheureux bobo, et elle en avait vu d’autres. Dans un cri bestial et sauvage, elle planta l’épée dans le ventre de son opposante, si profondément que la pointe de l’arme ressortit dans le dos de cette dernière. Le coup ne lui laissa aucune chance et elle cracha du sang avant de rendre l’âme pour de bon.

Le voyou qui l’accompagnait paraissait tenir à sa camarade, car il hurla un nom que la Nordique n’entendit pas, avant de se jeter vers elle plus en rage que jamais. Elle se tourna vers lui, et dirigea son épée – toujours plantée dans le corps de sa précédente victime – dans la direction de l’homme, celui qu’elle devinait avoir entendu parler tout à l’heure. Dans sa rage, il ne parut pas remarquer la pointe de l’épée qui émergeait de sa compagne, ou bien ne s’arrêta pas à temps ; en tous les cas il s’empala sur la lame juste derrière sa camarade et expira une ultime fois lorsque Mjoll retira la longue dague du corps des victimes.

Ensuite, le silence. Elle récupéra ce qui était de valeur ou pouvait l’intéresser, en veillant toujours à ne pas se surcharger. Quelques poisons et potions trouvés dans un coffre en bois et un peu d’or plus tard, elle reprenait la route, le vent sifflant dans ses oreilles. Ces ruines commençaient à lui plaire de moins en moins.

De grandes dalles de pierre recouvraient le sol, et ce bruit de vapeur, qu’elle avait déjà entendu en pénétrant dans les ruines, atteignit de nouveau ses oreilles. Sur sa droite, elle aperçut une immense porte dorée, qu’elle ouvrit par curiosité. Derrière ne se trouvait rien d’extraordinaire, à sa grande déception.

Elle revint sur ses pas et continua sur le chemin qui s’offrait à elle, croisant une drôle de machine qui paraissait inactive, d’apparence plutôt ronde et dorée, avec de longs morceaux cylindriques s’apparentant à des bras. Elle devina qu’il s’agissait là d’une ancienne technologie elfique, sans doute des sortes de gardiens, bien qu’elle en sût peu sur les Mers – mais toutes les ruines étaient toujours gardées par des gardiens, non ? Qu’importe.

De nouveau, le sol devint pentu, l’invitant à descendre. Au bout se trouvaient deux grilles dorées, qu’elle poussa et qui s’ouvrirent dans un grincement sinistre. Elles permettaient l’accès à une vaste salle en pierre, éclairée çà et là par des braseros. La guerrière balaya les environs d’un coup d’œil, mais ne repéra rien de très intéressant.

Ce fut alors que, dans un bruit de rouages métalliques, deux sphères qu’elle n’avait pas remarquées plus tôt roulèrent jusqu’à elle et se déployèrent, cherchant à l’agresser et à la tuer à l’aide de lames pointues, de crochets et même d’une arbalète vissés à leurs bras mécaniques.

—    Par les Neufs ! s’écria Mjolln en évitant de justesse une attaque d’une de ces créatures qui lui entailla le visage.

Elles se déplaçaient vite et ne manquaient pas de ténacité, mais avec un peu d’habileté et des coups bien portés, la Nordique les mit hors d’état de nuire, sans grosses difficultés. Face à la machine, l’humain restait le meilleur, surtout avec l’expérience de son côté. Elle trouva cependant les cadavres de deux bandits qui avaient connu moins de chance qu’elle face à ces monstres.

S’engouffrant dans un long tunnel, avec pour seule compagnie le bruit de ses pas, elle rencontra au bout une sorte de grosse araignée, dont la conception ressemblait à celle des deux sphères croisées plus tôt, et qui lui sauta dessus. D’un geste sec de son arme, la femme la décapita avant que la créature ne tentât la moindre attaque, et celle-ci retomba au sol et se disloqua en plusieurs morceaux.

Contournant un gros tuyau cassé duquel émanait de la vapeur, et après avoir vaincu cette fois avec plus de difficultés une araignée tenace, et deux nouvelles « sphères » non moins coriaces, la Lionne commençait à s’impatienter de ne pas voir le bout de Mzinchaleft, et la multitude de leviers qu’elle dut actionner pour baisser les grilles et tenter de se frayer un chemin vers la sortie n’aida pas à calmer ses nerfs.

Enfin, lorsqu’elle poussa deux portes dorées gravées, elle trouva un nouveau levier au centre d’une pièce circulaire ; elle le tira et sentit soudain qu’elle descendait…

… vers les Tréfonds de Mzinchaleft.


*


L’air était plus doux et l’ambiance différente, constata-t-elle tandis qu’elle avançait. Elle se retrouva sur un pont de pierre, du moins lui sembla-t-il, car ses yeux s’habituaient encore à la relative obscurité du lieu. Elle voyait et entendait cependant l’eau couler en dessous d’elle.

Elle n’eut pas le temps d’admirer davantage la beauté des lieux, car déjà un ennemi, porteur d’un bouclier et armé d’une hache, se ruait vers elle. Elle le reconnut comme étant un Falmer – elle avait déjà entendu parler d’eux, des anciens Elfes des neiges devenus de vilaines créatures, et aveugles en plus de cela – mais elle ne prêtait pas très attention aux cultures autres que la sienne. Malgré son handicap, il para ses coups avec une facilité qui l’étonna, mais elle profita d’une inattention de sa part et le poussa à l’eau, où il se noya.

Une flèche frôlant son cou lui apprit qu’un autre ennemi la visait. Elle l’aperçut un peu plus loin, avec son arc, et décida de ne pas tarder à s’occuper de lui. Évitant les projectiles qu’il lui lançait, elle sprinta jusqu’à lui, passant sous plusieurs arches de pierre. Dans la dernière ligne droite, il lui tira une flèche qui l’atteignit à l’épaule gauche.

—    Fait suer, grommela-t-elle sans pour autant s’arrêter de courir.

Il en profiterait pour l’attaquer encore plus, ce qu’elle voulait éviter à tout prix. Avec force, elle attrapa la flèche et la retira d’un coup sec, retenant autant que possible le cri de douleur qui voulait sortir de sa bouche. Contrairement à l’autre, le Falmer archer ne possédait pas d’écu pour se protéger, et elle l’abattit plus vite, et avec plus de haine, de rage et de violence aussi, pour lui faire payer la blessure qu’il lui avait infligée.

S’accordant une pause, elle observa avec attention les environs. Elle se trouvait à un carrefour, sous une sorte de kiosque soutenu par des piliers aux gravures étranges. Non loin derrière elle, de l’eau s’échappait de deux gros tuyaux usés et abreuvait, dans un vacarme assourdissant, le lac en contrebas. Sur un gros socle reposaient le crâne et les côtes d’une créature non identifiée, dont la vue suffisait sans doute à révulser les cœurs les plus faibles, ainsi qu’une épée appartenant semblait-il au peuple Falmer.

Comme aucun chemin ne partait sur la gauche, Mjoll s’engagea d’abord sur celui de droite, qui s’arrêta vite. Elle rencontra un Chaurus tenace, qui rappelait, comme ceux de son infâme espèce, les scorpions, et il manqua de l’empoisonner. Par sécurité, elle commença par lui trancher la queue afin de le priver de son dard vénéneux, puis la tête. Dans un petit coffre, elle trouva un collier d’argent et une amulette d’Arkay, en bon état, et elle décida de les prendre afin de les revendre. Certes j’aime l’aventure, mais il faut bien que ce genre d’expédition rapporte, ça ne sert à rien sinon. Elle récolta aussi quelques sacs d’œufs, puis continua sur le chemin qui avançait tout droit.

Quelques secondes plus tard, elle se retrouva devant une grosse porte dorée à double battant, semblable à celles qu’elle avait déjà empruntées jusque-là, et qu’elle franchit. Derrière elle, un très large escalier taillé dans la roche s’enfonçait dans l’eau. Elle s’en détourna et poursuivit sa route.

Le tunnel dans lequel elle se retrouva, à peine éclairé par la flamme verdâtre d’un étrange système d’éclairage installé contre le mur et protégé par une grille, bifurqua vite sur la droite pour déboucher sur un escalier. Ce dernier permettait l’accès à une vaste salle en pierre, où s’alignaient des bancs constitués du même matériau, juste séparés par une allée. Une légère brume stagnait près du sol.

Cette salle a-t-elle une fonction ? se demanda la Nordique, qui, en levant les yeux constata l’immense hauteur sous plafond.

Un nouvel ennemi l’interrompit dans ses réflexions. Encore un Falmer. Il était étonnant de constater à quel point ces ruines abritaient encore des traces de vie, même hostile. Depuis combien de temps existaient-elles ? Et quels secrets recelaient-elles ? La recherche et l’histoire ne passionnaient pas Mjoll, mais elle se promit de s’y intéresser davantage à l’avenir.

L’épée de l’ennemi ne pesa pas lourd face à la sienne, et elle mena d’un bout à l’autre le combat, qu’elle gagna pour de bon, lorsque, se trouvant derrière son opposant, elle lui planta son arme dans le cou, pour la retirer aussi sec. Pris de convulsions, il s’écroula dans un râle d’agonie, puis, plus rien. Encore une fois, il ne s’agissait pas d’un défi digne de la grande Lionne.

Il lui fallut encore affronter des ennemis, et monter jusqu’à une petite esplanade. Sur sa gauche, elle poussa ce qui s’apparentait à une porte, fabriquée dans une étrange matière ; quatre excroissances pointues telles des pinces en représentaient les battants, et le bruit qu’elles émirent en s’écartant dégouta la Nordique, qui, pourtant, ne se laissait pas répugner avec tant de facilité, d’ordinaire. Un Elfe qui montait la garde l’entendit et, muni de son arc, entreprit aussitôt d’interrompre sa vie, mais elle ne lui laissa pas le temps de lancer une flèche et plongea son épée dans son gosier. Comme tous les autres avant lui, il rendit l’âme, car Mjoll ressortirait glorieuse de cette aventure, ou elle ne s’appellerait plus « la Lionne ».

En avançant de quelques pas, éclairée par la lueur d’une lampe suspendue à un fil, jusqu’au rebord de la plateforme – des petites barrières construites avec… du bois ? empêchaient la chute – , elle ne retint pas un souffle d’admiration en apercevant l’incroyable panorama qui s’offrait à elle. Sur sa gauche, le passage par lequel elle était arrivée, à l’ouverture sculptée avec le plus grand soin. Suivaient les grilles dorées demeurées entrouvertes et qui offraient l’accès à une place dont une fontaine de laquelle l’eau jaillissait occupait le centre. Plus à droite, un petit escalier, suivi d’un plus grand, menait à une arche que des longues piques d’acier empêchaient de franchir. Derrière les murailles imposantes, on devinait ce qui s’apparentait à une sorte d’abri, au toit arrondi surmonté d’une cheminée crachant une fumée blanche. Au-delà, on distinguait encore quelques infrastructures, puis le reste se noyait dans le brouillard.

L’exploratrice en déduisit que le panneau de commande à sa droite, composé d’un bouton bleu à l’azur envoûtant, abaissait les piques, et elle appuya dessus. Il s’enfonça avant de remonter, et il lui sembla apercevoir le passage sous l’arche en effet dégagé. En se retournant, elle remarqua deux grilles dorées, plus loin, mais bloquées, et elle ne parvint pas à les déverrouiller.

Tant pis, il faut savoir quand renoncer, pensa-t-elle, avant de retourner sur ses pas.

Une fois l’arche passée, elle se retrouva à nouveau sur une grande place, dont, là encore, une fontaine en fonction, entourée de lampes, de coffres, et d’arches, occupait le centre. Les Falmers appréciaient cet aménagement, semblait-il, cela lui donnait envie de se renseigner sur leur peuple et leur culture. Elle farfouilla un peu dans les environs, mais ne trouva rien d’intéressant, et, à nouveau, poussa des grilles dorées – elle perdait le compte du nombre de fois où elle avait réalisé ce geste, aujourd’hui. Des cadavres d’Elfes et des restes de machines construites de leurs mains l’accompagnèrent dans son ascension, puis, elle se retrouva devant les deux grosses portes dorées du Poste de garde.

D’après ses renseignements, il s’agissait de la dernière partie de ce donjon infernal.


*


Elle atterrit dans l’obscurité d’un tunnel juste éclairé par les flammes vertes des lampes installées au mur. Il débouchait sur une salle plus vaste.

Tandis qu’elle avançait, elle réalisa que la sueur perlait de plus en plus sur sa peau, conséquence de l’atmosphère très étouffante du lieu. De la vapeur sortait des tuyaux au-dessus d’elle et l’assourdissait. Quelque chose trônait plus loin devant elle, dans une lumière aveuglante au travers de laquelle elle ne voyait rien, elle qui continuait d’évoluer dans la pénombre. Il lui fallait trouver un endroit où se poser, et–

Tout se déroula très vite ensuite.

Une sphère Dwemer, comme elle en avait déjà rencontrées avant, roula vers elle à une vitesse impressionnante et lui porta un coup au bas ventre. Mjoll poussa un cri et recula, mais son pied glissa et elle se retrouva étalée de tout son long au sol. Elle eut tout juste le temps de parer de son épée le coup suivant que s’apprêtait à lui infliger la créature, puis riposta en usant de toute son énergie. Elle abattit à plusieurs reprises Sinistrale sur la machine, réussissant tant bien que mal à la déglinguer.

Mais le danger persistait.

Un immense robot, tout jaune, réalisé avec un système d’engrenages complexe, s’avançait vers elle d’un pas lourd en crachant de la vapeur. Ses « mains » se terminaient en pointe, et son visage inexpressif ne quittait pas sa proie du regard.

Cette dernière tenta de se relever, mais il l’en empêcha en essayant de lui porter un violent coup à la tête qu’elle esquiva. Il enchaîna en lui planta sa lame dans la cuisse. Elle jura fort.

—    Saleté de Centurion ! siffla-t-elle entre ses dents. Meurs !

Sa rage lui permit de se relever ; elle tenta de détruire un de ses bras, mais ne parvint qu’à l’érafler. De son autre, il lui infligea une blessure qui lacéra son flanc. Elle cria de nouveau ; elle aurait dû mieux se protéger.

La douleur commençait à irradier son corps ; elle devait sortir.

Elle avança aussi vite que possible devant elle, mais son ennemi la suivait et lui envoya un jet de vapeur qui lui brûla le dos. La douleur l’empêcha de poursuivre et la força à s’arrêter près d’un gros bloc de pierre. Elle y posa les mains. Sa respiration devenait de plus en plus irrégulière, et elle sentait la sueur se mélanger au sang de ses blessures et la brûler. Son corps, l’arrière surtout, la lançait atrocement.

Elle tourna la tête, à temps pour voir arriver le bras de son ennemi qui lui fonçait dessus. Elle se baissa, mais le coup toucha quand même le haut de sa tête, et sa force fit qu’elle se cogna contre un gros tuyau doré juste derrière elle. Sa vision se troubla.

Dans cette frontière entre le conscient et l’inconscient, tout se joua à la chance. La chance, malgré son état, de conserver des réflexes. La chance de ne pas être complètement aveugle. La chance d’avoir toujours de quoi se défendre.

Il avançait, et c’était elle ou lui. Elle leva son épée, pria les Divins, en silence. Lui dirigea l’extrémité pointue et aiguisée de sa lame vers le cœur.

—    La victoire ou Sovngarde ! hurla-t-elle.

Elle rassembla toutes ses forces, et porta son plus vaillant coup d’épée. Le son du métal contre le métal résonna l’espace d’une fraction de secondes dans la salle, puis le centurion fut projeté à l’autre bout et s’écrasa contre le mur d’en face. Grâce à son coup, mais sur l’instant, elle ne le réalisa pas.

Chancelante, elle lâcha l’épée, qui tomba sur le bloc en pierre sur lequel elle avait posé ses mains plus tôt… et s’effondra.

Dans ses derniers instants de lucidité, elle réalisa que le centurion n’était sans doute toujours pas détruit, et qu’elle ne pouvait pas mourir ici quoi qu’il en fût. Alors elle rampa, rampa, jusqu’à se trouver face à des portes, encore et toujours, qu’elle ouvrit avec l’énergie du désespoir, ou celle de la survie, peut-être. Une salle, avec un levier au centre. Une fois tiré, rien ne la sépara plus de l’air libre. La chaleur extrême et la vapeur cédèrent place au froid intense et à la neige de Bordeciel.

Sortir de cet enfer lui procura l’énergie d’actionner le dernier levier qui baissa les immenses piques qui obstruaient le chemin vers la sortie. Elle marcha sur une dizaine de mètres, se sentant recouvrer des forces. Cette impression s’estompa vite. Elle toucha sa tempe droite, et regarda sa main.

Du sang.

Puis, ce fut le néant total.


*


Lorsqu’elle ouvrit, avec difficulté, les yeux, elle réalisa, au bout de plusieurs secondes, qu’elle se trouvait dans ce qui s’apparentait à une chambre, aux murs et au sol en bois, avec des meubles simples. Un endroit assez rudimentaire, songea-t-elle, l’esprit embrumé.

Elle voulut bouger, mais souffrit le martyre lorsqu’elle essaya. L’instant d’après, quelqu’un appliquait un linge blanc imbibé d’eau sur son front pour apaiser sa fièvre et ses souffrances.

—    Doucement… Vous êtes encore en convalescence. Il faut vous ménager.

La voix sonna de façon agréable à ses oreilles, et elle tourna la tête pour voir un homme de son âge penché sur elle avec une mine inquiète. Il remit une mèche de ses cheveux derrière son oreille.

—    Je suis content que vous reveniez à vous. Vous êtes restée inconsciente plusieurs jours, je m’inquiétais.

Ses yeux marron reflétaient le soulagement qu’il éprouvait de la voir recouvrer ses esprits. Il ne cessait de tapoter son front avec le tissu.

—    Où... où sommes-nous ?

—    À Faillaise, dans ma maison. Je m’appelle Aerin.

Faillaise… ? Si elle ne se trompait pas, la ville se situait bien loin au Sud-est des ruines. Comment était-ce possible qu’elle se retrouvât dans un tel endroit… ?

—    C’est vous… qui m’avez amenée ici… ?

Il acquiesça.

—    Après que je vous aie trouvée et aie réalisé les premiers soins, un chariot a accepté de vous transporter jusqu’ici. Je vous expliquerai tout en détail plus tard, si vous le souhaitez, mais pour l’instant, vous devez vraiment vous reposer.

—    … Merci beaucoup.

Continuer à parler dans son état ne contribuerait en effet qu’à l’affaiblir et à la vider de toute son énergie. Son sauveteur lui apporta un verre d’eau dont elle but quelques gorgées, avant de bouger dans son lit pour s’installer de manière plus confortable. Elle semblait partie pour y demeurer de longs jours encore. Ça ne la dérangeait plus tant que ça, réalisa-t-elle avec un léger sourire.

Elle ferma les yeux, prête à s’endormir de nouveau, et heureuse d’être encore en vie. Et cela, elle le devait à Aerin.

Elle trouverait un moyen de lui rendre la pareille.

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