De l'autre côté de la frontière

Chapitre 15 : Chapitre XV — Ordres de mission

4398 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/03/2023 15:42

Chapitre XV

Ordres de missions


 

Elenaril patienta longtemps, très longtemps, avant de finalement abandonner sa place à la cantine – en ayant veillé à ce que les consommations fussent bel et bien payées grâce à l’argent laissé par Randall et Posie, qui tenait de toute façon ce dernier du chasseur donc, en soi, mieux valait dire l’argent de Randall – et de prendre la direction de la proue du navire où se tenait l’instance de la Guilde. Tout en descendant les marches, elle scrutait l’horizon, parfois descendant son regard sur la foule qui s’agitait à Astera, mais ses yeux étaient inexorablement attirés par le petit groupement de chasseurs réunis au poste de commandement. Enfin, pour un petit groupe, ils étaient bien nombreux, une centaine, au minimum, qui se tenait là et écoutait le discours du commandant Gareth, qui s’exprimait en dessinant de grands gestes dans les airs. La curiosité la poussait à s’interroger quant au sujet de cette réunion un peu précipitée, et elle s’imaginait bon nombre de scénarios tout en tapant du bout des talons sur les planches de bois.

Le fait que cela ne concernât pas uniquement Randall la rassurait, d’une part. Cela signifiait que le commandant n’avait pas pris de mesures offensives à l’égard de l’Altmer perdue. Et puis, il fallait aussi se rendre à l’évidence que s’il avait voulu lui faire quoi que ce fût, il aurait amplement pu s’occuper d’elle plus tôt, et profiter de ses moments de faiblesse – lorsqu’elle dormait, par exemple – pour la piéger, lui soutirer des informations par la force, ou bien lui causer du tort. Mais personne ici n’avait tenté de lui faire du mal, à l’exception de ce tobi-kadachi qui reposait en paix désormais.

Mais cela amenait une autre conclusion. Il se tramait quelque chose, et si toutefois il fallait se mobiliser pour se rendre sur le terrain, cela nécessitait de nombreux hommes. Là, elle apercevait Uthyr, Aiden, et le dénommé Hans qu’elle avait aperçu la veille. Bien d’autres visages, masculins, féminins et androgynes, s’offraient à son regard, mais aucun qu’elle ne reconnût. Et pour finir, il n’y avait pas qu’une centaine de personnes comme elle l’aurait cru à l’origine, mais davantage encore, toutes vêtues d’armures, et certaines disposant encore de leurs armes sur leur dos ou à leur ceinture. Il y avait, en plus de cela, assistants et palicos dans l’assemblée. La discussion était donc bel et bien sérieuse, et semblait primordiale au point que tous fussent convoqués.

Elle parvint aux environs du poste de commandement alors que la foule se dissipait. La réunion était close. Seul Randall restait, discutant encore avec le commandant. D’autres chasseurs se tenaient non loin de là, attendant très probablement leur tour pour lui toucher quelques mots.

« Pourquoi m’avoir appelé à cette réunion si c’est pour que je ne contribue pas aux efforts ? grommelait-il, se laissant très certainement emporter par l’émotion puisqu’il parlait étonamment fort, et d’un ton plutôt irrité.

— Un chasseur de votre acabit peut se rendre utile de bien des façons, Randall, répondit posément le commandant, les bras encore une fois croisés sur son torse. Et, dans tous les cas, Astera toute entière devait entendre ce que nous avions à annoncer.

— En attendant, je ne peux ni aider sur le terrain, ni ici. Je n’ai pas assez observé d’anjanaths pour vous aider cette fois-ci. Alors à quoi pourrais-je servir pour Astera, avec ma patte folle ? »

Le commandant porta sa main gauche à son menton rasé de très près, où seul un léger liserai gris se laissait apercevoir. Il leva un instant les yeux au ciel, et les posa de nouveau sur le chasseur. Son air sérieux était peu accueillant, et Elenaril n’osait pas s’approcher plus. Elle se sentait déjà bien assez coupable d’épier leur conversation.

« Vous êtes l’un de mes meilleurs observateurs, Randall. Vous êtes capable de grandes choses, et avez beaucoup de ressources. Vous trouverez une façon de contribuer à l’effort de guerre.

— Maintenant c’est une guerre contre l’anjanath ? Vous exagérez un peu, Commandant. »

Gareth sembla vouloir rétorquer quelque chose. Mais Randall s’appuya de nouveau sur ses béquilles, et lui tourna le dos sans lui en laisser l’occasion.

« Mais si vous y tenez tant, j’aiderai, oui. Tant que je peux être mobilisé pour la capture, ça ne me dérange pas d’être mis de côté sur ce coup-là. »

Il s’éloigna, pas à pas, les pieds de ses béquilles cognant mollement sur les planches de bois qui constituaient le sol sur lequel il progressait. Il profita toutefois d’être encore à portée de voix pour s’adresser une dernière fois à son supérieur.

« Merci tout de même, » lâcha-t-il, plus par obligation que réelle politesse.

Elenaril s’avança, allant à sa rencontre, feignant l’ignorance. Il valait mieux ne pas aborder le sujet de cette conversation que Randall venait d’avoir, aussi désagréable fût-elle. C’était à lui, avant tout, de décider s’il voulait en parler, et elle ne voulait pas lui forcer la main.

Posie finit par les rejoindre à son tour, sûrement ayant flairé que son acolyte avait besoin de sa présence rassurante à ses côtés. Perdue dans un coin de la foule, elle avait probablement eu du mal à l’atteindre lors du discours sans perturber ce dernier, et n’avait pu le retrouver qu’à cet instant, une fois que la masse s’était dissipée. Elle vint se frotter à lui, ronronnant aussi fort que son petit corps le lui permettait, et le chasseur sembla s’apaiser. Se tenant sur une béquille, il tendit sa main libre pour caresser affectueusement la tête soyeuse du felyne.

« Désolé de vous avoir abandonnée, Elenaril.

— Ne vous en faites pas, vous avez des ordres à respecter, Randall. J’en ai profité pour étoffer mes notes, et les mettre au propre dans mon carnet. Si vous saviez lire l’altmeri, vous auriez peut-être pu profiter de ma plume, mais à vos yeux cela doit sûrement s’apparenter à des gribouillis d’enfant plutôt qu’à des rapports très sérieux. »

Sa remarque fit sourire le chasseur, et elle s’en réjouit. À sa manière, elle l’aidait à se changer les idées.

« Voulez-vous toujours apprendre ma langue natale ? demanda-t-elle doucement.

— Puisque je suis condamné à l’immobilité, j’apprécierai grandement, fit-il en retour, bien qu’elle décela une pointe de déception dans sa voix. Dylis me parlait d’une semaine de repos obligatoire, j’espère vraiment que ça suffira et que je serai sur pied à temps. »

L’Altmer interrogea du regard Posie, qui la fixait avec bienveillance. Le palico acquiesça subtilement, comme si elle avait lu dans ses pensées et lui donnait son accord pour qu’elle posât la question qui la démangeait tant.

« Il y a une opération de grande ampleur de prévue ?

— C’est bien ça. »

Randall ne cessait de caresser le sommet du crâne de Posie, et c’était à peine s’il croisait le regard de l’elfe. Finalement, il sembla réaliser son impolitesse, et vouloir y remédier, puisqu’il releva la tête, et lui afficha un sourire qui se voulait réconfortant, bien qu’un peu forcé.

« Ils ont mis en place un projet insensé, mais qui pourrait bien marcher si les astres sont de notre côté. Je n’y crois qu’à moitié, mais si le Commandant le met en œuvre c’est que c’est réalisable. »

Il lui fit un signe de la main en direction d’un banc où il souhaitait s’asseoir. Le chasseur ne lui laissa pas même le temps de proposer de le faire léviter grâce à ses sorts, et il s’empressa de s’y asseoir, poussant un long soupir fatigué. Bien qu’il se débrouillât convenablement avec ses béquilles, l’effort était éprouvant, et l’épuisement le gagnait bien assez vite.

« Ils veulent capturer un dragon ancien. C’est du jamais vu. Ils veulent littéralement tenter l’impossible.

— Il s’agit du zorah magdaros ?

— Exactement. »

Elenaril fixa longuement Randall, parfois même le scrutant dans les yeux, y cherchant un tic qui trahirait son mensonge. Mais rien n’y faisait, il était tout ce qu’il y avait de plus sincère et honnête dans ses paroles.

« Je n’y crois pas.

— Pour être honnête, moi non plus, et je doute être le seul. Les dragons anciens sont impossibles à capturer, pour des raisons diverses, mais lui, en plus de cela, est tout bonnement gigantesque. Il a toute une île sur son dos, c’est pas rien. Nos simples cordes ne pourront jamais le retenir. Mais il veut marquer l’Histoire, et nous le suivrons jusqu’au bout. »

Il semblait rêveur. À contempler la façon dont il se perdait dans l’immensité du ciel, Elenaril sentit se gonfler son cœur d’un sentiment chaleureux. Randall était fascinant – tout était fascinant chez lui, pour être sincère. Comme tous les autres chasseurs, il était fier de son travail et honoré de contribuer à cette noble tâche, mais il dévoilait dans le même temps une faiblesse tout à fait humaine – à défaut de dire mortelle, puisqu’Elenaril elle-même avait à quelques occasions montré le côté faillible de sa condition lors de ses études, bien qu’il s’eût été agi, dans ces moments-là, de situations moins périlleuses – qui avait son charme. La façon qu’il avait de rougir sous la gêne lorsqu’il exposait ses défauts, et la manière dont il gonflait le torse lorsqu’il était confiant des arguments qu’il avançait, les petits sourires qui s’accompagnaient d’un léger plissement des yeux ou bien l’affaissement de ses épaules et de ses sourcils quand il se retrouvait déçu, ou encore la lueur qui s’animait dans son regard si Elenaril lui posait ses questions dans un vain espoir de tarir sa soif de connaissances… Et bien qu’il doutât de la faisabilité de l’immense projet dans lequel le commandant entraînait ses hommes, il fonçait sans poser davantage de questions, pour prêter main forte et accompagner ses compagnons de flotte. Tous ces petits détails qu’elle avait remarqués et notés à force de le côtoyer l’émerveillaient et la captivaient.

Après tout, Randall était le premier Homme qu’elle avait rencontré, la faute à la politique d’isolation des Altmers, xénophobe et parfois extrémiste, donc cela expliquait pourquoi elle l’avait aussi scrupuleusement analysé. Et dire qu’elle avait d’abord cru qu’il était un Impérial, comme elle avait été idiote ! Aucun Impérial n’aurait eu n’était-ce qu’une fraction de l’audace de Randall. Si les livres évoquaient les géants, les minotaures et autres créatures redoutables et dangereuses qui peuplaient le continent, elle était convaincue, au plus profond de son être, que jamais un seul Men, ni même un seul Mer, ne se serait montré capable de chasser les monstres comme le faisaient les Hommes de ce monde. Leur magie était étrange, tant différente de celle qu’ils connaissaient en Tamriel, que si ces créatures venaient à envahir Nirn, la planète aurait tôt fait de tomber entre leurs griffes et leurs crocs.

Maintenant qu’elle y pensait, elle n’avait jamais osé demander pour quelles raisons un chasseur pouvait s’engager sur cette voie. Il y avait en plus de cela des techniciens, des forgerons, des intendants, et en-dehors de tout ce qui relevait du combat, il devait forcément se trouver des individus qui cultivaient la terre, récoltaient les plantes, guérissaient autrui et domptaient des montures. Qu’en était-il de l’art, de la culture ? Elle avait aperçu des broderies, un peu de poterie, cela signifiait donc que le pays – si toutefois il y en avait un – était en paix, et pouvait se permettre d’être oisif d’une telle façon. Les possibilités étaient immenses, tout individu semblait pouvoir devenir ce qu’il voulait, et prendre les rênes de sa vie pour la façonner à l’image qu’il souhaitait.

« Imaginez, si on y parvenait. Si l’entreprise du commandant portait ses fruits, et que nous réussissions à capturer un dragon ancien. La première réussite de toute l’histoire de la Guilde. Nous marquerons l’histoire, et on racontera nos exploits dans des décennies… »

Ses lèvres s’écartèrent, dévoilant un sourire digne d’un enfant à qui l’on promettait les étoiles, sans qu’il ne sût que c’était tout bonnement impossible de les atteindre.

Ce fut de courte durée. Lorsqu’il posa à nouveau ses yeux sur sa jambe immobilisée, qui le faisait encore un peu souffrir à en voir ses grimaces sitôt qu’il la bougeait dans un mauvais angle, il lâcha une remarque d’un ton acerbe.

« Encore faut-il que je sois guéri à temps. Dans une dizaine de jours, on passera à l’offensive. Si je n’y participe pas à cause de ce stupide genou, je m’en voudrai toute ma vie. »

Il massa nonchalamment son genou, comme s’il tentait d’accélérer sa guérison, ou au moins d’apaiser la douleur. Un silence s’installa, entrecoupé par le brouhaha habituel d’Astera. Les chasseurs qui passaient ici et là, les palicos qui miaulaient affectueusement, le métal des armes qui s’entrechoquaient, les pas qui écrasaient le bois du sol… Cette petite mélodie était devenue particulièrement agréable à la longue, véritable symbole d’Astera. À Eyévéa, c’était le silence qui primait d’ordinaire, si bien que c’était toujours une drôle de sensation que de constater l’effervescence et l’excitation commune des résidents de la ville-colonie.

« Et si vous m’appreniez votre écriture ? lança alors Randall, sur un ton tout autre, dénué d’irritation et d’amertume. Votre cursive est vraiment étrange, j’adorerais apprendre à la lire. Même si je doute que ça me sera d’une quelconque utilité à l’avenir, si ce n’est de lire vos carnets, » ajouta-t-il en riant doucement.

Elenaril l’accompagna jusqu’à l’élévateur, qu’ils empruntèrent à trois – Posie se fit une petite place sur les genoux de l’elfe en ronronnant – jusqu’à la cantine où, une fois encore, ils s’adonnèrent à leur petit jeu de professeur et d’élève, autour d’une douce boisson et de quelques amuse-bouches sucrés et salés. Mais cette fois-ci, l’exercice était mutuel ; tandis que Randall s’entraînait à tracer les lettres altmeri, Elenaril, quant à elle, tentait de mémoriser le système d’écriture utilisé à Astera, qui n’avait rien à voir avec ceux en usage en Tamriel, en se permettant de noter de temps à autre une entrée ou deux dans son journal. À leurs côtés, Posie somnolait, roulée en boule sur la chaise qu’elle s’était octroyée.

L’appétit leur vint, et le chasseur usa à nouveau de sa solde pour payer les trois repas. C’était, une fois encore, un véritable festin, et Elenaril regrettait de ne pouvoir s’installer définitivement à Astera, sans quoi elle aurait était particulièrement ravie de pouvoir dévorer des mets si fins et relevés, trois fois par jour.

Elle aperçut, en engloutissant un filet de poulet épicé, Uthyr, son palico – un ravissant petit felyne au poil noir – et son assistante, tandis qu’ils s’apprêtaient à partir en mission. Un peu plus loin se trouvait Hans, accompagné de trois autres chasseurs, le petit groupe discutant vivement avant de passer commande auprès du chef cuistot. De là où se situait la table qu’elle occupait avec Randall et Posie, Elenaril pouvait jeter un coup d’œil en contrebas, et contempler tout Astera. Une tête rousse – Aiden – se promenait sur le marché, et un jeune chasseur – celui venu chercher Randall un peu plus tôt – discutait avec le commandant. Vers l’aile médicale, elle crut reconnaître Dylis de loin, mais peut-être se trompait-elle, car la silhouette était lointaine, et sa vue n’était pas assez perçante pour distinguer les traits du visage à cette distance.

« Oh, vous étiez là ? Je me disais bien t’avoir aperçu dans la foule un peu plus tôt, » articula une voix familière en s’approchant d’eux, et arrachant de ce fait Elenaril à ses pensées.

Marissa venait de les rejoindre, semant dans son chemin des effluves parfumées, et prit place à côté d’eux. Randall s’empressa de ranger les feuilles volantes sur lesquelles il avait tracé ses caractères hésitants au fusain, qu’il avait bêtement laissées traîner sur la table, près de lui. Elenaril lui donna un petit coup de main en faisant discrètement léviter les pages – qu’il venait de poser sur ses genoux – jusqu’à elle, pour alors les glisser dans sa sacoche. Ainsi, elle protégeait davantage leur petit secret.

Elle en profita même pour attraper une fiole de potion de regain magique, afin de compenser tout ce qu’elle avait consommé depuis le début de la journée. Ce n’était pas grand-chose, mais elle préférait se savoir en toutes capacités plutôt que de sentir cette désagréable sensation de manque. En plus de cela, l’absence de régénération naturelle l’irritait, et la fatiguait, d’une certaine façon. Son corps travaillait plus que jamais, en totale alerte afin de guetter le moindre flux magique, et ne parvenait à comprendre que rien ne viendrait. C’était comparable à avoir un désagréable acouphène qui hantait l’esprit, et Elenaril n’aurait pas même souhaité cela à son pire ennemi.

« Salut, sourit le chasseur, bien que terriblement mal à l’aise. Tu as eu les infos, alors, toi aussi ? »

Elle acquiesça, et se permit de piocher dans le plat, glissant entre ses lèvres une petite pâtisserie.

« Désolé de t’empêcher d’y participer. Je suis sûr que tu aurais adoré cette mission.

— Oh, c’est pas bien grave. À la place, d’autres chasseurs ont été mobilisés. Compétents, je ne sais pas, mais il faut bien leur laisser une chance, non ? »

Elenaril retint un petit rire amusé. Le regard espiègle de l’assistante, tournée en direction de l’homme, laissait entrevoir une envie de taquiner, et elle s’y donnait à cœur joie.

« Et puis, on ira ensemble capturer le zorah magdaros. Ça sera un exploit de plus à raconter aux générations futures !

— Tu n’as pas tort, articula Randall en riant légèrement, sans pour autant se détendre suffisamment pour rester naturel face à elle. Espérons juste que ma patte folle ne te condamnera pas à rester à Astera toi aussi…

— Ah ! »

Marissa tapa brusquement sur la table du plat de la main, et se pencha en direction du chasseur qui, malgré lui, esquissa un mouvement de recul et manqua de tomber du tabouret sur lequel il s’était installé. Posie couina doucement, et Elenaril manqua de peu de lancer un sort de lévitation pour éloigner au plus vite Randall de la menace qui apparaissait à présent. Et aussi soudainement qu’elle n’avait cogné le bois, l’assistante s’esclaffa bruyamment, ses cheveux ondulant le long de son visage lorsqu’elle le secouait.

« Ne dis pas ce genre de choses, voyons ! On ira ensemble, et je t’aiderai. C’est ma tâche d’assistante, après tout ! »

Penaud, Randall adressa un regard discret à Elenaril. Il paraissait terriblement embarrassé, et ne savait guère où se mettre, et l’Altmer devait avouer qu’elle ressentait à peu de choses près la même chose. Difficile de suivre où Marissa allait, avec son caractère singulier.

« Vous serez là vous aussi, non, Elenaril ? demanda alors la jeune femme en se tournant vers elle, avant d’ingurgiter une nouvelle brioche miniature.

— Je… Je pense que oui. Sauf si mes obligations m’en empêchent, mais il ne devrait pas y avoir de raison.

— Vos obligations ? Bah, je doute qu’il y aura quoi que ce soit d’autre à faire à Astera ce jour-là. Tout le monde sera mobilisé, sauf les blessés. Même les médecins seront sur le terrain, prêt à porter secours si besoin. »

Bien qu’elle ignorât à quel point ce monstre était gigantesque – gros comme une île ? Elle en avait le vertige ! – Elenaril devait admettre que l’effervescence qui gagnait Marissa était particulièrement contagieuse. Elle n’avais pas songé un seul instant s’engager pour le combat, si tant fût que l’on pouvait nommer cela ainsi, car elle ne s’était pas sentie légitime pour ce faire, mais si désormais elle était considérée comme l’un des leurs, alors elle n’avait aucune raison de ne pas joindre ses forces à celles d’Astera.

« On a rarement vu des opérations d’une si grande ampleur, et pourtant il s’en est passé des choses dans l’Ancien Monde ! »

Randall acquiesça. Marissa lui adressa un dernier regard, avant de finalement se relever.

« Bon, je vais vous laisser retourner à vos gribouillis. Oui, Randall, tu étais tout sauf discret. »

Le concerné bégaya un instant mais, incapable de trouver quoi répondre à cela, il enfouit son visage dans sa tasse de thé, comme si par miracle cela l’aiderait à s’échapper de cette situation. Cela eut raison d’Elenaril, qui ne put s’empêcher de rire un peu trop fort.

« N’hésitez pas à le recadrer, Elenaril. Il a besoin qu’on lui mette des barrières, sinon on le retrouve perdu dans la forêt et on doit mobiliser toute une équipe pour le retrouver.

— C’est arrivé une seule fois, grommela-t-il en fronçant les sourcils. Et puis, c’est parce que tu m’as envoyé te capturer un pteryx des bois que c’est arrivé. La prochaine fois, tu iras toute seule.

— La prochaine fois, on ira ensemble, répliqua Marissa en posant sa main gauche sur l’épaule droite de Randall. Pour être sûre que tu ne te perdes pas, et pour être sûre qu’il ne m’arrive rien. »

Les deux rirent de bon cœur, accompagnés par une Posie qui semblait ravie de les voir s’entendre aussi bien.

« N’empêche que, de tous les chasseurs qu’on a informés de ta disparition, il n’y a qu’Aiden qui se faisait du souci pour toi, ajouta la jeune femme entre deux hoquets. Tous les autres pensaient que tu retrouverais tout seul ta route ! »

À les voir interagir, parfois d’une façon plutôt hésitante et ambigüe, mais toujours avec sincérité et affection, Elenaril était convaincue qu’ils étaient faits pour s’associer. Les personnes qui s’occupaient de créer les binômes de chasseurs et d’assistants devaient avoir un très bon flair pour créer des duos fonctionnels qui s’entendaient aussi bien qu’eux. Elle n’avait eu qu’un bref aperçu de cela – Randall et Marissa, ainsi que Uthyr et Efa – mais trouvait que les combinaisons étaient toutes bien trouvées ; Randall se montrait d’un naturel timide et prudent, tandis que Marissa et son excentricité le poussaient à s’affirmer ; Uthyr était muet comme un atronach, et Efa aussi bavarde qu’un vasard.

« Oh, et, tant que j’y pense, dit alors l’assistante, le forgeron m’a dit de te faire savoir que ta commande était prête. Pense à aller le voir, d’accord ? »

Randall acquiesça, et la remercia. Il adressa un clin d’œil à Elenaril, sans qu’elle ne sût le message qu’il tentait de lui faire parvenir par ce dernier. Elle répondit toutefois par un sourire ravi. Astera était une ville si agréable que la parcourir ne la dérangeait guère. Les paysages étaient si variés, et les individus qui la peuplaient étaient plutôt uniques, alors pour rien au monde elle n’aurait refusé cette petite promenade imprévue.

« Amusez-vous bien. On se revoit plus tard ! »

Ils eurent tout juste le temps de saluer en retour la jeune femme qu’elle disparut, se mêlant aux groupes de chasseurs qui s’apprêtaient à partir en mission, ou qui en revenaient. Aussi subitement qu’elle était intervenue dans leur instant privé, elle se dissipait telle la brume aux aurores, s’évanouissant dans un mirage sous les yeux d’Elenaril, rêveuse, et emportée par un élan de nostalgie de son pays. Ni Eyévéa ni l’Archipel de l’Automne ne pouvaient égaler l’ambiance chaleureuse d’Astera, et rien là-bas ne faisait naître en elle un si grand sentiment d’appartenance. Pour peu, elle se prit à rêver que son foyer n’était plus là où elle l’avait toujours cru, mais bien ici, aux côtés de Randall, tandis que ce dernier se repenchait d’ores et déjà sur son apprentissage des caractères altmeri, sans relever le regard bienveillant et attendrit que posait sur lui l’Altmer.

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