De l'autre côté de la frontière
Chapitre 3 : Chapitre III — Un chasseur nommé Randall
4171 mots, Catégorie: G
Dernière mise à jour 30/03/2022 18:52
Chapitre III
Un chasseur nommé Randall
Elenaril se laissa guider par cet inconnu sans protester, suivant cette main qui enserrait son poignet et refusait de la lâcher. Sa vue lui revenait, de même que l’ouïe, et elle recouvra assez rapidement la totalité de ses sens. Mais la course folle qui lui coupait le souffle l’empêchait de se concentrer ou de réfléchir, et elle préféra attendre de s’effondrer d’épuisement, immobilisée par une racine traîtresse, ou bien d’atteindre la destination à laquelle souhaitait l’emmener ce qu’elle devinait comme étant un homme de race men. Elle ne distinguait aucun attribut de Betmer – pas de queue de lézard, ni de chat – et la couleur de sa peau lui évoquait plus un Bréton ou un Nordique, voire peut-être un Impérial, qu’un représentant de race elfique.
Sa voix lui parvint à nouveau, dans ce qui ressemblait à un ordre. Constatant le tunnel de végétation qui s’ouvrait devant eux, elle compris qu’il attendait d’elle à ce qu’elle s’accroupît pour s’y faufiler. Il ouvrit la marche, éclairé par une faible lumière dorée – peut-être un sort d’illumination ? – et retournait de temps à autre son visage dans sa direction comme pour s’assurer qu’elle suivait le rythme, qu’elle se portait bien. L’Altmer ne savait que répondre, trop de questions se bousculaient dans sa tête.
Quelle était cette étrange créature qui avait bien failli avoir raison d’elle ? Dans quelle province de Tamriel s’était-elle retrouvée ? Et qui était ce sauveur providentiel qu’elle suivait sans protester ? Peu à peu, l’inquiétude de ne pouvoir rentrer chez elle, dans l’Archipel de l’Automne, la gagnait. Au bout de combien de jours de disparition les membres de la Guilde débuteraient-ils une enquête ? Des questions seraient posées à Calindil, et ils auraient vite fait de comprendre ce qu’elle avait tenté de faire. Ses parchemins disséminés dans sa chambre leur confirmeraient leurs soupçons. Et si tout cela venait à être connu des agents du Thalmor…
Elle secoua la tête. Non, cela n’arriverait pas. Dès qu’elle aurait assez d’énergie, dès que sa magie se serait suffisamment régénérée, elle relancerait le sort et se replongerait dans ses calculs afin de comprendre comment avait-elle pu le faire échouer aussi lamentablement. Il n’y avait plus qu’à attendre, alors… Quelle sotte, elle aurait dû garder sur elle une fiole ou deux de potion de regain magique – et dire qu’elle avait prévu le calepin et le crayon de fusain au cas où ! Une part d’elle avait secrètement espéré qu’elle se retrouvât en chair et en os dans le passé ; elle n’en revenait pas que cela eût marché si bien.
Le tunnel déboucha dans une petite clairière, éclairée par le soleil filtrant à travers les arbres, mais où il était évident que le croisement électrique entre un serpent, un lézard et un écureuil volant ne pourrait les suivre, ni même ne les retrouver. Elle y trouva un petit campement – une toile tendue formant un tipi, un foyer au cœur duquel brûlait un maigre feu, et un cercle de rondins disposés autour d’une table en bois naturel, non-loin d’un âtre au-dessus duquel avait été aménagé tout le matériel nécessaire afin de cuisiner quelques plats. Quiconque vivait ici devait s’y être installé depuis longtemps.
L’inconnu posa sur l’un des sièges son matériel, ôtant son casque et l’étrange outil qu’il gardait sur son dos, et se tourna de nouveau vers elle. Elenaril put alors le distinguer plus nettement. C’était, de toute évidence, un Impérial. Peau légèrement hâlée, chevelure châtain foncé tirant sur le brun, que de traits caractéristiques du peuple originaire de Cyrodiil, la province centrale de Tamriel, et dominatrice du continent suite aux guerres tiberiennes. Elle avait donc échoué là-bas, à l’époque où le territoire était recouvert de forêts denses. Mais il n’y avait alors que peu de Mens qui y vivaient, au contraire des Mers. Que diable faisait-il ici, perdu au milieu de nulle part ?
Il secoua sa tête et passa sa main nue dans ses cheveux, ébouriffant les mèches plutôt longues qui tombaient de chaque côté de son visage, avant qu’elle ne revinssent en place d’elles-mêmes. Elenaril nota la pilosité faciale de l’homme, une barbe soigneusement entretenue et taillée court, longeant la mâchoire jusqu’à son menton arrondi, où elle rejoignait les lèvres sans dépasser l’inférieure. Les Altmers ne portaient que rarement la barbe, si bien que ce devait être la première fois qu’elle pouvait se perdre dans ses observations, satisfaisant légèrement une curiosité qui l’animait déjà depuis bien longtemps.
Les yeux de l’Impérial la scrutèrent longuement. Leur couleur émeraude luisait sous les rayons du soleil. Enfin, il entrouvrit ses fines lèvres à la couleur rose pâle, et articula des sons qu’Elenaril n’avait jusqu’alors jamais entendus. Elle eut beau se concentrer, réfléchir à toutes les bribes de langues barbares qu’elle connaissait d’ici et là, jamais elle n’avait rencontré le langage utilisé par cet homme lors de ses recherches. Cet Impérial parlait un tout autre dialecte, qui n’avait rien du tamrielique ou de l’aldmeri. Et elle se sentait quelque peu désemparée.
« Je m’appelle Elenaril, fit-elle tout de même, espérant que cela fît comprendre à l’homme dans quel langage elle s’exprimait. Je suis une Altmer, je viens de l’île d’Eyévéa. »
Les sourcils se froncèrent, appuyèrent un regard déjà plutôt méfiant, qu’elle soutint tout de même. Hors de question de se laisser intimider par un Impérial qui lui arrivait tout juste à hauteur d’yeux. Sa fierté d’Altmer se réveillait, bien que le cœur n’y fût pas.
« Où sommes-nous ? Je ne reconnais pas cet endroit. »
Difficile de dessiner un air plus consterné que celui qu’affichait son vis-à-vis – elle ne pouvait le qualifier d’interlocuteur, après tout, puisqu’il fallait pour cela avoir un dialogue avec l’autre, et cela ressemblait surtout à un monologue de sa part – et il lui sembla qu’elle-même avait fini par adopter une expression similaire. Elle se gratta nerveusement la tête, comme si cela suffirait à éveiller sa matière grise et l’aiderait à trouver une solution.
En face, l’Impérial lui répondit, employant encore une fois des mots qu’elle n’avait jamais entendus de son siècle d’existence. Elle eut beau se répéter, employant tour à tour l’altmeri et le tamrielique, cela n’eut pas plus d’effet. Comme agacé de ne parvenir à se faire comprendre, il tourna les talons et s’installa nonchalamment sur l’un des sièges de bois à peine travaillé, posant son casque sur les genoux, et commençant à le nettoyer à l’aide d’un chiffon. Elenaril peinait à comprendre le comportement de cet individu, mais elle était plutôt certaine de ne pas se tromper en estimant qu’il était agacé, irrité par quelque chose – probablement sa présence. Et ces sentiments déteignaient sur elle-même, qui commençait à perdre patience.
Elle aurait bien aimé relancer son sort, et retourner chez elle afin de se repencher sur son sort et comprendre ce qui n’allait pas. Mais force était de constater qu’elle n’avait pas recouvert la moindre parcelle de magie qu’elle avait dépensée jusqu’alors. Cela prenait beaucoup trop de temps, elle n’aimait pas du tout cette sensation. C’était, à son sens, comme se retrouver désarmée sur un champ de bataille : à la merci du moindre prédateur, de la moindre intempérie qui viendrait nuire à ses projets. Et ne pas comprendre l’individu qui se trouvait là, dans son champ de vision, et qui l’épiait entre deux coups de chiffon, était la pire des exaspérations.
« Si seulement vous pouviez me comprendre, » soupira-t-elle avec épuisement, ses yeux croisant le regard qui reflétait les teintes de la forêt aux alentours.
L’idée lui vint aussi soudainement que la fin de l’été sur l’Archipel. Lors de ses années d’études, son mentor dans les arts de l’illusion n’avait-il pas fait mention d’un sort fort utile dans ce cas de figure ? Cela faisait si longtemps qu’elle ne l’avait lancé qu’elle en avait presque oublié l’existence. Qui avait besoin d’un sort de traduction et de compréhension mutuelle lorsqu’il maîtrisait parfaitement les langues principales des ouvrages en sa possession ? Elenaril n’avait que quelques vagues notions en ce qui concernait les langues et dialectes mineurs – khajiits, rougegardes, et argoniens –, et pouvait quelque peu deviner lorsqu’un elfe autre qu’Altmer lui parlait, puisque leurs langues partageaient bon nombre de racines communes. Mais puisque les écrits académiques du collège étaient publiés en altmeri, et que les contributions des Mens se faisaient en tamrielique, elle n’avait pas eu à mobiliser ce peu de connaissances depuis plusieurs décennies.
Elle s’assit à-même le sol, sous le regard interrogateur de l’homme, et croisa ses jambes en tailleur. Les mains sur les genoux, paumes tournées vers le ciel obstrué par la cime des arbres, elle se concentra. Ses yeux clos ne lui faisaient parvenir qu’une obscurité légèrement teintée de rouge lorsque les rayons du soleil venaient réchauffer ses paupières. En faisant le vide dans sa tête d’une telle manière, elle pouvait évaluer exactement la quantité de magie qu’il lui restait. Assez pour lancer ce sort de niveau intermédiaire, jugea-t-elle. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’avec cette inquiétude en moins la régénération n’en serait que plus rapide.
Elle concentra, à juste dose, le peu de magie qu’abritait encore son corps. À peine un quart de ses capacités habituelles, elle descendrait à un cinquième avec cet ultime sort. Une bonne nuit de repos, et un bon dîner, devraient lui permettre de se régénérer jusqu’à la moitié, peut-être même un peu plus. Si vraiment le temps jouait contre elle, elle serait de retour dans l’enceinte des bâtiments de la Guilde le surlendemain. Ne restait plus qu’à se faire comprendre, et à rester en paix jusque là.
Tandis que son esprit divaguait, ses mains façonnaient une sphère de couleur bleutée. Les lettres calligraphiées dessinant les mots de son sort dansaient entre les lignes de lumière, formant un véritable ballet de formules. Lorsque tout fut prêt, elle lâcha la boule magique, qui explosa au contact du sol, propageant une onde magique qui s’estompa bien assez vite. Ne restait plus qu’à savoir si cela avait fonctionné ou non…
« Qu’est-ce que vous avez fait ? » s’étonna l’homme, dans un altmeri parfait qui la surprit, avant qu’elle ne changeât son expression en un sourire ravi, et soulagé de voir la réussite de son sort.
Il avait reposé son casque sur l’autre rondin, et s’était relevé, avant de s’avancer de quelques pas dans sa direction. Elenaril, quant à elle, se remit sur pied, un air amplement satisfait étirant ses hautes pommettes, avant d’épousseter sa robe de mage sur laquelle s’étaient accrochées quelques brindilles et feuilles. Posant sa main droite sur sa hanche, elle dessina dans les airs quelques petits signes calligraphiés avec fierté.
« Un petit tour de magie qui, je le vois, nous permet enfin de nous comprendre. Qu’en dites-vous ? »
Sa propre réaction l’étonnait. Mais force était de constater que le caractère hautain et fier des Altmers revenait au galop lorsque l’un d’eux était mis en face à un étranger d’une autre race. Une part d’elle avait honte de cette attitude qui ne lui ressemblait guère, elle qui croyait qu’elle agirait comme avec ses camarades d’études lorsqu’elle rencontrerait enfin des représentants d’autres ethnies de Tamriel. Cet Impérial était le tout premier, et elle devait lui donner une terriblement mauvaise impression de sa race d’ores et déjà dépréciée dans une bonne partie du continent.
« Excusez-moi, je me dois de me présenter. Elenaril Danelis, je viens de l’île d’Eyévéa.
— Eyévéa ? répéta l’homme en grattant distraitement sa courte barbe de sa main droite. Jamais entendu parler. »
Étrange, mais pas improbable. Peut-être qu’à l’époque où elle se trouvait, l’île n’avait pas encore acquis sa réputation actuelle. L’Altmer haussa les épaules ; ce détail n’avait aucune importance. Désormais, elle pouvait comprendre ce que disait l’homme, et donc obtenir réponse à toutes ses questions. À commencer par les plus simples.
« Et vous ? Qui êtes-vous ?
— Randall, chasseur de la Cinquième, » répondit-il en lui tendant la main.
Elle ignorait ce qu’il attendait d’elle, et se contenta de vaguement regarder la paume qu’il lui tendait. Il fronça les sourcils, guettant une réponse plus convenable semblait-il, avant de replier le coude, et poser le poing sur sa hanche.
« Je ne vous ai jamais vue dans le coin, reprit-il.
— C’est une longue histoire, soupira-t-elle. Je vous passe les détails, mais je me suis retrouvée en plein milieu de cette forêt par erreur, et je suis trop épuisée pour pouvoir rentrer chez moi. Y aurait-il une auberge où je pourrais passer la nuit et reprendre des forces ? »
Ses yeux s’ouvrirent en grand, brillant d’une étrange lueur, avant que le dénommé Randall ne partît dans un fou rire qui résonna à travers les troncs, effrayant les quelques oiseaux perchés sur les branches qui s’étiraient au-dessus de leurs têtes.
« Une auberge, ici ? Vous vous croyez où, à Loc Lac ? »
Il se plia en deux, tapant du plat de la main sur le genou. Son armure – d’une allure et d’une fabrication jamais recensées dans les livres d’histoire qu’elle avait lus – émit un léger cliquetis lorsqu’il la frappa en exagérant sa réaction. Elenaril sentit le sang lui monter aux joues. Pour qui se prenait-il donc ? Son attitude l’irritait beaucoup trop.
L’homme – n’avait-il pas mentionné être un chasseur ? Elle se demandait ce que cela pouvait bien vouloir signifier – finit par remarquer qu’elle ne partageait pas son hilarité, bien au contraire. Sourcils froncés, yeux plissés, elle affichait une consternation et un agacement sans pareils, qui le calmèrent assez rapidement. Il se racla la gorge, visiblement un peu nerveux, et changea de sujet.
« Pourquoi n’avez-vous pas fui face à ce tobi-kadachi ? s’enquit-il, les poings fermés posés sur ses hanches, la tête légèrement penchée. Vous n’êtes absolument pas équipée pour la chasse, avec ces robes de scientifique. Et vous n’avez ni arme ni grappin. D’où venez-vous ? »
Les sourcils d’Elenaril se froncèrent davantage, presque réunis au milieu de son visage, projetant leur ombre consternée sur le regard ambré de l’Altmer. Elle avait compris presque toute la question, mais un mot la perturbait. Elle n’avait jamais rien entendu de tel jusqu’alors.
« Qu’est-ce qu’un… un tobi-kadachi, c’est bien ça ? »
Le dénommé Randall écarquilla ses yeux. Ses épaules s’affaissèrent. Ses lèvres entrouvertes cherchaient de quelle manière se mouvoir afin de produire le moindre son traduisant son état psychologique, pour au final se refermer et se crisper. Sa main droite vint masser ses paupières, tandis que sa respiration lourde et profonde parvenait aux oreilles de l’elfe.
« Par l’Étoile de Saphir, qu’est-ce que c’est que cette histoire encore, » soupira-t-il enfin, avant de relever la tête et d’observer Elenaril de la tête aux pieds.
Quelque chose n’allait pas, et il était difficile de mettre le doigt dessus. Cet Impérial à la langue si différente du tamrielique, son armure à l’allure jamais recensée, cette jungle perdue au milieu de nulle part, ou encore cette énorme créature dont l’apparence n’avait jamais été dessinée dans le moindre carnet de recherche… Et pour couronner le tout, sa propre régénération terriblement lente, voire même inexistante. Elle détestait être autant dans le brouillard – elle qui aurait cru adorer découvrir de nouvelles choses, voilà qu’elle ressentait le sentiment radicalement opposé à la joie.
« Un tobi-kadachi, répéta-il, las. Vous savez, le monstre face auquel vous êtes restée immobile pendant une éternité, avant qu’il ne tente de vous tuer.
— L’espèce d’hybride lézard-serpent-écureuil volant ? »
Il se figea un instant, interdit. Puis soupira.
« Oui, si vous voulez. Cette wyverne à crocs a bien failli planter les siens dans votre corps. Vous auriez pu y passer, à quelques secondes près.
— C’était donc vous, le flash lumineux ? Je n’ai jamais entendu parler d’un tel sort d’illusion, et pourtant je m’y connais, croyez-moi !
— Un sort d’illusion ? » articula-t-il, incrédule.
Quel était cet étrange jeu de questions-réponses auquel ils participaient en répétant chacun tour à tour ce que disait l’autre ? L’irritation de l’Altmer laissait peu à peu place à une curiosité et une incompréhension grandissantes. Il lui semblait que plus elle avançait dans ce brouillard inconnu et plus ce dernier s’épaississait. L’envie d’en apprendre plus sur ces environs afin de mieux retrouver son chemin était présente, mais difficile de se concentrer quand autant de nouvelles informations lui parvenaient aussi soudainement.
« Une chance que je me promène toujours avec ces capsules aveuglantes, fit-il en tirant une petite sphère qui tenait tout juste au creux de sa paume. Sans quoi, vous ne seriez plus en vie à l’heure qu’il est.
— Je me débrouillais bien jusqu’à ce que cette chose ne monte à cet arbre. Je lui avais déjà crevé un œil. Plus que le second et j’aurais pu fuir aisément.
— Et avec quelle arme ? Vous n’avez rien sur vous, pas même une fronde, » objecta Randall en rangeant la capsule dans une sacoche qui pendait à sa taille.
Elle remarqua alors la petite lanterne fixée elle aussi sur la ceinture déjà bien fournie en accessoires, et qui brillait d’une lueur verte rassurante. Un carnet pendait sur la hanche droite, ladite lanterne sur la gauche, et une sacoche reposait dans le bas du dos. Une autre ceinture barrait le torse de l’Impérial, et sur celle-ci avaient été fixées plusieurs petites boîtes desquelles émanait un petit bruit d’objets métalliques qui s’entrechoquaient lorsqu’ils faisait des mouvements brusques.
« J’avais mon arc, répliqua-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
— Un bel arc invisible, parce que je n’ai rien vu de tel dans vos mains, ni sur votre dos. Même si je dois admettre que vous aviez la position parfaite de quelqu’un qui s’apprêtait à décocher une flèche.
— Un arc d’âme lié. C’est un arc magique qui renferme un Daedroth de moindre puissance. Un sort peu utilisé en termes d’archerie, mais qui fait son petit effet.
— Si vous le dites, » souffla-t-il en haussant de nouveau les épaules, visiblement peu enclin à poser plus de questions, avant de retourner aux côtés de son casque et de son étrange outil.
Elenaril le suivit, afin de mieux observer ce dernier, qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait pu trouver dans les livres. Au mieux, cela lui évoquait une arbalète, comme celles inventées par les Dwemers de leur vivant. Mais la comparaison s’arrêtait là : il y avait bien un arc tendu au bout du semblant de fût, sans plus de détails similaires.
« Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Ça ? répéta Randall en soulevant l’objet, qui parut alors plus léger que ce qu’elle n’aurait cru à vue d’œil. C’est mon arme. Un fusarbalète léger du défenseur, dans sa deuxième version. Un fin travail de forgeron.
— Et comment l’utilisez-vous ?
— Comme toute arme à feu du genre. Je dégaine comme ceci, je vise le monstre et je tire. Et si je veux changer mes munitions, je les garde toutes là, contre moi, expliqua-t-il en tapotant la ceinture sur son torse, dont les boîtes fixées émirent quelques bruits de protestation. Perçantes, tranchantes, j’ai un peu de tout, selon ce qu’il faut chasser.
— C’est fascinant. »
Ne perdant pas une miette des explications à l’improviste de l’Impérial, Elenaril dégaina son calepin et son crayon de fusain, notant toutes ces informations, et traçant une rapide esquisse de l’arme dégainée, dont l’arc guettait l’instant où l’homme presserait ce qu’il désigna comme étant une « détente ». Il chargeait une partie de son fusarbalète de poudre à canon, qui explosait à la pression de la gâchette, et propulsait la munition, une minuscule balle ovoïde de la taille d’une phalange, dans la direction du canon. Ces explications sommaires mais fort enrichissantes dissipèrent la tension qui régnait entre eux, et Elenaril le pressait presque de lui en apprendre bien plus sur ce qu’elle ignorait.
Finalement, elle retrouvait pleinement la joie de découvrir de nouvelles choses, et cette exaltation était grisante. Tous deux assis sur les rondins, il lui expliqua tout ce qu’il y avait à savoir au sujet de cette arme dite « à feu » qu’elle venait de voir pour la première fois. Des types de munitions à utiliser – normal, perforant, tranchant, grenaille, shrapnel, paralysant et bien plus encore – jusqu’à l’usage qu’il en faisait – à savoir simplement en cas de défense, afin de paralyser les monstres qu’il chassait pour ne pas être poursuivi, lorsque cela était possible –, Randall parla longuement, s’arrêtant uniquement pour être aussitôt relancé par une Elenaril fascinée.
« Excusez-moi d’avoir été aussi méfiante et hautaine tout à l’heure, fit-elle finalement lorsqu’il n’eut plus rien à lui apprendre sur le fusarbalète.
— Pas de problème. Je n’étais pas non plus des plus aimables, je vous l’avoue. J’ai bien cru que vous alliez y passer face à ce tobi-kadachi.
— Je ne comprends pas ce qui s’est passé, j’étais pourtant convaincue d’avoir bien travaillé mon sort, soupira l’Altmer. Mais au lieu d’observer le passé, voilà que je m’y suis retrouvée moi-même, et j’ignore à quelle époque je me trouve, ni dans quelle province de Tamriel… Je commence à croire que je suis tombée sur un continent caché de Nirn. »
Randall écarquilla ses yeux. Son visage si expressif s’étirait, se détendait, au fil des émotions. Difficile d’être plus communicatif que lui. Cela changeait de Calindil et son air constamment renfrogné…
« Nirn ? Tamriel ? De quoi vous parlez ?
— Nous ne sommes ni en Tamriel, ni sur Nirn ? demanda Elenaril, un début de panique la gagnant. Par Syrabane, qu’ai-je donc fait ? »
Randall lui tapota sur l’épaule d’un air amical tandis qu’elle se laissait envahir par l’inquiétude et les doutes. Il remit son casque sur son visage, passa son arme sur l’épaule, et l’invita à le suivre.
« Je ne comprends pas ce que vous racontez, et j’ai l’impression que vous non plus ne me comprenez pas. Venez avec moi à Astera, nous aurons tous le temps d’en apprendre plus l’un sur l’autre. Et peut-être pourrons-nous vous trouver une solution pour que vous rentriez chez vous. »